Le 1er juillet 2002, un groupe de pays a établi la Cour pénale internationale (CPI ou la Cour), instance chargée d’enquêter sur les auteurs des crimes les plus graves au monde et de les poursuivre. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (le Statut de Rome), qui encadre la CPI et compte aujourd’hui 123 États parties, repose sur l’héritage des tribunaux internationaux spéciaux qui l’ont précédée. L’adoption de ce statut représente un jalon dans l’évolution du droit pénal international.
Tribunal de dernier ressort pour les graves infractions que sont le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression, la CPI intervient quand les gouvernements nationaux n’ont pas les moyens ou la volonté de faire enquête et d’intenter des poursuites. Le Bureau du Procureur de la CPI est un organe indépendant de cette dernière qui est investi du pouvoir d’ouvrir des enquêtes, sous réserve de certaines conditions. Une enquête de la CPI peut également être instituée à la demande des États parties ou du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les 18 juges de la CPI sont élus par les États parties au Statut de Rome, et la Cour est constituée de la Section préliminaire, de la Section de première instance et de la Section des appels. La Cour reconnaît par ailleurs aux victimes le droit de participer aux instances et leur fournit un soutien à cette fin.
En date de novembre 2022, le Bureau du Procureur avait ouvert 17 enquêtes sur des situations dans 16 pays. Ces enquêtes ont mené à des accusations dans 33 affaires concernant 49 défendeurs. Bon nombre de ces affaires sont encore en instance – dans certains cas, parce que les accusés sont en liberté – ou ont pris fin avant que le verdict soit rendu. Au total, la CPI a reconnu cinq individus coupables de crimes relevant de sa compétence et cinq autres de crimes liés à ses procédures, dont la subornation de témoin.
Après plus de 20 années d’existence, la CPI fait désormais partie du paysage international, même si elle en demeure un élément controversé. Elle a démontré la viabilité d’une institution permanente qui peut mener des enquêtes sur des crimes internationaux et intenter des poursuites, mais son bilan est peu reluisant pour ce qui est d’obtenir des condamnations. Conscients que des réformes s’imposent, les États parties à la CPI ont commandé en décembre 2019 un examen indépendant du régime du Statut de Rome. Dans leur rapport final, les experts ont formulé des centaines de recommandations visant tous les secteurs de l’institution de même que les États parties eux-mêmes.
Les difficultés de la CPI proviennent d’ailleurs aussi. Les critiques de son bilan ont été particulièrement acerbes de la part de l’Afrique et comprennent des accusations de racisme et des appels au retrait massif des pays africains. Les États-Unis comptent parmi les grandes puissances qui restent en marge du régime du Statut de Rome et sont parfois hostiles à ses activités.
Malgré ces écueils, le mandat de la CPI consistant à mettre un terme à l’impunité pour les atrocités commises aux quatre coins du monde conserve toute sa pertinence, et la Cour continue de faire évoluer le droit pénal international dans cette voie.
En 1998, un groupe de pays a signé un traité afin de mettre fin à l’impunité pour les crimes les plus graves au monde par la création d’un tribunal pénal international permanent : la Cour pénale internationale (CPI ou la Cour). Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale 1 (le Statut de Rome) a marqué un jalon dans l’évolution du droit pénal international en ce sens que les États reconnaissaient maintenant qu’il fallait aller au-delà des solutions ponctuelles qui avaient précédé la CPI et établir un tribunal ayant une vaste compétence pour mener des enquêtes sur les auteurs d’actes d’atrocité du monde entier en vue de traduire ces derniers en justice et de les punir. Officiellement créée en 2002, la CPI est maintenant bien établie sur la scène internationale, bien qu’elle en soit un élément controversé.
Après deux décennies, la CPI semble avoir fait mentir ses critiques les plus virulents et ses plus ardents partisans. Comme le démontre le bilan de la Cour, poursuivre les responsables de crimes internationaux est une entreprise possible, mais longue et complexe. Ayant réussi à prouver la culpabilité d’un petit groupe d’auteurs de crimes, la CPI a pu dissiper les doutes sur sa viabilité; elle n’a toutefois pas encore atteint ses objectifs ambitieux de mettre fin à l’impunité et de prévenir la commission d’atrocités.
Le présent document dresse le portrait d’ensemble de l’évolution historique du droit pénal international et résume le Statut de Rome. Il analyse le rôle et le fonctionnement de la CPI, puis examine les réalisations de la Cour à ce jour et aborde les critiques dont la CPI est la cible aujourd’hui.
Après être passée d’un système d’impunité à un système de justice administré par les vainqueurs contre les vaincus, la communauté internationale assiste aujourd’hui à la naissance d’un régime qui, comme le pensent nombre d’observateurs, est un système de justice international impartial. Faisant fond sur l’héritage de la période suivant la Deuxième Guerre mondiale, les tribunaux spéciaux établis au début des années 1990 ont catalysé une pression en faveur d’une cour internationale permanente et de la négociation du Statut de Rome plus tard au cours de la décennie.
L’idée d’une cour pénale internationale remonte aussi loin qu’au XVe siècle. Dès la fin du XIXe siècle, le droit pénal international a commencé à se constituer sous forme de violations des règles régissant les conflits militaires 2. Ce n’est toutefois qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale que le concept moderne de droit pénal international a commencé à prendre forme. Le déclenchement par l’Allemagne nazie d’une offensive militaire et les atrocités sans nom que ce pays a commises ont incité les puissances alliées « à faire de la punition, par la voie de la justice organisée, de ceux qui s’étaient rendus coupables de ces crimes, qu’ils les aient ordonnés ou perpétrés ou qu’ils y aient participé, l’un de leurs principaux objectifs de guerre 3 ».
Afin d’atteindre cet objectif, après la guerre, le Tribunal militaire international, siégeant à Nuremberg, et le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, siégeant à Tokyo, ont été institués.
À Nuremberg, des procureurs des puissances alliées étaient responsables de faire enquête et de poursuivre les principaux criminels de guerre qui se sont rendus coupables de la perpétration de « crimes contre la paix », de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » 4. Après un procès de 10 mois, le tribunal a rendu son jugement final en 1946, acquittant trois accusés et en condamnant 19 autres à l’emprisonnement à perpétuité ou à la peine de mort. Trois organisations ont été acquittées, tandis que trois autres ont été reconnues comme étant des organisations criminelles 5.
À Tokyo, un tribunal ayant lui aussi un caractère international et un statut quasi identique a été créé. Les procès devant le Tribunal de Tokyo ont duré plus de deux ans; tous les accusés ont été déclarés coupables et condamnés à l’emprisonnement à perpétuité ou à la peine de mort.
Les tribunaux s’inscrivaient dans une initiative d’après-guerre élargie visant à faire progresser le droit pénal international. En 1948, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide 6 (la Convention sur le génocide) a été adoptée. Elle constituait la première reconnaissance internationale du fait « que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens 7 ». Les quatre traités des Conventions de Genève de 1949 ont été adoptés l’année suivante 8. Ces quatre traités appelaient les États à criminaliser les graves infractions du droit international humanitaire. Lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) a adopté la Convention sur le génocide, elle a invité la Commission du droit international (CDI) – un groupe d’experts juridiques travaillant à élaborer et à codifier le droit international – à examiner la possibilité d’établir une cour pénale internationale permanente 9.
Le début de la Guerre froide a considérablement ralenti la coopération établie après la guerre en vue de faire progresser le droit pénal international. Le projet mis sur pied par la CDI dans la foulée du procès de Nuremberg a toutefois été ranimé dans les années 1990, lorsque l’Assemblée générale de l’ONU a tenu une séance spéciale sur les poursuites judiciaires internationales relatives au trafic des stupéfiants et sur un rapport bien accueilli de la CDI qui dépassait les limites de cette question. Forte de cette réussite, la CDI a repris la tâche de rédiger un projet de statut concernant une cour pénale internationale 10. Cette décision s’est avérée opportune, car elle coïncidait avec le retour de la justice pénale internationale à l’ordre du jour de la communauté internationale en réponse aux atrocités commises en Yougoslavie et au Rwanda.
Au début des années 1990, deux tribunaux ont été créés à titre d’organes subsidiaires du Conseil de sécurité de l’ONU : le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) 11, établi en 1993, et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) 12, fondé en 1994. Le TPIY et le TPIR ont tous deux mené leurs activités pendant plus de 20 ans, et plus de 150 individus ont été reconnus coupables de crimes internationaux commis dans les deux pays 13.
Malgré le cynisme considérable manifesté à l’égard du temps et de l’argent que ces tribunaux ont dépensés, de leur capacité à réaliser véritablement la paix et la réconciliation, et des difficultés à surmonter pour arrêter les individus accusés par le TPIY 14, les deux tribunaux ont réalisé des progrès historiques dans le domaine du droit pénal international. Louise Arbour, ancienne juge de la Cour suprême du Canada et l’une des procureurs en chef des tribunaux, a décrit ceux-ci comme un « laboratoire procédural et pratique pour l’exécution des lois de la guerre 15 ». Plus tard, des commentateurs ont reconnu la jurisprudence des tribunaux, mentionnant son rôle « fondamental dans la détermination des statuts et de la jurisprudence 16 » de la CPI ainsi que « la qualité de son raisonnement et la légitimité de ses jugements » aux débuts de son existence 17.
Malgré ces réalisations, il aura fallu deux années de négociation et de préparation pour établir le TPIY et le TPIR, ce qui confirmait aux yeux de nombreux observateurs le besoin d’une cour permanente. Non seulement une cour permanente permettrait d’éviter le processus laborieux d’établissement, mais elle pourrait aussi se pencher sur des incidents de moins grande portée qui pourraient ne pas rallier la volonté politique de mettre en place un autre tribunal spécial 18.
La CDI a soumis un projet de statut d’une cour criminelle internationale à l’Assemblée générale de l’ONU en 1994 19, puis le Comité préparatoire pour la création d’une cour criminelle internationale a été mis sur pied en 1996. Une version modifiée du projet de statut a été soumise en avril 1998, précurseur de la conférence de cinq semaines tenue à Rome à partir de juin la même année.
Les questions de compétence étaient les plus complexes et délicates; le modèle de procureur proprio motu (un procureur ayant le pouvoir de lancer une poursuite de sa propre initiative) a toutefois obtenu un appui considérable, mais pas unanime 20. Comme la conférence tirait à sa fin et qu’il devenait évident qu’il serait impossible d’en arriver à une entente, le Bureau de la Commission plénière 21 a décidé de préparer une proposition qui pourrait être adoptée, car nombreux étaient ceux qui craignaient qu’une deuxième conférence n’ait pas plus de chance de succès. La proposition avancée par le Bureau a finalement été adoptée avec 120 voix en faveur, 21 abstentions et sept voix contre.
Les États-Unis – tout comme la Chine, l’Iraq, Israël, la Libye, le Qatar et le Yémen – ont voté contre le Statut de Rome, pour ensuite le signer le 31 décembre 2000, dernier jour où le traité pouvait être signé. Dans un revers pour la nouvelle cour, les États-Unis ont « retiré » leur signature en mai 2002, lorsque John Bolton, alors sous-secrétaire d’État du Contrôle des armes et de la Sécurité internationale, a adressé à l’ONU une lettre annonçant que les États-Unis n’avaient pas l’intention d’être partie au Statut de Rome et se dégageaient officiellement de toute obligation prévue au traité 22.
Le Canada a ratifié le Statut de Rome en juillet 2000, après avoir promulgué la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre 23 afin de remplir ses obligations découlant du Statut de Rome et d’accroître sa capacité d’intenter des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
La CPI a vu le jour le 1er juillet 2002 au moment de l’entrée en vigueur du Statut de Rome. Le Statut de Rome est accompagné des textes juridiques fondamentaux de la CPI – le Règlement de la Cour, le Règlement de procédure et de preuve et les Éléments des crimes, – qui expliquent sa structure, ses fonctions et sa compétence 24.
De façon générale, la Cour a compétence à l’égard des personnes qui sont directement responsables de la perpétration de crimes visés par le Statut de Rome de même que d’autres personnes susceptibles d’être indirectement responsables, notamment des commandants militaires, des dirigeants politiques ou d’autres supérieurs 25. La compétence temporelle de la Cour se limite aux infractions perpétrées après l’entrée en vigueur du Statut de Rome 26.
La CPI peut lancer une enquête sur présentation d’un renvoi du Conseil de sécurité de l’ONU conformément au chapitre VII de la Charte des Nations Unies 27 ou d’un État partie au Statut de Rome. Le Bureau du Procureur (BP) peut également lancer une enquête de sa propre initiative, ou proprio motu, sous réserve de l’autorisation de la Cour 28. En ce qui concerne les enquêtes entreprises par un État ou un procureur, l’article 12 du Statut de Rome limite également la compétence de la CPI aux crimes commis sur le territoire d’un État partie ou perpétrés par un ressortissant d’un tel État, sauf dans les cas où l’État non partie accepte la compétence de la Cour.
La CPI est un tribunal de dernier ressort et, selon le principe de complémentarité, elle ne peut engager de poursuites dans les cas qui font ou faisaient l’objet d’enquêtes ou de poursuites de la part d’un État ayant compétence en l’espèce. Selon l’article 17 du Statut de Rome, les cas qui font ou ont fait l’objet d’une enquête ou de poursuites nationales sont jugés irrecevables par la CPI à moins que l’État en question « n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites 29 ». Le devoir de réserve à l’égard des tribunaux nationaux s’étend aux cas où les États exercent une compétence extraterritoriale à l’égard de crimes relevant de la compétence de la Cour comme le permet, par exemple, la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre du Canada 30.
La CPI a compétence à l’égard des « crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale » soit quatre crimes fondamentaux : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression 31. Lors de la Conférence de Rome, le crime d’agression a été ajouté en tant que crime relevant de la compétence de la Cour, à titre de compromis de dernière minute. L’exercice de la compétence avait toutefois été reporté jusqu’à ce que des amendements soient apportés au Statut de Rome pour définir le crime et pour établir les conditions relatives à la compétence de la Cour. L’Assemblée des États parties de la CPI a adopté ces amendements en juin 2010 32. Les amendements sont entrés en vigueur le 17 juillet 2018, après avoir été ratifiés par plus de 30 États parties au Statut de Rome 33. Étant donné que le Canada n’a pas ratifié les amendements, la CPI a une compétence limitée concernant les crimes d’agression perpétrés sur le territoire canadien ou par des ressortissants canadiens 34.
Le Statut de Rome définit chacun des crimes relevant de sa compétence et les conditions relatives à la responsabilité pénale individuelle des accusés. L’article 9 du Statut de Rome autorise l’Assemblée des États parties à adopter les éléments des crimes 35 et à leur apporter des modifications par la suite afin d’aider à l’interprétation et à l’application du Statut de Rome. Selon l’article 21, les Éléments des crimes ont le même statut que le Statut de Rome en tant que source juridique principale de la Cour 36. Les Éléments des crimes expliquent en détail les dispositions du Statut de Rome et établissent les éléments précis requis pour chaque type de crime précis, par exemple, le génocide par meurtre des membres d’un groupe selon l’alinéa 6a) du Statut de Rome, ou le crime contre l’humanité qu’est la torture, selon l’alinéa 7(1)f).
Le génocide, souvent qualifié de « crime suprême » après les procès de Nuremberg 37, a été défini pour la première fois en droit international dans la Convention sur le génocide de 1948. L’article 6 du Statut de Rome adopte la définition de génocide énoncée à l’origine à l’article 2 de la Convention sur le génocide :
Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
- Meurtre de membres du groupe;
- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe 38.
La définition du terme génocide crée une exigence de double intention : l’intention criminelle générale de commettre l’acte en question (p. ex., meurtre ou atteinte grave à l’intégrité physique) et une intention spécifique de commettre l’acte dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe défini 39. Les Éléments des crimes ajoutent un élément contextuel à la définition et exigent que l’acte soit commis « dans le cadre d’une série manifeste de comportements analogues dirigés contre ce groupe, ou pouvait en lui-même produire une telle destruction 40 ». Selon l’interprétation qu’en fait la Chambre préliminaire de la CPI, cette exigence contextuelle signifie que la menace pour le groupe en question doit être « concrète et réelle 41 ».
La notion de crimes contre l’humanité existe en droit international depuis au moins un siècle, et son énonciation à l’article 7 du Statut de Rome a été décrite comme une codification et une progression de cette notion en droit international coutumier 42. Le paragraphe 7(1) énumère 11 crimes sous-jacents, y compris le meurtre, la réduction en esclavage et la torture, qui peuvent constituer des crimes contre l’humanité. À l’instar du génocide, pour être considérés comme des crimes contre l’humanité en vertu de ce paragraphe, les crimes doivent avoir été commis dans un contexte précis, soit « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».
Le paragraphe 7(2) définit une telle attaque comme « le comportement qui consiste en la commission multiple » des crimes sous-jacents visés au paragraphe 7(1) « en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ». Les Éléments des crimes précisent que l’attaque ne doit pas nécessairement constituer une attaque militaire et que l’exigence relative à la politique, dans des circonstances exceptionnelles, « peut prendre la forme d’une abstention délibérée d’agir » plutôt qu’encourager activement l’attaque 43.
Contrairement au génocide, il n’y a aucune exigence en matière de discrimination, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire que la population ciblée soit formée de membres d’un groupe défini. En outre, contrairement aux crimes de guerre, le crime ne doit pas nécessairement être commis dans le contexte d’un conflit armé.
Les crimes de guerre énumérés à l’article 8 du Statut de Rome intègrent les crimes internationaux prévus dans d’autres instruments internationaux, notamment les Conventions de Genève, ainsi que les crimes qui n’ont pas déjà été codifiés en droit international 44. L’alinéa 8(2)a) du Statut de Rome criminalise les actes visant des personnes et des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève, y compris les malades et les blessés, les prisonniers de guerre et les civils, tandis que l’alinéa 8(2)b) criminalise « [l]es autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux 45 ».
De même, en ce qui concerne les conflits ne présentant pas un caractère international, l’alinéa 8(2)c) érige en infraction les violations graves de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève, tandis que l’alinéa 8(2)e) érige en infraction les autres violations graves des droits et coutumes applicables dans ce contexte 46. Les crimes relatifs aux conflits ne présentant pas un caractère international sont assujettis à un seuil d’intensité 47 selon les alinéas 8(2)d) et 8(2)f), qui soustrait à la compétence de la Cour les situations de « troubles et tensions internes ».
Par ses sous-alinéas 8(2)b)(xxii) et 8(2)e)(vi), le Statut de Rome est devenu le premier instrument à énumérer des formes de violence sexuelle comme le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée et la stérilisation forcée en tant que crime de guerre distinct 48. Il a également été le premier instrument à établir un crime de guerre écologique au sous-alinéa 8(2)b)(iv) pour les attaques qui causeraient des « dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ».
Pour qu’il y ait crime de guerre, un lien doit être établi avec un conflit armé, c’est-à-dire que le crime doit être commis « dans le contexte » d’un tel conflit et « en association avec » lui 49. En ce qui concerne certains crimes de guerre, des exigences supplémentaires liées à la connaissance s’appliquent, comme le fait d’être au courant des situations qui feraient qu’une personne avait le statut de personne protégée aux termes des Conventions de Genève.
L’Assemblée des États parties a adopté des amendements apportés à l’article 8 en 2010, en 2017 et en 2019, ajoutant les crimes pour les conflits ne présentant pas un caractère international qui existaient déjà pour les conflits internationaux et établissant de nouveaux crimes pour l’utilisation de certains types d’armes. À l’instar de ceux apportés pour le crime d’agression, dont il est question ci-dessous, ces amendements sont en vigueur pour les parties qui les ont ratifiés 50, soit une minorité d’États parties actuellement. Le Canada n’a ratifié aucun des amendements apportés à l’article 8.
En 2018, la CPI est devenue le premier tribunal international à avoir compétence pour le crime d’agression depuis le Tribunal de Nuremberg, où le principal chef d’accusation était celui de crime contre la paix 51. Le paragraphe 8bis(1) du Statut de Rome limite l’application du crime d’agression aux personnes « effectivement en mesure de contrôler ou de diriger » l’action politique ou militaire d’un État. La disposition criminalise tout recours à la force contre un autre État qui « constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies », y compris les actions énumérées au paragraphe 8bis(2). En date de novembre 2022, le BP n’avait ouvert aucune enquête relativement à un crime d’agression.
L’administration de la CPI est assurée par trois juges – le président et deux vice-présidents – lesquels sont élus pour un mandat renouvelable de trois ans parmi les 18 juges de la CPI et par ces derniers. Ces trois juges veillent à l’administration générale de la Cour, à l’exception du BP. Les juges sont élus par l’Assemblée des États parties pour un mandat non renouvelable de neuf ans. Le premier président de la CPI a été Philippe Kirsch, du Canada.
Le Greffe, l’autre organe principal de la CPI, est responsable des aspects non judiciaires liés à l’administration de la Cour. Les activités de la CPI sont financées au moyen de contributions fixées à ses membres selon le barème des quotes-parts utilisé par l’ONU. Des fonds supplémentaires peuvent également provenir de contributions volontaires des membres et de l’ONU 52.
L’article 42 du Statut de Rome établit le BP en tant qu’organe distinct et indépendant de la CPI. Le procureur et le procureur adjoint sont élus par l’Assemblée des États parties de la CPI pour un mandat non renouvelable de neuf ans.
Le BP a été créé en tant qu’entité indépendante, mais le Statut de Rome limite cette indépendance en pratique en procurant aux États (y compris aux États non parties), au Conseil de sécurité de l’ONU et aux autres organismes de la CPI certains moyens d’exercer un contrôle sur les pouvoirs du procureur 53. Cet équilibre entre l’indépendance et la reddition de comptes dans les pouvoirs conférés au procureur se constate surtout lorsque ce dernier exerce son pouvoir d’enquête proprio motu.
L’article 15 du Statut de Rome permet au procureur d’ouvrir une enquête, sous réserve de limites importantes. Pour ouvrir une enquête sans renvoi par le Conseil de sécurité de l’ONU ou par un État partie, le procureur doit d’abord présenter une demande d’autorisation auprès de la Chambre préliminaire en montrant qu’il « existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête » et que l’affaire « semble relever de la compétence de la Cour 54 ». Une fois qu’une enquête est autorisée, une notification est envoyée à tous les États parties et à tout autre État qui aurait normalement compétence à l’égard de l’infraction. Les États peuvent ensuite demander au procureur de surseoir à l’enquête selon le principe de complémentarité, dans les cas où une enquête nationale est déjà en cours. Le procureur doit respecter cette demande, à moins que la Chambre préliminaire autorise la poursuite de l’enquête 55.
Selon l’application de l’article 16 du Statut de Rome, sur directive à cet effet du Conseil de sécurité de l’ONU, aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées pendant une période de 12 mois. Le pouvoir de sursis est renouvelable, ce qui pourrait théoriquement donner lieu à un report indéfini des instances de la CPI. À ce jour, le pouvoir de sursis n’a jamais été utilisé 56.
Avant d’ouvrir une enquête, le BP effectue un examen préliminaire de la situation dont il a été saisi ou sur laquelle il a reçu de l’information portant à croire que des crimes relevant de la compétence de la CPI ont été commis. Le lancement d’un examen préliminaire est généralement annoncé publiquement et le BP présente des mises à jour périodiques pendant le processus, qui peut s’étendre sur de nombreuses années.
Par leur nature publique, les examens préliminaires encouragent les États à enquêter sur les infractions et à entamer des poursuites (ce que l’on nomme une complémentarité positive). Ils peuvent aussi servir de mise en garde à un stade précoce afin d’enrayer la spirale de la violence dans les cas où la perpétration de crimes pourrait être en cours 57. Les examens préliminaires ont également pour effet de favoriser la transparence et de faciliter la collecte de renseignements.
Un procureur peut refuser d’ouvrir une enquête sur un cas qui lui serait déféré par un État ou par le Conseil de sécurité de l’ONU, s’il conclut qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de poursuivre. La partie qui a déféré le cas peut alors demander à la Chambre préliminaire d’examiner la décision, et la Cour peut demander au procureur de la reconsidérer 58. Dans la plupart des cas, la Cour n’a pas le pouvoir légal de forcer le procureur à ouvrir une enquête si, après avoir réexaminé la question, ce dernier décide de ne pas intenter de poursuites. Il existe par contre un processus différent lorsque le procureur décide de ne pas ouvrir d’enquête ou de ne pas intenter de poursuites « s’il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice 59 ». Dans un tel cas, l’affaire doit être déférée à la Chambre préliminaire et la décision de ne pas la poursuivre doit être confirmée à la majorité. Si la décision n’est pas confirmée, le procureur doit procéder à l’enquête ou aux poursuites 60.
Considérée comme « l’une des avancées structurelles les plus novatrices » de la CPI 61, la Chambre préliminaire, qui est habituellement formée de trois juges, a été décrite comme la gardienne de la Cour. Elle détient un pouvoir important, qui lui permet d’orienter le choix des affaires qui feront l’objet d’une enquête et la façon dont ces enquêtes sont menées, ainsi que de déterminer les enquêtes qui déclencheront la tenue d’un procès. Comme il a été indiqué précédemment, la Chambre préliminaire autorise les enquêtes ouvertes par le procureur 62, tranche les appels des décisions portant sur la compétence de la Cour ou la recevabilité d’une affaire à l’étape de l’enquête 63 et examine la décision du procureur de ne pas poursuivre une affaire renvoyée au BP 64.
La Chambre préliminaire s’acquitte également de certaines responsabilités pendant une enquête. Elle a le pouvoir de rendre les ordonnances et de lancer des mandats qui peuvent être nécessaires aux fins d’enquête, y compris pour protéger les victimes et les témoins, préserver les preuves, garantir les droits de la défense et faciliter les enquêtes 65. La Chambre préliminaire peut lancer, sur requête du procureur, des mandats d’arrêt ou des citations à comparaître contre des suspects, si elle est convaincue qu’il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’un crime a été commis 66. Dès qu’un accusé est remis à la Cour, la Chambre préliminaire est également responsable de protéger les droits de ce dernier, y compris de déterminer s’il sera remis en liberté ou maintenu en détention dans l’attente de son procès 67.
Avant qu’une affaire soit entendue dans le cadre d’un procès, la Chambre préliminaire doit confirmer les chefs d’accusation sur lesquels le BP entend se fonder. À l’audience de confirmation, le procureur doit établir l’existence de « motifs substantiels de croire » que l’accusé a commis le ou les crimes qui lui sont imputés. L’accusé est généralement présent à l’audience et peut contester les éléments de preuve produits par le procureur et présenter des éléments de preuve. À la lumière des éléments de preuve présentés, la Chambre préliminaire peut confirmer ou non les chefs d’accusation présentés. Elle peut aussi ajourner l’audience et demander au procureur d’apporter des éléments de preuve supplémentaires ou de modifier les chefs d’accusation 68.
Une fois les chefs d’accusation confirmés, la Chambre de première instance, constituée de trois juges, entend l’affaire. L’accusé est déclaré coupable si le procureur convainc les juges de la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable 69. S’il est reconnu coupable, l’accusé peut être condamné à une peine d’emprisonnement maximal de 30 ans; dans des cas extrêmes, cette peine peut être transformée en emprisonnement à perpétuité. La condamnation peut également être assortie d’une ordonnance de réparation pour les victimes.
La Chambre d’appel entend les appels émanant des chambres préliminaires et de première instance. Constituée de cinq juges, la Chambre d’appel a le pouvoir d’annuler ou de modifier différentes décisions prises aux paliers inférieurs, notamment les ordonnances de réparation et les ordonnances relatives à la détermination de la peine, ou d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. Les décisions de la Chambre de première instance peuvent être portées en appel pour différents motifs : vice de procédure, erreur de fait ou erreur de droit ou, dans le cas d’une personne déclarée coupable, tout autre motif de nature à compromettre l’équité ou la régularité de la procédure ou de la décision. Entre-temps, une décision relative à la détermination de la peine peut être portée en appel pour des motifs de disproportion entre le crime et la peine 70. Afin d’annuler ou de modifier la décision rendue par une autre chambre, la Chambre d’appel doit conclure que la procédure était « viciée au point de porter atteinte à la régularité de la décision ou de la condamnation » ou que la décision ou la condamnation « est sérieusement entachée d’une erreur de fait ou de droit » 71.
Les mécanismes relevant de la CPI et prévus dans le Statut de Rome qui fournissent un soutien aux victimes de crimes et leur donnent le droit de participer aux instances et de demander réparation sont une première en droit pénal international 72.
En vertu du paragraphe 68(3) du Statut de Rome, les victimes peuvent participer aux instances de la CPI qui touchent à leurs intérêts personnels. Cette disposition ne confère pas les mêmes droits aux victimes qu’au procureur ou à la défense, mais la Cour l’a interprétée de manière à permettre aux victimes ou à leurs représentants de faire des déclarations, de présenter des preuves et d’interroger des témoins, dans les cas où cela n’est pas contraire aux droits de l’accusé ou incompatible avec la tenue d’un procès équitable et impartial 73. Dans les cas où des centaines, voire des milliers de victimes peuvent s’inscrire pour participer, la Cour peut ordonner la nomination d’un seul représentant juridique commun. En 2021-2022 seulement, environ 13 000 victimes ont participé aux instances de la CPI 74.
En outre, le Fonds au profit des victimes a été créé séparément de la CPI sous le régime du Statut de Rome au profit des victimes de crimes qui relèvent de la compétence de la CPI 75. Le Fonds défend les intérêts des victimes, finance et met en œuvre des projets pour appuyer ces dernières, et leur fournit des outils, de l’aide et une expertise. Le Fonds est financé par l’intermédiaire de contributions des États parties et d’ordonnances de réparation 76.
En activité depuis maintenant plus de deux décennies, la CPI est devenue un élément incontournable du paysage international. Malgré les lacunes dans ses réalisations, la Cour a montré qu’elle possède la capacité d’enquêter sur les auteurs de crimes internationaux et de leur faire subir un procès. Par ailleurs, elle continue de regrouper et d’approfondir la jurisprudence en droit pénal international par les décisions que rendent ses trois chambres. On trouve dans la présente section un sommaire des travaux menés par la CPI à ce jour.
Le Statut de Rome compte 123 États parties. Deux anciens États parties se sont retirés du traité selon l’application du paragraphe 127(1) : le Burundi (en octobre 2017) et les Philippines (en mars 2019) 77. L’Afrique du Sud et la Gambie ont soumis une notification indiquant qu’elles entendaient se retirer du traité, mais l’ont révoquée avant l’entrée en vigueur de celle-ci. Seuls deux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU sont actuellement des États parties, soit la France et le Royaume-Uni 78.
Dans certains cas, des États non parties ont également accepté la compétence de la CPI au titre du paragraphe 12(3) du Statut de Rome sans avoir ratifié celui-ci. Le procureur de la CPI mène actuellement une enquête sur des crimes présumés commis en Ukraine, sur la foi d’une déclaration faite au titre du paragraphe 12(3) par l’Ukraine dans laquelle elle acceptait la compétence de la Cour 79. La Côte d’Ivoire et l’État de Palestine ont déjà fait l’objet d’examens préliminaires à la suite d’une déclaration faite au titre du paragraphe 12(3), mais ils sont ensuite devenus des États parties au Statut de Rome 80.
En 2021, les dépenses de fonctionnement de la CPI atteignaient 154 millions d’euros. Ses revenus se chiffraient à 144 millions d’euros, dont 142 millions d’euros provenaient des contributions imputées à ses membres. Les contributions les plus importantes de la CPI pour l’année ont été versées par le Japon (24 millions d’euros), l’Allemagne (16 millions d’euros) et la France (13 millions d’euros); les pays admissibles au taux déterminé le plus bas ont payé 2 747 € 81.
En date de novembre 2022, le procureur de la CPI avait ouvert 17 enquêtes sur des crimes présumés commis dans 16 pays 82. Des enquêtes ont été ouvertes selon les trois mécanismes prévus : Conseil de sécurité de l’ONU, renvoi par un État partie, et pouvoir proprio motu du procureur de la CPI. Avant 2018, tous les renvois d’États parties avaient été des renvois par l’État lui-même, c’est-à-dire que l’État avait demandé que l’on mène une enquête sur une situation qui avait eu lieu sur son territoire. Deux enquêtes ont été ouvertes depuis à la suite d’un renvoi d’un groupe d’États parties sur la situation dans un autre État : six États parties ont renvoyé au procureur de la CPI la situation au Venezuela en septembre 2018 et 39 États parties ont renvoyé la situation en Ukraine en mars 2022 83. Ces deux situations faisaient déjà l’objet d’un examen préliminaire amorcé par le procureur. Le Canada était l’un des États parties à l’origine du renvoi dans ces deux affaires.
En outre, deux examens préliminaires sont en cours afin de déterminer si les conditions pour ouvrir une enquête sont réunies. Depuis la création de la CPI, le BP a mené huit examens préliminaires qui n’ont pas mené à une enquête.
Pays | Date d’ouverture | Mécanisme de renvoi |
---|---|---|
Enquêtes | ||
République démocratique du Congo | Juin 2004 | État partie (renvoi par lui-même) |
Ouganda | Juillet 2004 | État partie (renvoi par lui-même) |
Soudan (Darfour) | Juin 2005 | Conseil de sécurité de l’ONU |
République centrafricaine (I) | Mai 2007 | État partie (renvoi par lui-même) |
Kenya | Mars 2010 | Procureur |
Libye | Mars 2011 | Conseil de sécurité de l’ONU |
Côte d’Ivoire | Octobre 2011 | Procureur |
Mali | Janvier 2013 | État partie (renvoi par lui-même) |
République centrafricaine (II) | Septembre 2014 | État partie (renvoi par lui-même) |
Géorgie | Janvier 2016 | Procureur |
Burundi | Octobre 2017 | Procureur |
Bangladesh/Myanmar | Novembre 2019 | Procureur |
Afghanistan | Mars 2020 | Procureur |
État de Palestine | Mars 2021 | État partie (renvoi par lui-même) |
Philippines | Septembre 2021 | Procureur |
Venezuela (I) | Novembre 2021 | État partie |
Ukraine | Mars 2022 | État partie |
Examens préliminaires en cours | ||
Nigéria | Novembre 2010 | Procureur |
Venezuela (II) | Février 2020 | État partie (renvoi par lui-même) |
Examens préliminaires clos sans la tenue d’une enquête | ||
Colombie | Juin 2004 | Procureur |
Guinée | Octobre 2009 | Procureur |
Honduras | Novembre 2010 | Procureur |
Corée du Sud | Décembre 2010 | Procureur |
Navires battant pavillon comorien, grec et cambodgien | Mai 2013 | État partie (renvoi par lui-même) |
Iraq/Royaume-Uni | Mai 2014 | Procureur |
Gabon | Septembre 2016 | État partie (renvoi par lui-même) |
Bolivie | Septembre 2020 | État partie (renvoi par lui-même) |
Source: Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Cour pénale internationale, Situations sous enquête; et de Cour pénale internationale, Examens préliminaires.
En date de novembre 2022, 10 des 17 enquêtes menées par la CPI avaient donné lieu au dépôt de chefs d’accusation de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et, dans un cas, de génocide. Le procureur a également déposé des chefs d’accusation contre des individus au titre de l’article 70 du Statut de Rome pour des infractions visant l’administration de la justice liée aux instances de la Cour. Au total, le procureur de la CPI a présenté 33 affaires mettant en cause 49 défendeurs 84. Les affaires concernant 18 défendeurs sont en cours, dans 12 cas parce que l’accusé n’a pas été remis à la CPI. Dans les instances mettant en cause 31 défendeurs et considérées comme closes, 10 défendeurs ont été reconnus coupables et quatre ont été acquittés. Dans les 14 autres instances closes, l’accusé est décédé ou il a été mis fin à l’instance d’une autre façon à l’étape préliminaire ou au procès avant qu’un verdict ne soit rendu (voir l’annexe A). À ce jour, la peine de 30 ans prononcée contre Bosco Ntaganda, chef de milice congolais, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en République démocratique du Congo est la plus longue infligée par la Cour.
Voir l’Annexe A pour un aperçu de toutes les affaires dont a été saisie la CPI.
En 2007, le procureur de la CPI a ouvert une enquête sur de présumés crimes commis en République centrafricaine (RCA) entre 2002 et 2003, par suite d’un renvoi par le gouvernement de la RCA. En mai 2008, sur requête du procureur, la Chambre préliminaire a lancé un mandat d’arrêt contre Jean-Pierre Bemba Gombo, commandant en chef du Mouvement de libération du Congo (MLC), pour crimes de guerre de meurtre, de viol et de pillage, et pour crimes contre l’humanité de meurtre et de viol présumés commis par les troupes du MLC en RCA 85.
Le procès de M. Bemba Gombo s’est amorcé en novembre 2010 et a duré quatre ans. Au cours de cette période, la Cour a entendu 77 témoins et examiné plus de 5 700 pages de documents. La Cour a reconnu 5 229 personnes en tant que victimes dans cette affaire. En mars 2016, la Chambre de première instance a rendu un verdict de culpabilité unanime à l’égard de deux chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de trois chefs d’accusation de crimes de guerre. Il s’agissait de la première condamnation de la CPI pour violence sexuelle dont la responsabilité pénale était imputée aux chefs militaires au titre de l’alinéa 28(1)a) du Statut de Rome. M. Bemba Gombo a été condamné à une peine d’emprisonnement de 18 ans.
En juin 2018, la condamnation de M. Bemba Gombo a été annulée en appel et il a été acquitté de l’ensemble des accusations. Dans une décision de trois juges contre deux, la Chambre d’appel a conclu que la Chambre de première instance avait commis des erreurs dans certaines de ses conclusions, y compris celle selon laquelle M. Bemba Gombo avait omis de prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir les crimes perpétrés par ses troupes 86. Les juges d’appel dissidents et le procureur de la CPI, entre autres, ont fortement critiqué la décision en appel pour son raisonnement et ses répercussions pratiques sur les affaires futures 87.
Dans une décision distincte rendue en octobre 2016, M. Bemba Gombo et quatre autres individus ont été reconnus coupables d’infractions à l’encontre de l’administration de la justice en ce qui concerne les faux témoignages livrés par les témoins de la défense dans la première affaire Bemba. Les cinq défendeurs ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de six mois à deux ans et six mois, ainsi qu’à des amendes allant de 30 000 € à 300 000 € 88.
En octobre 2011, le procureur de la CPI a reçu l’autorisation d’ouvrir une enquête sur la situation en Côte d’Ivoire conformément à son pouvoir proprio motu. Cette décision a été prise après que le gouvernement de la Côte d’Ivoire a de nouveau confirmé qu’il acceptait la compétence de la CPI au titre du paragraphe 12(3) du Statut de Rome plus tôt au cours de l’année 89. L’enquête portait sur de présumés crimes contre l’humanité commis lors d’une éruption de violence en 2010 et en 2011 après des élections présidentielles contestées. Trois semaines après avoir ouvert l’enquête, le procureur a déposé une requête auprès de la Chambre préliminaire pour obtenir un mandat d’arrêt contre l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo. Un mois plus tard, M. Gbagbo a été transféré à la CPI par les autorités ivoiriennes. Pour la première fois, un ancien chef d’État était remis à la CPI 90. Peu de temps après, un mandat d’arrêt a été lancé contre Charles Blé Goudé, ancien ministre de la Jeunesse dans le gouvernement de M. Gbagbo. Les autorités ivoiriennes ont transféré M. Blé Goudé à la CPI en mars 2014.
Les affaires de deux défendeurs ont été regroupées après la confirmation des accusations, soit quatre chefs d’accusation pour crimes contre l’humanité (meurtre, viol, autres actes inhumains ou – à titre subsidiaire – tentative de meurtre, et persécution). Le procès s’est amorcé en janvier 2016. Peu de temps après la présentation des arguments par la procureure, en juin 2018, les deux défendeurs ont déposé des requêtes en « non-lieu », prétendant que la procureure n’avait pas présenté suffisamment de preuves pour justifier une condamnation 91. En janvier 2019, dans une décision majoritaire de deux contre un, la Chambre de première instance a accueilli la requête des défendeurs et les a acquittés de l’ensemble des accusations 92. Les deux acquittements ont été confirmés en appel en mars 2021 et, à ce moment-là, toutes les conditions imposées en 2019 relativement à la libération des défendeurs après leur acquittement ont été retirées.
L’enquête sur la situation en République démocratique du Congo (RDC), ouverte en juin 2004 par suite d’un renvoi par l’État lui-même, a été la première enquête de la CPI et a donné lieu à six procès à ce jour. En 2006, la CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Bosco Ntaganda, sous-chef d’état-major des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), concernant 18 chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, y compris le meurtre, le viol, l’esclavage sexuel et le recrutement d’enfants soldats, commis par les membres des FPLC dans la région d’Ituri, en RDC, en 2002 et 2003. Un mandat d’arrêt a également été lancé contre le chef d’état-major des FPLC, Thomas Lubanga Dyilo. M. Lubanga a été transféré à la CPI par les autorités de la RDC en 2006, puis condamné pour crimes de guerre par la Cour en 2012. Quant à M. Ntaganda, il a vécu librement pendant des années en RDC avant de se rendre volontairement à l’ambassade des États-Unis au Rwanda, en 2013, et de demander un transfèrement à la CPI 93.
Les accusations portées contre M. Ntaganda ont été confirmées en février 2014 et son procès s’est déroulé de septembre 2015 à août 2018. Au total, 2 129 victimes ont participé au procès, au cours duquel les chambres de première instance ont rendu 347 décisions écrites et 257 décisions orales. En juillet 2019, M. Ntaganda a été reconnu coupable des 18 chefs d’accusation et condamné à une peine d’emprisonnement de 30 ans. La condamnation et la peine ont été confirmées en appel en mars 2021. Au cours du même mois, la Chambre de première instance a rendu une ordonnance de réparation selon laquelle M. Ntaganda devait verser 30 millions de dollars américains en réparation aux victimes directes et indirectes de ses crimes. Étant donné que la Cour a conclu que M. Ntaganda était incapable de payer, elle a encouragé le Fonds au profit des victimes à compléter le montant accordé dans la mesure où ses ressources le lui permettaient 94.
L’affaire Ntaganda a été reconnue comme un tournant dans la gestion par la CPI des crimes de violence sexuelle. Il s’agissait de la première fois où une condamnation pour violence sexuelle était confirmée en appel. La Cour a également confirmé que les crimes de violence sexuelle perpétrés à l’égard de membres des propres forces de l’accusé – dans ce cas, des enfants soldats de sexe féminin et masculin – constituaient un crime relevant de la compétence de la Cour 95.
Depuis leur création, le Statut de Rome et la CPI ont fait l’objet de critiques. Dès le début, les sceptiques au sujet de la CPI ont mis en évidence les lacunes perçues dans le Statut et la possibilité que la Cour donne des résultats indésirables, y compris l’abus possible du pouvoir de poursuite discrétionnaire ou la possibilité que les affaires de la CPI sapent les efforts de paix et de réconciliation déployés dans les pays sortant d’un conflit 96.
Toutefois, après plus de deux décennies d’activité, les partisans de la CPI ont eux aussi critiqué la Cour, qui n’a produit que cinq condamnations concernant des crimes fondamentaux et vu de nombreuses affaires médiatisées se terminer par un acquittement ou sans verdict. Le processus menant de l’enquête à l’arrestation, puis au procès et probablement à l’appel s’est avéré une entreprise énormément complexe, qui s’étend souvent sur une décennie ou plus. Les défendeurs peuvent passer la majeure partie de ce temps en détention, certains pour des crimes pour lesquels ils seront finalement acquittés, comme l’ont montré les affaires Bemba et Gbagbo et Blé Goudé, tandis que les victimes peuvent être contraintes de continuer d’attendre les réparations promises, même après la fin de ce processus.
Aucun organe de la CPI n’a été à l’abri des critiques : on a jeté la responsabilité du piètre rendement de la Cour à ce jour en partie sur les chambres de tous les niveaux, le BP et les États parties. En décembre 2019, l’Assemblée des États parties s’est dite gravement préoccupée par les « difficultés multiformes » que connaissait la CPI et a commandé un examen par des experts indépendants pour passer en revue le régime du Statut de Rome dans son ensemble 97. Un groupe de neuf experts a été réparti en trois groupes de travail thématiques – gouvernance, judiciaire, et examens préliminaires, enquêtes et poursuites – et s’est vu confier le mandat de formuler des « recommandations concrètes, réalistes et susceptibles d’être mises en pratique afin d’améliorer les performances, l’efficience et l’efficacité de la Cour 98 ». Les experts ont publié leur rapport final en septembre 2020; ils se sont dits d’accord avec bon nombre des critiques formulées à l’endroit de la Cour et ont formulé 384 recommandations en vue d’améliorer le fonctionnement du régime du Statut de Rome 99.
Les juges de la CPI ont été critiqués pour l’incohérence avec laquelle ils ont appliqué et élaboré la jurisprudence pénale internationale et les procédures de la Cour. Dans leur rapport final, les experts de l’Assemblée des États parties ont fait ressortir l’absence de collégialité entre les juges en tant que facteur important de l’incohérence de la pratique de la Cour. Les experts ont conclu que les mauvaises relations de travail entre les juges ne permettaient parfois pas de créer un contexte propice à la délibération, favorisaient la prolifération d’opinions dissidentes et concurrentes, et encourageaient certains juges à trop s’appuyer sur la jurisprudence et la procédure de leur pays d’origine 100.
Le rapport a également fait ressortir des pratiques procédurales parfois contradictoires, particulièrement à l’étape préliminaire, qui devraient pourtant être bien établies maintenant. Des questions, comme celle de savoir si les éléments de preuve doivent être acceptés favorablement par les juges ou simplement soumis par les parties, et si la pratique de préparer les témoins à comparaître est acceptable ou risque de vicier les éléments de preuve, sont citées à titre d’exemples de pratiques incohérentes qui ajoutent à la complexité et à la longueur des procédures 101.
Les experts de l’Assemblée des États parties, entre autres intervenants, ont fait ressortir la décision d’appel dans l’affaire Bemba afin d’illustrer la difficulté à promouvoir « une jurisprudence et une prise de décision cohérentes et accessibles 102 ». La décision s’écarte de la jurisprudence sur le rôle des audiences préliminaires de confirmation et de la norme de contrôle pour les décisions d’appel, et a été décrite par un commentateur comme « un renversement des procédures à la CPI et un dérèglement de la Cour 103 ». Une autre commentatrice a indiqué que l’incapacité des juges de première instance et d’appel de s’entendre sur un « point fondamental et simple » lié aux chefs d’accusation en question constituait un « échec total du processus judiciaire de la Cour » 104.
Lorsque l’on pense à la responsabilité et au pouvoir discrétionnaire que le Statut de Rome donne au BP, on comprend que les procureurs de la CPI ont été très critiqués pour leur incapacité d’obtenir des condamnations aux procès. Après avoir été assermenté en tant que troisième procureur de la CPI, en juin 2021, Karim Khan a fait allusion aux critiques formulées à l’endroit de son Bureau : « Nous ne pouvons pas investir autant, nous ne pouvons pas susciter des attentes aussi élevées, et réaliser si peu de choses dans la salle d’audience. » Il a ajouté qu’il s’attaquerait en priorité à « monter des dossiers plus solides et à obtenir de meilleurs résultats » dans le cadre d’un effort visant à « ressusciter » l’institution et à « réparer ce qui est brisé » 105.
Dans leur rapport, les experts de l’Assemblée des États parties mentionnent que, selon le principe de complémentarité au cœur du Statut de Rome, on ne peut et ne doit pas s’attendre à ce que le BP enquête sur tous les crimes relevant de sa compétence. Par conséquent, la sélection et la hiérarchisation adéquate des examens préliminaires et des enquêtes, étant donné les ressources disponibles, sont essentielles à l’efficacité du Bureau. Les experts de l’Assemblée des États parties ont conclu que certains intervenants croyaient que le BP éparpillait ses ressources et ne les attribuait pas adéquatement aux examens préliminaires et aux enquêtes portant sur les crimes les plus graves et qui avaient la plus grande chance de réussir 106.
Le BP a lui-même reconnu qu’un manque de ressources nuisait à sa capacité de s’acquitter de son mandat. À titre d’exemple, dans un rapport de décembre 2020, même s’il a conclu que les conditions légales pour l’ouverture d’une enquête en Ukraine et au Nigéria avaient été réunies, le BP a décidé de ne pas ouvrir des enquêtes immédiatement en raison de sa capacité opérationnelle et de la nécessité d’établir l’ordre de priorités pour sa charge de travail 107.
En ce qui concerne l’ouverture de procès, les experts reconnaissent dans leur rapport que le BP peine à trouver un équilibre entre son obligation d’enquêter sur les personnes qui semblent porter la « responsabilité la plus lourde » et le déclenchement de poursuites pour les affaires ayant une grande chance de succès par souci de commodité. Le rapport mentionne que la stratégie du BP d’intenter un petit nombre de poursuites contre des dirigeants de haut niveau n’a pas donné les résultats escomptés. Les experts de l’Assemblée des États parties se sont félicités de la réorientation du BP afin de viser des suspects moins importants, qui participent plus directement aux crimes perpétrés, dans la définition de la « responsabilité la plus lourde 108 ». D’autres ont indiqué qu’une telle approche pouvait donner des « économies d’échelle », où la poursuite fructueuse d’auteurs de moindre importance pourrait aider à intenter des poursuites contre les hauts dirigeants 109.
Le Statut de Rome impose une obligation contraignante aux États parties afin qu’ils « coopèrent pleinement » avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène 110. L’expérience a montré que cette coopération est cruciale à la poursuite réussie des criminels. Les États ont toutefois été critiqués pour leur coopération limitée ou leur absence de coopération, dès le départ, dans le cadre des enquêtes de la Cour. Comme il est mentionné précédemment, deux États se sont retirés de la CPI à la suite de l’annonce de la tenue d’examens préliminaires sur leur territoire. La CPI a également déterminé que des États parties n’avaient pas respecté leur obligation de coopérer dans plusieurs affaires, en particulier celle d’Omar Al Bashir, ancien chef d’État du Soudan, qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt lancé par la CPI et qu’au moins huit États ont omis d’arrêter alors qu’il se trouvait sur leur territoire 111.
Outre la non-coopération complète, les commentateurs ont noté que les États coopèrent plus ou moins avec la CPI, selon leurs propres calculs politiques 112. Les États peuvent coopérer pleinement aux enquêtes menées sur leurs adversaires politiques, tout en limitant leur coopération aux enquêtes visant leurs alliés. Un soutien aussi inégal risque de saper la crédibilité de la Cour, quand on la voit punir seulement l’un des deux antagonistes d’un conflit. L’enquête de la CPI en Côte d’Ivoire montre cette inquiétude en pratique. Laurent Gbagbo et son allié, Charles Blé Goudé, ont été transférés à la CPI et ont subi leur procès avec l’appui du gouvernement ivoirien, tandis que l’enquête du BP sur les crimes commis par des forces progouvernementales – qui pourraient avoir été d’égale gravité – n’a pas encore mené à un mandat d’arrêt 113.
Les experts de l’Assemblée des États parties se sont sentis obligés d’interpeller les États parties pour leur pratique d’échange de voix dans le processus d’élection des juges de la CPI, et ce, même si leur examen ne portait pas sur ce sujet. Les experts ont indiqué que certains croyaient que certains juges de la CPI devaient davantage leur poste à des négociations politiques entre États qu’à leurs qualifications ou à leur compétence 114.
À ce jour, les enquêtes et les procès menés par la CPI se sont concentrés de façon disproportionnée sur l’Afrique. Tous les procès de la CPI ont été intentés contre des Africains et une grande majorité des examens préliminaires et des enquêtes ont porté sur des situations en Afrique. Cet état de choses a valu des critiques à la CPI, certains suggérant que la Cour est raciste ou qu’elle agit en tant qu’outil impérialiste pour asservir l’Afrique 115. Ce préjugé perçu à l’égard de l’Afrique a motivé les appels au retrait en masse des pays d’Afrique du Statut de Rome et à la non-coopération des gouvernements africains aux enquêtes et procès menés par la Cour. L’Union africaine a également pris des mesures afin d’établir une cour pénale régionale pour instruire les affaires qui relèveraient autrement de la compétence de la CPI 116. À la lumière de cette critique, les partisans de la Cour ont indiqué que la CPI ne choisit pas la majorité de ses affaires et que la plupart des enquêtes qu’elle a menées en Afrique lui avaient été renvoyées par le Conseil de sécurité de l’ONU ou par les États africains.
La question de l’immunité des chefs d’État et d’autres hauts fonctionnaires est l’une des sources de différends entre les États africains, qui participent souvent de façon collective par l’intermédiaire de l’Union africaine, et la CPI. L’Union africaine soutient que le droit international coutumier accorde l’immunité à ces personnes et que l’article 27 du Statut de Rome ne retire cette immunité qu’aux États parties. Les tenants de cette interprétation renvoient à l’article 98 du Statut de Rome, qui empêche la Cour d’exiger la coopération des États d’une façon incompatible avec leurs obligations juridiques internationales 117. Dans une décision récente sur le défaut de la Jordanie d’arrêter Omar Al Bashir, qui était à ce moment-là chef d’État du Soudan, la Chambre d’appel de la CPI a rejeté cet argument, indiquant que de telles personnes ne jouissent pas de l’immunité devant les tribunaux internationaux et que les États parties doivent donc coopérer avec la CPI 118.
La position des États-Unis en ce qui concerne la CPI varie d’une administration à l’autre. Le gouvernement des États-Unis a signé le Statut de Rome en décembre 2000 sous la présidence de Bill Clinton, avant de renoncer à toute obligation découlant de ce traité en mai 2002, sous le président George W. Bush. L’administration Bush était grandement préoccupée par la possibilité que des militaires américains fassent l’objet d’une enquête ou d’un procès de la CPI. En août 2002, le gouvernement américain a promulgué l’American Servicemembers’ Protection Act (ASPA) qui limitait la coopération des États-Unis avec la CPI et visait à empêcher le transfèrement de militaires américains à la CPI.
Après l’adoption de l’ASPA, le gouvernement américain a immédiatement cherché à conclure des accords bilatéraux d’immunité avec d’autres États en invoquant le paragraphe 98(2) du Statut de Rome 119. Les États signataires de ces accords devaient promettre de ne pas livrer à la CPI des citoyens des États-Unis se trouvant sur leur territoire. Sous réserve de clauses dérogatoires adoptées dans l’intérêt national, l’ASPA prévoyait le refus de l’assistance militaire américaine (éducation, formation et aide financière) aux États qui n’avaient pas signé les accords (sauf les membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord [OTAN], les principaux alliés non membres de l’OTAN et Taïwan).
Sous l’administration du président Barack Obama, la position du gouvernement américain à l’égard de la CPI s’est assouplie 120. La secrétaire d’État alors en poste, Hillary Clinton, s’est exprimée ainsi : « Nous mettrons un terme à l’hostilité à l’égard de la CPI et nous explorerons les possibilités d’encourager la CPI à prendre des mesures efficaces de façons qui favorisent les intérêts des États-Unis en traduisant en justice les criminels de guerre 121 ». À la fin de 2009, les États-Unis ont commencé à participer à l’Assemblée des États parties de la CPI à titre d’observateur et le gouvernement a peu à peu cessé de s’opposer aux mentions de la CPI dans les résolutions de l’ONU. L’appui des États-Unis à la résolution adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU qui a déféré à la Cour la situation en Libye en 2011 a marqué une étape importante 122. L’expansion du programme américain de récompenses pour la justice, qui offre cinq millions de dollars américains en échange de renseignements conduisant à l’arrestation de fugitifs recherchés par la CPI, témoigne également de la coopération accrue du gouvernement américain 123.
La coopération entre les États-Unis et la CPI a grandement régressé sous la présidence de Donald Trump. L’hostilité grandissante des États-Unis à l’égard de la CPI était alimentée par la décision du procureur d’ouvrir des enquêtes sur les situations en Afghanistan et dans l’État de Palestine 124. Les États-Unis se sont opposés à la tenue d’une enquête par la CPI sur les gestes posés par le personnel américain en Afghanistan et à la reconnaissance par la Cour de la qualité d’État de la Palestine au titre du Statut de Rome, ainsi qu’à son enquête sur les gestes posés dans les territoires palestiniens par Israël (un proche allié des États-Unis qui n’est pas un État partie au Statut de Rome) 125.
En avril 2019, les États-Unis ont révoqué le visa de voyage de la procureure de la CPI Fatou Bensouda 126. En juin 2020, le président Trump a publié un décret afin d’autoriser des sanctions économiques visant le personnel de la CPI au motif d’une conclusion selon laquelle toute tentative de la CPI pour enquêter sur des membres du personnel américain ou allié, les arrêter ou les traduire en justice sans le consentement des États-Unis ou de leurs alliés « pose une menace inhabituelle et extraordinaire à la sécurité nationale et à la politique étrangère des États-Unis 127 ». En septembre 2020, les États-Unis ont imposé des sanctions économiques à Fatou Bensouda et Phakiso Mochochoko, directeur de la Division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération au BP 128.
Sous la présidence de Joe Biden, le gouvernement américain a révoqué le pouvoir d’imposer des sanctions contre le personnel de la CPI et a mis fin, en avril 2021, aux sanctions imposées à Mme Bensouda et M. Mochochoko 129. Lorsqu’elle a annoncé la fin des sanctions et des restrictions relatives aux visas, l’administration Biden a toutefois confirmé une fois de plus qu’elle s’opposait aux enquêtes de la CPI en Afghanistan et dans les territoires palestiniens, ainsi qu’à l’affirmation de la compétence de la Cour à l’égard des membres du personnel américain et israélien 130.
Forte de plus de 20 années d’expérience, la CPI est devenue une composante établie, mais toujours controversée, du système international. Malgré ses lacunes, la Cour s’est avérée un digne successeur des tribunaux internationaux qui l’ont précédée et elle a prouvé la viabilité d’un système permanent de justice pénale internationale.
La CPI est toutefois confrontée à d’importants défis au moment où elle amorce sa troisième décennie d’existence. Le plus urgent d’entre eux réside dans la poursuite des atrocités inimaginables qui ont mené à sa création. Comme le juge Chile Eboe Osuji, président de la CPI à l’époque, l’a fait remarquer à l’occasion du 20e anniversaire du Statut de Rome : « L’humanité a autant besoin du Statut de Rome et de la CPI qu’il y a 20 ans; en fait, elle en a encore plus besoin 131 ». La Cour continue d’évoluer et cherche à se réformer, mais le dessein pour lequel elle a été créée demeure inachevé.
Le génocide n’était pas encore reconnu en tant que crime indépendant en vertu du droit international au moment où le Statut de Nuremberg a été établi.
[ Retour au texte ]Dans cette lettre, John Bolton, sous-secrétaire d’État alors en poste pour le Contrôle des armes et la Sécurité internationale, s’adressait comme suit au Secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan :
Je vous informe, par la présente, en ce qui concerne le Statut de Rome de la Cour pénale internationale adopté le 17 juillet 1998, que les États-Unis n’ont pas l’intention de devenir partie au traité. En conséquence, les États-Unis n’ont aucune obligation juridique découlant de leur signature du 31 décembre 2000. Les États-Unis demandent que leur intention de ne pas être partie au traité, comme il est dit dans la présente lettre, se reflète dans les listes de dépositaires liées au traité.
États-Unis, Département d’État, International Criminal Court: Letter to UN Secretary General Kofi Annan, communiqué, 6 mai 2002 [traduction].
[ Retour au texte ]Le par. 98(2) du Statut de Rome, « Coopération en relation avec la renonciation à l’immunité et le consentement à la remise » est ainsi libellé :
La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise qui contraindrait l’État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en vertu d’accords internationaux selon lesquels le consentement de l’État d’envoi est nécessaire pour que soit remise à la Cour une personne relevant de cet État, à moins que la Cour ne puisse au préalable obtenir la coopération de l’État d’envoi pour qu’il consente à la remise.
Voir CPI, Statut de Rome de la Cour pénale internationale (368 Ko, 89 pages), par. 98(2).
[ Retour au texte ]
Situation |
Intitulé |
Défendeur |
Chefs d’accusation |
Situation actuelle |
État |
---|---|---|---|---|---|
Soudan (Darfour) |
Abd-Al-Rahman |
Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Procès en cours |
En cours |
Soudan (Darfour) |
Abu Garda |
Bahar Idriss Abu Garda |
Crimes de guerre |
La Chambre préliminaire a refusé de confirmer les chefs d’accusation |
Close |
Soudan (Darfour) |
Al Bashir |
Omar Hassan Ahmad Al Bashir |
Crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
Mali |
Al Hassan |
Al-Hassan Ag Abdoul Aziz |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Procès en cours |
En cours |
Mali |
Al Mahdi |
Ahmad Al Faqi Al Mahdi |
Crimes de guerre |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de neuf ans |
Close |
Libye |
Al-Werfalli |
Mahmoud Mustafa Busyf Al-Werfalli |
Crimes de guerre |
L’accusé est décédé |
Close |
Soudan (Darfour) |
Banda |
Saleh Mohammed Jerbo Jamus |
Crimes de guerre |
L’accusé est décédé |
Close |
Soudan (Darfour) |
Banda |
Abdallah Banda Abakaer Nourain |
Crimes de guerre |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
Kenya |
Barasa |
Walter Barasa |
Subornation de témoin |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
République centrafricaine (RCA) I |
Bemba |
Jean-Pierre Bemba Gombo |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Acquitté sur appel |
Close |
RCA I |
Bemba et al. |
Jean-Pierre Bemba Gombo |
Entrave à la justice |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement d’un an |
Close |
RCA I |
Bemba et al. |
Narcisse Arido |
Entrave à la justice |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de 11 mois |
Close |
RCA I |
Bemba et al. |
Jean-Jacques Mangenda Kabongo |
Entrave à la justice |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de deux ans |
Close |
RCA I |
Bemba et al. |
Aimé Kilolo Musamba |
Entrave à la justice |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de deux ans et six mois |
Close |
RCA I |
Bemba et al. |
Fidèle Babala Wandu |
Entrave à la justice |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de six mois |
Close |
Kenya |
Bett |
Philip Kipkoech Bett |
Entrave à la justice |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
Libye |
Gaddafi |
Muammar Mohammed Abu Minyar Gaddafi |
Crimes contre l’humanité |
L’accusé est décédé |
Close |
Libye |
Gaddafi |
Saif Al-Islam Gaddafi |
Crimes contre l’humanité |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
Libye |
Gaddafi |
Abdullah Al-Senussi |
Crimes contre l’humanité |
La Chambre préliminaire a déterminé que l’affaire était irrecevable |
Close |
Côte d’Ivoire |
Gbagbo et Blé Goudé |
Laurent Gbagbo |
Crimes contre l’humanité |
Acquitté |
Close |
Côte d’Ivoire |
Gbagbo et Blé Goudé |
Charles Blé Goudé |
Crimes contre l’humanité |
Acquitté |
Close |
Kenya |
Gicheru |
Paul Gicheru |
Entrave à la justice |
L’accusé est décédé |
Close |
Soudan (Darfour) |
Harun |
Ahmad Muhammad Harun |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
Soudan (Darfour) |
Hussein |
Abdel Raheem Muhammad Hussein |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
République démocratique du Congo (RDC) |
Katanga |
Germain Katanga |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de 12 ans |
Close |
Kenya |
Kenyatta |
Uhuru Muigai Kenyatta |
Crimes contre l’humanité |
Chefs d’accusation retirés |
Close |
Kenya |
Kenyatta |
Francis Kirimi Muthaura |
Crimes contre l’humanité |
Chefs d’accusation retirés |
Close |
Kenya |
Kenyatta |
Mohammed Hussein Ali |
Crimes contre l’humanité |
La Chambre préliminaire a refusé de confirmer les chefs d’accusation |
Close |
Libye |
Khaled |
Al-Tuhamy Mohamed Khaled |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
L’accusé est décédé |
Close |
Ouganda |
Kony et al. |
Raska Lukwiya |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
L’accusé est décédé |
Close |
Ouganda |
Kony et al. |
Okot Odhiambo |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
L’accusé est décédé |
Close |
Ouganda |
Kony et al. |
Joseph Kony |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
Ouganda |
Kony et al. |
Vincent Otti |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
RDC |
Lubanga |
Thomas Lubanga Dyilo |
Crimes de guerre |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de 14 ans |
Close |
Ukraine* |
Lvova-Belova |
Maria Alekseïevna Lvova-Belova |
Crimes de guerre |
L’accusée n’est pas détenue |
En cours |
RDC |
Mbarushimana |
Callixte Mbarushimana |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
La Chambre préliminaire a refusé de confirmer les chefs d’accusation |
Close |
RCA II |
Mokom |
Maxime Jeoffroy Eli Mokom Gawaka |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
En attente de l’audience de confirmation des chefs d’accusation |
En cours |
RDC |
Mudacumura |
Sylvestre Mudacumura |
Crimes de guerre |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
RDC |
Ngudjolo Chui |
Mathieu Ngudjolo Chui |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Acquitté |
Close |
RDC |
Ntaganda |
Bosco Ntaganda |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de 30 ans |
Close |
Ouganda |
Ongwen |
Dominic Ongwen |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Reconnu coupable, peine d’emprisonnement de 25 ans |
Close |
Ukraine* |
Poutine |
Vladimir Vladimirovitch Poutine |
Crimes de guerre |
L’accusé n’est pas détenu |
En cours |
Kenya |
Ruto et Sang |
Henry Kiprono Kosgey |
Crimes contre l’humanité |
La Chambre préliminaire a refusé de confirmer les chefs d’accusation |
Close |
Kenya |
Ruto et Sang |
William Samoei Ruto |
Crimes contre l’humanité |
La Chambre de première instance a clos le dossier, faute de preuves |
Close |
Kenya |
Ruto et Sang |
Joshua Arap Sang |
Crimes contre l’humanité |
La Chambre de première instance a clos le dossier, faute de preuves |
Close |
RCA II |
Said |
Mahamat Said Abdel Kani |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Procès en cours |
En cours |
Côte d’Ivoire |
Simone Gbagbo |
Simone Gbagbo |
Crimes contre l’humanité |
Chefs d’accusation abandonnés |
Close |
RCA II |
Yekatom et Ngaïssona |
Alfred Yekatom |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Procès en cours |
En cours |
RCA II |
Yekatom et Ngaïssona |
Patrice-Edouard Ngaïssona |
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité |
Procès en cours |
En cours |
Source: Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Cour pénale internationale (CPI), 31 affaires; et de CPI, Situation en Ukraine : les juges de la CPI délivrent des mandats d’arrêt contre Vladimir Vladimirovitch Poutine et Maria Alekseïevna Lvova-Belova, communiqué, 17 mars 2023.
* Ces affaires comprennent des mandats d’arrêt délivrés par la CPI à l’encontre de Vladimir Vladimirovitch Poutine et de Maria Alekseïevna Lvova-Belova, comme l’a annoncé la Cour en mars 2023. Au moment de la rédaction de la présente étude, on ne sait pas si les deux accusés seront jugés dans le cadre d’une seule et même affaire ou séparément.
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