Résumé législatif du Projet de loi C-45

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi C-45 : Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés
Daphne Keevil Harrold, Division des affaires sociales
Publication no 40-2-LS-657-F
PDF 329, (16 Pages) PDF
2009-08-25

Table des matières

Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.


Introduction

Déposé à la Chambre des communes le 17 juin 2009, le projet de loi C-45 propose des modifications à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés afin d’accorder aux agents d’immigration le pouvoir discrétionnaire de refuser d’autoriser un étranger à travailler au Canada s’ils estiment que cet étranger risque d’être exploité. Des versions du projet de loi C-45 avaient déjà été déposées à deux occasions. La première version avait été présentée en mai 2007 à la première session de la 39e législature, sous le nom de projet de loi C-57; elle est morte au Feuilleton à la prorogation du Parlement en septembre 2007. La deuxième version avait été déposée sous le nom de projet de loi C-17 à la deuxième session de la 39e législature, à l’automne de 2007, et a été transmise au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes. Le Comité a étudié le projet de loi le 30 janvier 2008, mais n’a pas fait son rapport à la Chambre avant la fin de la session. L’actuel projet de loi C-45 comporte certains changements mineurs mais, en substance, est le même que les versions précédentes.

Contexte

A. Traite des personnes

Au Canada, il existe plusieurs lois visant à combattre et à prévenir la traite des personnes. En ce qui a trait au droit pénal, le projet de loi C-49(1), dont les dispositions sont entrées en vigueur le 25 novembre 2005, a ajouté les articles 279.01 à 279.04 au Code criminel pour interdire expressément la traite des personnes au Canada. Ces articles comportent de nouvelles dispositions qui énoncent trois interdictions.

La première est l'interdiction globale de la traite des personnes, définie comme le fait de recruter, de transporter, de transférer, de recevoir, de détenir, de cacher ou d’héberger une personne ou d’exercer un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne en vue de l’exploiter(2). Un élément clé de cette définition est que la traite des personnes est considérée comme un crime même si elle se produit entièrement à l'intérieur du pays, sans trafic transfrontalier; en effet, est interdite toute action où une personne est déplacée ou cachée et est forcée de fournir ou d’offrir de fournir un travail, un service, un organe ou des tissus.

L’article 279.02 érige en crime punissable d’un emprisonnement de dix ans au plus le fait de bénéficier d’un avantage économique provenant de la traite des personnes. Cet article vise notamment ceux qui hébergent une victime de la traite contre rémunération. Enfin, l’article 279.03 rend passible d'un emprisonnement de cinq ans au plus quiconque retient ou détruit des documents d’identité ou d’immigration ou des titres de voyage afin de faciliter la traite des personnes.

En outre, grâce aux modifications du Code criminel, la traite des personnes peut servir à justifier l'émission d'un mandat d’interception des communications privées ou de prélèvement d’échantillons corporels pour analyser l’ADN; de plus, elle peut servir à motiver l'inscription d'un contrevenant au registre des délinquants sexuels. L’adoption du projet de loi C-49 a également conféré aux victimes de préjudices corporels ou psychologiques de meilleures possibilités de demander réparation.

Un certain nombre de dispositions génériques du Code criminel servent également à lutter contre la traite des personnes en visant des formes d’exploitation et d’abus qui sont propres à ce trafic. Il s'agit notamment des infractions relatives aux documents frauduleux, des infractions liées à la prostitution, de l’infliction de lésions corporelles, de l’enlèvement, de la séquestration, de l’intimidation, du complot et de la participation à la criminalité organisée.

Outre le Code criminel, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) vise elle aussi le trafic transfrontalier des personnes. Selon l’article 118 de la LIPR, est coupable de trafic des personnes quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes par fraude, tromperie, enlèvement ou menace ou usage de la force ou de toute autre forme de coercition. L’infraction comprend le recrutement des personnes, leur transport, leur accueil et leur hébergement. La peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité. L’article 117 de la LIPR parle des passeurs et dispose notamment qu'il est illégal d'organiser sciemment l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes non munies de titres de voyage valides. La peine maximale pour l’organisation de l’entrée illégale de moins de dix personnes est un emprisonnement de 14 ans, tandis que pour l’organisation de l’entrée de dix personnes ou plus, le législateur a prévu l’emprisonnement à perpétuité. Les articles 122 et 123 établissent une infraction supplémentaire, soit l’utilisation de titres de voyage pour enfreindre la LIPR, ainsi que la vente ou l’achat de tels documents. La peine maximale pour ces crimes est un emprisonnement de 14 ans.

Pour ce qui est de la politique en cette matière, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a fait connaître en mai 2006 une nouvelle politique permettant d’accorder des permis de séjour temporaires aux victimes du trafic des personnes. Cette politique a été actualisée en juin 2007(3). À l’intérieur du cadre législatif actuel, les agents d’immigration ont désormais la possibilité de délivrer des permis de séjour temporaires d’une durée maximale de 180 jours aux victimes du trafic des personnes. Les bénéficiaires de ces permis sont exemptés des frais de traitement habituellement exigés et sont admissibles aux divers avantages en matière de santé, et notamment aux soins médicaux essentiels et à l’aide de conseillers sociaux dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire. Les bénéficiaires peuvent, en même temps, demander aussi un permis de travail et sont exemptés des frais de traitement habituellement exigés.

Cette solution vise les objectifs suivants : offrir aux victimes du trafic des personnes une période de réflexion pour évaluer les choix qui s’offrent à elles (par exemple, retourner chez elles ou apporter leur concours à l’enquête ou aux procédures pénales contre les passeurs ou les trafiquants); leur permettre de se remettre des traumatismes physiques ou psychologiques; leur permettre d’échapper à l’influence des passeurs ou des trafiquants; faciliter leur participation à une enquête ou aux poursuites; servir toute autre fin que l’agent estime utile. Il n’y a pas d’obligation, de la part de la victime, de collaborer à une enquête en échange d’un permis de séjour temporaire.

La victime de la traite peut également obtenir un permis valide pour une période plus longue ou un autre permis de séjour temporaire lorsqu’un agent d’immigration a examiné les facteurs pertinents pour déterminer, par exemple, si la personne a la possibilité de retourner et de refaire sa vie – dans des conditions raisonnablement sécuritaires – dans son pays d’origine ou dans le pays où elle avait sa dernière résidence permanente, ou et si sa présence est nécessaire pour aider les autorités dans une enquête ou une poursuite et si elle est disposée à fournir une telle aide. Après une certaine période, la victime de la traite des personnes pourrait obtenir le statut de résident permanent.

Un rôle important dans la politique canadienne en matière de trafic des personnes est joué par le Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes, coprésidé par des représentants des ministères de la Justice et des Affaires étrangères et comptant des porte parole de nombre d’autres ministères et organismes fédéraux. Ce groupe de travail a pour mission de coordonner les efforts fédéraux de lutte contre le trafic des personnes et d’élaborer une stratégie fédérale conforme aux engagements internationaux du Canada. Ainsi, il examine les mesures législatives, les politiques et les programmes actuels qui pourraient avoir des répercussions sur la traite des personnes, dans le but de dégager les meilleures pratiques à adopter et les aspects à améliorer(4).

De plus, en septembre 2005, la GRC a créé le Centre national de coordination contre la traite des personnes, doté de deux gendarmes de la GRC et d’un analyste qui sont aidés par six coordonnateurs régionaux de la GRC chargés du dossier de la traite des personnes. Logé à la Sous-direction des questions d’immigration et de passeport, ce centre a pour but d’aider les enquêteurs sur le terrain et de préparer des campagnes d’information et de sensibilisation.

Enfin, deux comités parlementaires ont étudié le problème de la traite des personnes. En décembre 2006, le Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a publié son rapport intitulé Le défi du changement : Étude des lois pénales en matière de prostitution au Canada(5). Dans cette vaste étude des lois canadiennes sur la prostitution, le Sous-comité insiste sur le fait qu’il faut poursuivre efficacement les trafiquants, fournir à cette fin suffisamment de ressources et de formation aux agents de la force publique et assurer aux victimes une aide et des services appropriés.

En février 2007, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes a publié un rapport intitulé De l’indignation à l’action pour contrer la traite à des fins d’exploitation sexuelle au Canada(6). Dans ce rapport, le comité a mis au premier plan l’approche dite des « trois P », fondée sur la protection des victimes, la poursuite des clients et des trafiquants et la prévention. Les recommandations du Comité mettaient l'accent sur les mesures de prévention, et notamment sur l'élaboration d’une stratégie de lutte contre la pauvreté (en portant une attention particulière aux Autochtones), l’élimination des obstacles à l’immigration et la sensibilisation de la population au danger de devenir victime de la traite. Le Comité insiste également sur l’importance de mieux protéger les victimes en leur offrant des services et des programmes de soutien (notamment des maisons d’hébergement temporaire sûres et l’accès à des services d'aide psychosociale et juridique) et en modifiant les lignes directrices relatives au permis de séjour temporaire de manière à permettre aux victimes de présenter une demande de permis de travail. Pour coordonner les efforts du Canada, le Comité propose la création d’un bureau canadien de lutte contre la traite des personnes, qui permettrait aux intervenants de mettre en commun leurs connaissances et leurs pratiques exemplaires de manière à prévenir la traite de personnes, à protéger les victimes et à poursuivre avec succès ceux qui exploitent ces dernières. Le Comité propose également la création d’un poste de rapporteur national qui aurait pour mandat de recueillir et d’analyser des données sur la traite des personnes et de déposer un rapport annuel au Parlement.

B. Visas de danseuse exotique

Bien que ce ne soit pas expressément énoncé dans le projet de loi C-57, l’honorable Diane Finley, qui était à l’époque ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, a clairement fait savoir que ce projet de loi a été présenté dans le but d’éviter les situations où des travailleurs temporaires, en particulier des danseuses exotiques, pourraient être exploités ou devenir victimes de la traite de personnes.

Actuellement, les danseuses exotiques étrangères peuvent faire une demande de permis de travail temporaire afin de pallier une pénurie temporaire qui touche le marché du travail canadien. Par le passé, pour combler une telle pénurie, ces demandes de permis étaient traitées en accéléré, sans passer par le processus de confirmation individuelle exigé pour la plupart des travailleurs étrangers temporaires. Ainsi, les danseuses exotiques étrangères munies d’une offre d’emploi d’un employeur canadien pouvaient demander et obtenir à un point d’entrée un permis de travail, sans qu’il y ait un examen minutieux des circonstances entourant la demande de services ou la pénurie de main-d’œuvre. Les modalités de délivrance du visa de danseuses exotiques n’exigeaient pas des propriétaires des clubs de striptease qu’ils obtiennent la validation de l’offre d’emploi(7).

Si par le passé les danseuses exotiques étrangères qui arrivaient au Canada venaient d'habitude des États-Unis, vers la fin des années 1990 elles étaient très souvent originaires de l’Europe de l’Est. C'est alors qu'on a commencé à craindre qu’elles fassent l’objet d’une traite. En 1997, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de révoquer la dispense de validation de l’offre d’emploi pour le visa de danseuse exotique. Toutefois, le ministère du Développement des ressources humaines a fait savoir, par lettre, que le nombre de danseuses exotiques qui entraient au pays à cette époque-là à l'aide d'un visa temporaire ne nuisait pas aux possibilités d’emploi qu'avaient les Canadiens et les résidents permanents. En même temps, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a pris quelques mesures non officielles pour faire en sorte qu’on n’accepte qu’un petit nombre de demandes de visa de danseuse exotique. Parmi ces mesures figurait le refus de délivrer un visa en raison d’un manque d’expérience de travail ou parce que l’on constatait que, vraisemblablement, la femme qui demandait le visa ne retournerait pas dans son pays après l’expiration de son visa(8).

La situation s’est aggravée en 2004 à la suite de la démission de la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Judy Sgro, accusée d’avoir accordé une prolongation de visa à une danseuse exotique roumaine qui avait participé à sa campagne électorale. Par la suite, le commissaire à l’éthique de l’époque a blanchi l'ex-ministre Sgro de toutes les allégations de conflit d’intérêts(9). Toutefois, la politique permettant le traitement accéléré des visas pour les danseuses exotiques étrangères a été abolie en décembre 2004, le ministère des Ressources humaines et du Développement social ayant changé d'avis et ayant décidé que l’« industrie » de la danse exotique n'avait pas d'utilité spéciale dans le marché du travail. Depuis, les demandes présentées par les danseuses exotiques sont traitées au cas par cas. Les agents d’immigration qui travaillent dans les missions à l’étranger exigent des danseuses exotiques qui font une demande de visa qu’elles présentent un contrat de travail valable; ils s’assurent ensuite que l’employeur est légitime. Ils ont reçu une formation leur permettant de reconnaître et de refuser les victimes potentielles de la traite des personnes. Ils examinent aussi chaque cas du point de vue de la santé et de la sécurité et s’assurent que des dispositions ont été prises pour que la personne retourne dans son pays à l’expiration du visa(10).

Depuis 2004, le nombre de permis accordés à des danseuses exotiques étrangères a diminué de façon spectaculaire. Selon les renseignements obtenus du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, 423 permis et prolongations de permis de travail ont été accordés à des danseuses exotiques étrangères en 2004, mais ce nombre est passé à 17 en 2006(11) et s’établissait à 21 en 2007(12).

Description et analyse

A. Protection des étrangers contre l’exploitation

Les articles 2 et 3 du projet de loi C-45 modifient la LIPR de manière à permettre à l’agent d’immigration de refuser d’autoriser un étranger à exercer un emploi au Canada s’il estime que l'étranger est vulnérable à l'exploitation.

L’article 2 du projet de loi ajoute à la LIPR une nouvelle disposition, le paragraphe 30(1.1), qui prévoit que l’agent « peut » autoriser l’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires à exercer un emploi au Canada ou à y étudier. Par contre, dans la formulation du projet de loi C-17 concernant le paragraphe 30(1.1), on précise que l’agent « autorise » le demandeur qui satisfait aux conditions réglementaires à exercer un emploi au Canada ou à y étudier. Ce changement (« autorise » au projet de loi C-17 devient « peut … autoriser » dans l’actuel projet de loi) donne à l’agent d’immigration le pouvoir de refuser l'autorisation d'exercer un emploi ou d'étudier au Canada même si le demandeur satisfait aux conditions réglementaires.

L’article 2 ajoute également les paragraphes 30(1.2) à 30(1.7) à la LIPR. Le paragraphe 30(1.2) dispose que l’agent refuse d’autoriser l’étranger à exercer un emploi s’il estime que l’intérêt public, tel que celui ci est établi dans les instructions du Ministre, justifie ce refus. Ce pouvoir discrétionnaire est quelque peu limité par le paragraphe 30(1.3) qui prévoit que tout refus d’autoriser l’étranger à exercer un emploi au Canada doit être confirmé par un autre agent. Au paragraphe 30(1.4), il est précisé que les instructions du Ministre établissent ce qui constitue l’intérêt public et qu’elles visent à protéger l’étranger qui risque de subir un traitement dégradant ou attentatoire à la dignité humaine, et notamment d’être exploité sexuellement. Selon les paragraphes 30(1.5) à (1.7), ces instructions ministérielles sont publiées dans la Gazette du Canada et s’appliquent à toute demande d’autorisation d’exercer un emploi, même si elle a déjà été présentée et qu’elle attend une décision finale.

Pour justifier ce nouveau paragraphe 30(1.2), le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration fait valoir que l’agent d’immigration a actuellement peu de pouvoir discrétionnaire pour refuser un permis de travail à une personne qui répond aux exigences formelles de la LIPR, même s’il y a une raison d’intérêt public – comme la possibilité qu'il s'agisse d'un cas de traite de personnes – de refuser l’entrée. Le projet de loi C-45 confère explicitement ce pouvoir discrétionnaire au Ministre et aux agents d’immigration. Il ne précise pas le contenu des instructions du ministre, mais le Ministère indique que ces instructions pourraient permettre d’identifier les personnes qui risquent d'être vulnérables au trafic des personnes(13). En parlant de ce point à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi précédent (C-17) à la Chambre des communes, le secrétaire parlementaire du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait déclaré que ces décisions seraient fondées « sur des faits, notamment sur le lien possible entre l’occupation prévue et le risque d’abus, de dégradation et de traitement humiliant susceptible de se produire, compte tenu de l’existence d’un rapport de cause à effet »(14). Les Linklater, directeur général de la Direction générale de l’immigration du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, a déclaré que les méthodes décrites dans les lignes directrices ministérielles concernant le projet de loi C-17 (qui était presque identique au projet de loi C-45) reposeraient sur des éléments de preuve objectifs, et notamment sur des recherches jugées par les pairs, et viseraient l'identification des personnes vulnérables (celles qui risquent d’être exploitées) en évaluant divers facteurs de risque comme les faits de ne parler ni l'une ni l'autre des deux langues officielles, de ne pas avoir de réseaux de soutien ou de ressources financières au Canada ou d'avoir eu des expériences personnelles qui les ont rendues plus vulnérables à l'exploitation (par exemple, des expériences qui les ont amenées à craindre la police ou les autorités)(15).

Les instructions du Ministre seront publiées dans la Gazette du Canada. Elles prendront effet à la date de leur publication (ou à toute date ultérieure qui y sera précisée); une fois en vigueur, elles s’appliqueront également à toute demande de permis de travail présentée avant cette date et à l’égard de laquelle une décision finale n’aura pas été rendue. Ces instructions deviendront caduques lorsqu’un avis de révocation sera publié dans la Gazette du Canada. L’article 3 du projet de loi modifie le paragraphe 94(2) de la LIPR de manière à exiger que le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme rende compte de ces instructions dans son rapport annuel au Parlement.

Il importe de souligner que c'est le seul endroit dans la LIPR où on trouve cette précision concernant les instructions du Ministre. En effet, si la LIPR prévoit que le Ministre donnera des instructions sur diverses questions, seul l'article en question énonce des exigences précises et détaillées concernant leur publication et leur inclusion dans le rapport annuel. Cette modification accroît la responsabilisation qui accompagne l’application des instructions et tout éventuel refus d’accorder un permis de travail temporaire en raison d’un risque d’exploitation.

B. Santé publique

L’article 1 du projet de loi C-45 modifie les objectifs, en matière d’immigration, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en ajoutant le qualificatif « publiques » au libellé relatif à la protection de la santé et de la sécurité de l’actuel alinéa 3(1)h) de la LIPR. Ainsi, en matière d'immigration, la LIPR modifiée vise à protéger la santé et la sécurité publiques et à garantir la sécurité de la société canadienne.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et ses fonctionnaires n'ont pas expliqué la motivation de cette modification; celle-ci est pourtant importante, étant donné que la santé et la sécurité font partie des critères d'évaluation des demandes de permis de travail temporaire et que le Ministère a précisé que les instructions du Ministre doivent appuyer les objectifs de la LIPR(16).

Il convient de faire remarquer que le projet de loi ne modifie que le paragraphe 3(1), qui concerne les objectifs de la LIPR en matière d’immigration; le paragraphe 3(2), qui précise les objectifs relatifs aux réfugiés et qui déclare qu’il s’agit de « protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité », demeurera inchangé.

Commentaire

Le commentaire qui suit rend compte de la réaction du public au prédécesseur le plus récent du projet de loi C-45, à savoir le projet de loi C-17. Puisque les deux projets de loi sont pour l’essentiel analogues, il est probable que les mêmes questions seront soulevées à propos du projet de loi C-45.

Les organismes de lutte contre le trafic des personnes, par exemple le Canadian Centre for Abuse Awareness, la coalition Stop the Trafficking et le Future Group ont appuyé le projet de loi C-17; selon eux, en dissuadant les personnes vulnérables de quitter leur pays d’origine, ce projet de loi constituait une des diverses mesures nécessaires pour contrer le trafic des personnes au Canada.

Toutefois, la Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté de l’Association du Barreau canadien (ABC) a exprimé des réserves concernant le projet de loi C-17; à l'avis de l'ABC, la portée du projet de loi n'était pas assez nettement circonscrite et permettait de refuser un permis de travail à tout travailleur, quelle que soit sa profession. L’ABC a également fait remarquer que la portée des instructions du Ministre n’était pas connue et que le projet de loi accordait au Ministre un vaste pouvoir d’émettre des instructions qui, à la différence des règlements, ne seraient pas soumises au Comité concerné pour qu'elles fassent l'objet de débats publics et parlementaires(17). L’ABC a souligné que le projet de loi n’établissait aucune norme de preuve sur laquelle l’agent pouvait fonder sa décision; le projet de loi se bornait à dire que l'agent devait prendre la décision qu'il « estim[ait] » justifiée. L’ABC a de plus affirmé que les mesures d’exécution qui dépendent de prévisions sont intrinsèquement faillibles et a critiqué la tentative faite, dans le projet de loi, de prévoir les comportements abusifs; au lieu de cela, l’ABC préconisait l'application plus stricte des mesures législatives en matière de conditions de travail et d’exploitation des nouveaux arrivants au Canada. Enfin, à propos du fait que le seul droit d’appel serait un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, l’ABC a fait remarquer que la Cour fédérale n’accorde que peu d’autorisations d’interjeter appel, que l’employeur n’aurait pas le droit de comparaître, qu’aucun nouvel élément de preuve ne pourrait être déposé et que ces contrôles judiciaires sont coûteux, en ce sens qu'ils prennent beaucoup de temps.

Divers groupes de défense des immigrants et des danseuses exotiques ont également exprimé des réserves à propos des modifications envisagées. Le Conseil canadien pour les réfugiés, l’Adult Entertainment Association of Canada, la Dancers’ Equal Rights Association, Stella, l’Exotic Dancers Association et NakedTruth.ca ont fait valoir que le projet de loi C-17 risquait de nuire aux personnes qu’il tentait d’aider, en forçant les danseuses exotiques étrangères à travailler dans des établissements clandestins où elles seront hors de la portée de ceux qui appliquent les normes d’hygiène et de sécurité au travail ou qui sont chargés de surveiller attentivement toute autre forme d’exploitation. Selon Audrey Macklin, professeure de droit à l’Université de Toronto, on ne pouvait raisonnablement supposer que le projet de loi C-17 empêcherait vraiment certaines personnes d’entrer au Canada(18); d'ailleurs, Leslie Ann Jeffrey, professeure d'histoire et de politique à l’Université du Nouveau-Brunswick, a même soutenu que ce projet de loi favoriserait la traite des personnes en augmentant les obstacles à la migration(19).

Les groupes de défense ont soutenu que pour lutter plus efficacement contre l’exploitation dans les clubs de striptease, le gouvernement devrait surtout assurer le respect des normes d’hygiène et de sécurité dans ces établissements, enquêter sur les conditions de travail dans les clubs qui parrainent des danseuses exotiques et examiner attentivement les véritables raisons de la pénurie apparente de candidates canadiennes à ces emplois(20). Selon eux, le gouvernement devrait combattre l’exploitation dans les clubs de striptease en y améliorant les normes de travail, plutôt que de cibler les femmes qui postulent ces emplois. À leur avis, la stratégie du gouvernement aurait pour résultat de reléguer les Canadiennes aux emplois jugés trop susceptibles de mener à l’exploitation des travailleuses étrangères(21).

Le Conseil canadien pour les réfugiés a également soutenu que permettre aux agents d’immigration d'interdire à certaines femmes d'entrer au Canada, sous prétexte de veiller au bien-être de ces dernières, constitue une attitude paternaliste et que les femmes devraient être libres de mener leur vie comme elles l’entendent. La professeure Jeffrey a dit craindre que les femmes pauvres fassent l’objet d’une discrimination sous le régime de la réglementation accompagnant le projet de loi C-17(22). D’autres commentateurs ont souligné que refuser d’admettre au Canada des gens vulnérables n’est pas la meilleure façon de lutter contre la traite des personnes et que le gouvernement devrait plutôt se concentrer sur des projets qui viendraient en aide aux personnes vulnérables vivant déjà au Canada en leur donnant le pouvoir de se protéger(23).

Enfin, les propriétaires de clubs de striptease et l’Adult Entertainment Association of Canada ont manifesté leur mécontentement à l’égard du projet de loi C-17 et de son prédécesseur, le projet de loi C-57; ils déclaraient qu'il était difficile de trouver des danseuses exotiques canadiennes et que, si le projet de loi était adopté, ils le contesteraient devant un tribunal au motif qu’il serait discriminatoire(24).


Notes

*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]

La présente publication repose en grande partie sur le résumé législatif de la version précédente du projet de loi C-45; voir Laura Barnett, Projet de loi C-17 : Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LS-571F, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, Ottawa, 2 novembre 2007.

  1. L.C. 2005, ch. 43.
  2. 279.01(1) Quiconque recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne, ou exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation commet une infraction passible, sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation :

    1. d’un emprisonnement à perpétuité, s’il enlève la personne, se livre à des voies de fait graves ou une agression sexuelle grave sur elle ou cause sa mort lors de la perpétration de l’infraction;
    2. d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, dans les autres cas.
  3. Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, Permis de séjour temporaires PDF (273 Ko, 63 pages), guide opérationnel sur le traitement des demandes au Canada (IP1), 19 juin 2007, sect. 16 et annexes F à I.
  4. Le lecteur trouvera plus de renseignements sur ce groupe de travail.
  5. Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Le défi du changement : Étude des lois pénales en matière de prostitution au Canada, PDF (611 Ko, 151 pages), 1re session, 39e législature, décembre 2006.
  6. Chambre des communes, Comité permanent de la condition féminine, De l'indignation à l'action pour contrer la traite à des fins d'exploitation sexuelle au Canada  PDF (1.27 Mo, 70 pages), 1re session, 39e législature, février 2007.
  7. Audrey Macklin, « Dancing Across Borders: ‘Exotic Dancers,’ Trafficking, and Canadian Immigration Policy », International Migration Review, vol. 37, no 2, 2003, p. 474; James Gordon, « Number of Strippers Coming to Canada Drops Dramatically », National Post, 26 mai 2006, p. A6.
  8. Macklin (2003).
  9. Bernard J. Shapiro, L’Enquête Sgro : Ni noir, ni blanc, Bureau du commissaire à l’éthique, Ottawa, juin 2005.
  10. Sénat, Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, Délibérations, 1re session, 38e législature, 23 novembre 2005, p. 25:54 (Mme Carole Morency).
  11. Renseignements fournis par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, 11 juin 2007.
  12. Chambre des communes Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 2e session, 39e législature, 30 janvier 2008 (M. Les Linklater).
  13. Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, « Le gouvernement du Canada présente des modifications visant à protéger les travailleurs étrangers vulnérables », communiqué, 17 juin 2009; Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, « Pouvoir discrétionnaire proposé en vertu de la LIPR », document d’information, 16 mai 2007.
  14. Chambre des communes, Débats, 5 juin 2007, 1135 (témoignage de M. Ed Komarnicki).
  15. Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 2e session, 39e législature, 30 janvier 2008 (M. Les Linklater).
  16. L’Agence de la santé publique du Canada fait une distinction entre les concepts de « santé publique » et de « soins de santé ». La « santé publique » est une stratégie à la fois proactive et préventive de favoriser la santé des Canadiens : le « système de santé publique » aide à « protéger les Canadiens des blessures et des maladies et les aide à rester en santé ». Par contraste, les « soins de santé » sont des interventions après coup. Voir : Agence de santé publique du Canada, « La stratégie fédérale », 1er septembre 2004.
  17. La lettre de l'Association du Barreau canadien est consultable sur le site Internet de sa Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté, sous la rubrique « Mémoires présentés au gouvernement, février 2008, Projet de loi C-17 — Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ». PDF (232 Ko, 11 pages)
  18. Audrey Macklin, citée dans : Geoff Nixon, « Strippers Dress Down Ottawa Over New Rules », The Globe and Mail [Toronto], 16 août 2007, p. A8.
  19. Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 2e session, 39e législature, 30 janvier 2008 (Mme Leslie Ann Jeffrey).
  20. Cette réglementation relèverait de la compétence des provinces.
  21. Conseil canadien pour les réfugiés, Le gouvernement n’aborde pas le problème de la traite des personnes de la bonne façon, communiqué, 22 mai 2007; « Tories Move to Keep Out Foreign Strippers », Canada Press Wire, 16 mai 2007; CTV, « Conservatives to Change Rules for Foreign Strippers », CTV News, 16 mai 2007, 23 h; CBC Radio, « Canadian Strip Clubs and the Many Foreign Women Who Now Work in Them Have Caught the Attention of Parliament », World Report, 17 mai 2007; Kelly Cryderman, « ‘Alberta-bred’ Strippers Save Clubs from Crackdown », Calgary Herald, 18 mai 2007, p. B1; Émilie Côté, « Loi contre les effeuilleuses étrangères », La Presse [Montréal], 18 mai 2007, p. A11; Joe Warmington, « If You Peel Away The Truth, You’ll See That Few Foreign Strippers Are Actually Showing Their Faces – Or Other Parts », Toronto Sun, 18 mai 2007, p. 6; « Get Off Moral High Horse », The Sault Star, 19 mai 2007, p. B2.
  22. Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 2e session, 39e législature, 30 janvier 2008 (Mme Leslie Ann Jeffrey).
  23. Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 2e session, 39e législature, 30 janvier 2008 (Mme Janet Dench et M. Francisco Rico-Martinez). Voir aussi : Conseil canadien pour les réfugiés (2007); Allan Thompson, « New Bill Misses Point », The Toronto Star, 24 mai 2007, p. R6.
  24. CBC Radio (2007); CTV (2007); Tom Godfrey, « Migrant Peeler Law Ripped », Toronto Sun, 14 août 2007, p. 5; Justine Mercier, « Les danseuses nues veulent bloquer le projet C-57 du fédéral », Le Droit [Ottawa et Gatineau], 9 août 2007, p. 5.

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