Le président du Sénat préside les séances du Sénat et exerce d’importantes responsabilités et fonctions procédurales, cérémoniales et protocolaires. Cette fonction a été créée au moment de l’établissement de la Confédération, lorsque le Sénat a été institué pour remplacer le Conseil législatif du Canada.
À l’instar de tous les sénateurs, les hommes et les femmes qui ont assuré la présidence du Sénat depuis 1867 sont issus de divers milieux et ont une expérience qui varie beaucoup de l’un à l’autre. Ils ont tous abordé et rempli leur mandat à leur façon, en fonction de leur personnalité et des défis propres à leur époque. Collectivement, ils offrent une intéressante perspective sur le Sénat au fil des ans.
En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 (appelée autrefois Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867), le pouvoir législatif fédéral est exercé par le Parlement du Canada, qui se compose du monarque, du Sénat et de la Chambre des communes.
Dans les négociations qui ont mené à l’établissement de la Confédération en 1867, on a consacré plus de temps à la discussion des pouvoirs et du rôle du Sénat qu’à tout autre aspect de l’union proposée. Au terme du processus, la Constitution a institué une Chambre haute, le Sénat, qui était un amalgame de la Chambre des communes et de la Chambre des lords britanniques. Le Sénat devait être une Chambre de réflexion indépendante, sereine et attentive, représentant les régions, exerçant un rôle de second examen et faisant contrepoids à la Chambre des communes. Les sénateurs devaient être nommés à vie1. L’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise le Sénat et la Chambre des communes à revendiquer, par voie législative, les mêmes privilèges, immunités et pouvoirs que ceux conférés à la Chambre des communes britannique.
La Loi constitutionnelle de 1867 prévoit aussi qu’un « orateur » – c’est ainsi que le « président » était appelé à l’époque dans le texte constitutionnel – du Sénat sera nommé, mais sans énoncer ses pouvoirs et responsabilités, ni même ceux liés à la présidence de l’assemblée des sénateurs.
Le président du Sénat est nommé par le gouverneur général, sur recommandation du premier ministre. Le Sénat ne participe pas officiellement au processus; toutefois, le premier ministre peut consulter les sénateurs de manière informelle pour obtenir leur avis sur la question. Plusieurs tentatives de modification du processus de nomination ont été faites au fil des ans, la plus ancienne des motions proposées au Sénat remontant même à 1868.
Les présidents du Sénat changent assez fréquemment, ce qui semble être une caractéristique de la charge. Même si l’on fait abstraction de certains présidents des premières années qui étaient nommés pour combler une vacance temporaire, le mandat des présidents est habituellement de courte durée. Durant les 50 premières années de la Confédération, aucun président n’a été en poste pour plus d’une législature. Après 1922, la plupart des mandats ont duré jusqu’à deux législatures.
Diverses conventions ont été invoquées au fil des ans relativement à la rotation des présidents au Sénat, mais peu d’entre elles ont été rigoureusement observées, et l’existence même de certaines d’entre elles est contestée. Par exemple, on a fait valoir au xixe siècle que la présidence devait être confiée à tour de rôle aux représentants des diverses divisions sénatoriales du pays2; cependant, un examen rapide des présidents et des régions qu’ils représentaient révèle que cette pratique n’a jamais eu cours.
Dans bien des cas, un président anglophone a été suivi par un président francophone, et vice versa. Cependant, cette règle est loin d’être immuable. Par exemple, lorsqu’il a fallu remplacer un président durant une législature, on a presque toujours choisi un sénateur du même groupe linguistique. Cela s’est produit en 1888, lorsque le président Allan a succédé au président Plumb; en 1930, lorsque le président Hardy a succédé au président Bostock; et, de nouveau, en 1943, lorsque le président Vien a remplacé le président Parent. Depuis 1980, l’alternance des groupes linguistiques n’a pas été observée, cinq présidents francophones consécutifs (Marchand, Riel, Charbonneau, LeBlanc et Molgat) ayant été suivis de deux présidents anglophones (Hays et Kinsella).
La plupart des présidents avaient acquis une grande expérience au Sénat et eu l’occasion de se familiariser avec ses procédures et ses traditions avant d’être nommés. De fait, nombre d’entre eux l’ont été vers la fin de leur carrière parlementaire. L’un d’eux a été sénateur pendant 32 ans avant d’accéder à la présidence. La plupart avaient plus de cinq ans d’expérience au Sénat, et près de la moitié d’entre eux, plus de dix ans.
Traditionnellement, lorsqu’il quitte son poste, le président devient conseiller privé, s’il ne l’est pas déjà.
Conformément aux origines de la charge dans le système de gouvernement britannique, on s’attendait dans les premiers temps à ce que l’« orateur » du Sénat canadien soit partisan plutôt qu’impartial. Il s’agissait d’un poste politique que le gouvernement devait remplir. On peut songer, notamment, au cas de deux titulaires qui étaient ministres sans portefeuille tout en occupant le fauteuil et à celui d’autres qui y sont passés directement du Cabinet ou du poste de premier ministre provincial.
La Loi constitutionnelle de 1867 et le Règlement du Sénat supposent tous les deux que le président prendra une part active à la vie politique. Le Règlement permet au président de participer aux débats, à condition qu’il le fasse à partir de son propre siège et non du fauteuil du président. De plus, le président conserve le droit de voter sur toutes les questions dont est saisi le Sénat. Il s’agit d’une voix délibérative ou dans le cadre d’un vote initial, mais non d’une voix prépondérante. Autrement dit, le président n’a pas le droit de voter pour trancher une question au Sénat en cas d’égalité des voix.
Durant les premières années de la Confédération, les présidents votaient régulièrement. Récemment, toutefois, ils ont tendance à s’abstenir de participer aux débats, se limitant habituellement à des questions administratives ou non controversées. De même, ils hésitent de plus en plus à voter, à moins que l’issue du vote soit particulièrement incertaine ou que la question soit importante pour le gouvernement.
Le poste de président du Sénat a été modelé sur celui du lord chancelier du Royaume-Uni, qui était, jusqu’en 2006, le président de la Chambre des lords et aussi ministre et officier de justice. Contrairement à la Chambre des communes, où l’« orateur » était appelé à parler au nom des députés, la Chambre des lords répugnait à céder au lord chancelier plus de pouvoirs qu’il ne le fallait absolument. Ainsi, ce dernier jouait traditionnellement un rôle assez peu important comme président de séance de la Chambre des lords.
De même, on estimait que les premiers présidents du Sénat canadien jouaient un rôle limité comme guides des travaux du Sénat. Comme Robert A. Mackay l’a écrit en 1926 : « L’orateur du Sénat n’est en réalité qu’un sénateur jouant le rôle de président de séance et non celui de porte-parole du Sénat dans ses rapports avec la Couronne, comme l’a été historiquement l’orateur de la Chambre des communes, ni encore de président placé au-dessus de la mêlée. » En outre, le président du Sénat n’a jamais été un officier de justice et n’a jamais joué de rôle judiciaire de la même façon que le lord chancelier.
Puisque tous les sénateurs étaient considérés comme égaux, le Sénat s’est employé au début à mener ses travaux par consensus et le président n’a pas été initialement investi du pouvoir ou de la responsabilité de maintenir l’ordre ou d’appliquer le Règlement du Sénat. Il était autorisé à expliquer les règles et les usages du Sénat seulement si on le lui demandait. Bref, durant le xixe siècle, le Sénat se réglementait en grande partie lui-même et le président n’avait pas à intervenir fréquemment.
Jusqu’en 1906, le Sénat s’inspirait consciemment de la tradition de la Chambre des lords selon laquelle le lord chancelier intervenait dans les débats pour se prononcer sur une question de procédure uniquement à la demande d’un lord. Toutefois, durant les années 1890 et au début du xxe siècle, la turbulence occasionnelle de certains sénateurs a suscité un mouvement en faveur d’une rupture avec cette tradition et d’une autorité accrue pour le président. La révision du Règlement du Sénat effectuée en 1906 a accordé au président des pouvoirs plus grands et l’a expressément autorisé à maintenir l’ordre et le décorum et à trancher les recours au Règlement.
L’adoption des nouvelles règles n’a pas eu d’effet immédiat ou profond, car il semble y avoir eu une certaine incertitude quant à l’étendue des pouvoirs conférés et aux circonstances dans lesquelles ils pouvaient ou devaient être utilisés, de même qu’une certaine hésitation des présidents à y recourir. À partir de 1930, tant les présidents que les sénateurs faisaient parfois allusion à l’existence de la règle « non écrite » voulant que le président n’intervienne pas à moins qu’un sénateur le lui demande. Durant les années 1970 et 1980, cependant, certains présidents sont devenus plus actifs dans leurs interventions et n’attendaient pas toujours que des sénateurs leur signalent des manquements au Règlement avant d’intervenir.
L’incertitude quant au rôle du président n’a vraiment été levée qu’avec l’adoption du Règlement révisé en 1991. Proposées et adoptées à la suite d’un débat houleux sur la taxe sur les produits et services, les modifications apportées au Règlement du Sénat en 1991 ont été les plus vastes depuis celles de 1906. Le nouvel article 18 du Règlement a clarifié le rôle du président du Sénat. Il précise que le président peut intervenir sans qu’on lui ait signalé des manquements à l’ordre et au décorum et qu’il peut interrompre le débat pour rétablir l’ordre ou appliquer le Règlement. En cas de « désordre grave », le président peut suspendre la séance du Sénat pendant au plus trois heures. L’article 18 lui permet aussi de déterminer si les arguments présentés sont suffisants pour trancher une question de privilège ou un recours au Règlement.
Même si le rôle du président a changé, certaines de ses caractéristiques sont demeurées constantes. Comme le veut la nature égalitaire du Sénat, toutes les décisions du président peuvent faire l’objet d’un appel à l’ensemble du Sénat, qui les confirme ou les rejette. Le Sénat se réserve le pouvoir d’interpréter en dernière analyse son Règlement et ses usages. L’égalité de tous les sénateurs est en outre évidente dans l’usage qui consiste à s’adresser la parole directement, sans passer par la présidence.
Le président joue un rôle important pour ce qui est de faciliter la conduite des travaux du Sénat. Il appelle les questions à l’étude durant la période réservée aux affaires courantes et les questions inscrites au Feuilleton des avis et donne la parole aux sénateurs qui souhaitent intervenir. Le président rappelle aux sénateurs les limites de temps auxquelles sont assujetties différentes catégories d’activités, dont les déclarations de sénateurs et la période des questions, et il préside aux mises aux voix qui ont lieu au Sénat. Il lit les messages du gouverneur général et de la Chambre des communes et présente les visiteurs à la tribune. Il est responsable de la résolution de toutes les questions soulevées concernant la procédure parlementaire au Sénat ou les privilèges, droits et immunités du Sénat ou des sénateurs dans l’exercice de leurs fonctions. Il rend aussi des décisions sur la tenue de débats d’urgence.
Si le président est maintenant investi de pouvoirs plus étendus pour diriger les séances de l’assemblée, ses responsabilités administratives n’ont pas changé dans la même mesure. Compte tenu des antécédents partisans du poste et de la façon dont il a initialement été conçu et caractérisé, on peut comprendre pourquoi le rôle administratif du président était limité et pourquoi il l’est resté.
Au fil des ans, le président du Sénat en est venu à ressembler davantage au président de la Chambre des communes – par exemple en jouant un rôle plus proactif dans le maintien de l’ordre et du décorum au Sénat et en s’abstenant de prendre part aux débats et de voter. Cela tient en partie aux modifications du Règlement du Sénat adoptées par le Sénat – notamment celles de 1906 et de 1991 – et au comportement des divers titulaires du poste.
En plus de présider aux délibérations du Sénat, les présidents d’aujourd’hui jouent un rôle de premier plan en représentant le Sénat et les sénateurs lors d’activités officielles tant au pays que sur la scène internationale. Le président tient le quatrième rang, après le gouverneur général, le premier ministre et le juge en chef de la Cour suprême, dans le Tableau de la préséance pour le Canada. En conséquence, il accueille souvent des diplomates et d’autres dignitaires parlementaires. De plus, le président est fréquemment appelé à représenter le Sénat, et parfois le gouvernement, à des événements au Canada et auprès d’assemblées législatives étrangères. Il consacre également beaucoup de temps à des rencontres avec des groupes pour leur expliquer le processus parlementaire et le rôle important joué par le Sénat.
L’absence de dispositions constitutionnelles ou légales expresses régissant la présidence du Sénat a permis à la fonction d’évoluer. Ainsi que le professeur W.F. Dawson l’a écrit en 1969, des traditions se sont développées qui font que le président du Sénat se distingue des autres présidents d’assemblée du système parlementaire : « Des questions comme la nomination et la révocation aussi bien que la partisanerie politique et la position du président à la Chambre ont toutes revêtu un aspect distinctement canadien et, ensemble, transformé la nature de la présidence en quelque chose qui clairement n’avait pas été envisagé en 1867. »
Tout en étant conscient de son histoire, le Sénat a fait preuve d’innovation. En effet, des deux Chambres du Parlement, il a été la première à avoir une présidente avec la nomination de Muriel Fergusson en 1972, suivie, en 1974, par Renaude Lapointe, la première présidente francophone.
La présente série de courtes biographies des présidents du Sénat depuis l’établissement de la Confédération illustre la grande variété de profils régionaux, professionnels et personnels des titulaires. Pour la plupart de ces personnes d’exception, le séjour à la présidence – aussi long ou bref ait-il été – n’a été qu’un des nombreux faits saillants d’une vie déjà remarquable dans plus d’un domaine. Si nombre d’entre eux ont en commun d’avoir réussi dans les domaines du droit ou de la politique, d’autres ont eu une brillante carrière dans les forces armées, le milieu des affaires, l’enseignement ou le journalisme; d’autres encore se sont fait valoir dans pas moins de trois ou quatre domaines. De fait, leur nomination au Sénat, puis à la présidence de la Chambre haute, peut être vue comme le couronnement d’une carrière exceptionnelle.
Contrairement à d’autres organes législatifs au sein desquels les présidents ont souvent joué un rôle de premier plan dans la conduite des travaux, les présidents du Sénat ont, au cours de l’histoire, exercé leur autorité de manière plus mesurée. Le Sénat, en sa qualité de corps législatif nommé, plus petit que les Communes et généralement moins partisan, a toujours trouvé fierté à dire qu’il règle en grande mesure ses propres affaires lui-même. Il gère toujours nombre de ses affaires courantes de façon informelle, par consensus. Néanmoins, le président du Sénat joue un rôle important, et le présent survol des hommes et femmes qui ont occupé le poste donnera au lecteur un bon aperçu de l’histoire du Sénat depuis 1867.