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Le projet de loi C-21 : Loi modifiant le Code criminel (peines pour fraude) (titre abrégé : « Loi sur la défense des victimes de crimes en col blanc ») a été présenté à la Chambre des communes le 3 mai 2010 par le ministre de la Justice, l’honorable Robert Nicholson. Il est presque identique au projet de loi C-52, qui a été déposé au cours de la deuxième session de la 40e législature, mais qui n’est pas devenu loi avant la prorogation du Parlement le 30 décembre 2009. Le projet de loi C-21 a pour raison d’être de contribuer « à la répression de la criminalité en col blanc et rendra davantage justice aux victimes »1, grâce à des mesures comme l’imposition d’une peine d’emprisonnement minimale de deux ans aux auteurs de fraudes de plus d’un million de dollars, l’ajout de circonstances aggravantes précises que le tribunal doit prendre en considération au moment de la détermination de la peine, la création d’une nouvelle forme d’ordonnance d’interdiction, l’imposition de nouvelles obligations aux juges en ce qui concerne les ordonnances de dédommagement et la prise en compte, au moment de la détermination de la peine, d’une nouvelle forme de déclaration des dommages subis à la suite d’une fraude.
Les dernières modifications apportées aux dispositions du Code criminel (le Code) en matière de fraude remontent à 20042. Elles ont été adoptées en réaction aux scandales mettant en cause de grandes entreprises comme Enron, Tyco et WorldCom, qui ont secoué les marchés financiers mondiaux3. Ainsi, une nouvelle infraction relative au délit d’initié a été créée, les peines d’emprisonnement maximales pour les infractions de fraude et d’influence sur le marché public sont passées de 10 à 14 ans et une liste de circonstances aggravantes a été dressée pour aider les tribunaux au moment de la détermination de la peine4. Le gouvernement fédéral a également annoncé qu’il créerait un certain nombre d’équipes intégrées de la police des marchés financiers (EIPMF), composées d’agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), d’avocats fédéraux et d’autres enquêteurs (p. ex. des juricomptables) et chargées des affaires de fraude sur les marchés financiers5.
En 2003, le gouvernement du Canada a mis sur pied le programme des EIPMF, lui assurant un financement sous la gouverne de la GRC. Les EIPMF, qui comptent 10 équipes d’enquête réparties dans quatre grands centres financiers canadiens6, ont comme mandat de mener des enquêtes et de déposer des accusations relativement aux infractions graves au Code qui sont liées à la fraude au sein des marchés financiers.
Selon le rapport annuel 2007-2008 des EIPMF, le budget total du programme des EIPMF est passé de 13,2 millions de dollars (pour l’exercice 2005) à 18,9 millions de dollars (pour l’exercice 2008)7; il a reculé à 16,1 millions de dollars pour l’exercice 2008-20098. Entre le début du programme des EIPMF en décembre 2003 et mars 2008, cinq enquêtes ont abouti au dépôt de 29 chefs d’accusation de fraude et d’infractions connexes contre neuf individus9. Au cours de l’exercice 2008-2009, toutefois, 17 individus ont été inculpés sous 979 chefs d’accusation10. En tout, cinq individus ont été reconnus coupables depuis la création du programme des EIPMF, leurs peines s’étalant de 39 mois à 13 ans11.
Le rapport sur les plans et les priorités de la GRC pour 2009-2010 prévoit une affectation annuelle d’un peu plus de 30 millions de dollars pour chacun des exercices 2010-2011 et 2011-2012, afin d’appuyer les enquêtes et les poursuites judiciaires relatives à la fraude au sein des marchés financiers12.
Selon le Programme de déclaration uniforme de la criminalité, qui « [fait] état des crimes signalés qui ont été confirmés par la police13 », il y a eu 90 932 cas réels de fraude au Canada en 200814. L’Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, qui recueille « des renseignements statistiques sur les audiences, les accusations et les causes devant les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes15 », indique qu’il y a eu 9 790 causes avec condamnation pour fraude au Canada en 2008-200916. Une peine d’emprisonnement a été imposée dans 3 338 de ces causes (34,1 %), une peine d’emprisonnement avec sursis dans 1 007 causes (10,3 %), la probation dans 6 349 causes (64,9 %), une amende dans 1 131 causes (11,6 %), et un dédommagement dans 1 591 causes (16,3 %). Dans 4 398 causes (44,9 %), d’« autres peines » ont été imposées, par exemple une absolution inconditionnelle ou une absolution sous condition, une ordonnance de travaux communautaires ou une ordonnance d’interdiction17.
Ces statistiques ne donnent aucun détail sur la valeur pécuniaire de la fraude ou sur le type de fraude, qui peut comprendre notamment « les fraudes liées aux valeurs mobilières comme les combines à la Ponzi, les délits d’initiés ainsi que les fraudes de comptabilité qui surestiment la valeur des titres », ainsi que « la fraude par marketing de masse, la fraude hypothécaire et immobilière de même qu’une multitude d’autres pratiques trompeuses »18.
Même s’il n’existe guère de statistiques sur les peines imposées spécifiquement aux auteurs de fraudes de plus de 1 000 000 $, la jurisprudence montre qu’aussi bien avant qu’après la création par le Parlement de peines d’emprisonnement avec sursis, les affaires mettant en cause des fraudes commises à grande échelle par des personnes en position de confiance ont habituellement donné lieu à de lourdes peines d’emprisonnement19. La durée des peines est évaluée entre 4 et 15 ans pour les fraudes à grande échelle, même si des peines de moins de deux ans et des peines d’emprisonnement avec sursis ont parfois été imposées lorsqu’il y avait « d’importantes circonstances atténuantes »20.
À l’heure actuelle, une personne reconnue coupable de l’infraction générale de fraude21 – prévue au paragraphe 380(1) du Code – est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans (lorsque la valeur de l’objet de la fraude dépasse 5 000 $) ou d’un emprisonnement maximal de deux ans (lorsque la valeur de l’objet de la fraude ne dépasse pas 5 000 $). Aucune peine minimale n’est prévue.
L’article 2 du projet de loi introduit une peine minimale d’emprisonnement de deux ans dans le cas d’une fraude de plus d’un million de dollars. Actuellement, le fait de commettre une fraude dont l’objet a une valeur de plus d’un million de dollars est considéré comme une circonstance aggravante que doit prendre en compte le juge qui imposera la peine22.
La peine minimale prévue par le projet de loi s’appliquera également à plusieurs infractions de fraude dont l’objet a une valeur totale dépassant un million de dollars. Par exemple, si une personne est reconnue coupable d’avoir commis 10 infractions de fraude de 125 000 $ chacune, le juge devra lui imposer une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus. Par contre, la peine minimale s’appliquera uniquement à une personne reconnue coupable de l’infraction générale de fraude (par. 380(1) du Code). Elle ne semble donc pas s’appliquer à d’autres infractions connexes, comme la fraude influençant le marché23, les manipulations frauduleuses d’opérations boursières24, le délit d’initié25 ou l’infraction relative aux faux prospectus26. Dans le cas de ces trois dernières infractions, le fait que l’infraction en question soit relative à un objet dont la valeur est supérieure à un million de dollars demeure toutefois une circonstance aggravante27.
Concernant les infractions de fraude, de manipulations frauduleuses d’opérations boursières, de délit d’initié et de faux prospectus, outre le fait de la valeur supérieure à un million de dollars, l’actuel paragraphe 380.1(1) du Code prévoit des circonstances aggravantes, entraînant ainsi, bien souvent, des peines plus sévères dans les cas où :
L’article 3 du projet de loi ajoute à cette liste quatre autres circonstances aggravantes :
En plus de toutes ces circonstances aggravantes particulières, les circonstances aggravantes générales, prévues à l’alinéa 718.2a) du Code,continueront de s’appliquer, par exemple l’abus de confiance ou le fait que l’infraction ait été commise en relation avec une organisation criminelle. Le juge devra inscrire au dossier toutes les circonstances aggravantes, ou atténuantes, qui ont été prises en compte pour déterminer la peine (nouveau par. 380.1(3) du Code).
Depuis le 1er mars 2007, une personne reconnue coupable de toute infraction visée à l’article 380 commise à l’égard du gouvernement fédéral, provincial ou territorial ne pourra pas, généralement pour une période de cinq ans suivant l’expiration de la peine, conclure un contrat avec le gouvernement ou occuper une fonction relevant du gouvernement29.
Le projet de loi introduit un nouveau type d’ordonnance dans le Code : l’ordonnance discrétionnaire d’interdiction d’emploi (nouvel art. 380.2 du Code). Le juge qui imposera une peine pour une infraction générale de fraude (par. 380(1) du Code) aura la possibilité, en plus de toute autre peine, d’interdire au délinquant de chercher, d’accepter ou de garder un emploi ou un travail bénévole dans le cadre duquel il exerce ou exercerait un pouvoir sur les biens immeubles, l’argent ou les valeurs d’autrui (nouveau par. 380.2(1) du Code).
Le projet de loi ne prévoit ni de durée minimale ni de durée maximale de l’interdiction. C’est donc le juge qui en déterminera la durée appropriée (nouveau par. 380.2(2) du Code). Il pourra aussi prévoir des conditions ou exemptions à l’interdiction. La violation de l’ordonnance sera punissable d’un emprisonnement maximal de deux ans (nouveau par. 380.2(4) du Code).
En vertu des dispositions actuelles, le juge qui impose une peine pour toute infraction au Code peut ordonner au délinquant de dédommager la victime des dommages matériels, corporels ou psychologiques qu’elle a subis30. Le juge doit donner priorité au dédommagement avant d’infliger une amende au délinquant31. L’ordonnance de dédommagement est toutefois discrétionnaire, c’est-à-dire que le juge peut décider de ne pas l’octroyer.
Le projet de loi prévoit que le juge qui imposera une peine pour l’infraction générale de fraude (par. 380(1) du Code) sera « tenu d’envisager la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement » (nouveau par. 380.3(1) du Code). De plus, le tribunal sera « tenu de s’enquérir auprès du poursuivant de la prise de mesures raisonnables pour offrir aux victimes l’occasion d’indiquer si elles réclament un dédommagement pour leurs pertes » (nouveau par. 380.3(2) du Code). Selon le libellé original du projet de loi, le tribunal qui aurait décidé de ne pas rendre d’ordonnance de dédommagement aurait été tenu de motiver sa décision et d’en faire inscrire les motifs au dossier de l’instance (nouveau par. 380.3(5)). Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a toutefois amendé ce paragraphe afin de préciser que le tribunal est tenu de motiver sa décision de ne pas rendre une telle ordonnance seulement dans le cas où la victime réclame un dédommagement32.
Le Code prévoit actuellement le dépôt d’une déclaration de la victime au stade de la détermination de la peine33. Afin de déterminer la peine appropriée pour toute infraction au Code, le juge a l’obligation de prendre en compte la déclaration de la victime à propos des conséquences que lui a causées la perpétration de l’infraction. Au sens de la définition du Code, la victime est la personne qui a subi les dommages – matériels, corporels ou moraux – résultant de l’infraction34. Ce n’est que si la victime est décédée, malade ou incapable de rédiger la déclaration, qu’une autre personne (p. ex. le conjoint) pourra la rédiger.
Le projet de loi introduit un nouveau type de déclaration dans le Code : la déclaration au nom d’une collectivité (nouvel art. 380.4 du Code). Le juge qui imposera une peine pour l’infraction générale de fraude (par. 380(1) du Code) aura la possibilité de prendre en compte la déclaration faite par une personne au nom d’une collectivité sur les dommages ou les pertes causés à la collectivité par l’infraction (nouveau par. 380.4(1) du Code). Contrairement à la prise en compte de la déclaration de la victime, qui est obligatoire, la considération par le juge de la déclaration au nom d’une collectivité est facultative.
Pour être admissible, la déclaration au nom d’une collectivité devra être faite par écrit. Elle devra également identifier la collectivité et expliquer comment elle reflète les vues de cette collectivité (nouveau par. 380.4(2) du Code).
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
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