Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-4 : Loi modifiant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois (titre abrégé : « Loi de Sébastien (protection du public contre les jeunes contrevenants violents) ») a été déposé par le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable Robert Nicholson, et a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 16 mars 2010. Le projet de loi est mort au Feuilleton lorsque des élections générales ont été déclenchées le 26 mars 2011.
De façon générale, le projet de loi vise à modifier certaines dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents 2 (LSJPA) afin de souligner l’importance de la protection de la société et de faciliter la détention des adolescents 3 récidivistes ou encore qui présentent un danger pour la sécurité publique. Plus particulièrement, le projet de loi :
Le projet de loi C-4 reprend l’essentiel des deux éléments qui étaient prévus dans l’ancien projet de loi C-25 4, à savoir l’ajout, d’une part, des objectifs de dissuasion et de dénonciation comme principe de détermination de la peine et, d’autre part, de règles facilitant la détention des adolescents avant le prononcé de la peine.
La criminalité des adolescents en général – et à plus forte raison lorsqu’elle est violente – est une source importante d’inquiétude pour un grand nombre de Canadiens. Selon plusieurs, le phénomène serait en hausse, bien que les plus récentes données déclarées par la police indiquent un recul de la criminalité avec et sans violence dont l’auteur présumé est âgé de 12 à 17 ans inclusivement. Selon les données colligées par Statistique Canada, le taux global de criminalité 5 chez les adolescents a diminué de 1 % en 2009 par rapport à 2008. Quant à la criminalité violente, les statistiques indiquent un recul de 2 % comparativement à l’année précédente 6. Il s’agit de la troisième baisse consécutive du taux de crimes violents impliquant des adolescents. Le tableau 1 présente l’évolution des taux de criminalité avec et sans violence des adolescents de 1999 à 2009.
Taux (pour 100 000 jeunes)Année | Criminalité globale chez les jeunes |
Crimes violents | Crimes contre les biens | Autres crimes |
---|---|---|---|---|
Taux (pour 100 000 jeunes) | ||||
1999 | 6 438 | 1 682 | 3 766 | 991 |
2000 | 6 915 | 1 917 | 3 909 | 1 088 |
2001 | 7 158 | 1 957 | 3 973 | 1 228 |
2002 | 6 945 | 1 870 | 3 878 | 1 196 |
2003 | 7 280 | 1 924 | 4 133 | 1 223 |
2004 | 6 957 | 1 894 | 3 858 | 1 205 |
2005 | 6 596 | 1 869 | 3 551 | 1 175 |
2006 | 6 812 | 1 952 | 3 612 | 1 248 |
2007 | 6 782 | 1 950 | 3 582 | 1 249 |
2008 | 6 574 | 1 905 | 3 442 | 1 227 |
2009 | 6 490 | 1 864 | 3 424 | 1 202 |
Source : Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Programme de déclaration uniforme de la criminalité. |
Les données générées par le nouvel Indice de gravité des crimes (IGC)7 de Statistique Canada en 2009 révèlent que la gravité de l’ensemble des crimes commis par les jeunes est généralement en baisse depuis 2001, tandis que la criminalité violente des jeunes, quoique inchangée de 2008 à 2009, est en hausse de 10 % par rapport à 1999.
Soucieux de donner suite aux inquiétudes des Canadiens et de réagir à la criminalité des jeunes, le législateur a proposé, au fil des ans, des modifications aux lois qui régissent la justice applicable aux adolescents (nous présenterons brièvement l’évolution de la justice pour les adolescents dans la prochaine section). Plusieurs de ces modifications législatives ont été motivées en partie par des incidents violents impliquant des jeunes qui ont fait les manchettes et qui ont contribué à l’augmentation d’un sentiment d’insécurité dans la population. Le projet de loi C-4 n’est pas différent à cet égard. Le début de son titre abrégé – « Loi de Sébastien » – a été choisi en mémoire de Sébastien Lacasse, poursuivi par un groupe de jeunes et assassiné par un adolescent de 17 ans, en pleine rue, à Laval, en 2004.
Dans son discours à la Chambre des communes, le ministre de la Justice (le Ministre) a souligné que le projet de loi « fera de la protection de la société le but premier de notre système de justice pénale pour adolescents et donnera aux Canadiens une plus grande assurance que les jeunes contrevenants violents et récidivistes répondront de leurs actes » 8. À plusieurs reprises, le Ministre a dit que la réforme proposée s’inspire des recommandations de la commission d’enquête néo-écossaise présidée par l’honorable D. Merlin Nunn 9. Cette commission avait pour mandat d’examiner les accusations portées contre AB, un adolescent de 16 ans responsable du décès de Theresa McEvoy à Halifax le 14 octobre 2004 et les raisons ayant mené à sa libération deux jours avant cet incident tragique. AB, qui se baladait dans une voiture volée au moment de l’incident, avait été mis en liberté le 12 octobre 2004, en dépit du fait que 38 accusations criminelles avaient été déposées contre lui.
Le rapport du commissaire Nunn a été présenté le 5 décembre 2006 10. Il contient 34 recommandations, dont 19 portent sur la nécessité de simplifier l’administration de la justice et d’améliorer la reddition de comptes, six sur le renforcement de la LSJPA, et neuf sur la prévention de la criminalité chez les jeunes. En général, M. Nunn a conclu que la LSJPA « présente une approche intelligente, moderne et évoluée du traitement des jeunes impliqués dans des activités criminelles » 11. Selon lui, le Canada est maintenant à « l’avant-garde des pays en ce qui concerne le traitement des jeunes en conflit avec la loi » 12. Il estime néanmoins que certaines modifications au texte de la LSJPA s’imposent pour « donner la souplesse voulue aux juges qui ont à trancher dans les cas des jeunes récidivistes, surtout en rendant possible la détention avant le procès et en ouvrant plus grandes les portes menant à la détention » 13. Les recommandations de M. Nunn qui traitent spécifiquement de la LSJPA sont les suivantes :
Recommandation 20 : La Province devrait recommander au gouvernement fédéral de modifier la « Déclaration de principes » à l’article 3 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents pour y ajouter une disposition indiquant que la protection du public est l’un des principaux objets de cette loi.
Recommandation 21 : La Province devrait recommander au gouvernement fédéral de modifier la définition d’« infraction avec violence » à l’alinéa 39(1)a) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents pour y inclure un comportement qui met ou est susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne.
Recommandation 22 : La Province devrait recommander au gouvernement fédéral de modifier l’alinéa 39(1)c) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents pour que l’exigence d’« avoir fait l’objet de plusieurs déclarations de culpabilité » devienne celle d’« avoir commis plusieurs infractions » – ou un libellé analogue –, et ce, afin qu’aussi bien les déclarations de culpabilité antérieures que les accusations en suspens contre un adolescent soient prises en considération afin d’établir le bien-fondé de la détention avant le procès.
Recommandation 23 : La Province devrait recommander au gouvernement fédéral de modifier et de simplifier les dispositions législatives relatives à la détention des adolescents avant le procès pour que l’article 29 ne dépende plus d’autres lois ou d’autres dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Recommandation 24 : La Province devrait recommander au gouvernement fédéral de modifier l’alinéa 31(5)a) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents pour que même si la « personne digne de confiance » désignée est dégagée de ses obligations contractées au titre d’un « engagement de personne digne de confiance », l’engagement pris par l’adolescent en application de l’alinéa 31(3)b) demeure pleinement en vigueur, particulièrement en ce qui concerne le respect de la paix et la bonne conduite, ainsi que toute autre condition imposée par le juge d’un tribunal pour adolescents.
Recommandation 25 : La Province devrait recommander au gouvernement fédéral de modifier le paragraphe 31(6) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents pour supprimer l’exigence qu’ait lieu, avant que l’adolescent soit mis en détention avant le procès, une nouvelle enquête sur cautionnement quand la « personne digne de confiance » est dégagée de ses obligations contractées au titre d’un « engagement de personne digne de confiance. » 14
Nous verrons dans la section « Description et analyse » du présent résumé législatif la façon dont le projet de loi C-4 donne suite aux recommandations 20 à 23 du rapport Nunn. Le projet de loi n’inclut toutefois pas de dispositions qui mettent en œuvre les recommandations 24 et 25.
En octobre 2007, le Ministre avait annoncé qu’un examen exhaustif de la LSJPA serait effectué en 2008, année du cinquième anniversaire de la LSJPA et du 100e anniversaire du système de justice pénale pour adolescents 15. Un mois plus tard, il déposait le projet de loi C-25 à la Chambre des communes.
Dans le cadre de la Réunion fédérale-provinciale-territoriale des ministres responsables de la justice et de la sécurité publique qui s’est tenue à Winnipeg en novembre 2007, le Ministre a discuté de ces questions avec ses homologues provinciaux et territoriaux 16. À la réunion de 2008, qui s’est tenue à Québec, le Ministre et ses homologues ont convenu que la LSJPA était trop complexe et « qu’il faudrait renforcer les mesures prises contre les jeunes qui commettent des délits graves et ceux qui récidivent, notamment en donnant aux juges de plus grands pouvoirs discrétionnaires en ce qui concerne le maintien sous garde avant procès et la détermination de la peine » 17.
En mai 2008, le Ministre invitait, par une annonce sur le site Internet du ministère de la Justice, les personnes et organismes intéressés à faire parvenir leurs observations écrites au sujet de la LSJPA avant le 15 août 2008. Au cours de l’été, des communiqués indiquaient que le Ministre participait également à des tables rondes un peu partout au pays afin de recueillir les points de vue de divers partenaires et intervenants du système de justice pénale pour adolescents.
Les résultats de cette consultation ne semblent pas avoir fait l’objet d’une publication du ministère de la Justice. Il nous est donc impossible d’affirmer si les modifications apportées par le projet de loi C-4 répondent aux préoccupations soulevées au cours de cet examen quinquennal de la LSJPA, qui a reçu l’appui de l’ensemble des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice et de la sécurité publique. Notons enfin que ces ministres ont également discuté du projet de loi C-4 au cours des réunions fédérales-provinciales-territoriales de 2009 et 2010. Les communiqués de presse publiés à la suite de ces réunions ne contiennent toutefois aucune information précise concernant le projet de loi.
Le traitement des jeunes délinquants a beaucoup évolué depuis l’adoption, en 1908, de la première loi canadienne destinée exclusivement aux jeunes en conflit avec la loi : Loi sur les jeunes délinquants (LJD) 18. Sous l’égide de cette dernière, les jeunes en conflit avec la loi étaient considérés comme des êtres en développement ayant « besoin d’aide, d’encouragement et de secours ». Selon la LJD, « chaque jeune délinquant devait être traité non pas comme un criminel, mais comme un enfant mal encadré » 19. La réponse pénale visait donc à le protéger en agissant sur les facteurs à l’origine de sa criminalité, plutôt qu’à sanctionner l’infraction à l’origine de ses démêlés avec la justice.
De l’avis de certains, les interventions du système de justice pénale sous le régime de la LJD s’apparentaient « davantage à un exercice d’aide sociale qu’à un processus judiciaire » 20. Cette approche, qui a plus ou moins fait consensus jusque dans les années 1960, a été fortement critiquée par des intervenants qui considéraient que la LJD laissait une trop grande part d’arbitraire aux autorités judiciaires, au nom du bien-être des enfants et au détriment d’un système plus juste et équitable. Des jeunes se voyaient imposer des peines indéterminées sans égard au principe de la proportionnalité de la peine. Plusieurs intervenants ont aussi déploré l’absence d’uniformité dans le traitement des jeunes délinquants d’une province à l’autre et le fait que les jeunes délinquants étaient privés des droits et recours minimaux en matière de procédure criminelle, par exemple le droit de consulter un avocat ou celui d’appeler d’une décision.
Le processus de révision de la LJD s’est échelonné sur une longue période, qui a débuté en 1961 avec la création, au sein du ministère de la Justice, d’un comité chargé d’examiner la délinquance des mineurs 21, pour se terminer en 1982 avec l’adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants.
L’entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC) 22 en 1984 a marqué le début d’une époque nouvelle dans le traitement des adolescents en conflit avec la loi 23. Comparativement à la LJD, elle enfermait la définition du jeune contrevenant dans des limites beaucoup plus étroites. La LJD prévoyait une vaste gamme de délits pour lesquels un jeune pouvait faire l’objet de poursuites : était considéré comme « jeune délinquant » tout enfant de 7 à 15 ans ayant commis une infraction au Code criminel (le Code) 24 ou à une disposition d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement ou d’une ordonnance d’une municipalité, ou qui était coupable « d’immoralité sexuelle ou de toute forme semblable de vice ». Un « jeune contrevenant » au sens de la nouvelle LJC était tout jeune de 12 à 17 ans soupçonné d’avoir commis une infraction créée par des lois fédérales ou leurs textes d’application, à l’exclusion des ordonnances des territoires. La LJC a aussi établi le seuil de la responsabilité pénale à 12 ans et uniformisé le seuil de la majorité pénale à 18 ans pour l’ensemble du Canada 25. Toutefois, comme sous le régime de la LJD, le tribunal de la jeunesse avait la possibilité de renvoyer à un tribunal pour adultes les causes impliquant des adolescents de 14 ans ou plus soupçonnés d’avoir commis un crime grave.
La LJC a également évacué l’approche exclusivement « protectionnelle » caractéristique de la LJD au profit d’une démarche axée sur l’équilibre entre la responsabilisation et la protection du jeune. Si le jeune contrevenant était toujours considéré comme un être en développement, la loi reconnaissait néanmoins sa responsabilité dans une affaire donnée : il n’était donc plus vu uniquement comme le produit de son environnement, mais aussi comme un acteur engagé et responsable. Ce changement a aussi donné lieu à la formulation de garanties procédurales fondamentales pour les adolescents en conflit avec la loi, dont le droit à un avocat et celui d’appeler d’une décision.
Dès son entrée en vigueur, certains ont reproché à la LJC de ne pas fournir de principes clairs pour guider ceux à qui il incombe d’appliquer la loi et soutenu que cette lacune a donné lieu à des disparités et à des injustices dans l’application de la loi d’une administration à l’autre au pays. D’autres reprochaient aussi à la LJC de favoriser la réinsertion sociale et la réadaptation des adolescents au détriment de la protection du public, principalement dans les cas impliquant des adolescents accusés d’avoir commis des crimes graves.
En réponse aux critiques, on a apporté des modifications à la LJC en 1986, en 1992 et en 1995. Elles ont eu pour effet de durcir la loi pour les adolescents accusés de crimes graves. Parmi les modifications apportées, mentionnons l’augmentation de la durée des peines attachées aux meurtres, ainsi que le renversement du fardeau de la preuve en ce qui concerne le renvoi aux tribunaux pour adultes. Les adolescents impliqués dans certaines causes étaient donc tenus de prouver que leur affaire ne devait pas faire l’objet d’un tel renvoi 26.
La LSJPA 27 est entrée en vigueur en avril 2003. Plus longue, plus détaillée et plus complexe, elle tente de remédier aux problèmes que présentait la loi précédente, dont le recours excessif aux tribunaux et à l’incarcération, et l’application différente de la loi d’un bout à l’autre du pays. En plus d’instaurer de nouvelles sanctions 28 et de remplacer les transferts aux tribunaux pour adultes par un système de peines pour adultes applicables aux adolescents de plus de 14 ans, elle contient un préambule et énonce des principes conçus pour fournir une orientation claire à ceux qui sont chargés d’imposer des peines à des jeunes reconnus coupables d’une infraction criminelle.
Son préambule indique que le système de justice pénale doit tenir compte des intérêts des victimes, favoriser la responsabilité par la prise de mesures offrant des perspectives positives ainsi que la réadaptation et la réinsertion sociale par la suppression des causes sous-jacentes à la criminalité chez les adolescents et diminuer le recours à l’incarcération des adolescents non violents. D’autres principes sous-tendent la LSJPA :
La LSJPA vise à une justice plus juste et plus équitable en prévoyant notamment des réponses pénales nettement différentes selon la gravité des infractions, c’est-à-dire des peines moins sévères en cas d’infraction mineure et plus sévères en cas d’infraction grave.
Enfin, la LSJPA établit clairement que la peine doit être « proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’adolescent à l’égard de l’infraction » 30. Elle réaffirme ainsi la responsabilité des jeunes en conflit avec la loi et en fait également un objectif qui doit toujours guider le tribunal de la jeunesse dans l’imposition des peines, aussi bien que le choix des mesures extrajudiciaires.
La plupart des adolescents inculpés devant les tribunaux le sont pour des infractions non violentes 32. Même si la LJC prévoyait le recours à des mesures de rechange dans de tels cas, peu en bénéficiaient. En 1997, par exemple, de telles mesures ont été appliquées dans seulement 25 % des cas 33. Cela tient peut-être en partie à ce que la LJC n’établissait pas clairement les objectifs de la déjudiciarisation, les types de mesures de rechange et les cas dans lesquels elles étaient appropriées.
Un des objectifs de la LSJPA était de remédier au manque de directives de la LJC concernant la détermination de la peine, afin de réduire le recours aux tribunaux dans les cas de délinquance mineure. Les statistiques officielles de la criminalité tendent à démontrer que la LSJPA a donné les résultats attendus à cet égard. « En 2008, 43 % des jeunes auteurs présumés d’une infraction au Code criminel ont été officiellement inculpés, alors que les autres ont vu leur cas classé par un autre moyen. » 34 Cette année-là, le taux de mise en accusation a reculé de 4 % par rapport à l’année précédente. Selon les statistiques les plus récentes, le nombre de causes entendues devant les tribunaux de la jeunesse en 2006-2007 avait diminué de 26 % comparativement à 2002-2003, l’année précédant l’entrée en vigueur de la LSJPA. L’ensemble des provinces et des territoires avait enregistré une baisse, la plus importante s’étant produite dans les Territoires du Nord-Ouest (52 %), suivis de Terre-Neuve-et-Labrador (47 %) et du Yukon (45 %) 35.
Enfin, la LSJPA semble également avoir donné les résultats attendus pour ce qui est de la diminution du recours à l’incarcération des jeunes. Sous le régime de la LJC, environ 80 % des peines de détention concernaient des infractions sans violence 36 et le Canada figurait au premier rang des pays occidentaux pour le taux d’incarcération de jeunes de 12 à 17 ans. En 2007-2008, les infractions sans violence étaient à l’origine de 43 % des admissions en détention après condamnation 37. Depuis l’entrée en vigueur de la LSJPA, le taux d’incarcération des adolescents a lui aussi sensiblement diminué. En 2008-2009, le nombre moyen de jeunes en détention après condamnation avait reculé de 42 % par rapport à 2003-2004, l’année où la LSJPA est entrée en vigueur 38. Le recul du taux d’incarcération n’a pas été suivi d’une augmentation du taux de criminalité chez les adolescents; en fait, comme on le voit au tableau 1, le taux de criminalité a généralement reculé depuis l’entrée en vigueur de la LSJPA.
En 2006, dans le cadre de son rapport sur l’enquête publique qui s’est déroulée en Nouvelle-Écosse, le commissaire Nunn a recommandé d’inclure la protection du public (à court et à long terme) parmi les principes énoncés à l’article 3 de la LSJPA, afin d’aider à résoudre le problème posé par le petit groupe que constituent les délinquants dangereux et récidivistes 39. Actuellement, la LSJPA inclut expressément la « protection durable du public » (c.-à-d. la protection à long terme) en tant que principe 40. L’article 3 du projet de loi modifie l’alinéa 3(1)a) de la LSJPA, qui parlera dorénavant de « protéger le public » (c.-à-d. autant à court qu’à long terme), et ce, en obligeant les adolescents à répondre de leurs actes, en encourageant leur réadaptation et en les renvoyant à des programmes ou des organismes communautaires en vue de supprimer les causes sous-jacentes à la criminalité.
L’article 3 du projet de loi précise également, en modifiant l’alinéa 3(1) ) de la LSJPA, que le système de justice pénale pour les adolescents est fondé sur le principe de la culpabilité morale moins élevée des adolescents. La Cour suprême du Canada avait déjà reconnu aux adolescents une présomption réfutable de culpabilité morale moins élevée en raison du fait qu’ils sont plus vulnérables, moins matures et moins aptes à exercer un jugement moral 41.
De façon générale, les dispositions du Code traitant de l’enquête sur cautionnement s’appliquent à la mise en liberté et à la détention des adolescents avant le prononcé de la peine 42. La LSJPA peut néanmoins y déroger en prévoyant des règles spécifiques pour les adolescents 43.
Selon les règles actuelles, le tribunal pour adolescents doit ordonner la mise en liberté de l’adolescent, sauf si le poursuivant justifie la détention de l’adolescent en vertu de l’article 515 du Code 44. De plus, le paragraphe 29(2) de la LSJPA (en faisant référence aux al. 39(1)a) à c), qui traitent de l’emprisonnement après condamnation) prévoit une présomption spécifique en faveur de la mise en liberté de l’adolescent jusqu’au prononcé de la peine. Toutefois, cette présomption ne s’applique pas, et l’adolescent pourra être détenu jusqu’au prononcé de la peine, dans trois cas particuliers :
Le projet de loi modifie le paragraphe 29(2) de la LSJPA afin de prévoir, dans le cadre de ce seul paragraphe, tous les motifs pouvant justifier la détention des adolescents avant le prononcé de la peine. En simplifiant ainsi le régime de la détention avant le prononcé de la peine, le projet de loi met en œuvre la recommandation 23 de la Commission Nunn.
L’article 4 du projet de loi prévoit que la détention des adolescents avant le prononcé de la peine est interdite, sauf si l’adolescent est accusé d’une « infraction grave » et que le procureur de la Couronne convainc le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, de ce qui suit :
Le paragraphe 2(3) du projet de loi définit une « infraction grave » comme « [t]out acte criminel prévu par une loi fédérale et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou plus ». Un grand nombre d’infractions au Code sont punissables d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou plus, par exemple les infractions de pornographies juvéniles, le meurtre, la conduite avec les facultés affaiblies, les voies de fait simples, l’agression sexuelle 47, le vol de plus de 5 000 $, l’introduction par effraction et la fraude.
De plus, contrairement à la définition d’« infraction avec violence » établie par la Cour suprême qui excluait les infractions strictement contre les biens 48, la définition d’« infraction grave » du paragraphe 2(3) comprend autant les infractions contre les biens que celles contre les personnes. Par conséquent, le projet de loi étend l’application éventuelle de la détention avant le prononcé de la peine à certains adolescents accusés de crimes contre les biens pouvant conduire à des peines d’emprisonnement d’un maximum d’au moins cinq ans.
Par ailleurs, afin de décider s’il y a une probabilité marquée que l’adolescent ne se présentera pas devant le tribunal ou qu’il commettra une infraction grave, le tribunal pourra, par exemple, tenir compte tant des condamnations antérieures que des accusations en suspens contre l’adolescent. Le projet de loi semble donc mettre en œuvre la recommandation 22 de la Commission Nunn, qui suggérait de permettre au tribunal de prendre en compte les accusations en suspens dans le but de pouvoir plus facilement détenir avant le prononcé de la peine les adolescents accusés pour une série de crimes en succession rapide.
Enfin, la LSJPA prévoit expressément que le tribunal qui détermine la peine à imposer doit tenir compte du temps passé en détention avant la sentence 49. Le tribunal a alors la discrétion de décider du crédit à octroyer dans le calcul de la période d’emprisonnement 50.
L’objectif général de l’imposition d’une peine en vertu de la LSJPA est de faire répondre l’adolescent de l’infraction qu’il a commise en lui imposant des sanctions justes assorties de perspectives positives favorisant sa réadaptation et sa réinsertion sociale, et ce, en vue de favoriser la protection durable du public 51.
Actuellement, la LSJPA prévoit – en plus des principes généraux énoncés à l’article 3 – les principes énoncés au paragraphe 38(2), qui doivent guider le tribunal pour adolescents dans la détermination de la peine appropriée. Par exemple, le paragraphe 38(2) prévoit que l’imposition d’une peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’adolescent et offrir les meilleures chances de réadaptation et de réinsertion sociale. Elle doit également être la moins contraignante possible pour atteindre l’objectif général de la détermination de la peine et ne doit, en aucun cas, être plus grave que celle d’un adulte.
L’article 7 du projet de loi, en modifiant le paragraphe 38(2) de la LSJPA, ajoute à ces principes de détermination de la peine les deux principes suivants, selon lesquels la peine peut viser à « dénoncer un comportement illicite » et à « dissuader l’adolescent de récidiver ». Ces deux principes sont déjà prévus dans le cadre de la détermination de la peine chez les adultes 52. Notons toutefois que le principe de dissuasion est plus général dans ce dernier cas, puisque la peine peut viser à dissuader l’adulte de récidiver ou le public dans son ensemble (on parle alors de dissuasion spécifique et générale). Dans sa décision R. c. B.W.P.; R. c. B.V.N 53, la Cour suprême du Canada a affirmé que la dissuasion ne constitue pas un principe de détermination de la peine pour les adolescents sous le régime actuel de la LSJPA. Si la dissuasion devait être considérée dans le cadre de la LJC 54, la Cour a noté que la LSJPA a instauré un régime de détermination de la peine différent et totalement nouveau 55.
À l’instar de l’ancien projet de loi C-25 sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui prévoyait également les principes de dénonciation et de dissuasion, le projet de loi C-4 rend ces principes sujets à l’application du principe fondamental de la proportionnalité de la peine à la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité de l’adolescent à l’égard de l’infraction 56.
Les articles 4 à 12 de la LSJPA prévoient les mesures que les policiers et les procureurs de la Couronne peuvent prendre plutôt que d’engager des poursuites judiciaires. Ils doivent, pour toutes les infractions, déterminer si une mesure extrajudiciaire serait suffisante pour responsabiliser l’adolescent et protéger le public à long terme. Dans le cas où l’adolescent a commis une infraction sans violence et n’a jamais été déclaré coupable d’une infraction auparavant ou a déjà commis une infraction à l’égard de laquelle on a eu recours à une mesure extrajudiciaire, la LSJPA prévoit que les policiers ou la Couronne devraient, sauf dans les cas exceptionnels, avoir recours aux mesures extrajudiciaires 57.
Les policiers ou les procureurs de la Couronne qui veulent faire appel aux différentes mesures extrajudiciaires doivent, dans tous les cas, posséder des motifs raisonnables de croire que l’adolescent a commis une infraction. Ils ont toutefois entière discrétion quant au type de mesure extrajudiciaire qu’ils jugent approprié dans chaque cas 58. Ils peuvent ainsi :
À l’heure actuelle, le corps de police qui a mené une enquête concernant un adolescent peut constituer un dossier qui comprend, entre autres, les notes des policiers, les déclarations des victimes, les empreintes digitales, des photos et les mesures prises à l’endroit de l’adolescent 59. L’article 25 du projet de loi oblige le corps de police à inscrire au dossier les mesures extrajudiciaires qu’il a prises à l’égard de l’adolescent. Si celui-ci est déclaré coupable de l’infraction, le corps de police sera alors tenu de communiquer le dossier à la Gendarmerie royale du Canada aux fins de conservation d’antécédents criminels ou de dossiers sur les contrevenants 60.
Le tribunal qui impose une peine à un adolescent en vertu de la LSJPA, doit, pour toutes les infractions sauf le meurtre 61, envisager avant tout de faire appel aux nombreuses options non privatives de liberté 62. L’article 42 de cette loi prévoit à cet effet un vaste éventail de peines, telles que la réprimande officielle dressée par le juge, le travail bénévole, la restitution, l’indemnisation ou le renvoi à un programme d’assistance et de surveillance intensives.
La LSJPA tente de réserver le placement sous garde aux adolescents violents ou qui représentent autrement un danger pour le public. Actuellement, en vertu du paragraphe 39(1) de la LSJPA, le tribunal qui impose une peine à un adolescent ne peut choisir d’opter pour la détention que dans les quatre cas suivants :
L’article 8 du projet de loi modifie le paragraphe 39(1) de la LSJPA afin d’ajouter un cinquième cas pouvant justifier l’imposition d’une peine de détention :
Les sanctions extrajudiciaires se distinguent des autres types de mesures extrajudiciaires – comme les avertissements, les mises en garde et les renvois par les policiers – en ce que l’adolescent doit reconnaître formellement sa responsabilité à l’égard de l’infraction 65. En vertu des dispositions actuelles de la LSJPA, contrairement au défaut de se conformer aux autres types de mesures extrajudiciaires, le défaut de se conformer à une sanction extrajudiciaire peut entraîner des poursuites judiciaires, et l’information qu’un adolescent a fait l’objet d’une sanction extrajudiciaire peut être mise en preuve devant le tribunal pour établir la conduite délictueuse de l’adolescent 66. Par contre, l’aveu de culpabilité fait par l’adolescent afin de bénéficier de la sanction extrajudiciaire n’est jamais admissible en preuve 67.
La LSJPA actuelle ne définit pas ce qui constitue une « infraction avec violence ». Cependant, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, la Cour suprême du Canada en a donné la définition suivante en 2005 : « Toute infraction commise par un adolescent et au cours de la perpétration de laquelle celui-ci cause des lésions corporelles ou bien tente ou menace d’en causer. » 68 Cette définition excluait toutefois les infractions au cours desquelles les lésions corporelles ne sont que raisonnablement prévisibles 69. Le projet de loi C-4 élargit cette définition en y ajoutant les comportements insouciants qui mettent en danger la sécurité publique. Plus précisément, le paragraphe 2(3) du projet de loi définit l’« infraction avec violence » comme, selon le cas :
Par conséquent, le projet de loi accroît également la possibilité qu’a le tribunal d’imposer une peine de détention à un adolescent reconnu coupable d’une telle infraction d’insouciance 71. Cela va dans le même sens que la recommandation 21 de la Commission Nunn, qui proposait d’inclure dans la définition d’une infraction avec violence les comportements créant une probabilité de mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne.
La LSJPA a éliminé la possibilité de renvoyer les adolescents devant les tribunaux pour adultes. Depuis 2003, toutes les procédures impliquant des adolescents se déroulent devant le tribunal pour adolescents, qui peut, à l’heure actuelle, prononcer une peine applicable aux adultes uniquement dans les cas suivants :
Les tribunaux se sont penchés sur cette présomption et, en 2008, la Cour suprême du Canada a, dans l’arrêt R. c. D.B. 75, rendu une décision dans le même sens que ceux des cours d’appel du Québec 76 et de l’Ontario 77 en affirmant que l’imposition aux adolescents du fardeau de réfuter la présomption d’assujettissement à une peine applicable aux adultes viole l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Le projet de loi C-4 abroge cette présomption 78. Ainsi, le tribunal pour adolescents pourra imposer une peine applicable aux adultes uniquement dans le cas suivant : un adolescent (âgé d’au moins 14 ans au moment de la perpétration de l’infraction) est reconnu coupable d’une infraction pour laquelle un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans.
Dans ce cas, en vertu de l’article 11 du projet de loi 79, le procureur de la Couronne pourra demander au tribunal pour adolescents d’imposer une peine applicable aux adultes. Par contre, il sera tenu de déterminer s’il y a lieu de présenter une demande à cet effet – et s’il décide de ne pas en présenter, il devra en aviser le tribunal – quand, d’une part, l’adolescent était âgé d’au moins 14 ans au moment de la perpétration de l’infraction (les provinces peuvent toutefois porter le seuil à 15 ou à 16 ans) et, d’autre part, l’infraction est une « infraction grave avec violence ».
Selon le paragraphe 2(2) du projet de loi, une « infraction grave avec violence » est un meurtre, une tentative de meurtre, un homicide involontaire coupable ou une agression sexuelle grave. Il s’agit essentiellement des infractions désignées qui donnent lieu actuellement à la présomption d’assujettissement à une peine applicable aux adultes.
Le procureur de la Couronne qui présente une demande pour assujettir un adolescent à une peine applicable aux adultes assumera le fardeau de la preuve. Pour qu’une peine applicable aux adultes soit imposée, il devra convaincre le tribunal pour adolescents, hors de tout doute raisonnable, des deux choses suivantes :
En vertu des règles actuelles de la LSJPA, le tribunal pour adolescents, dans sa décision d’imposer ou non une peine applicable aux adultes, doit tenir compte de la gravité de l’infraction et des circonstances de sa perpétration et de l’âge, de la maturité, de la personnalité, des antécédents et des condamnations antérieures de l’adolescent et de tout autre élément qu’il estime pertinent 80.
C’est le tribunal pour adolescents qui décide, après audience, du lieu de détention approprié. Le paragraphe 76(2) de la LSJPA prévoit actuellement une présomption fondée sur l’âge de l’adolescent :
Toutefois, le tribunal pourra ordonner qu’un adolescent de moins de 18 ans purge sa peine dans un établissement correctionnel pour adultes s’il le procureur de la Couronne prouve, par exemple, que l’adolescent empêche ou entrave le cheminement des autres adolescents placés dans un lieu de garde et qu’il constitue une menace pour leur sécurité 82.
L’article 21 du projet de loi remplace le paragraphe 76(2) de la LSJPA afin de supprimer cette possibilité qu’un adolescent âgé de moins de 18 ans purge sa peine dans un établissement correctionnel pour adultes. Ainsi, le projet de loi prévoit que, dans tous les cas, les adolescents âgés de moins de 18 ans purgeront leur peine dans un lieu de garde pour adolescents.
Depuis la LJD de 1908, le système de justice des mineurs canadiens repose sur le principe que la publication de l’identité de l’adolescent nuirait à sa réinsertion sociale, lui causerait un préjudice et, par le fait même, compromettrait la sécurité du public à long terme. Le principe de la protection de la vie privée est énoncé clairement au sous-alinéa 3(1)b)(iii) de la LSJPA 83. La règle générale est donc la non-publication des renseignements relatifs à l’identité de l’adolescent 84. La LSJPA prévoit certains cas d’exception permettant de lever l’interdiction de publication, notamment :
Dans ce dernier cas, l’adolescent peut repousser la présomption en convainquant le tribunal pour adolescents qu’il y a lieu d’interdire la publication. Le tribunal doit alors tenir compte de l’intérêt public et de l’importance de la réadaptation de l’adolescent 87.
La Cour suprême du Canada 88 et la Cour d’appel du Québec 89 ont jugé que cette présomption violait l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les articles 20 et 24 du projet de loi la remplacent donc par la possibilité de publier des renseignements relatifs à l’identité d’un adolescent dans le cas où il a fait l’objet d’une demande d’assujettissement à une peine applicable aux adultes et où le tribunal a rejeté cette demande pour imposer plutôt une peine spécifique aux adolescents, et ce, pour une « infraction avec violence » au sens du paragraphe 2(3) du projet de loi.
Afin que la publication soit permise dans ce cas, le procureur de la Couronne devra convaincre le tribunal pour adolescents qu’il y a un risque important que l’adolescent commette à nouveau une « infraction avec violence » et que la levée de l’interdiction est nécessaire pour protéger le public contre ce risque. Le tribunal pour adolescents devra alors tenir compte des principes fondamentaux énoncés aux articles 3 et 38 de la LSJPA.
Contrairement à la présomption actuelle, selon laquelle le fardeau de la preuve – à savoir justifier la non-publication – incombe à l’adolescent, le projet de loi prévoit que c’est au procureur de la Couronne qu’il incombe de convaincre le tribunal d’autoriser la publication. Toutefois, la nouvelle définition d’une « infraction avec violence » comprend bien plus de comportements délictuels que les infractions pouvant donner lieu à la présomption actuelle de publication (c.-à-d. le meurtre, la tentative de meurtre, l’homicide involontaire coupable, l’agression sexuelle grave ou une troisième infraction grave avec violence). Remarquons en terminant que l’âge minimum à partir duquel le tribunal peut autoriser la publication des renseignements relatifs à l’identité d’un adolescent est de 14 ans au moment de la perpétration de l’infraction, que ce soit en vertu des dispositions actuelles ou en vertu des dispositions du projet de loi C-4.
Depuis l’entrée en vigueur de la LSJPA en avril 2003, on continue à défendre des idées opposées concernant le traitement qui devrait être réservé aux adolescents en conflit avec la loi. Certains jugent que la LSJPA est trop indulgente envers les adolescents récidivistes ou qui commettent des infractions graves. D’autres considèrent que la LSJPA privilégie la protection du public aux dépens de la réadaptation et de la réinsertion sociale des adolescents. Le défi pour le législateur est de concevoir une approche qui permette de régler des situations graves impliquant des adolescents de façon à assurer la protection du public et de répondre aux besoins des victimes, tout en reconnaissant que le degré de responsabilité des adolescents ne se compare pas à celui des adultes, en raison de leur âge et de leur degré de maturité.
Si la disposition du projet de loi C-4 interdisant l’emprisonnement d’adolescents dans des établissements correctionnels destinés aux adultes obtient un appui important, les avis sont plus partagés pour ce qui est des autres dispositions du projet de loi, notamment l’ajout des principes de dénonciation spécifique et de dissuasion aux principes de détermination de la peine, comme cela se fait pour les adultes. Il s’agit, selon Nicholas Bala, professeur de droit à l’Université Queen’s, d’un pas dans la mauvaise direction, puisque la recherche démontre que « la dissuasion ne fonctionne pas avec les jeunes » 90 : l’approche punitive serait en effet inefficace pour lutter contre la délinquance juvénile, car les adolescents agissent souvent impulsivement et n’ont souvent pas la capacité intellectuelle voulue pour évaluer pleinement les conséquences de leurs actions.
Selon Rachel Grondin, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, en insistant sur la dissuasion au détriment de la réhabilitation, le projet de loi privilégie la protection immédiate du public au détriment d’une protection durable fondée sur la réhabilitation des jeunes 91. Selon les détracteurs du projet de loi, cette disposition va à l’encontre du principe établi voulant qu’en raison de leur âge et de leur degré de maturité, les jeunes doivent être soumis à un système distinct de celui des adultes et que l’accent doive être mis sur leur réadaptation et leur réinsertion sociale plutôt que sur la dénonciation et la dissuasion 92.
La modification qui permettrait au juge de tenir compte des sanctions extrajudiciaires dont aurait bénéficié un adolescent afin de justifier une peine d’emprisonnement dans les cas où il est reconnu coupable d’une infraction pour laquelle un adulte est passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans a elle aussi été fortement critiquée. Certains sont d’avis que l’usage de cette information est contraire à la procédure normale de la justice. L’avocate Marie-Pierre Poulin, de la section jeunesse de l’aide juridique de Longueuil, a remarqué que le jeune n’a « pas eu l’occasion de s’en défendre » lorsqu’il est question d’une sanction extrajudiciaire 93. D’autres sont d’avis que l’adoption de cette disposition pourrait par ailleurs miner les efforts de déjudiciarisation et de réduction de l’usage de l’emprisonnement pour gérer la délinquance des adolescents qui sous-tendent l’adoption de la LSJPA. « Aucune famille n’acceptera le recours aux mesures extrajudiciaires si elles risquent d’être utilisées contre le jeune à un moment ou un autre dans l’avenir. D’un seul coup, une approche qui a largement fait ses preuves pourrait être compromise. » 94
Enfin, certains croient qu’une augmentation du recours aux tribunaux et à l’incarcération pourrait avoir des effets néfastes à long terme. Selon une étude réalisée à Montréal et publiée en 2009 dans le Journal of Child Psychology and Psychiatry, les adolescents qui entrent en contact avec le système de justice ont près de sept fois plus de chance d’être arrêtés pour des crimes à l’âge adulte, comparativement à des jeunes du même âge ayant une histoire similaire de comportements délictueux, mais qui n’ont pas été pris en charge par le système de justice. La situation serait encore plus alarmante quand les jeunes sont incarcérés 95. Ces résultats viennent confirmer une notion qui remonte au XIXe siècle, lorsque les premiers réformistes ont noté que les institutions carcérales pour jeunes agissaient souvent comme des « écoles du crime ». Selon les auteurs, deux solutions s’imposent afin de réduire les effets indésirables (ou « iatrogènes ») du système de justice pour adolescents : « La première consiste à implanter la prévention précoce de façon à réduire le nombre de mineurs qui ont des démêlés avec le système de justice. La seconde consiste à diminuer, dans la mesure du possible, la honte associée au système de justice et à réduire le plus possible la concentration de jeunes à problèmes, pour atténuer ainsi le risque d’étiquetage et de contagion par les pairs. » 96
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
[...] dans le but de réduire le recours trop fréquent au placement sous garde dans le cas des jeunes contrevenants, il faut privilégier une interprétation stricte de « infraction avec violence », qui renvoie à l’une des situations donnant ouverture au placement sous garde. Or, une définition qui s’appliquerait aux infractions au cours desquelles des lésions corporelles ne sont que raisonnablement prévisibles serait trop large. En effet, la plupart des infractions prévues au Code criminel peuvent, à un certain moment, donner lieu à un préjudice. [ Retour au texte ]
La perte de la protection d’une interdiction de publication accroît la sévérité de la peine. En conséquence, comme c’est le cas lorsqu’une peine applicable aux adultes est infligée, il devrait incomber au ministère public de justifier la sévérité accrue, plutôt qu’à l’adolescent de justifier le maintien de la protection à laquelle il est, par ailleurs, présumé avoir droit. [ Retour au texte ]
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