Le droit de la propriété intellectuelle est constitué d’un ensemble de droits qui sont protégés par des lois et qui visent l’expression de certains types d’informations, d’idées, d’innovations ou d’autres notions. Une marque de commerce est un signe ou un symbole distinctif utilisé pour désigner de manière exclusive des produits et services au consommateur et les distinguer des produits et services concurrents. Au Canada, les droits sur les marques de commerce sont protégés par la Loi sur les marques de commerce fédérale(1).
Le projet de loi C-47 : Loi sur les marques olympiques et paralympiques(2) a été présenté à la Chambre des communes par le ministre de l’Industrie, l’honorable Maxime Bernier, le 2 mars 2007. Le projet de loi établit un cadre juridique séparé pour les marques de commerce olympiques en prévision des Jeux olympiques qui auront lieu à Vancouver en 2010. Il donne au Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Vancouver de 2010 (le Comité d’organisation) des pouvoirs considérables pour interdire l’utilisation des marques olympiques à toute entreprise ou à tout particulier qui cherche à profiter d’une association non autorisée avec les Jeux de 2010. Les dispositions auxquelles le projet de loi donnera force de loi ne sont toutefois pas rédigées exclusivement en fonction des Jeux de 2010, mais pourront s’appliquer à tous les Jeux olympiques que le Canada pourra vouloir accueillir à l’avenir(3).
Le projet de loi protège un ensemble d’images, de mots et d’expressions associés aux Jeux olympiques en général et aux Jeux olympiques et paralympiques de Vancouver en particulier(4). Il accorde également la protection des marques de commerce à toute marque ou publicité qui, si elle est utilisée sans autorisation par une entreprise, risque d’amener le public à croire que cette entreprise est un commanditaire officiel des Jeux. Cette disposition semble être une tentative pour freiner ce qu’on appelle le « marketing insidieux ». Enfin, le projet de loi permet aux demandeurs d’obtenir rapidement une injonction contre quiconque est soupçonné de contrevenir à la loi.
Pour obtenir l’exclusivité d’une marque de commerce au Canada, il faut l’enregistrer, ce qui constitue une preuve de propriété. Le processus d’enregistrement vise à décourager toute violation des marques de commerce en faisant en sorte que les nouveaux enregistrements ne compromettent pas les marques de commerce existantes et en permettant la contestation des demandes.
L’enregistrement d’une marque de commerce comprend les étapes suivantes :
Les dispositions du projet de loi concernant les marques de commerce ont pour effet d’enregistrer les marques de commerce figurant aux annexes 1, 2 et 3 du projet de loi.
L’article 2 définit les termes utilisés dans le projet de loi, en particulier les expressions « Comité olympique canadien » (COC), « Comité paralympique du Canada » (CPC) et tout « comité d’organisation » responsable de la planification des événements olympiques.
L’article 2 définit également le terme « marque ». Une « marque olympique ou paralympique » s’entend de toute marque figurant aux annexes 1 ou 2 du projet de loi. Les marques figurant à l’annexe 1 comprennent des termes comme « olympiques » et « olympie », des expressions comme « plus vite, plus haut, plus fort » et « l’esprit en mouvement », et des images comme les anneaux olympiques et le logo inukshuk (une sculpture de pierre traditionnelle chez les Inuits) des Jeux de Vancouver de 2010. Les marques figurant à l’annexe 2 se rapportent spécifiquement aux Jeux de Vancouver de 2010 et ne s’appliquent que jusqu’au 31 décembre 2010.
L’article 3 interdit d’abord l’emploi d’une « marque olympique ou paralympique », de sa traduction ou de toute « marque dont la ressemblance avec celle‑ci est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre » à l’égard d’une entreprise dirigée par une entité ou une personne autre que le COC, le CPC ou un comité d’organisation.
Le paragraphe 3(4) énonce plusieurs exceptions ou restrictions à l’interdiction générale, et énumère les personnes et les entités qui ont le droit d’employer une « marque olympique ou paralympique » ou toute marque qui ressemble à ces marques. En voici la liste :
Les descriptions à caractère juridique des exceptions énumérées ci‑dessus visent à indiquer que ces exceptions sont exhaustives, ce qui veut dire que l’emploi d’une marque qui ne correspond à aucune de ces exceptions est interdit.
L’article 4 interdit tout acte qui trompe ou risque fort de tromper le public en lui laissant croire que les marchandises et les services d’une personne ou d’une entité sont « approuvés, autorisés ou sanctionnés » par un comité d’organisation, le COC ou le CPC, ou associés commercialement à l’un d’eux. L’article vise à réduire au minimum le « marketing insidieux », une sorte de piégeage commercial qui s’entend des efforts délibérés d’une entreprise pour affaiblir – ou piéger – la commandite « officielle » de son concurrent en faisant de la promotion et de la publicité dans le but de s’approprier une part de la clientèle d’un événement ou d’un établissement, tout en cherchant à tromper le public acheteur quant à l’identité de l’entreprise qui détient réellement les droits de la commandite officielle(5). Ainsi, en 2006, lors de la Coupe mondiale de la FIFA, Lufthansa a peint un ballon de football sur le nez de ses avions de transport de passagers, même si elle n’était pas un commanditaire officiel du tournoi(6).
En outre, le paragraphe 4(2) exige que le tribunal tienne compte de la mesure dans laquelle l’entreprise, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une personne morale, a employé une combinaison des « expressions » figurant à l’annexe 3 du projet de loi (voir l’annexe A du présent résumé législatif)(7). Enfin, le paragraphe 4(3) renferme une disposition de défense qui exempte le fait de placer une publicité à proximité d’une publication, imprimée ou sur support électronique, contenant une marque olympique ou paralympique, ce qui voudrait dire, par exemple, qu’une équipe de la télévision qui tournerait un film montrant des marques olympiques ne contreviendrait pas au projet de loi.
Les différends entre parties au sujet de la Loi sur les marques de commerce peuvent être réglés devant la Cour fédérale du Canada ou devant toute cour supérieure d’une province.
Une injonction provisoire (ou interlocutoire) est une ordonnance d’un tribunal qui a pour effet de suspendre temporairement une activité jusqu’à ce que les faits soient déterminés dans le cadre d’un procès en bonne et due forme. Par exemple, si la construction d’un mur de soutènement risque de causer une inondation sur le terrain d’un voisin, ce dernier peut obtenir une injonction provisoire pour empêcher la construction du mur en attendant le règlement du différend. Lorsqu’il accorde une injonction provisoire, le tribunal, au cas où il finirait par conclure que l’injonction n’aurait jamais dû être accordée au départ, peut exiger du demandeur qu’il s’engage à réparer tout préjudice découlant de l’injonction.
En cas de violation d’une marque de commerce, la partie lésée peut demander une injonction qui forcera la partie contrevenante à ne plus l’employer. Le droit des marques de commerce exige en général du propriétaire d’une marque de commerce de prouver qu’il subira un « préjudice irréparable » pour que lui soit accordée une injonction contre l’auteur de la violation. Autrement dit, le demandeur est tenu de démontrer au tribunal que l’injonction est nécessaire parce que d’éventuels dommages-intérêts ne pourront l’indemniser adéquatement du préjudice subi lorsque le cas présumé de violation fera l’objet d’une audience en bonne et due forme. Le projet de loi modifie le critère pour que la partie lésée obtienne plus facilement une injonction et il donne aux tribunaux d’importants pouvoirs pour déterminer quelle sera la réparation si la demande est accueillie.
Selon l’article 5 du projet de loi, le COC, le CPC ou le Comité d’organisation peut présenter une demande devant le tribunal contre toute personne ou entité qu’il estime avoir contrevenu aux articles 3 et 4. Une partie privée (titulaire d’une licence) peut aussi demander réparation pour violation des dispositions du projet de loi, mais seulement si elle en a reçu l’autorisation écrite. Pendant une « période réglementaire » (à établir dans un règlement non encore publié), seul le Comité d’organisation a le pouvoir absolu de présenter une demande au tribunal. Le COC, le CPC et tout titulaire d’une licence doivent obtenir le consentement écrit du Comité d’organisation pour présenter une demande(8). Pendant « toute autre période », le COC et le CPC sont les premiers habilités à appliquer les dispositions du projet de loi et pourraient empêcher le Comité d’organisation ou le titulaire d’une licence de présenter la demande. Dans les deux cas, l’autorisation de présenter une demande ne peut toutefois être refusée pour des motifs déraisonnables.
Si la demande est présentée, l’article 5 permet au tribunal de rendre une ordonnance qu’il juge indiquée dans les circonstances. L’ordonnance peut prévoir :
Selon l’article 6, une injonction provisoire ou interlocutoire peut être accordée pour tout acte présumé contrevenir aux articles 3 ou 4 sans que le demandeur soit tenu de prouver qu’il subira un préjudice irréparable. Cette modification du critère d’injonction provisoire ne s’applique que pendant une période réglementaire.
L’article 7 impose un délai, disposant que le tribunal ne peut accorder aucune réparation à moins que la partie lésée présente une demande dans les trois ans suivant la contravention aux dispositions du projet de loi.
La loi est muette sur tout engagement que le tribunal pourrait exiger du demandeur concernant les dommages-intérêts; on peut présumer qu’une injonction pourrait être conditionnelle à un engagement.
Le paragraphe 8(1) permet à un tribunal d’ordonner au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le Ministre) de retenir toute marchandise importée qui, selon le demandeur, contrevient à l’article 3 du projet de loi. Le tribunal peut aussi demander au Ministre d’aviser les parties intéressées, et la demande peut être présentée ex parte, c’est-à-dire sans que soit avisée la personne dont les marchandises sont retenues.
Si le tribunal estime que la distribution des marchandises retenues contrevient à l’article 3, il peut en ordonner la remise au demandeur, la destruction ou l’exportation hors du pays(9). Aux termes du paragraphe 8(2), le demandeur peut être le Comité d’organisation, le COC ou le CPC. De nouveau, le projet de loi fait la distinction entre la « période réglementaire » et « toute autre période ». Dans le premier cas, le COC et le CPC doivent obtenir l’autorisation écrite du Comité d’organisation. S’ils ne reçoivent aucune réponse dans les dix jours suivant la réception de la demande d’autorisation, ils peuvent présenter leur demande au tribunal. Dans le deuxième cas, le Comité d’organisation doit obtenir une autorisation écrite. Une partie privée ou un titulaire d’une licence n’est pas habilité à présenter une demande visant à retenir et à confisquer des marchandises à la frontière canadienne, mais doit plutôt convaincre le Comité d’organisation, le COC ou le CPC d’agir en son nom.
Le paragraphe 8(5) permet au tribunal d’exiger des engagements du demandeur, par exemple de fournir une garantie en vue de couvrir les droits de douane, les frais de transport et d’entreposage, ainsi que les dommages que pourrait subir le propriétaire ou l’importateur. Le paragraphe 8(6) permet au Ministre de demander au tribunal des instructions quant à l’application d’une ordonnance rendue au titre des dispositions relatives à la rétention. En vertu du paragraphe 8(7), le Ministre peut permettre une inspection des marchandises retenues afin de constituer une preuve. Le paragraphe 8(8) oblige le Ministre à dédouaner les marchandises retenues sans autre avis si, dans les deux semaines prévues, il n’a pas été avisé qu’une action a été intentée. L’article 9 dispose que si le tribunal ordonne l’exportation des marchandises, les marques de commerce en cause doivent être enlevées.
L’article 10 dispose que la Cour fédérale connaît de toute action intentée aux termes des dispositions du projet de loi.
L’article 12 permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements pour désigner les marques de commerce visées par une protection accrue (par adjonction ou suppression de marques aux annexes 1, 2 et 3) et préciser la période de protection accrue.
Aux termes de l’article 13 et du paragraphe 15(2), la date d’échéance des marques enregistrées aux annexes 2 et 3 est le 31 décembre 2010. L’article 14 modifie la Loi sur les marques de commerce afin d’interdire l’enregistrement de toute marque visée par le projet de loi. Selon le paragraphe 15(1), la plupart des dispositions du projet de loi entreront en vigueur à la date fixée par décret.
Le projet de loi C‑47 accorde aux symboles olympiques une protection qui dépasse celle accordée aux marques de commerce ordinaires. Il serait possible d’invoquer la législation canadienne actuelle sur la propriété intellectuelle pour protéger les symboles et les marques olympiques, mais le nombre d’infractions possibles dans une courte période semble justifier une protection accrue.
Il y a eu un vif débat sur les tactiques utilisées lors d’événements sportifs pour décourager le marketing insidieux. Le Royaume-Uni vient d’adopter une loi qui interdira, entre autres choses, le marketing insidieux lors des Olympiques de 2012(10). Une coalition de publicitaires a soutenu que cette loi est draconienne et trop restrictive. Ainsi, la loi interdirait à une entreprise d’utiliser l’expression « venez à Londres en 2012 »(11). Des publicitaires britanniques considèrent que ces restrictions risquent d’atténuer l’« effet de halo » que les Jeux olympiques devraient produire sur le plan économique et ils affirment que « les entreprises londoniennes en particulier feront les frais de ces Jeux, mais ne pourront en trier profit parce qu’elles devront essentiellement prétendre qu’ils n’ont pas lieu »(12).
Certains disent qu’on peut pousser trop loin l’interdiction du marketing insidieux. Un exemple surprenant de tentative d’empêcher le marketing insidieux est le cas où plus d’un millier de partisans hollandais ont dû, lors de la Coupe mondiale 2006 de la FIFA, en Allemagne, renoncer à leurs shorts orange durant un match contre la Côte d’Ivoire. Les shorts portaient la marque « Bavaria », alors que la brasserie Bavaria (Pays-Bas) n’était pas un commanditaire officiel de la Coupe mondiale. Lorsque les partisans hollandais ont tenté d’entrer dans le stade, ils ont été sommés par les officiels de la FIFA de retirer leurs shorts et ont dû suivre le match en sous-vêtements(13). Avant cet incident, Heineken, un des commanditaires officiels de l’Association hollandaise de football, avait intenté une action contre la brasserie Bavaria en Hollande, mais en vain; le juge hollandais a statué que les partisans pouvaient porter ce qu’ils voulaient.
Tel qu’il a été déposé, le projet de loi C‑47 semble répondre à certaines de ces inquiétudes. Il est clair qu’il permet au COC, au CPC et au Comité d’organisation d’obtenir plus facilement des injonctions contre toute marque dont on présume qu’elle porte atteinte à la marque olympique, mais il impose des limites à la portée légale de ces pouvoirs en prévoyant des exceptions. Ainsi, il protège les critiques et l’utilisation de symboles olympiques dans les médias. Il protège aussi les entreprises qui emploient des symboles associés qui datent d’avant les Jeux, ainsi que les producteurs de vins et de spiritueux qui emploient des expressions figurant aux annexes 1, 2 et 3 pour décrire l’origine de leurs produits. De même, il pourrait limiter considérablement la période pendant laquelle il sera possible d’obtenir des injonctions provisoires sans devoir prouver un préjudice irréparable.
Les médias ont rapporté une baisse de la popularité du marketing insidieux au Canada et, en fait, il y a eu peu de cas de cette pratique durant les Jeux de Turin de 2006(14). En fin de compte, l’appui du public au projet de loi dépendra sans doute de la confiance que le COC, le CPC et le Comité d’organisation pourront inspirer en exerçant avec modération leurs nouveaux pouvoirs. Les incidents comme celui impliquant des partisans hollandais de football seraient sans doute accueillis avec dérision, comme cet incident l’a été en Europe. À Vancouver, au moins un commentateur a fait observer que les premiers indices laissent présager qu’une application abusive de la Loi sur les marques de commerce par le Comité d’organisation risquerait d’avoir pour effet d’étouffer l’art contestataire et la critique concernant les Jeux de 2010(15).
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