Résumé législatif du Projet de loi C-38

Résumé Législatif
Projet de loi C-38 : Loi sur le mariage civil
Mary C. Hurley, Division du droit et du gouvernement
Publication no 38-1-LS-502-F
PDF 113, (23 Pages) PDF
2005-02-02
Révisée le : 2005-09-14

Table des matières


Le projet de loi C-38 : Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil ou Loi sur le mariage civil, a fait l’objet d’une première lecture à la Chambre des communes le 1er février 2005.  Il codifie pour la première fois une définition du mariage dans le droit canadien et élargit le sens traditionnellement accordé au mariage civil en tant qu’institution hétérosexuelle.  Le projet de loi établit que le « mariage est, sur le plan civil, l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne », et il étend donc le sens de « mariage », sur le plan civil, aux conjoints de même sexe.

Le débat en deuxième lecture s’est échelonné du 16 février au 4 mai 2005, après quoi il a été renvoyé à un comité législatif qui a tenu des audiences du 11 au 14 mai et recueilli des témoignages fondamentalement partagés sur le bien-fondé de cette mesure législative auprès d’intervenants représentant différentes institutions religieuses et organismes ou groupes affiliés, de groupes de défense des gais et lesbiennes, de partisans du mariage traditionnel, d’universitaires et de juristes.

Le 16 juin, le projet de loi a été renvoyé à la Chambre des communes avec un amendement de fond proposé par le gouvernement et un autre amendement émanant de l’opposition et portant sur le préambule du projet de loi.  Le projet de loi a été adopté à l’étape du rapport le 27 juin avec un autre amendement de fond proposé par l’opposition, et il a été adopté par la Chambre des communes le 28 juin :158 députés ont voté pour la mesure législative et 133, dont 32 députés ministériels, ont voté contre.

Présenté au Sénat le 29 juin, le projet de loi a fait l’objet d’un débat en deuxième lecture du 4 au 6 juillet.  Lors des audiences du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui se sont déroulées du 11 au 14 juillet, des témoignages favorables et défavorables ont essentiellement fait écho à ceux qui avaient été présentés devant le Comité de la Chambre.  Le Comité sénatorial a fait rapport du projet de loi au Sénat, sans amendement, le 18 juillet.  Le projet de loi a été adopté par le Sénat le lendemain : 47 sénateurs ont voté en faveur et 21 ont voté contre.

La Loi sur le mariage civil, chapitre 33 des Lois du Canada (2005),est entrée en vigueur au moment où elle a reçu la sanction royale le 20 juillet.  Le Canada est ainsi devenu le quatrième pays à adopter une loi sur le mariage entre conjoints de même sexe, après les Pays-Bas (2001), la Belgique (2003) et l’Espagne (2005).

Contexte

   A.  Résumé des réformes législatives à ce jour

Tous les gouvernements au Canada interdisent la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans la prestation de services, de logements et d’emplois(1).  L’entrée en vigueur en 1985 de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés – les dispositions sur les droits à l’égalité – a influé sur la réforme des lois dans ce domaine.  L’article 15 a également joué dans l’adoption graduelle, depuis le début des années 1990, de lois provinciales et fédérales visant à accorder aux couples de même sexe les garanties juridiques dont jouissent les couples mariés hétérosexuels.  Entre 1992 et 1999, par exemple, le gouvernement de la Colombie-Britannique a modifié la définition de « conjoint » dans de nombreuses lois de manière à inclure les personnes du même sexe vivant dans une relation « apparentée au mariage ».  En 1999, le législateur québécois a adopté à l’unanimité une loi générale qui modifiait la définition de « conjoint de fait » dans certaines lois de manière à inclure les couples de même sexe(2).  C’est également en 1999 qu’a été adopté le projet de loi C 78 : Loi sur l’Office d’investissement des régimes de pension du secteur public, la première loi fédérale accordant sans ambiguïté des prestations aux partenaires de même sexe; les modifications apportées par cette loi à d’autres lois entraînaient notamment le remplacement de la prestation de « conjoint survivant » par une prestation de « survivant » qui ne fait pas mention du sexe de celui-ci.

Le rythme de la réforme législative s’est considérablement accéléré dans le sillage de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire ontarienne M. c. H; il s’agissait du premier arrêt rendu par un tribunal supérieur permettant que soit contestée, en vertu de l’article 15 de la Charte, la définition légale de « conjoint » de sexe opposé(3).  L’arrêt de la Cour suprême ne visait à ce moment que les lois ontariennes, mais ses effets à long terme se sont répercutés au sein de pratiquement toutes les autres administrations.

Les législateurs en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario, à Terre-Neuve-et-Labrador et en Nouvelle-Écosse ont adopté depuis une série de mesures législatives disparates accordant différents droits aux partenaires de même sexe; les initiatives prises au Nouveau-Brunswick, dans les Territoires du Nord-Ouest et à l’Île-du-Prince-Édouard ont été moins nombreuses et de moins grande portée.  En Nouvelle-Écosse et au Manitoba, il existe également des systèmes d’enregistrement des couples hétérosexuels et homosexuels non mariés.  Le Québec s’est doté d’un régime d’union civile parallèle au mariage; il est régi par les règles qui s’appliquent à la célébration du mariage, comprend les droits et les obligations afférentes au mariage et comporte des règles de dissolution officielles.  En Alberta, le nouvel état légiféré de « partenaire adulte interdépendant », pour l’application de plusieurs lois provinciales du domaine de la famille, prévoit des droits et des obligations pour les personnes dans une variété de situations non maritales, mais pas nécessairement conjugales, faisant intervenir une relation d’interdépendance(4)

Il en résulte un ensemble hétéroclite de droits d’un bout à l’autre du pays(5).  De plus, certains régimes provinciaux réservent le terme « conjoint » aux partenaires mariés, d’autres l’appliquent aux couples de sexes opposés mariés et non mariés et d’autres encore lui prêtent le sens de partenaires de même sexe.

À l’échelon fédéral, la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations (projet de loi C-23), proclamée par le Parlement en 2000, modifiait 68 lois de manière à assurer l’application des lois fédérales également aux couples hétérosexuels et homosexuels non mariés et à leur conférer certains avantages et certaines obligations jusque-là réservés aux couples mariés.  Le ministre de la Justice d’alors a insisté sur le fait que le projet de loi C-23 n’avait pas d’effet sur l’institution du mariage, mais des critiques ont exhorté le gouvernement à définir le mariage dans la loi.  C’est pourquoi le gouvernement a inséré une règle d’interprétation (art. 1.1) : « Il demeure entendu que les modifications que la présente loi apporte ne changent pas le sens du terme “mariage”, soit l’union légitime d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne ».

   B.  Le mariage et la Constitution

L’activité judiciaire, politique et législative a entraîné la clarification des droits des homosexuels au Canada.  Ces dernières années, les demandes se sont multipliées pour que l’institution du mariage soit étendue aux couples de même sexe, en vertu des droits constitutionnels à l’égalité.  Ces derniers ont été sanctionnés par les tribunaux de huit provinces et d’un gouvernement territorial.  Les rubriques qui suivent analysent les principes constitutionnels fondamentaux du droit du mariage au Canada et la jurisprudence existante.

      1.  La division des pouvoirs

La Loi constitutionnelle de 1867 répartit la compétence législative en matière de droit de la famille.  En vertu du paragraphe 92(13) – « La propriété et les droits civils dans la province » –, la majeure partie des questions familiales incombent aux provinces.  Ces questions comprennent notamment la propriété matrimoniale et le soutien du conjoint et des enfants ne découlant pas de procédures liées à la Loi sur le divorce,de l’adoption, de la succession et de la tutelle(6)

Le mariage lui-même fait l’objet d’un traitement constitutionnel plus explicite.  Le paragraphe 91(26) de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise le Parlement à légiférer en matière de « mariage et de divorce », et le paragraphe 92(12) confère aux législatures provinciales le pouvoir de faire des lois concernant « la célébration du mariage dans la province ».

      2.  Capacité de contracter le mariage

Il est maintenant bien établi en droit que le Parlement détient la compétence exclusive de réglementer la capacité légale de contracter le mariage ou encore les questions touchant à sa validité essentielle.  De même, les gouvernements provinciaux ont la compétence exclusive des questions relatives à la validité formelle.

Les lois fédérales en matière de mariage ont toujours été peu nombreuses.  Dans la Loi sur le mariage (degrés prohibés)(7) – avant le projet de loi C-38, la seule loi en vigueur en vertu du pouvoir conféré au Parlement par le paragraphe 91(26) en matière de mariage –, deux dispositions de fonds définissent les degrés prohibés de « lien de parenté » ou de consanguinité.  Un autre article établit que la Loi « comporte la totalité des règles de droit applicables au Canada en matière d’empêchements au mariage fondés sur des liens de parenté ».  Toutefois, la Loi ne définit pas le mariage(8).

Les lois provinciales et territoriales sur la « célébration du mariage » visent principalement les conditions qui s’appliquent au mariage du point de vue cérémoniel, notamment la délivrance de licences, la publication des bans, les compétences des célébrants et d’autres règles « formelles ».  À l’occasion, des tribunaux ont sanctionné d’autres règles provinciales moins clairement liées à la cérémonie du mariage, ce qui a fait craindre à certaines personnes que, en l’absence de normes nationales, les exigences à respecter pour contracter un mariage valide ne relèvent de plus d’un gouvernement(9).  Une opinion plus répandue veut que, même si, par le passé, le Parlement n’a pas exercé pleinement sa compétence pour établir des critères explicites sur la capacité de contracter le mariage, toute tentative des provinces de le faire serait probablement jugée anticonstitutionnelle et inopérante(10)

   C.  Jurisprudence

      1.  Avant 2001

En l’absence d’une définition légale du mariage et de dispositions législatives interdisant le mariage entre personnes du même sexe, les deux principales affaires canadiennes qui ont porté sur la question du mariage entre personnes du même sexe pendant cette période ont amené le tribunal à se tourner vers des précédents britanniques.

          a.   L’affaire North v. Matheson(11)

Cette cause antérieure à la Charte portait sur le refus administratif d’enregistrer au Manitoba le « mariage » d’un couple de personnes du même sexe.  En confirmant cette décision, le juge a considéré entre autres choses l’arrêt britannique de 1866 dans l’affaire Hyde v. Hyde and Woodmansee au sujet de la légalité en Grande-Bretagne d’un mariage polygame, qui définissait l’institution du mariage « ainsi que l’entend la chrétienté, [...] comme l’union volontaire pour la vie d’un homme et d’une femme, à l’exclusion de toute autre personne »(12).  Le jugement Hyde est fréquemment cité comme la source de l’exigence canadienne, en common law, voulant qu’un mariage valide soit un mariage hétérosexuel.

Un autre fondement a été trouvé dans un jugement britannique de 1970 concernant la validité d’un mariage entre un homme et une personne qui avait subi un changement de sexe d’homme à femme.  Le jugement établissait que « le sexe est manifestement un déterminant essentiel de la relation appelée mariage, étant donné qu’elle est l’union d’un homme et d’une femme et a toujours été reconnue comme telle [...] Seules deux personnes du sexe opposé présentent les caractéristiques qui distinguent le mariage des autres formes de relation. »(13)

      b.  L’affaire Layland v. Ontario (Minister of Consumer and Commercial Relations)(14)

Dans cette contestation infructueuse en vertu de la Charte de la règle de common law qui limite le mariage aux personnes de sexe opposé, la décision majoritaire s’est appuyée abondamment sur l’affaire North et ses antécédents judiciaires(15).  Le jugement établit que « en vertu de la common law canadienne appliquée à l’Ontario, un mariage valide ne peut avoir lieu qu’entre un homme et une femme et que les personnes du même sexe n’ont pas la capacité de se marier entre elles »(16).  De plus, la common law fédérale n’enfreint pas l’article 15 de la Charte.  La question de savoir si les parties à une union de même sexe « devraient profiter des mêmes avantages que les conjoints mariés, sans discrimination fondée sur la nature de leur union, est une autre question »(17).

La juge dissidente a soutenu qu’il ne fallait pas appliquer les précédents sur lesquels s’appuyait la majorité, « étant donné ce qui s’est passé depuis l’adoption de la Charte et compte tenu de l’ensemble de droit dans lequel a été appliqué l’article 15 de la Charte »(18).  Elle n’admettait pas que la common law fédérale limite les mariages valides aux unions entre personnes de sexe opposé, faisant valoir « que la common law doit évoluer pour répondre aux besoins croissants de la société »(19), et que, si une telle interdiction existait, elle aurait peu de chances de résister à l’épreuve de la Charte.

      2.  De 2001 à 2005

De 2001 à 2005, 11 des 12 tribunaux provinciaux et territoriaux qui ont examiné les contestations de couples homosexuels en vertu de la Charte ont invalidé la définition traditionnelle du mariage en common law et l’ont remplacée par une redéfinition fondée sur les droits à l’égalité prévus par l’article 15 de la Charte.  Seule la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté, en octobre 2001, une contestation du refus de la province de délivrer des licences de mariage à des couples de même sexe.  En mai 2003, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a renversé cette décision(20).

En juillet 2002, trois juges de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) saisis d’une contestation similaire ont conclu à l’unanimité que la règle de common law qui définit le mariage comme l’union de deux personnes de sexe opposé constitue une violation injustifiée de l’article 15 de la Charte.  Il s’agissait d’un jugement sans précédent au Canada.  En septembre 2002, la Cour supérieure du Québec est devenue la deuxième cour canadienne à autoriser une demande de mariage entre personnes du même sexe(21).  L’arrêt déclarait que la mention d’un homme et d’une femme à l’article 5 de la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil(22) était contraire à l’article 15 de la Charte et l’a déclarée inopérante et a élargi la déclaration à la disposition interprétative de la Loi de modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations et à la disposition du Code civil qui caractérisaient également le mariage comme une institution hétérosexuelle.  Les deux tribunaux ont suspendu les déclarations d’invalidité pour une période de deux ans.

En juin 2003, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé à l’unanimité la décision de la Cour divisionnaire(23). Dans ses motifs per curiam, la Cour a affirmé, entre autres, ce qui suit :

  • La notion de « mariage » à l’article 91(26) de la Loi constitutionnelle a suffisamment de souplesse constitutionnelle pour tenir compte des nouvelles réalités sans qu’il soit nécessaire de modifier la Constitution.
  • Il ne suffit pas d’affirmer simplement que le mariage désigne exclusivement l’union de personnes de sexe opposé.  C’est l’élément « sexe opposé » qui doit faire l’objet d’un examen visant à déterminer si son effet sur les couples homosexuels est discriminatoire.
  • Par rapport aux couples mariés, les couples homosexuels ne jouissent pas d’un traitement égal en ce qui concerne les avantages et les obligations, et ce, en raison, par exemple, des exigences précises de cohabitation ou de l’inégalité des prestations prévues dans les lois provinciales et, chose plus importante encore, ils sont exclus de l’institution du mariage et donc privés des avantages financiers et non financiers qui en découlent.
  • La restriction du mariage aux couples de sexe opposé ne constitue pas une atteinte minimale aux droits des couples homosexuels :

Permettre aux couples de même sexe de choisir leurs partenaires et de célébrer leur union ne remplace pas adéquatement la reconnaissance juridique [...]  Le fait d’autoriser le mariage de couples de même sexe ne lèse pas les couples de sexe opposé.

Il ne s’agit pas non plus de concilier les droits des couples de même sexe et ceux des groupes religieux opposés au mariage entre personnes du même sexe.  La liberté de religion [...] permet aux groupes religieux de refuser de célébrer des mariages homosexuels.  La disposition garantissant l’égalité empêche toutefois les différents groupes religieux d’imposer leurs croyances et leurs pratiques aux personnes qui ne pensent pas comme eux.

La Cour a invalidé la définition du « mariage » donnée par la common law et en a formulé une nouvelle, l’« union volontaire entre deux personnes pour la vie », qui est entrée en vigueur immédiatement en Ontario.  En juillet 2003, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et, en mars 2004, la Cour d’appel du Québec(24) ont également autorisé les couples de personnes du même sexe à se marier légalement dans leur province respective immédiatement.

Des tribunaux inférieurs du Yukon, du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse, de la Saskatchewan, de Terre-Neuve-et-Labrador et du Nouveau-Brunswick leur ont emboîté le pas.  Le gouvernement fédéral ne s’est pas opposé ou n’est pas intervenu dans les quatre derniers cas.

   3.  Audiences du comité parlementaire

En 2002, le ministère fédéral de la Justice a publié un document intitulé Mariage et reconnaissance des unions de conjoints de même sexe – Document de travail.  Ce document était destiné à susciter un débat ciblé par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes et d’autres intervenants sur le traitement que devraient réserver la politique et la loi fédérales à la question du mariage entre personnes du même sexe.  Le ministre de la Justice de l’époque a donc demandé à ce comité de voir si, dans le contexte du cadre constitutionnel du Canada et de la définition traditionnelle du mariage, le Parlement devrait prendre des mesures pour reconnaître les unions entre personnes du même sexe et, dans l’affirmative, lesquelles.  Après environ trois mois d’audiences, le Comité avait commencé à rédiger son rapport à la Chambre, lorsque, le 10 juin 2003, la Cour d’appel de l’Ontario a fait connaître sa décision d’autoriser séance tenante les mariages homosexuels en Ontario.  Le Comité a alors adopté une motion portant qu’il « appuie la décision récente de la Cour d’appel de l’Ontario, dans laquelle elle redéfinit le mariage de common law comme étant l’union volontaire à vie entre deux personnes à l’exclusion de toutes les autres, dans le respect complet de la liberté de religion garantie par la Charte des droits ».  Compte tenu de ces faits, le Comité n’a pas terminé son rapport.

      4.  Renvoi à la Cour suprême du Canada

En juin 2003, le premier ministre d’alors, Jean Chrétien, a déclaré que le gouvernement fédéral n’interjetterait pas appel des décisions des cours d’appel rendues en Ontario et en Colombie-Britannique et qu’il retirerait l’appel interjeté au Québec.  Le mois suivant, le gouvernement a renvoyé l’avant-projet de loi sur le mariage à la Cour suprême du Canada pour que celle-ci se prononce sur sa constitutionnalité.  L’avant-projet de loi proposait la définition suivante : « Le mariage est, sur le plan civil, l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne. »  Il abordait également la question de la liberté de religion : « La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte à la garantie dont fait l’objet cette liberté, en particulier celle qui permet [...] aux autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses. »

Le gouvernement a demandé à la Cour suprême de se prononcer sur les points suivants : 1) si l’avant-projet de loi relève de la compétence exclusive du Parlement du Canada, 2) si la disposition de l’avant-projet de loi qui accorde aux personnes du même sexe la capacité de se marier est conforme à la Charte et 3) si la liberté de religion que garantit la Charte protège les autorités religieuses de la contrainte d’avoir à marier deux personnes du même sexe contrairement à leurs croyances religieuses.  En janvier 2004, le ministre de la Justice, soulignant l’importance d’un débat entier et éclairé, a ajouté une quatrième question au Renvoi à la Cour suprême, à savoir si l’exigence, sur le plan civil, selon laquelle seules deux personnes de sexe opposé peuvent se marier, est conforme à la Charte.

La Cour suprême a entendu les arguments concernant le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe les 6 et 7 octobre 2004 et a fait connaître sa décision le 9 décembre 2004(25).  Elle a arrêté notamment ce qui suit :

  • La disposition de l’avant-projet de loi autorisant le mariage entre personnes du même sexe relève de la compétence exclusive du Parlement visant la capacité juridique de contracter un mariage civil prévue au paragraphe 91(26) de la Loi constitutionnelle de 1867(26).
  • Cependant, l’article déclaratoire concernant les personnes qui peuvent procéder aux mariages, et par conséquent un sujet qui relève de l’autorité constitutionnelle des provinces relativement à la célébration des mariages, ne relève pas de la compétence du Parlement.
  • La disposition autorisant le mariage entre personnes du même sexe est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et, compte tenu des circonstances à l’origine de l’avant-projet de loi, elle découle de celle-ci.
  • Le droit à la liberté de religion garanti par l’alinéa 2a) de la Charte a une portée assez étendue pour protéger les autorités religieuses contre la possibilité que l’État les contraigne à marier deux personnes du même sexe contrairement à leurs croyances religieuses.

La Cour a refusé de répondre à la quatrième question, à savoir si l’exigence selon laquelle seules deux personnes de sexe opposé peuvent se marier était conforme à la Charte.  Elle était d’avis que le gouvernement fédéral avait l’intention de présenter un projet de loi sur cette question indépendamment de l’avis de la Cour et que les couples homosexuels mariés dont l’union repose sur la finalité des décisions judiciaires rendues dans les provinces où de tels mariages sont maintenant légaux avaient acquis des droits qui devaient être protégés.

Description et analyse

Le projet de loi C-38 se compose d’un long préambule et de 15 articles, dont 11 sont des modifications corrélatives apportées à huit lois fédérales.  Les paragraphes suivants portent sur le sujet principal du projet de loi. Les amendements sont également indiqués.

   A.  Préambule

Les dispositions de fond du projet de loi C-38 sont précédées d’un préambule de 11 alinéas à intégrer au recueil annuel des lois comme partie intégrante de la loi.  Depuis quelques années, il semble que le préambule soit utilisé plus fréquemment comme moyen de donner un contexte et une justification à une loi et de faire ressortir l’intention du législateur.  Le préambule sert davantage à interpréter qu’à établir le fond, et les tribunaux peuvent s’y référer pour dissiper une ambiguïté du texte de loi qu’il précède.

Le préambule du projet de loi C-38 contient des énoncés de principes et de faits :

  • affirmant que le Parlement s’est engagé à faire respecter la Constitution et les droits à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (al. 1);
  • notant la portée des jugements rendus par les tribunaux au Canada qui légalisent le mariage entre personnes du même sexe en invoquant les droits à l’égalité garantis par la Charte, ainsi que le fait que les couples mariés de même sexe se fondent sur ces jugements (al. 2 et 3);
  • affirmant que seule l’égalité d’accès au mariage civil, en qualité d’institution distincte de l’union civile, respecte les droits à l’égalité garantis par la Charte des couples de même sexe (al. 4);
  • rappelant que le Parlement n’a pas la compétence constitutionnelle nécessaire à l’établissement d’une institution autre que le mariage pour les couples de même sexe (al.5);
  • affirmant que chacun jouit de la liberté de conscience et de religion au titre de l’article 2 de la Charte (al. 6);
  • affirmant que le projet de loi n’a pas pour effet de porter atteinte à cette garantie, particulièrement en ce qui concerne la liberté qu’ont les membres des groupes religieux d’avoir les convictions religieuses de leur choix et les autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses (al. 7);
  • affirmant qu’il n’est pas contraire à l’intérêt public d’exprimer publiquement des opinions variées sur le mariage (nouvel al. 8);
  • faisant remarquer que l’engagement du Parlement à protéger le droit à l’égalité l’empêche de recourir à la disposition d’exemption prévue à l’article 33 de la Charte pour priver les couples de même sexe de l’accès au mariage civil(al. 9);
  • affirmant que le Parlement a la responsabilité de soutenir l’institution fondamentale qu’est le mariage(al.10);
  • faisant valoir que, dans l’esprit des valeurs énoncées dans la Charte, l’accès au mariage civil pour les couples de même sexe devrait être reconnu par la loi (al. 11).

   B.  Le mariage civil(art.2)

La disposition clé du projet de loi C-38 définit le mariage civil comme suit : « Le mariage est, sur le plan civil, l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne. »  Il convient d’insister sur le fait que la mesure législative porte exclusivement sur le mariage civil et qu’elle ne touche pas aux dispositions des lois fédérales concernant les droits des conjoints de fait ou des survivants sans distinction de sexe.

Le libellé de l’article 2 est le même que celui de l’avant-projet de loi étudié par la Cour suprême du Canada (la Cour) dans son arrêt de décembre 2004 visant le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe et reflète l’essence des reformulations de la définition traditionnelle du mariage en common law dans les jugements des tribunaux provinciaux susmentionnés.  Les paragraphes suivants présentent les opinions exprimées par la Cour au sujet de cette disposition.

      1.  Compétence du Parlement relativement au mariage

Dans son arrêt relatif au Renvoi, la Cour a mentionné, premièrement, les jugements historiques reconnaissant que « le par. 91(26) confère au Parlement le pouvoir de légiférer relativement à la capacité de se marier, alors que le par. 92(12) confère compétence aux provinces relativement à la célébration du mariage une fois cette capacité reconnue » (par. 18).  La Cour a déterminé que l’article de l’avant-projet de loi, « de par son caractère véritable, [...] se rapporte à la capacité juridique de contracter un mariage civil.  Il touche donc, à première vue, un sujet attribué exclusivement au Parlement ([par]. 91(26)). » (par. 19)  Elle a fait remarquer en outre que « [l]a compétence législative relative au mariage entre personnes du même sexe appartient donc nécessairement soit au Parlement, soit aux législatures provinciales.  Ni le par. 92(12) ni le par. 92(13) ne peuvent inclure ce sujet. L’absence de compétence législative en la matière étant exclue, c’est le par. 91(26) qui est le plus apte à l’englober. » (par. 34)

      2.  Respect de la Charte

La Cour a également conclu que la disposition de l’avant-projet de loi qui a précédé l’article 2 du projet de loi était conforme à la Charte.  Elle a fait remarquer que la disposition constituait une réponse directe aux jugements des tribunaux provinciaux et « exprime la position du gouvernement relativement aux prétentions des couples du même sexe concernant le droit à l’égalité garanti par le par. 15(1).  Cette position, combinée aux circonstances à l’origine de [l’avant-projet de loi] [...], indique sans équivoque que l’objet de la loi, loin de contrevenir à la Charte, découle de celle-ci. » (par. 43)

      3.   Conséquence de la reconnaissance par la loi du mariage entre personnes du même sexe

La Cour a examiné les arguments selon lesquels la légalisation du mariage entre personnes du même sexe est discriminatoire à l’endroit des groupes religieux qui s’y opposent ou crée une collision des droits à l’égalité et de la liberté de religion garantie par la Charte, ou les deux.  La Cour a déterminé, au sujet de la première objection, que la disposition de l’avant-projet de loi correspondant à l’article 2 du projet de loi « n’empêche l’accès à aucun avantage, ni n’impose aucun fardeau sur le fondement d’une différence.  Elle ne remplit donc pas la condition préliminaire pour que le par. 15(1) trouve application selon les critères établis. » (par. 45)  De l’avis de la Cour, « [l]a simple reconnaissance du droit à l’égalité d’un groupe ne peut, en soi, porter atteinte aux droits d’un autre groupe » (par. 46).

Pour ce qui est de la deuxième objection, la Cour a refusé de traiter de la collision des droits alléguée dans l’abstrait, en l’absence d’un contexte factuel.  Elle n’a pas exclu la possibilité qu’une telle collision se produise si une mesure législative reconnaissant le mariage entre personnes du même sexe a force de loi, ajoutant qu’« [u]n conflit des droits n’emporte pas nécessairement l’existence d’un conflit avec la Charte; il peut généralement, au contraire, être résolu à l’aide de la Charte même » (par. 52).  La Cour a fait remarquer ce qui suit :

La protection de la liberté de religion offerte par l’al. 2a) de la Charte a une portée étendue et la jurisprudence de notre Cour sur la Charte la défend jalousement.  Soulignons que, si un conflit inadmissible survenait, la disposition en cause ne pourrait, par définition, se justifier au sens de l’article premier de la Charte et serait inopérante par application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.  Le conflit cesserait alors d’exister.(par. 53)

Ainsi, la Cour a conclu qu’« il n’a pas été démontré que le risque de collision des droits engendré par [la disposition qui a précédé l’article 2 du projet de loi] porte atteinte à la liberté de religion garantie par la Charte.  Il n’a pas été démontré que des conflits inadmissibles – qui ne peuvent être résolus par l’application de l’al. 2a) – surgiront. » (par. 54)

   C.  Mariage religieux(art.3)

Aux termes de l’article 3, il est entendu que les autorités religieuses sont libres de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses.  Il convient de signaler que, dans l’arrêt rendu relativement au Renvoi, la Cour suprême a examiné une version différente de cette disposition de la loi proposée, selon laquelle « [l]a présente loi n’a pas pour effet » de porter atteinte à la liberté des autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages entre personnes du même sexe.  La Cour a déterminé que ladite disposition ne relève pas de la compétence du Parlement, du fait qu’elle concerne les personnes habilitées à procéder à un mariage, une compétence exclusive des provinces suivant le paragraphe 92(12) de la Constitution(27).  Une version révisée de l’article se trouve au septième paragraphe du préambule lequel, comme nous l’avons indiqué, sert à donner un contexte et une justification à la loi.

Enfin, la Cour a fait remarquer qu’« il reviendrait aux provinces, dans l’exercice de leur pouvoir relatif à la célébration des mariages, de protéger les droits des autorités religieuses en légiférant relativement à la célébration des mariages entre personnes du même sexe ».  À ce sujet, la Cour a aussi dit qu’« [i]l faut aussi signaler que les codes en matière de droits de la personne doivent être interprétés et appliqués dans le respect de la vaste protection accordée par la Charte à la liberté de religion » (par. 55).  Selon la Cour, « ...[i]l semble donc clair que le fait d’obliger les autorités religieuses à marier des personnes du même sexe contrairement à leurs croyances religieuses porterait atteinte à la liberté de religion garantie à l’al. 2a) dela Charte » (par. 58).

Pendant toute la durée du processus législatif touchant le projet de loi C-38, on s’est demandé si l’expression « il est entendu que » (reconnaissance d’un fait) utilisée à l’article 3 du projet de loi est suffisamment distincte de la terminologie qui est utilisée dans la version de l’article proposée dans l’avant-projet de loi et qui est davantage de nature déclaratoire pour satisfaire au critère constitutionnel.  Il est possible que la question ne se pose pas en l’absence d’une contestation judiciaire de la disposition.

   D.  Liberté de conscience et de religion (nouvel art. 3.1)

Le comité législatif de la Chambre des communes a entendu un certain nombre de témoins opposés au projet de loi C-38 affirmer que l’une des principales lacunes de cette mesure législative résidait dans le peu de protection accordée à la liberté de religion et à la liberté d’expression fondée sur une croyance religieuse des institutions et des autorités religieuses ainsi que des particuliers.  L’impossibilité pour le Parlement de remédier à cette lacune apparente en raison du partage actuel des pouvoirs en vertu de la Constitution est particulièrement inquiétante à leurs yeux.  Conscients que la célébration du mariage et les autres contextes pratiques dans lesquels le droit reconnu à la liberté de religion intervient sont en grande partie du ressort des provinces, certains sont d’avis que le projet de loi pourrait et devrait accroître le niveau de protection accordé à l’égard des champs de compétence fédéraux.  Pour remédier à cette lacune apparente, le gouvernement a proposé une nouvelle disposition, que le comité a adoptée et dont voici la teneur :

Il est entendu que nul ne peut être privé des avantages qu’offrent les lois fédérales ni se voir imposer des obligations ou des sanctions au titre de ces lois pour la seule raison qu’il exerce, à l’égard du mariage entre personnes de même sexe, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, ou qu’il exprime, sur la base de cette liberté, ses convictions à l’égard du mariage comme étant l’union entre un homme et une femme à l’exclusion de toute autre personne.

   E.  Précision (art. 4)

Cette disposition explicite dispose clairement qu’il est entendu que le mariage n’est pas nul ou annulable du seul fait que les époux sont du même sexe.  Il faut comprendre que les mariages entre personnes du même sexe sont nuls ou annulables pour les mêmes motifs que les mariages entre personnes de sexe opposé.

   F.  Modifications corrélatives (art. 5 à 15)

Les articles 8, 9 et 15 contiennent les modifications corrélatives les plus évidentes apportées aux lois directement touchées par le projet de loi C-38 :

  • le remplacement de la définition du terme « époux » qui s’entend de personnes de sexe opposé dans la Loi sur le divorce par l’expression « deux personnes » unies par les liens du mariage, sans égard au sexe;
  • le remplacement similaire de la terminologie utilisée à l’article 5 de la Loi sur le droit fédéral et le droit civil de la province de Québec concernant le consentement au mariage;
  • l’abrogation de la règle d’interprétation de la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations qui renvoie à la définition du mariage en common law, soit l’union légitime d’un homme et d’une femme.

Le projet de loi C-38 modifie la définition de « personne morale privée » dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions et dans la Loi canadienne sur les coopératives.  Les modifications renvoient au contrôle par des particuliers unis « par les liens [...] de la filiation », par opposition aux dispositions antérieures qui exigent que les particuliers soient unis par les liens du sang ou de l’adoption (art. 5 et 6).  Le lien dans le cadre d’une « union de fait » est aussi ajouté, de même que sa définition sans égard au sexe, ainsi que le dispose la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations de 2000.

L’article 7 abroge un article de la Loi sur les prestations de guerre pour les civils qui mentionne le versement de pensions au « mari » ou à la « femme » dans un couple de pensionnés.  La disposition en question s’appliquait aux engagés de la défense passive volontaires pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Le projet de loi C-38 modifie les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu en remplaçant les mentions actuelles du « père naturel » et de la « mère naturelle » par « légalement l’autre parent » ou « légalement le père ou la mère ».  Il élimine aussi les termes « de sexe opposé » dans une disposition concernant le sens élargi des termes « conjoint » et « ex-conjoint » (art. 10 à 12).  Un autre amendement touchant la Loi de l’impôt a été adopté à l’étape du rapport avec le consentement unanime de la Chambre des communes.  Cet amendement vise à donner suite aux préoccupations exprimées par les opposants au projet de loi C-38 qui craignent que les institutions ou organismes religieux qui s’opposent au mariage entre personnes du même sexe voient leur statut d’organismes de bienfaisance révoqué en raison de leur opposition.  En vertu du nouvel article 11.1 du projet de loi, qui modifie l’article 149.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu,

(6.2.1) Il est entendu que, sous réserve des paragraphes (6.1) et (6.2), l'organisme de bienfaisance enregistré dont l'un des buts déclarés est de promouvoir la religion ne peut voir son statut révoqué ni se voir imposer d'autres sanctions au titre de la partie V pour la seule raison qu'il exerce, ou que ses membres, ses dirigeants, ses adhérents ou les personnes qui l'appuient exercent, à l'égard du mariage entre personnes de même sexe, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.

Enfin, le projet de loi apporte des modifications techniques au libellé des paragraphes 2(2) et 3(2) de la Loi sur le mariage (degrés prohibés),afin d’interdire le mariage entre personnes du même sexe qui sont étroitement liées (art. 13 et 14).

Commentaire

Comme prévu, les réactions suscitées par le projet de loi C-38 pendant le processus législatif ont été partagées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Parlement.

Les critiques relatives au projet de loi C-38 portaient principalement sur les menaces perçues pour l’institution du mariage hétérosexuel lui-même en tant que force stabilisatrice dans la société, pour le noyau familial et pour la liberté de religion et d’expression des opposants au mariage entre personnes de même sexe.  D’aucuns ont soutenu que le projet de loi offre une protection insuffisante aux membres du clergé et à d’autres agents publics, notamment les commissaires de mariage, qui ne veulent pas reconnaître ni célébrer les mariages entre conjoints de même sexe.  Les détracteurs ont fait valoir que puisque la célébration du mariage relève de la compétence des provinces, comme le confirme d’ailleurs l’arrêt de la Cour suprême relatif au Renvoi, les garanties fédérales en cette matière sont dénuées de fondements.  On a également fait état de craintes quant au tort que pourrait causer aux enfants le fait d’être élevés par des parents de même sexe.  Les groupes de défense des droits des gais et lesbiennes et les organismes de protection des droits de la personne se sont réjouis pour leur part du projet de loi et y voient un tournant dans la lutte menée pour mettre fin à l’exclusion et à la discrimination à l’égard des couples conjugaux de gais et lesbiennes.  Dans cette perspective, le projet de loi C-38 appuie les demandes de longue date visant l’accès équitable à l’institution du mariage civil tout en respectant la liberté religieuse garantie par la Charte.

Sur le plan politique, le Parti conservateur du Canada avait initialement fait part de son intention de modifier le projet de loi pour rétablir la définition traditionnelle du mariage contenue dans la common law et mettre en place un régime parallèle pour les couples de gais et lesbienne(28). Il estime que cette façon de faire résisterait à un examen fondé sur la Charte(29), même si dans les milieux juridiques on a récemment soutenu le contraire(30). À la suite de l’adoption du projet de loi C-38 par la Chambre des communes, des porte-parole du Parti conservateur ont émis des doutes quant à l’efficacité du projet de loi sur le plan de la protection de la liberté de religion, et ils ont mentionné que la question du mariage entre conjoints de même sexe pourrait être soulevée au moment d’une élection ou examiné par une autre législature(31). La réaction immédiate des provinces est venue surtout de l’Alberta, qui a exprimé la détermination politique du gouvernement à défendre la définitiontraditionnelle du mariage et à évaluer les options pour ce faire. Par la suite, le premier ministre de la province a reconnu que son gouvernement ne disposait pas des recours juridiques pour empêcher l’application de la Loi en Alberta et il a annoncé son intention de présenter un projet de loi visant la protection juridique des autorités religieuses et des commissaires de mariage qui refuseront de célébrer des mariages entre conjoints de même sexe pour des motifs religieux(32).

Les pages du lecteur ont exprimé elles aussi une multitude de points de vue. D’une part, les critiques formulées par certains groupes religieux et certains politiciens ont été dénoncées comme étant délibérément trompeuses, puisque selon la Cour suprême du Canada le droit à la liberté de religion garanti par la Charte continue de s’appliquer. On reproche à l’opposition conservatrice de ne pas faire intervenir tous les éléments en cause dans sa position, notamment en ce qui concerne le recours à la disposition de dérogation dans des mesures législatives pour rétablir la définition du mariage entre conjoints de sexe opposé, et la constitutionnalité de sa proposition d’union civile pour les gais et lesbiennes.

D’autre part, le gouvernement a été accusé de manquer de sincérité, parce que, malgré sa position actuelle sur la liberté religieuse, un Parlement ou un tribunal pourrait plus tard retirer à un groupe religieux le droit de refuser de célébrer les mariages entre conjoints de même sexe. On a laissé entendre que le projet de loi C-38 finirait par opposer, d’une part, les droits à la liberté de religion et d’expression et, d’autre part, les droits des minorités. Selon une autre opinion, le fait que la Cour suprême du Canada, dans son arrêt concernant le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, ne précise pas si la définition qui réserve le mariage à des conjoints de sexe opposé est conforme à la Charte a été perçu comme une occasion manquée de dissiper un peu l’incertitude juridique qui règne et de mettre de l’ordre dans le débat.

Enfin, à mesure que progressait le processus législatif, les éditorialistes ont exprimé l’avis que le débat sur la question du mariage entre personnes du même sexe et le projet de loi C-38 avait assez duré, et ils ont demandé que la mesure législative soit soumise à un vote final pour que le Parlement puisse s’occuper d’autres dossiers urgents.


*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur.  Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.

(1)  L’Alberta est la seule province où cette interdiction a été mise en vigueur par les tribunaux plutôt que par la législature : voir l’affaire Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.

(2)  Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les conjoints de fait (projet de loi 32).

(3)  [1999] 2 R.C.S. 3, confirmant (1996), 142 D.L.R. (4th) 1, 31 O.R. (3d) 417 (Cour d’appel de l’Ontario).  L’affaire portait sur un article de la Loi sur le droit de la famille qui interdisait aux partenaires de même sexe de demander un soutien au conjoint en cas de bris de la relation.  Dans son arrêt de 1995 dans l’affaire Egan c. Canada ([1995] 2 R.C.S. 513), la Cour suprême du Canada a statué, à l’unanimité, que l’orientation sexuelle était un motif analogue qui appelle la protection de l’article 15, ce qui réglait définitivement la question.  Par une décision majoritaire de cinq contre quatre, la Cour a également conclu que la définition de conjoint donnée dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse était discriminatoire du point de vue de l’orientation sexuelle et contrevenait donc à l’article 15 de la Charte.  Par contre, une autre majorité de cinq contre quatre a toutefois établi que cette discrimination était justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

(4)  La Adult Interdependent Relationships Act de 2002 définit la « relation d’interdépendance » comme une relation hors mariage de deux personnes du même sexe ou de sexe différent, y compris des personnes apparentées majeures.

(5)  On trouvera une analyse plus détaillée de ces nouvelles mesures dans Mary C. Hurley, Orientation sexuelle et garanties juridiques, Bulletin d’actualité CIR 92-1F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, révisé en juillet 2005.

(6)  Voir Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, 3e éd. (augmentée), Toronto, Carswell, 1992, vol. 1, chap. 21 et 26.

(7)  L.C. 1990, ch. 46 (L.R.C. 1985, ch. M-2.1).

(8)  Les modifications que le projet de loi C-38 apporte à la législation sont signalées dans la partie intitulée « Modifications corrélatives ».

(9)  Leslie Katz, « The Scope of the Federal Legislative Authority in Relation to Marriage », Ottawa Law Review, vol. 384,1975, p. 396.

(10)  Bruce Ryder, « Becoming Spouses:  The Rights of Lesbian and Gay Couples », Family Law: Roles, Fairness and Equality, Special Lectures of the Law Society of Upper Canada, Toronto, Carswell,1993, p. 432.

(11)  (1974), 24 R.F.L. 112 (Cour de comté du Manitoba).

(12)  (1866), L.R. 1 P & D 130, p. 133, cité dans Ibid., p. 116 [traduction].

(13)  Corbett v. Corbett (otherwise Ashley), [1970] 2 All E.R. 33, p. 48 (P.D.A.), cité dans Ibid. [traduction].

(14)  (1993), 104 D.L.R. (4th) 214 (Cour de l’Ontario, Division générale). 

(15)  La majorité a également cité une décision ontarienne de 1992 qui, suivant l’arrêt North, déclarait nul un mariage entre deux femmes, dont l’une d’elles prévoyait de subir un changement de sexe.  Dans l’affaire C.(L.) c. C.(C.) (1992), 10 O.R. (3d) 254, à la p.256, le juge conclut que « dans son état actuel, la loi ne prévoit pas le mariage entre personnes du même sexe » [traduction].  Voir Ibid., p. 218 et 219.

(16)  Ibid., p. 219 [traduction].

(17)  Ibid., p. 223 [traduction].

(18)  Ibid., p. 227 [traduction].

(19)  Ibid., p. 234 [traduction].

(20)  EGALE Canada Inc. v. Canada (Attorney General) (2003), 38 R.F.L. (5th) 32 (Cour d’appel de la C.-B.), infirmant (2001), 88 C.R.R. (2d) 322 (Cour suprême de la C.-B.); motifs supplémentaires (2003), 42 R.F.L. (5th) 341 (Cour d’appel de la C.-B.).

(21)  Hendricks c. Québec (Procureur général), [2002] R.J.Q. 2506.

(22)  Cet article dispose que « le mariage requiert le consentement libre et éclairé d’un homme et d’une femme à se prendre mutuellement pour époux ».

(23)  Halpern v. Canada (Attorney General) (2003), 36 R.F.L. (5th) 127 (Cour d’appel de l’Ontario), confirmant [2002] O.J. No. 2714 (Q.L.) (Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire)) [traduction].

(24)  Ligue catholique pour les droits de l’homme c. Hendricks, [2004] J.Q. No 2593 (Q.L.).

(25)  Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, 2004 CSC 79.

(26)  La Cour a également dit que « [l]es provinces ont compétence sur les relations entre personnes non mariées du même sexe, comme sur les relations entre personnes non mariées de sexe opposé (en raison de la compétence en matière de propriété et de droits civils que leur attribue le par. 92(13)) [...] L’union civile ne constitue pas tout à fait un mariage et est donc régie par la province. », Ibid., par. 33.

(27)  La Cour a rejeté l’argument selon lequel la disposition proposée déclare simplement que le Parlement ne veut pas que la loi proposée soit interprétée de façon à empiéter sur la compétence des provinces et elle a déterminé que « seules les provinces peuvent édicter des exemptions aux règles en vigueur en matière de célébration, carde telles exemptions se rapportent nécessairement à la “célébration du mariage” visée au par. 92(12) ». (par. 37)

(28)  Déclaration de Stephen Harper sur la présentation du projet de loi des libéraux sur le mariage entre conjoints de même sexe, 1er février 2005.

(29)  Cristin Schmitz et al., « Same-Sex Bill Fuels Fierce Debate », Calgary Herald, 2 février 2005, p. A1.

(30)  « Open Letter to The Hon. Stephen Harper from Law Professors Regarding Same-Sex Marriage ». 

(31) Bill Curry et Gloria Galloway, « Same-sex bill finally passes:  After bitter two-year political battle, divisive legislation moves to Senate », The Globe and Mail [Toronto], 29 juin 2005, p. A1; John Ivison, « An inevitable end, reached painfully:  The next vote on the issue may well be at the polls », NationalPost [Toronto], 29 juin 2005, p. A4.

(32)  Jason Fekete, « Klein gives up same-sex marriage battle: Gay groups hail surprise victory », Calgary Herald, 13 juillet 2005, p. A5; Leanne Dohy, « Klein wants to protect right not to wed gays », Calgary Herald, 31 juillet 2005, p. A6.


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