Résumé législatif du Projet de loi C-9

Résumé Législatif
Projet de loi C-9 : Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis)
Robin MacKay, Division du droit et du gouvernement
Publication no 39-1-LS-526-F
PDF 158, (25 Pages) PDF
2006-05-12
Révisée le : 2007-09-27

Table des matières


Le projet de loi C-9 : Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis) a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 4 mai 2006 et a reçu la sanction royale le 31 mai 2007.  Le projet de loi modifie l’article 742.1 du Code criminel(1) afin qu’une infraction constituant des sévices graves à la personne au sens de l’article 752 de cette loi, une infraction de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle, selon le cas, poursuivie par mise en accusation et punissable dans chaque cas d’une peine maximale d’emprisonnement de dix ans ou plus ne puisse faire l’objet d’un emprisonnement avec sursis. Même si le projet de loi n’a pas été amendé au Sénat, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a formulé certaines observations, notamment en ce qui concerne les répercussions possibles du projet de loi sur les services d’aide juridique, en raison de la réduction du nombre de plaidoyers de culpabilité et de l’augmentation du nombre d’appel.

Contexte

A.  Généralités

La peine d’emprisonnement avec sursis, instaurée en septembre 1996, permet de purger une peine dans la collectivité plutôt que dans un établissement correctionnel(2).  Elle représente un moyen terme entre l’incarcération et des sanctions comme l’ordonnance de probation ou l’amende.  L’emprisonnement avec sursis n’a pas été une mesure adoptée seule; elle s’est inscrite dans le contexte d’un renouvellement des dispositions du Code criminel relatives à la détermination de la peine.  Ces dispositions incluaient les objectifs et les principes fondamentaux de la détermination de la peine.  Le principe fondamental de la détermination de la peine est que celle-ci doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de son auteur.  Les dispositions renouvelées en matière de détermination de la peine ont énoncé d’autres principes, dont une liste des circonstances aggravantes et atténuantes devant aider à déterminer la peine à infliger(3).

L’objectif premier de l’emprisonnement avec sursis est de réduire le recours à l’incarcération en offrant un mécanisme de rechange aux tribunaux.  Le sursis offre aussi la possibilité d’intégrer davantage les notions de justice réparatrice dans le processus de détermination de la peine en encourageant les personnes qui ont causé des torts à les reconnaître et à les réparer.

À l’époque de son adoption, la peine avec sursis était généralement considérée comme un bon moyen d’écarter du système carcéral les infractions mineures et leurs auteurs.  Beaucoup estimaient que l’usage trop répandu des peines d’emprisonnement posait un problème, tandis que l’on jugeait bénéfiques les notions de justice réparatrice.  Dans les faits, toutefois, l’emprisonnement avec sursis peut parfois avoir un aspect négatif lorsqu’elle est infligée à l’auteur d’un crime très grave (4).

D’aucuns dénoncent le fait que certains délinquants reçoivent des peines d’emprisonnement avec sursis pour des crimes très violents, des agressions sexuelles et des infractions apparentées, des cas de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort ou des lésions corporelles et des vols commis dans le contexte d’un abus de confiance.  Si beaucoup pensent qu’il est bon de permettre à des personnes qui n’ont pas commis de crime sérieux ou violent et qui ne sont pas dangereuses pour la société, mais qui seraient autrement incarcérées, de purger leur peine dans la collectivité, d’autres font valoir que, dans certains cas, l’incarcération est nécessaire à cause de la nature même de l’infraction et du type de délinquant.  Ils craignent que le refus d’incarcérer un délinquant déconsidère tout le régime d’emprisonnement avec sursis et, par conséquent, le système de justice pénale.  Autrement dit, ce n’est pas l’existence de l’emprisonnement avec sursis qui pose problème, mais plutôt son application dans des cas où l’incarcération paraît justifiée.

B.  Assise législative de la peine d’emprisonnement avec sursis

Les dispositions régissant la condamnation avec sursis figurent aux articles 742 à 742.7 du Code criminel (le Code).  Elles énoncent quatre critères qui doivent être remplis pour que le juge puisse envisager une peine avec sursis :

  1. l’infraction dont une personne est déclarée coupable ne doit pas être punissable d’une peine minimale d’emprisonnement;
  2. le juge doit avoir établi que l’infraction devrait donner lieu à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans;
  3. le juge doit être convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne mettrait pas en danger la sécurité du public;
  4. le juge doit être convaincu que la peine avec sursis est conforme à l’objectif et aux principes fondamentaux de la détermination de la peine visés aux articles 718 à 718.2 du Code.

En ce qui concerne le quatrième critère, la détermination de la peine poursuit notamment les objectifs suivants :

  • dénoncer le comportement illégal;
  • dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
  • isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
  • favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
  • assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
  • sensibiliser les délinquants à leurs responsabilités.

Le principe fondamental sous-jacent à la détermination de la peine est la proportionnalité, à savoir que la sanction infligée par le tribunal doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.  Suivant d’autres principes, il faut notamment que la peine soit adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes, que des peines semblables soient infligées pour des infractions semblables, que la durée totale des peines consécutives ne soit pas trop longue et qu’avant d’envisager la privation de liberté, on examine la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient.

En plus des critères ci-dessus, les ordonnances de sursis sont assorties des conditions obligatoires suivantes, énoncées à l’article 742.3 du Code, qui intiment au délinquant :

  • de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite;
  • de répondre aux convocations du tribunal;
  • de se présenter à l’agent de surveillance lorsqu’on le lui signifie;
  • de rester dans le ressort du tribunal, sauf permission écrite d’en sortir donnée par le tribunal ou par l’agent de surveillance;
  • de prévenir le tribunal ou l’agent de surveillance de ses changements de nom ou d’adresse et de l’aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation.

En outre, des conditions facultatives sont prévues pour répondre aux particularités du cas.  Elles peuvent intimer notamment au délinquant de s’abstenir de consommer de l’alcool ou des drogues, de s’abstenir d’être propriétaire, possesseur ou porteur d’une arme, d’accomplir jusqu’à 240 heures de service communautaire ou d’observer d’autres conditions raisonnables que le tribunal juge souhaitables pour assurer la bonne conduite du délinquant et l’empêcher de commettre la même infraction ou une autre infraction.  Le tribunal doit faire donner au délinquant une copie de l’ordonnance de sursis, ainsi que des explications sur la procédure à suivre pour faire modifier les conditions facultatives et sur les conséquences d’un manquement aux conditions.

L’article 742.6 du Code expose la procédure à suivre en cas de manquement à une ou plusieurs des conditions de l’ordonnance de sursis.  Il prévoit que le manquement allégué peut être étayé par une preuve documentaire.  L’allégation doit être fondée sur un rapport écrit de l’agent de surveillance, où figurent, le cas échéant, les déclarations signées des témoins.  Le délinquant doit recevoir copie de ce rapport.  Si le tribunal est convaincu, par une preuve prépondérante, qu’il y a eu manquement à une condition, il revient au délinquant de fournir une excuse raisonnable.  S’il est établi qu’il y a eu manquement, le tribunal peut : ne pas agir; modifier les conditions facultatives; suspendre l’ordonnance de sursis pendant un certain temps, ordonner au délinquant de purger une partie de sa peine en prison, puis remettre en vigueur l’ordonnance, avec ou sans modification des conditions facultatives; mettre fin au sursis et ordonner que le délinquant soit incarcéré jusqu’à la fin de la peine. 

C.  Sursis au prononcé de la peine et ordonnance de probation

Au lieu d’imposer une peine d’emprisonnement avec sursis, le tribunal peut surseoir au prononcé de la peine et délivrer une ordonnance de probation.  Selon l’article 731 du Code, lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut, selon l’âge et la réputation du délinquant, la nature de l’infraction et les circonstances dans lesquelles elle a été commise, surseoir au prononcé de la peine et ordonner que le délinquant soit libéré selon les conditions de l’ordonnance de probation.  Cette possibilité s’offre au tribunal dans le seul cas où aucune peine minimale n’est prévue par la loi. 

Le tribunal a le pouvoir de révoquer l’ordonnance lorsque le délinquant est déclaré coupable d’une infraction pendant sa probation.  Il peut aussi ordonner que le délinquant respecte les conditions de l’ordonnance et mettre à l’amende ou condamner le délinquant à une peine d’emprisonnement d’au plus deux ans.  La peine d’emprisonnement peut faire l’objet d’un sursis, auquel cas l’ordonnance de probation entre en vigueur à l’expiration de la peine avec sursis.  Le tribunal peut en outre rendre une ordonnance de probation dans laquelle il absout l’accusé (inconditionnellement ou sous certaines conditions) en vertu du paragraphe 730(1).  La période maximale de probation est de trois ans.

Comme la peine avec sursis, l’ordonnance de probation est assortie de conditions obligatoires et facultatives.  Aux termes de l’article 732.1 du Code, les conditions obligatoires sont l’obligation, pour le délinquant, de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite, de répondre aux convocations du tribunal, de prévenir le tribunal ou l’agent de probation de ses changements de nom ou d’adresse et de l’aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation.

Les conditions facultatives que le tribunal peut imposer incluent l’obligation, pour le délinquant, de se présenter à l’agent de probation lorsqu’on lui ordonne de le faire, de s’abstenir de consommer de l’alcool ou des drogues, de s’abstenir d’être propriétaire, possesseur ou porteur d’une arme, de participer activement à un programme de traitement avec son consentement et d’observer les autres conditions raisonnables que le tribunal juge souhaitables pour assurer la protection de la société et faciliter la réinsertion sociale.  Comme c’est le cas pour les peines avec sursis, le tribunal est tenu de donner au délinquant une copie de l’ordonnance de probation, ainsi que des explications sur les conséquences d’un manquement aux conditions de l’ordonnance et sur la procédure à suivre pour faire modifier les conditions facultatives.

L’article 733.1 du Code précise ce qui attend le délinquant qui, sans excuse raisonnable, omet ou refuse de se conformer à l’ordonnance de probation.  Il est alors déclaré coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de 18 mois ou d’une amende d’au plus 2 000 $, ou les deux. 

D.  Examen comparatif de la peine d’emprisonnement avec sursis, du sursis au prononcé de la peine et de l’ordonnance de probation

Les dispositions évoquées plus haut font ressortir d’importantes différences entre la peine d’emprisonnement avec sursis, le sursis au prononcé de la peine et l’ordonnance de probation.  Premièrement, contrairement à ce qui se produit pour le sursis au prononcé de la peine prévu à l’alinéa 731(1)a), le tribunal, dans le contexte de l’emprisonnement avec sursis, inflige en fait une peine d’incarcération.  La différence est qu’elle est purgée dans la collectivité plutôt que dans un établissement correctionnel.

Deuxièmement, le tribunal peut, dans l’ordonnance de sursis, exiger que le délinquant suive un programme de traitement aux termes de l’alinéa 742.3(2)e).  Il n’y a alors pas de consentement obligatoire, contrairement à ce que prévoit l’alinéa 732.1(3)g) pour les ordonnances de probation.

Troisièmement, d’après le libellé de la disposition résiduelle contenue à l’alinéa 732.1(3)h), qui porte sur les conditions facultatives de l’ordonnance de probation, un des objectifs est de faciliter la réinsertion sociale du délinquant.  La situation est différente pour la disposition résiduelle de l’alinéa 742.3(2)f), qui porte sur les conditions de la peine avec sursis, en ce sens qu’elle n’a pas pour objectif premier la réadaptation et la réinsertion sociale du délinquant et autorise par conséquent l’imposition de conditions punitives telles que la détention à domicile ou un couvre‑feu strict.  On constate encore une fois que la peine d’emprisonnement avec sursis est plus punitive que l’ordonnance de probation.

Enfin, dans le cas d’une peine avec sursis, le manquement aux conditions rend le délinquant passible de sanctions qui vont de l’inaction du tribunal à l’obligation de purger le reste de la peine en détention.  En revanche, le manquement aux conditions de l’ordonnance de probation entraîne une nouvelle infraction et donne lieu à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement.  La différence tient au fait que, dans le cas de l’ordonnance de sursis, le manquement doit être prouvé suivant la prépondérance des probabilités uniquement alors que, pour l’ordonnance de probation, il doit être prouvé hors de tout doute raisonnable, puisqu’il entraîne une nouvelle infraction.

E.  Jurisprudence sur la peine d’emprisonnement avec sursis

Les critiques adressées contre les pratiques en matière de détermination de la peine au Canada visent surtout la nature de l’infraction.  Elles négligent souvent le poids accordé aux facteurs aggravants et atténuants ainsi qu’aux circonstances entourant l’infraction.  Dans les dispositions du Code qui portent sur la détermination de la peine, le législateur a fait une large place aux « mesures les moins restrictives » et prescrit aux tribunaux de ne recourir à l’incarcération que si les peines purgées dans la collectivité ne conviennent pas.  Cette attitude est conforme au souci du législateur de s’attaquer au recours abusif à l’incarcération au Canada et d’adopter une approche de la détermination de la peine axée dans une plus large mesure sur la justice réparatrice.  Ensemble, ces principes encouragent la souplesse dans l’exercice du pouvoir judiciaire.  Avec le temps, les cours d’appel et la Cour suprême du Canada en viennent à donner des instructions plus détaillées sur l’application des différents principes aux catégories d’infractions et de délinquants.  Nous présentons ci-dessous des exemples de causes où divers aspects de la condamnation avec sursis ont été pris en considération.

1.  L’affaire R. c. Proulx(5)

La cause la plus importante dans le domaine de l’emprisonnement avec sursis est l’arrêt R. c. Proulx de la Cour suprême.  La Cour a examiné la question des peines d’emprisonnement avec sursis dans cette affaire de conduite dangereuse ayant causé la mort et des lésions corporelles.  Avant cet arrêt, les juges avaient peu de principes directeurs à leur disposition, en dehors des critères établis par le Code, sur les cas où des peines d’emprisonnement avec sursis étaient justifiées.  Dans son jugement, la Cour a fait clairement comprendre qu’il fallait apporter des changements dans le recours à ce type de sanction, tout en le cautionnant fermement.  Elle a défini un certain nombre de principes, qui peuvent être résumés comme suit :

  1. Contrairement à la probation, qui est principalement une mesure de réinsertion sociale, l’emprisonnement avec sursis vise à la fois des objectifs punitifs et des objectifs de réinsertion sociale.  Par conséquent, une ordonnance de sursis devrait généralement être assortie de conditions punitives qui restreignent la liberté du délinquant.  Des conditions comme la détention à domicile ou un couvre-feu strict devraient être la règle plutôt que l’exception.
  2. La décision d’imposer la peine avec sursis doit être prise en deux étapes distinctes.  Premièrement, le tribunal détermine s’il est indiqué d’exclure la peine d’emprisonnement de deux ans et plus ou l’ordonnance de probation en conformité avec l’objet essentiel et les principes de la détermination de la peine.  Deuxièmement, après avoir jugé qu’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans est justifiée, il doit décider si cette peine doit être purgée dans la collectivité.
  3. La notion de « danger pour la sécurité de la collectivité », un des critères que le tribunal doit considérer, s’entend uniquement de la menace que présente un délinquant, et non du risque plus général de menace pour le respect de la loi.  Elle englobe le risque d’activité criminelle, y compris le risque d’infraction contre les biens.  En examinant la notion de danger pour la collectivité, le tribunal doit apprécier le risque de récidive et la gravité des torts qui pourraient s’ensuivre.  Le risque doit être évalué à la lumière des conditions pouvant être rattachées à la peine.  Par conséquent, il est possible de réduire le danger à un niveau acceptable en fixant des conditions appropriées.
  4. La peine d’emprisonnement avec sursis est possible pour toutes les infractions qui satisfont aux conditions préalables prévues par la loi.  Il n’y a pas de présomption selon laquelle la peine avec sursis ne convient pas à certaines infractions.  Toutefois, la gravité de l’infraction est nettement pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si une condamnation avec sursis est justifiée dans les circonstances.
  5. Il n’existe pas non plus de présomption en faveur d’une peine avec sursis si toutes les conditions préalables sont satisfaites.  Le tribunal doit toutefois envisager sérieusement la possibilité d’une peine avec sursis dans tous les cas où les conditions préalables prévues par la loi sont réunies.
  6. L’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur appréciable, en particulier si les conditions imposées sont rigoureuses et si la durée de l’ordonnance est plus longue que ne l’aurait été la peine d’emprisonnement.  En général, plus l’infraction est grave, plus la peine avec sursis devrait être longue et assortie de conditions rigoureuses.
  7. L’emprisonnement avec sursis peut aussi avoir un effet dissuasif appréciable si les conditions sont suffisamment punitives.  Le tribunal doit prendre soin de ne pas accorder un poids excessif à la dissuasion quand il choisit entre le sursis et l’incarcération.
  8. Si les objectifs de réinsertion sociale, de réparation des torts et de sensibilisation des délinquants à leurs responsabilités sont réalistes, l’emprisonnement avec sursis est vraisemblablement la sanction la plus indiquée, sous réserve des facteurs de dénonciation et de dissuasion.
  9. La peine d’emprisonnement avec sursis peut être infligée même s’il existe des circonstances aggravantes relatives à l’infraction ou au délinquant qui renforcent le besoin de dénonciation et de dissuasion.
  10. Aucune partie n’a la charge d’établir si l’emprisonnement avec sursis est ou n’est pas une sanction appropriée.  Toutefois, le délinquant est généralement le mieux placé pour convaincre le juge que ce type de peine est indiqué.  Il est dans son intérêt de présenter des observations et de fournir des renseignements qui montrent la pertinence du sursis.
  11. La retenue dont il faut faire preuve à l’égard des juges chargés de prononcer la peine s’applique en général à la décision d’imposer ou non une peine d’emprisonnement avec sursis.
  12. La peine d’emprisonnement avec sursis a été instaurée à la fois pour réduire le recours à l’incarcération en tant que sanction et pour élargir l’application des principes de la justice réparatrice dans la détermination de la peine.

Le principal résultat de l’arrêt Proulx est qu’il n’existe pas de présomption contre le recours à la peine d’emprisonnement avec sursis dans le cas de crimes autres que ceux pour lesquels une période d’incarcération est obligatoire.

2.  L’affaire R. c. Wells(6)

Un autre arrêt clé de la Cour suprême concerne le rôle que la peine d’emprisonnement avec sursis devrait jouer dans le cas de délinquants autochtones.  L’affaire R. c. Wells vise un Autochtone condamné à 20 mois d’incarcération pour agression sexuelle.  En confirmant que cette peine était justifiée dans les circonstances, la Cour suprême a conclu que l’examen de la possibilité d’un emprisonnement avec sursis pour un délinquant autochtone devait se faire selon les étapes suivantes :

  1. Après examen préliminaire, exclusion, en tant que sanctions non justifiées, du sursis au prononcé de la peine avec ordonnance de probation et de la peine d’incarcération dans un pénitencier.
  2. Évaluation de la gravité de l’infraction en cause, ce qui inclut nécessairement les torts causés, et du degré de responsabilité du délinquant.
  3. Connaissance d’office « des facteurs systémiques ou historiques qui ont contribué aux difficultés auxquelles font face les Autochtones, tant au sein du système de justice pénale que dans la société en général ».
  4. Examen de la situation propre au délinquant, y compris de la preuve d’initiatives communautaires visant à appliquer les principes de la justice réparatrice au règlement de problèmes sociaux particuliers.

Bien que la possibilité d’une peine d’emprisonnement avec sursis ne puisse être écartée par présomption, dans les faits et par dérogation à l’alinéa 718.2e), les infractions violentes et graves entraîneront l’emprisonnement pour les délinquants autochtones aussi souvent que pour les délinquants non autochtones.  Bien que l’avocat et le rapport pré-sentenciel soient les principales sources d’information sur la situation du délinquant, le juge a l’obligation expresse de se renseigner lui-même(7).  En l’espèce, le juge a bien rempli cette obligation.  L’application de l’alinéa 718.2e) du Code ne signifie pas que les délinquants autochtones doivent toujours recevoir la peine qui accorde le plus de poids aux principes de la justice réparatrice et le moins de poids aux objectifs tels que la dissuasion, la dénonciation et l’isolement.  L’infraction commise en l’occurrence était grave, de sorte que les principes de la dénonciation et de la dissuasion ont valu au délinquant une peine d’emprisonnement.

3.  L’affaire R. c. Knoblauch(8)

Les délinquants qui ont des troubles mentaux ne sont pas exclus du régime d’emprisonnement avec sursis.  Dans l’affaire R. c. Knoblauch, un délinquant qui possédait de longs antécédents de maladie mentale a été trouvé en possession d’un arsenal pouvant causer des torts considérables à la population et des dommages matériels.  Il a plaidé coupable de possession illégale d’une substance explosive et de possession illégale d’une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique.  Dans son arrêt, la Cour suprême a confirmé la décision du juge du procès d’imposer une peine avec sursis de deux ans moins un jour, suivie de trois ans de probation.  Le délinquant était tenu de purger sa peine d’emprisonnement avec sursis dans une aile psychiatrique sécuritaire jusqu’à ce que des psychiatres décident, par consensus, de le transférer hors de cette unité.

Dans l’affaire Knoblauch, l’analyse portait principalement sur le risque que présentait le délinquant pendant qu’il purgeait sa peine dans la collectivité.  Le danger pour la collectivité est évalué en fonction du risque de récidive et de la gravité du préjudice en cas de récidive.  En l’espèce, la gravité du préjudice pouvait être extrême, mais les conditions imposées par le juge du procès, notamment que le délinquant réside dans une unité psychiatrique sécuritaire, réduisaient le risque au point où il ne devenait pas plus élevé que celui de voir le délinquant récidiver pendant son incarcération dans un pénitencier. L’élargissement de la portée des peines d’emprisonnement avec sursis a résulté du recours à la nouvelle sanction pour produire ce qui équivaut à un internement, quoique dans un établissement psychiatrique plutôt que dans une prison ou un pénitencier.

Dans cette affaire, les conditions facultatives qui peuvent être assorties à l’ordonnance de sursis ont servi à évaluer la dangerosité du délinquant et à réduire la menace de récidive.  Elles se distinguent ainsi des conditions facultatives d’une ordonnance de probation, qui visent à « faciliter la réinsertion sociale du délinquant »(9).  La pertinence d’interner le délinquant dans un établissement psychiatrique sécuritaire découle de l’intention du législateur d’instaurer la peine avec sursis pour tenir les délinquants responsables de leurs infractions et en même temps respecter l’objet et les principes de la détermination de la peine prévus par la loi; ceci doit être fait sans que le délinquant soit incarcéré dans un pénitencier(10).  L’importance de l’arrêt Knoblauch réside sans doute dans la capacité des tribunaux de placer plus de délinquants dans des établissements psychiatriques au lieu de les envoyer en prison.

4.  L’affaire R. c. Fice(11)

Dans l’arrêt R. c. Fice, la Cour suprême a statué qu’une femme qui avait attaqué sa mère avec un bâton de baseball et l’avait étranglée avec un cordon téléphonique aurait dû être envoyée en prison au lieu d’être autorisée à purger sa peine dans la collectivité.  Cette affaire devrait servir à restreindre l’admissibilité aux peines d’emprisonnement avec sursis dans l’ensemble du pays.  Madame Fice a plaidé coupable à des accusations de voies de fait graves commises contre sa mère à la suite d’une altercation devenue violente.  Elle a aussi plaidé coupable à des accusations de fraude, d’usurpation d’identité, de contrefaçon et de manquement à un engagement.  La Cour suprême a statué que la période passée par Mme Fice en détention pré-sentencielle n’était pas un facteur atténuant pouvant influer sur la fourchette des peines et, par conséquent, sur l’admissibilité à une peine d’emprisonnement avec sursis.  Elle a conclu qu’en déterminant s’il y a lieu d’infliger une peine avec sursis, le tribunal doit d’abord décider qu’une peine de moins de deux ans s’impose.  Le régime d’emprisonnement avec sursis n’est pas destiné aux délinquants qui méritent d’être incarcérés dans un pénitencier.  Quand, après avoir examiné la gravité de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant, le juge conclut qu’une peine d’incarcération dans un pénitencier est justifiée et que l’emprisonnement avec sursis n’est donc pas possible, la période de détention pré-sentencielle ne doit pas avoir pour effet de modifier cette conclusion.

5. L’affaire R. c. F.(G.C.)(12)

La décision R. c. F.(G.C.) montre comment les cours d’appel canadiennes ont mis au point des lignes directrices, à l’usage des tribunaux inférieurs, pour le recours à l’emprisonnement avec sursis.  Dans cette affaire, l’accusé a été condamné pour agression sexuelle et contacts sexuels avec deux adolescentes de 13 ans qu’il a transformées en objets sexuels.  Le délinquant a fini par avoir des rapports sexuels avec une des plaignantes.  Le juge du procès a infligé une peine d’emprisonnement avec sursis de 12 mois.  La Couronne a eu gain de cause dans son appel devant la Cour d’appel de l’Ontario, qui a modifié le jugement en imposant une détention d’un an après avoir tenu compte de la peine d’un an déjà purgée.  Dans ses motifs de décision, la Cour d’appel a signalé avoir précisé à maintes reprises que l’emprisonnement avec sursis devrait rarement être imposé dans les cas d’agressions sexuelles contre des enfants, en particulier si l’accusé se trouvait en situation de confiance.  De plus, les activités sexuelles multiples qui s’étendent sur une longue période et qui finissent par devenir envahissantes justifient en général une peine sévère.  Sans compter que le juge du procès n’avait pas pris en considération le principe fondamental énoncé à l’article 718.1 du Code, à savoir que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

6.  L’affaire R. c. Bhalru; R. c. Khosa(13)

La décision R. c. Bhalru; R. c. Khosa illustre le cas d’une cour d’appel qui confirme la décision du juge du procès d’infliger l’emprisonnement avec sursis malgré l’appel interjeté par la Couronne.  En l’occurrence, deux hommes ont été reconnus coupables de négligence criminelle ayant causé la mort à la suite d’une course automobile à laquelle ils ont participé dans la rue.  Pendant cette course, une piétonne a été heurtée et tuée.  Le juge du procès a rendu dans les deux cas une ordonnance de sursis de deux ans moins un jour, suivie d’une probation de trois ans.  Des conditions restrictives ont été imposées, notamment la détention à domicile, assortie d’un nombre limité d’exceptions, une ordonnance de service communautaire de 240 heures sur une période de 18 mois, ainsi que l’interdiction de conduire pendant cinq ans.

La Couronne a fait valoir que les peines étaient inadéquates.  La Cour d’appel a rejeté l’appel en se fondant sur les principes énoncés dans l’arrêt Proulx et sur la reconnaissance judiciaire que les peines d’emprisonnement avec sursis peuvent avoir un effet dissuasif et dénonciateur général pour les infractions relatives à la conduite automobile dans certaines circonstances, et elle a conclu en conséquence que la sanction était conforme aux principes de la détermination de la peine et que son caractère inadéquat n’avait pas été prouvé.  Elle a également estimé qu’il n’y avait pas de facteurs aggravants, mis à part la course automobile.  Cette conclusion, outre la sévérité de l’ordonnance de sursis que le juge du procès a rendue, a montré qu’il n’était pas déraisonnable d’ordonner que les deux personnes déclarées coupables purgent leur peine dans la collectivité.

7.  L’affaire R. c. Coffin(14)

L’arrêt R. c. Coffin est un exemple de cas où une cour d’appel insiste sur différents aspects des principes de détermination de la peine afin de pouvoir imposer une peine d’emprisonnement et non un emprisonnement avec sursis.  Dans cette affaire, le délinquant a reconnu sa culpabilité à 15 chefs d’accusation de fraude à l’égard du gouvernement du Canada.  Au terme de son procès, il a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée de deux ans moins un jour, en raison notamment de son aveu public de culpabilité et de son remboursement des sommes illégalement obtenues.  La Cour d’appel a écarté cette peine et a plutôt infligé à M. Coffin une peine d’emprisonnement de 18 mois.

La Cour d’appel a estimé que le juge de première instance n’avait pas accordé suffisamment d’importance à certains principes et objectifs de détermination de la peine, notamment au principe voulant que la peine soit proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant(15).  En l’espèce, les crimes avaient été bien planifiés, ils s’étaient déroulés sur une longue période et ils visaient des sommes importantes de fonds publics, et par conséquent, ils avaient abaissé le niveau de confiance dans le gouvernement.  Le second principe que le juge de première instance n’avait pas suffisamment souligné était qu’un important objectif de la détermination de la peine est la dénonciation et la dissuasion(16).  En l’espèce, une personne se trouvant dans une position privilégiée avait fraudé le gouvernement, et il fallait donc transmettre un message clair de dénonciation et de dissuasion.  Enfin, le juge du procès n’avait pas assez insisté sur le principe de l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables(17).  En règle générale, une peine d’emprisonnement est la norme au Canada dans le cas de fraudes d’envergure bien planifiées et s’étalant sur de longues périodes de temps.  L’arrêt Coffin est assorti d’une annexe qui recense plus de 50 décisions à l’appui de la conclusion selon laquelle il se dégage un consensus sur la façon de punir les personnes se trouvant dans une situation comme celle de Coffin.

F.  Données sur la peine d’emprisonnement avec sursis

Statistique Canada signale que les peines d’emprisonnement avec sursis représentent encore une petite proportion des peines infligées.  Ce type de sanction a été imposé dans 5 p. 100 des causes qui ont donné lieu à une déclaration de culpabilité, et dans une faible proportion de toutes les peines prononcées.  Ainsi, en 2003-2004, sur les 104 183 peines de détention infligées au Canada, 13 267, ou 12,7 p. 100, étaient des peines d’emprisonnement avec sursis(18).  De ce nombre, 4 215 concernaient des infractions contre les biens et 3 619, des crimes contre la personne.

En 2003-2004, on comptait en moyenne au Canada 154 600 adultes sous la surveillance d’un organisme de services correctionnels, soit 1 p. 100 de moins que l’année précédente(19).  De ces adultes, quatre cinquièmes – environ 122 500 personnes – faisaient l’objet d’une surveillance dans la collectivité; la grande majorité d’entre eux (82 p. 100) étaient en probation, 12 p. 100 purgeaient une peine avec sursis et 6 p. 100 étaient en liberté conditionnelle ou en liberté d’office.  L’autre cinquième – environ 32 100 personnes – se trouvait dans un pénitencier fédéral ou dans une prison provinciale ou territoriale.  Statistique Canada indique que l’instauration des peines d’emprisonnement avec sursis en 1996 a offert aux tribunaux une solution de rechange à l’incarcération, fondée sur la surveillance dans la collectivité, et elle a eu un impact direct sur le fléchissement du nombre d’admissions après condamnation dans les établissements carcéraux(20).

L’imposition de peines avec sursis entraîne non seulement une réduction du taux d’incarcération, mais permet aussi de bonnes économies financières.  Le coût annuel moyen d’un détenu incarcéré dans un établissement provincial ou territorial (ce qui inclut la mise sous garde et d’autres formes de détention temporaire) était de 51 454 $ en 2002‑2003, contre 1 792 $ pour la surveillance d’un délinquant dans la collectivité (y compris les peines avec sursis, la probation, la surveillance des personnes en liberté sous caution, les modes facultatifs de paiement d’une amende et la mise en liberté sous condition)(21).

Une étude de Statistique Canada portant sur la période de 2003‑2004 à 2004‑2005 a révélé que les délinquants adultes qui purgeaient leur peine sous surveillance dans la collectivité étaient beaucoup moins susceptibles de retourner aux services correctionnels dans les 12 mois suivant leur libération que ceux qui purgeaient leur peine dans un établissement correctionnel(22).  L’étude a permis de constater que 11 p. 100 des délinquants placés sous surveillance dans la collectivité – contre 30 p. 100 de ceux qui purgeaient leur peine dans un établissement correctionnel – ont réintégré les services correctionnels dans les 12 mois suivant leur libération en 2003‑2004.  Le taux de réincarcération variait selon le type d’infraction : il était plus élevé dans les cas d’introduction par effraction, de vol et de possession de biens volés et vols qualifiés.  Certains des taux les plus bas ont été constatés pour les infractions sexuelles, les infractions liées à la drogue et les infractions routières relevant du Code.

Un sondage antérieur a révélé que le taux de peines avec sursis purgées avec succès avait diminué entre 1997‑1998 et 2000‑2001, passant de 78 à 63 p. 100.  Ce taux avait surtout pour origine les manquements commis à un nombre croissant de conditions imposées aux délinquants plutôt que de présumées nouvelles infractions(23).  Une étude des tribunaux de première instance de l’Ontario et du Manitoba révèle une hausse de la proportion de délinquants placés en détention et un déclin correspondant de la proportion de délinquants autorisés à continuer de purger leur peine dans la collectivité à la suite d’un manquement injustifié aux conditions.  En 1997‑1998, par exemple, 65 p. 100 des délinquants du Manitoba jugés coupables d’un manquement à leur ordonnance sans excuse raisonnable ont par la suite été placés en détention pendant un certain temps; en 2000‑2001, cette proportion est montée à 74 p. 100.  En Ontario, elle est passée de 42 à 50 p. 100 pendant la même période.  Ces données montrent que, depuis l’arrêt Proulx de la Cour suprême, les tribunaux prennent des mesures plus rigoureuses à la suite de manquements aux ordonnances de sursis(24).

Étant donné l’existence relativement récente de la condamnation avec sursis, peu d’études scientifiques ont été menées sur ses conséquences pour le système de justice pénale.  De plus, il n’y a pas suffisamment de données statistiques sur la détermination de la peine au Canada; même l’Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, de Statistique Canada, ne produit pas assez de données importantes.  Il ressort d’une étude que les peines avec sursis ont un effet important sur les taux de nouvelles détentions, qui ont baissé de 13 p. 100 depuis l’instauration du sursis(25).  Grâce à cette mesure, quelque 55 000 délinquants de moins ont été envoyés en détention.  Il y a eu, cependant, un élargissement du filet : environ 5 000 délinquants qui auraient reçu une sanction non privative de liberté avant 1996 ont été condamnés à une peine avec sursis, qui est une forme de détention.

On a constaté des écarts considérables entre les taux d’incarcération des différentes provinces : dans certaines d’entre elles, le filet s’est nettement élargi; dans d’autres, le contraire s’est produit(26).  Dans plusieurs provinces, la réduction du nombre de placements en détention dépasse largement l’imposition de peines avec sursis.  Il y a donc eu un changement d’orientation qui privilégie les solutions de rechange à l’emprisonnement, peut-être à la suite des changements législatifs adoptés en 1996(27).  Un de ces changements était la codification du principe de la modération dans le recours aux peines d’emprisonnement.

Une étude portant sur les victimes d’actes criminels et leur attitude à l’égard de l’emprisonnement avec sursis a conclu que ce type de peine présentait les avantages suivants :

  • La plupart des programmes de réinsertion sociale peuvent être mis en œuvre plus efficacement lorsque le délinquant purge sa peine dans la collectivité plutôt qu’en détention.
  • La prison n’est pas une mesure dissuasive plus efficace que des sanctions intermédiaires rigoureuses comme l’ordonnance de probation améliorée ou la détention à domicile.
  • Il est beaucoup plus coûteux de garder des délinquants en détention que de les surveiller dans la collectivité.
  • La population est devenue plus favorable aux peines purgées dans la collectivité, sauf dans le cas de crimes violents graves.
  • L’intérêt général pour la justice réparatrice a eu pour effet d’éveiller l’attention pour les sanctions purgées dans la collectivité.  Les mesures de justice réparatrice visent à défendre les intérêts de la victime à tous les stades du processus de justice pénale, mais en particulier à l’étape de la détermination de la peine.
  • Parmi les avantages des sanctions purgées dans la collectivité figurent l’économie de ressources correctionnelles précieuses et la capacité du délinquant de garder son emploi ou d’en chercher un et de conserver des liens avec sa famille(28).

L’étude a conclu que l’idée de la peine purgée dans la collectivité est clairement acceptée par les victimes, sauf lorsqu’on y a recours dans le cas de crimes violents très graves(29).  La gravité de tels crimes justifie la détention aux yeux des victimes.  Des études réalisées sur la condamnation avec sursis indiquent qu’un faible pourcentage seulement des peines avec sursis sont infligées pour des crimes violents très graves.  Or, en prêtant plus d’attention aux intérêts des victimes au moment de définir les peines avec sursis, on pourrait faire avancer la justice réparatrice par des mesures qui veillent à la réparation, à la reconnaissance des torts et à la protection des victimes d’actes criminels.  Ce faisant, on pourrait aussi aider les délinquants à comprendre les torts que leur crime a causés et rendre les peines avec sursis plus crédibles comme solution de rechange valable à l’emprisonnement.

Description et analyse

Le projet de loi C-9 comporte deux articles. 

A.  Article premier : Remplacement de l’article 742.1 du Code criminel

La disposition proposée pour remplacer l’article 742.1 du Code prévoit qu’une infraction constituant des sévices graves à la personne au sens de l’article 752 de cette loi, une infraction de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle poursuivie par mise en accusation et punissable, dans chaque cas, d’une peine maximale d’emprisonnement de dix ans ou plus ne peut pas donner lieu à un emprisonnement avec sursis.

L’expression « sévices graves à la personne » est définie à l’article 752 du Code (section des définitions de la partie XXIV – Délinquants dangereux et délinquants à contrôler).  Il s’agit d’une infraction punissable par mise en accusation, autre que la haute trahison, la trahison, le meurtre au premier degré ou au deuxième degré, qui implique soit l’emploi ou une tentative d’emploi de la violence contre une autre personne, soit une conduite dangereuse ou susceptible de l’être pour la vie ou la sécurité d’une autre personne ou une conduite ayant infligé ou susceptible d’infliger des dommages psychologiques graves à une autre personne.  Une infraction de « sévices graves à la personne » peut également être une infraction ou une tentative de perpétration de l’une des infractions visées aux articles 271 (agression sexuelle), 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles) ou 273 (agression sexuelle grave).

L’expression « infraction de terrorisme » est définie à l’article 2 du Code.  Elle s’entend d’une infraction visée à l’un des articles 83.02 à 83.04 et 83.18 à 83.23, d’un acte criminel commis au profit ou sous la direction d’un groupe terroriste, ou en association avec lui, d’un acte criminel punissable par mise en accusation qui, sous forme d’un acte ou d’une omission, constitue une activité terroriste, ou d’un complot ou d’une tentative en vue de commettre une de ces infractions ou, relativement à l’une d’elles, complicité après le fait ou encouragement à la perpétration.  Les articles du Code auxquels il est précisément renvoyé incluent les infractions liées au financement du terrorisme ainsi qu’à la participation aux activités d’un groupe terroriste, à la facilitation de ces activités et aux instructions données pour exercer ces activités, ainsi qu’à l’hébergement et la dissimulation d’un terroriste.  Les notions de « groupe terroriste » et d’« activité terroriste » sont définies au paragraphe 83.01(1) du Code (section des définitions de la partie II.1 – Terrorisme).

L’expression « infraction d’organisation criminelle » est également définie à l’article 2 du Code.  Elle s’entend d’une infraction visée aux articles 467.11, 467.12 et 467.13 ou d’une infraction grave commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle.  Elle s’entend également d’un complot ou d’une tentative en vue de commettre une telle infraction ou le fait d’en être complice après le fait ou d’en conseiller la perpétration.  L’expression « organisation criminelle » est définie au paragraphe 467.1(1) du Code.  Elle s’entend d’un groupe, quel que soit son mode d’organisation, qui est composé d’au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l’étranger et dont l’un des objets principaux ou l’une des activités principales est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer ou procurer à une personne qui en fait partie, directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier.  Cette définition ne vise pas le groupe d’individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction.  Les infractions précises auxquelles il est renvoyé dans la définition sont la participation aux activités d’une organisation criminelle, la perpétration d’une infraction d’organisation criminelle et le fait de fournir des instructions pour la perpétration d’une infraction d’organisation criminelle.

Commentaire

La première version du projet de loi C‑9 présentée au Parlement a fait l’objet de nombreux commentaires, positifs et négatifs, tandis que la version révisée a suscité peu de réactions.  L’effet des dispositions sur la population carcérale et sur les finances du gouvernement était plus facile à évaluer dans le cadre de la première version, alors que les répercussions de la version révisée sont plus difficiles à déterminer.


*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur.  Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.

Notes

  1. L.R.C. 1985, ch. C-46.
  2. La peine d’emprisonnement avec sursis a été introduite par le projet de loi C-41, devenu L.C. 1995, ch. 22, dont l’entrée en vigueur le 3 septembre 1996 a eu pour effet de modifier le Code criminel.  Des modifications au régime de l’emprisonnement avec sursis ont été apportées dans le projet de loi C‑51 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1999, ch. 5.  Les articles pertinents (39 à 42) sont entrés en vigueur le 1er juillet 1999.
  3. Ce résumé législatif s’appuie en partie sur la publication de Robin MacKay, La peine d’emprisonnement avec sursis, PRB 05-44F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 21 décembre 2005.
  4. Ministre de la Justice et procureur général de l’Alberta, La peine d’emprisonnement avec sursis : Le besoin de modifier la loi, 17 juin 2003.
  5. [2000] 1 R.C.S. 61.
  6. [2000] 1 R.C.S. 207.
  7. Allan Manson, The Law of Sentencing, Toronto, Irwin Law, 2001, p. 274 et 275.
  8. [2000] 2 R.C.S. 780.
  9. Code criminel, al. 732.1(3)h).
  10. Julian V. Roberts et Simon Verdun-Jones, « Directing Traffic at the Crossroads of Criminal Justice and Mental Health:  Conditional Sentencing after the Judgment in Knoblauch », Alberta Law Review, vol. 39, no 4, 2002, p. 788 à 809.
  11. [2005] 1 R.C.S. 742.
  12. (2004), 71 O.R. (3d) 771 (C.A.).
  13. [2003] BCCA 645.
  14. 2006 QCCA 471.
  15. Code criminel, art. 718.1.
  16. Code criminel, al. 718a) et 718b).
  17. Code criminel, al. 718.2b).
  18. Voir le rapport de Statistique Canada Causes devant les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes selon le type de peine; total des causes avec condamnation, incarcération, emprisonnement avec sursis, probation, par province et Territoire du Yukon, 7 septembre 2005. À noter que le Québec ne déclare pas ses peines avec sursis.
  19. Statistique Canada, Le Quotidien, 11 octobre 2006.
  20. Statistique Canada, Le Quotidien, 16 décembre 2005.
  21. Centre canadien de la statistique juridique, Les services correctionnels pour adultes au Canada, 2002‑2003, tableau explicatif 11).
  22. Statistique Canada, Le Quotidien, 15 décembre 2006.
  23. Julian V. Roberts, « The Evolution of Conditional Sentencing in Canada:  An Empirical Analysis » Criminal Reports, 6th Series, vol. 3, 2002, p. 267 à 283 (tableau 7).
  24. David M. Paciocco et Julian Roberts, Sentencing in Cases of Impaired Driving Causing Bodily Harm or Impaired Driving Causing Death, Ottawa, Conseil canadien de la sécurité, 25 février 2005.
  25. Julian V. Roberts et Thomas Gabor, « The Impact of Conditional Sentencing:  Decarceration and Widening of the Net », Canadian Criminal Law Review, vol. 8, 2004, p. 33 à 49.
  26. Ibid.
  27. Roberts (2002), p. 267.
  28. Julian V. Roberts et Kent Roach, « Conditional Sentencing and the Perspectives of Crime Victims:  A Socio-Legal Analysis », Queen’s Law Journal, vol. 30, 2005, p. 560 à 600.
  29. Ibid., p. 599.

Annexe

Description et analyse de la version initiale du projet de loi C-9

Description et analyse

Le projet de loi C-9 comporte un article.

A.  Article premier : Remplacement de l’article 742.1 du Code criminel

La disposition proposée pour remplacer l’article 742.1 du Code criminel prévoit qu’une personne reconnue coupable d’une infraction poursuivie par mise en accusation et passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou plus n’est pas admissible à un emprisonnement avec sursis.  Il existe plus de 100 infractions dans le Code qui sont punissables d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou plus.  Certaines de ces infractions, dont le meurtre, la pornographie juvénile et les infractions relatives aux armes à feu, sont déjà assujetties à des peines minimales obligatoires, si bien que leurs auteurs ne peuvent faire l’objet d’un emprisonnement avec susris.  Celles visées par les restrictions imposées par le projet de loi C-9 vont de la tentative de meurtre à la possession de fausse monnaie.  Le seuil de dix ans ne fait donc pas de distinction entre les infractions avec ou sans violence.

Le gouvernement estime qu’ensemble, les projets de loi C-9 et C-10 auront pour effet de faire grimper de 300 à 400 détenus la population des pénitenciers fédéraux et de 3 800 détenus celle des prisons provinciales(1).  Cela représente une augmentation de 15 à 20 p. 100 de la population carcérale provinciale et de 3 p. 100 de celle des pénitenciers fédéraux.  On dénombre actuellement 70 prisons fédérales au Canada et 116 prisons provinciales(2).  Le gouvernement a aussi indiqué que, advenant l’adoption du projet de loi, quelque 5 500 personnes chaque année ne pourraient plus purger leur peine à domicile, en étant surveillées à l’aide d’un appareil de surveillance électronique(3).


Notes - annexe

  1. Éditorial, « Filling the Jails », The Chronicle-Herald, 8 mai 2006, p. A7. 
  2. Bill Curry, « Saskatchewan warns of risk to justice system:  More natives will be jailed, minister fears », The Globe and Mail [Toronto], 5 mai 2006, p. A6.
  3. Joel Kom, « Tories get through on non-violent offenders:  Harsh mandatory sentences not limited to dangerous criminals », Ottawa Citizen, 5 mai 2006, p. A1.

 


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