Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-69, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Nur (titre abrégé : Loi sur les peines sanctionnant la possession criminelle d’armes à feu), a été déposé à la Chambre des communes le 10 juin 2015 par l’honorable Peter MacKay, ministre de la Justice et procureur général du Canada.
Le 14 avril 2015, la Cour suprême du Canada avait, dans l’arrêt R. c. Nur 1, invalidé les dispositions sur les peines minimales obligatoires de l’article 95 du Code criminel 2. Le projet de loi C-69 représente la réponse du gouvernement à cette décision. Il prévoit plusieurs modifications de l’article 95, notamment en ce qui concerne l’infraction relative à la possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions et les peines qui s’y rattachent.
Sous réserve de certaines exceptions, l’article 95 du Code criminel interdit la possession non autorisée, dans un lieu quelconque, d’une arme à feu prohibée ou d’une arme à feu à autorisation restreinte chargée, ainsi que la possession d’une arme à feu prohibée ou d’une arme à feu à autorisation restreinte non chargée avec des munitions facilement accessibles qui peuvent être utilisées avec celle-ci.
La Loi sur les armes à feu 3 (LAF) et son règlement régissent la délivrance des permis de possession d’arme à feu ainsi que l’enregistrement, la possession, le transport, la cession et l’entreposage des armes à feu. La LAF s’appuie sur la Partie III du Code criminel, « Armes à feu et autres armes », qui définit les catégories d’armes à feu et qui contient une liste des infractions liées à la possession illégale et au mésusage des armes à feu.
Il existe trois catégories d’armes à feu : les armes à feu prohibées, les armes à feu à autorisation restreinte et les armes à feu sans restriction 4. Les armes automatiques, les armes de poing pourvues d’un canon court et les carabines et fusils de chasse à canon scié font partie de la catégorie des armes à feu prohibées. Les armes de poing qui ne sont pas des armes à feu prohibées, certaines armes à feu semi-automatiques et certaines armes à feu d’une longueur inférieure à une longueur précisée font partie de la catégorie des armes à feu à autorisation restreinte. Les armes à feu sans restriction comprennent quant à elles les carabines et les fusils de chasse. Les armes à feu prohibées et les armes à feu à autorisation restreinte sont couramment associées à la criminalité, tandis que les armes à feu sans restriction sont associées à des activités légitimes, comme la chasse et l’agriculture 5.
Toute personne désireuse de se procurer une arme à feu doit d’abord obtenir un permis 6. Le permis autorisant la possession d’une arme à feu prohibée ou d’une arme à feu à autorisation restreinte, comme une arme de poing, n’est délivré que dans des circonstances limitées 7. Toute personne ayant obtenu le permis et le certificat d’enregistrement requis pour une arme à feu prohibée ou une arme à autorisation restreinte doit tout de même se conformer à la Loi sur les armes à feu, laquelle impose d’importantes restrictions quant à l’endroit où cette personne peut légalement garder l’arme à feu 8. Sous réserve d’exceptions précises en matière de transport et d’utilisation, une arme à feu prohibée ou une arme à feu à autorisation restreinte ne peut être gardée que dans la maison d’habitation du particulier détenant un certificat d’enregistrement à l’égard de l’arme ou en tout lieu autorisé par le contrôleur des armes à feu 9.
L’infraction énoncée à l’article 95 du Code criminel vise à protéger la société en criminalisant la « possession d’armes à feu potentiellement dangereuses dans des circonstances qui augmentent le danger de ces armes pour le public 10 » [TRADUCTION]. Comme l’a expliqué la Cour d’appel de l’Ontario, l’article 95 a une large portée :
L’éventail des types de contrevenants potentiels permet de bien saisir la vaste portée de l’article 95. À un extrême, il y a le hors-la-loi qui transporte une arme à feu prohibée ou une arme à feu à autorisation restreinte chargée dans des lieux publics parce qu’elle lui sert dans ses activités criminelles. De toute évidence, cette personne a une conduite véritablement criminelle et pose un danger réel et immédiat pour le public. À l’autre extrême, il y a le propriétaire d’arme à feu par ailleurs responsable et respectueux de la loi qui possède une arme à feu prohibée ou une arme à feu à autorisation restreinte non chargée, mais dont les munitions sont entreposées à proximité et facilement accessibles. Cette personne détient certes un permis et un certificat d’enregistrement pour l’arme à feu, mais elle garde en toute connaissance de cause l’arme à feu dans des conditions qui contreviennent aux modalités de son permis 11 [TRADUCTION].
Le 14 avril 2015, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire R. c. Nur, une cause contestant la constitutionnalité de l’imposition de peines minimales obligatoires pour la possession d’une arme à feu prohibée ou d’une arme à feu à autorisation restreinte avec munitions en vertu de l’article 95 du Code criminel.
Dans une décision partagée rendue à six contre trois, la Cour a conclu que les peines d’emprisonnement de trois ans pour une première infraction et de cinq ans pour les récidives contrevenaient à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, soit la protection contre les peines cruelles ou inusitées 12.
L’affaire est digne de mention, car elle aura un effet sur la façon dont les tribunaux aborderont désormais les peines minimales obligatoires 13. Plus particulièrement, un tribunal pourra conclure qu’une peine minimale obligatoire constituerait, dans une situation hypothétique raisonnable, une peine exagérément disproportionnée. Dans un tel cas, il pourrait déclarer la disposition législative en cause inopérante, peu importe si la peine minimale obligatoire est appropriée en l’espèce. Dans l’affaire Nur, la Cour suprême du Canada n’a pas modifié les peines imposées par le juge de première instance, mais elle a invalidé les peines minimales obligatoires en cause étant donné qu’elles pourraient contrevenir à la Charte dans d’autres affaires.
Dans le cas particulier de l’article 95, la Cour a dit craindre que des peines minimales obligatoires soient éventuellement imposées dans des affaires où elles seraient disproportionnées. Par exemple, la peine minimale obligatoire de trois ans serait inappropriée pour « une personne qui détient un permis valide pour la possession d’une arme à feu à autorisation restreinte non chargée dans un lieu de résidence et qui l’entrepose de façon sécuritaire avec des munitions dans un autre (p. ex. à son chalet plutôt qu’à sa résidence principale) 14 ». Voici le raisonnement de la majorité de la Cour :
Essentiellement, on peut prévoir que le par. 95(1) s’applique à des infractions réglementaires qui comportent une culpabilité morale minime, voire nulle, et qui n’exposent le public à aucun danger ou presque.
Certes, les armes à feu sont foncièrement dangereuses, et l’État peut recourir à des sanctions pour signaler sa désapprobation des pratiques négligentes et décourager la méprise chez les propriétaires d’armes à feu. Or, infliger une peine de trois ans d’emprisonnement à une personne qui a essentiellement commis une infraction réglementaire déroge totalement aux normes de détermination de la peine énoncées à l’art. 718 du Code criminel et aux attentes légitimes des citoyens dans une société libre et démocratique. Comme le conclut la Cour d’appel, il y a [traduction] « discordance totale » entre la gravité de l’infraction de type réglementaire et la peine minimale obligatoire de trois ans d’emprisonnement (par. 176). Par conséquent, je conclus que le sous-al. 95(2)a)(i) contrevient à l’art. 12 de la Charte 15.
Le projet de loi C-69 modifie le libellé de l’infraction prévue à l’article 95 concernant la possession d’une arme à feu prohibée ou d’une arme à feu à autorisation restreinte non chargée avec des munitions. Le libellé original érigeait en infraction la possession d’une telle arme avec des munitions « facilement accessibles ». Les tribunaux ont interprété l’expression « facilement accessibles » du paragraphe 95(1) comme signifiant qu’il est possible d’accéder rapidement et sans difficulté aux munitions 16. Le paragraphe modifié fait état de la possession de telles armes et des munitions « avec lesquelles celles-ci peuvent être chargées sans délai », une exigence axée sur le temps qu’il faut pour charger une arme à feu.
Le projet de loi C-69 cherche à remédier au problème soulevé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Nur qui a amené celle-ci à invalider les dispositions de l’article 95 du Code criminel imposant des peines minimales obligatoires. Il introduit à nouveau des peines minimales obligatoires de trois ans pour une première infraction et de cinq ans en cas de récidive, mais cette fois uniquement en présence de circonstances aggravantes que le gouvernement qualifie de « conduite grave 17 ». Ainsi, les nouvelles peines minimales obligatoires ne s’appliquent que si l’infraction est commise en vue de commettre un acte criminel prévu par le Code criminel ou par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ou si l’infraction est commise de manière que, eu égard aux circonstances, il y a un risque réel de préjudice - physique ou psychologique - pour une autre personne (nouvel alinéa 95(2)a) du Code criminel. La nature de la preuve démontrant que l’infraction a été commise de manière à ce qu’il y ait un risque de préjudice pour une autre personne n’est pas précisée.
En l’absence de preuve contraire, la cour doit conclure que l’infraction a été commise d’une telle manière qu’il y avait un risque réel de préjudice - physique ou psychologique - pour une autre personne s’il est prouvé qu’elle a été commise dans un endroit où une autre personne était présente ou dans une école ou un autre endroit public normalement fréquenté par des personnes âgées de moins de 18 ans, ou à côté d’un tel endroit, à un moment où il est raisonnable de s’attendre à ce que de telles personnes soient présentes (nouveau paragraphe 95(2.1) du Code criminel) 18. Cette conclusion obligatoire semble imposer une certaine charge de présentation à l’accusé, sauf en présence de preuves contraires dans les pièces produites par la Couronne 19.
L’infraction prévue à l’article 95 est une infraction mixte. La Couronne peut procéder par mise en accusation ou par déclaration sommaire, les deux procédures aboutissant à des peines différentes. Dans le Code criminel, les infractions punissables par procédure sommaire sont considérées comme moins graves que les infractions punissables par mise en accusation 20. Les peines ont été modifiées au fil des ans, et le projet de loi C-69 les modifie de nouveau, comme le montre le tableau 1.
Action (année) |
Poursuites par mise en accusation : première infraction | Poursuites par mise en accusation : récidive | Poursuites par procédure sommaire |
---|---|---|---|
Paragraphe 95(2) du Code criminel, édicté par la Loi sur les armes à feu (1995) |
Minimum : 1 an Maximum : 10 ans |
Aucune disposition précise | Au plus 1 an |
Paragraphe 95(2), modifié par la Loi sur la lutte contre les crimes violents (2008) |
Minimum : 3 ans Maximum : 10 ans |
Minimum : 5 ans Maximum : 10 ans |
Au plus 1 an |
Paragraphe 95(2) par suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Nur (2015) |
Minimum : « inopérant » Maximum : 10 ans |
Minimum : « inopérant » Maximum : 10 ans |
Au plus 1 an |
Paragraphe 95(2) par suite du projet de loi C-69 (2015) |
Minimum : 3 ans si les conditions sont réunies a Maximum : 10 ans |
Minimum : 5 ans si les conditions sont réunies a Maximum : 10 ans |
Au plus 1 an |
Note: a. La peine minimale ne s’applique que si l’infraction a été commise en vue de commettre un acte criminel prévu par le Code criminel ou par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ou si l’infraction a été commise de manière que, eu égard aux circonstances, il y avait un risque réel de préjudice physique ou psychologique pour une autre personne.
Source: Tableau préparé par les auteurs à l’aide d’informations tirées du Code criminel (L.C. 1995, ch. 39, art. 139), de la Loi sur la lutte contre les crimes violents (L.C. 2008, ch. 6, par. 8(1)), de l’arrêt R. c. Nur (2015 CSC 15) et du projet de loi C-69.
Même si les peines minimales obligatoires prévues à l’article 95 ont été déclarées inopérantes, il est toujours possible de porter des accusations et d’intenter des poursuites au titre de cet article. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer, « [i]l demeure approprié que les tribunaux continuent d’infliger de lourdes peines dans d’autres circonstances » lorsqu’ils déterminent une peine en application de l’article 95 21.
Aux termes du Code criminel, ne commet pas une infraction au paragraphe 95(1) la personne qui utilise une arme à feu prohibée ou une arme à feu à autorisation restreinte sous la surveillance directe d’une personne qui en a la possession légale, de la manière dont celle-ci peut légalement s’en servir. Cette exception continue de s’appliquer dans le projet de loi C-69 (nouvel alinéa 95(3)b)) 22.
Cela dit, le projet de loi C-69 élargit la catégorie des personnes qui sont exemptées de l’application du paragraphe 95(1) en établissant les exemptions supplémentaires suivantes pour :
Le projet de loi C-69 prévoit expressément l’application de la règle de possession innocente de la common law, laquelle peut ôter son caractère criminel à une infraction relevant du paragraphe 95(1) du Code criminel (nouveau paragraphe 95(4)).
En effet, le Code criminel prévoit un certain nombre d’infractions pour possession criminelle (c’est le cas, par exemple, de la possession de drogues, d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte, de pornographie juvénile ou de biens criminellement obtenus). Le paragraphe 4(3) du Code criminel décrit les diverses formes de possession personnelle et de possession de droit 26. En règle générale, pour que la Couronne prouve une infraction de possession, la cour doit être convaincue hors de tout doute raisonnable que la personne était en possession de l’objet ou que, sciemment :
Pour qu’il y ait infraction de possession, il faut aussi qu’il existe « une intention d’exercer un contrôle » [TRADUCTION] sur l’objet en cause 28. Il arrive cependant que, même lorsque les conditions de connaissance, de possession physique et de contrôle sont réunies, cela ne suffise pas à établir la possession de droit 29. Il existe en effet des cas 30 qualifiés de « possession innocente » où une personne prend le contrôle d’une substance illicite dans le seul but de la rendre à la police ou de la détruire et échappe de ce fait à l’accusation de possession criminelle 31. Comme il a été mentionné dans l’un de ces cas :
À mon avis, il existe des circonstances qui ne constituent pas possession, même s’il y a contrôle et connaissance de la présence et de la nature de la chose présumée possédée, notamment lorsqu’il n’y a pas d’intention coupable. Imaginons, par exemple, qu’une personne trouve un colis devant sa porte et qu’elle découvre, en l’ouvrant, qu’il contient des stupéfiants. Si rien dans ses actes ne permet de conclure qu’elle avait l’intention d’exercer un contrôle sur les stupéfiants en question, à mon avis, elle n’en a pas la possession au sens du Code criminel. Je ne crois pas non plus qu’une personne qui manipule de telles substances dans le seul but de les détruire ou de les rendre à la police commet l’infraction de possession 32 [TRADUCTION].
*Charlie Feldman et Christine Morris, anciennement de la Bibliothèque du Parlement, ont contribué à la préparation du présent document. [ Retour au texte ]
© Bibliothèque du Parlement