Dans ce résumé législatif de la Bibliothèque du Parlement, tout changement d'importance depuis la publication précédente est signalé en caractères gras.
Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi S-204, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains), a été présenté au Sénat par la sénatrice Salma Ataullahjan le 30 septembre 2020 1. Il modifie le Code criminel (le Code) pour ériger en infraction le trafic d’organes humains, y compris ce qui est convenu d’appeler le « tourisme de transplantation ». Il modifie également la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) afin d’interdire de territoire le résident permanent ou l’étranger qui, de l’avis du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, s’est livré à une activité liée au trafic d’organes humains.
Par trafic d’organes, on entend généralement la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes, ce qui est interdit par le droit international dans le cadre de l’interdiction générale visant la traite des personnes, dont la définition comprend l’exploitation aux fins de prélèvement d’organes 2. Des organisations gouvernementales et non gouvernementales, y compris des associations médicales, interprètent cette interdiction comme englobant les transplantations où le donneur d’organe tire un profit de la transaction 3.
Selon des estimations prudentes, l’industrie du trafic d’organes génère des revenus annuels de l’ordre de 840 millions à 1,7 milliard de dollars américains découlant d’environ 12 000 transplantations illégales 4. Un facteur qui caractérise ce commerce est la demande mondiale d’organes qui dépasse largement l’offre. Au Canada, par exemple, en 2018, 4 351 personnes attendaient une transplantation d’organe; au cours de cette même année, 2 782 organes ont été transplantés et 223 personnes sont décédées alors qu’elles attendaient une transplantation 5.
Le Canada est un pays d’origine pour les personnes souhaitant acheter des organes, plutôt qu’un pays de destination 6. Pour l’heure, aucune loi canadienne n’interdit à la population canadienne de se rendre à l’étranger pour recevoir une greffe, une pratique qu’on appelle le « tourisme de transplantation » et que la communauté internationale tout comme les professionnels de la santé condamnent sans appel, à la fois pour des raisons éthiques et de santé 7.
Le Code interdit la traite des personnes. Les articles 279.01 et 279.011 (pour les personnes de moins de 18 ans) du Code érigent en infraction le fait de recruter, de transporter ou d’héberger une personne ou le fait d’exercer un contrôle sur elle en vue de l’exploiter. Une personne ne peut consentir à faire l’objet de la traite.
L’article 279.04 du Code décrit ainsi l’exploitation :
(1) une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir – ou à offrir de fournir – son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît.
Facteurs
(2) Pour déterminer si un accusé exploite une autre personne au titre du paragraphe (1), le tribunal peut notamment prendre en compte les faits suivants :
- l’accusé a utilisé ou menacé d’utiliser la force ou toute autre forme de contrainte;
- il a recouru à la tromperie;
- il a abusé de son pouvoir ou de la confiance d’une personne.
Le paragraphe 279.04(3) du Code précise que l’exploitation comprend aussi le fait d’amener une personne, par la tromperie ou l’usage de toute autre forme de contrainte, à se faire prélever un organe ou des tissus.
La traite des personnes est une infraction passible d’une peine d’emprisonnement minimale de quatre ans (cinq ans si la victime a moins de 18 ans) jusqu’à une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans. Si l’auteur de l’infraction se livre sur la personne à des voies de fait graves ou à une agression sexuelle grave, l’enlève ou cause sa mort lors de la perpétration de l’infraction, la peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité et la peine minimale obligatoire est de cinq ans (six ans si la victime a moins de 18 ans). Constitue aussi une infraction le fait de bénéficier d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, que l’on sait provenir de la traite des personnes. La peine d’emprisonnement maximale dans ce cas est de 10 ans si la victime est adulte. Si la victime a moins de 18 ans, la peine d’emprisonnement maximale est de 14 ans et la peine minimale obligatoire d’emprisonnement, de deux ans (art. 279.02 du Code).
Le Code prévoit aussi des infractions connexes pour le fait de retenir ou de détruire des documents (art. 279.03 du Code).
Aux termes du paragraphe 7(4.11) du Code, tout citoyen canadien ou résident permanent qui commet à l’extérieur du Canada une infraction prévue aux articles 279.01 à 279.03 est réputé l’avoir commis au Canada. Ce paragraphe garantit l’application extraterritoriale de l’infraction de traite de personnes.
Il est à noter que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime distingue les termes « trafic d’organes » et « traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes ». Dans sa trousse d’outils d’évaluation concernant la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes, il explique ce qui suit :
Il existe une confusion fréquente, dans le débat public, mais aussi dans les milieux judiciaires et scientifiques, entre le trafic d’organes et la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes. Dans le cas du trafic d’organes, l’objet du crime est l’organe, tandis que dans le cas de la traite des personnes, ce sont les personnes qui font l’objet du crime. Le trafic d’organes peut être tributaire de la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes, mais il survient aussi fréquemment sans lien avec la traite de personnes. Cette confusion nuit à l’efficacité des mesures de lutte comme à celle des mesures de protection et d’assistance pour les victimes 8.
Au cours des dix dernières années, on a tenté plus d’une fois, sous forme de projets de loi d’intérêt public du Sénat et de projets de loi émanant de députés déposés à la Chambre des communes, de modifier le Code pour y ajouter des dispositions traitant explicitement du trafic d’organes et d’autres parties du corps humain 9. Le plus récent d’entre eux était le projet de loi S-240, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains), aussi présenté par la sénatrice Ataullahjan et déposé au Sénat le 31 octobre 2017 10.
Le projet de loi S-240 a été adopté par le Sénat le 23 octobre 2018 à la suite d’amendements apportés par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne 11. Il est ensuite passé à la Chambre des communes, où le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes l’a de nouveau amendé avant de le renvoyer au Sénat le 30 avril 2019 12. Toutefois, il n’a pas été adopté et est mort au Feuilleton à la dissolution de la 42e législature, après avoir franchi l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes.
Le projet de loi S-204 contient trois articles. Les deux premiers articles ajoutent de nouvelles infractions au Code, tandis que le troisième modifie la LIPR.
L’article 2 du projet de loi ajoute le nouveau paragraphe 240.1(1) au Code. Il érige en infraction le fait :
Dans chaque cas, l’accusé doit savoir que la personne sur qui l’organe a été prélevé n’a pas donné son consentement éclairé, doit avoir volontairement fermé les yeux à ce sujet ou ne doit pas s’en être soucié.
Le nouveau paragraphe 240.1(2) du Code érige en infraction le fait d’obtenir un organe, de participer à son obtention ou de la faciliter, sachant que l’organe a été obtenu pour une contrepartie ou ne se souciant pas de le savoir.
Les infractions prévues aux paragraphes 240.1(1) et 240.1(2) du Code sont des actes criminels passibles d’un emprisonnement maximal de 14 ans (nouveau par. 240.1(3) du Code).
Le paragraphe 1(1) du projet de loi ajoute au Code le nouveau paragraphe 7(4.2), qui prévoit que le Canadien ou le résident permanent qui commet, à l’étranger, une infraction aux termes du nouvel article 240.1 est réputé l’avoir commis au Canada. Autrement dit, le Canada a compétence extraterritoriale sur cette infraction.
Le paragraphe 6(2) du Code énonce que, sous réserve du Code ou de toute autre loi fédérale, nul ne doit être déclaré coupable d’une infraction commise à l’étranger ou en être absous. C’est pourquoi on ajoute souvent des dispositions prévoyant la compétence extraterritoriale dans les lois canadiennes portant sur les crimes internationaux et transnationaux, dont les infractions relatives à la traite des personnes.
Le paragraphe 1(2) du projet de loi modifie aussi le paragraphe 7(4.3) du Code afin d’exiger le consentement du procureur général ou du solliciteur général d’une province pour engager des procédures relatives à une infraction relevant du nouveau paragraphe 7(4.2) 13. Ce consentement n’est pas requis pour les procédures extraterritoriales visant d’autres infractions relatives à la traite des personnes dans le Code.
Le paragraphe 35(1) de la LIPR énumère les motifs pour lesquels le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire au Canada pour atteinte aux droits humains ou internationaux 14. L’article 3 du projet de loi modifie le paragraphe 35(1) de la LIPR en ajoutant un sixième motif d’interdiction de territoire : avoir eu un comportement qui, de l’avis du ministre, constituerait une infraction à l’article 240.1 du Code criminel.
© Bibliothèque du Parlement