Les allégations d’inconduite dirigées contre une entreprise ou un fonctionnaire proviennent généralement d’employés ou d’anciens employés. Le « divulgateur » ou « dénonciateur » est celui qui divulgue les actes fautifs de son employeur ou d’un collègue. Habituellement, le comportement visé contrevient à la loi ou peut représenter une menace sérieuse pour la santé et la sécurité du public. Même si sa dénonciation est bien vue par la société, le dénonciateur s’expose souvent à des conséquences désagréables, y compris des représailles de la part de son employeur.
La question de la divulgation d’actes répréhensibles dans le secteur public et de la protection des fonctionnaires divulgateurs n’est pas nouvelle. Elle a été abordée par des groupes de travail, ainsi que dans des politiques, des codes, des rapports, des études et des projets de loi d’initiative gouvernementale ou parlementaire depuis au moins 19961.
Ce sont toutefois les conclusions de la vérificatrice générale énoncées dans le Rapport de la vérificatrice générale du Canada – Automne 20032, et celles de la commission d’enquête créée subséquemment pour examiner le programme de commandites de 1997 à 2001 et les activités publicitaires du gouvernement du Canada de 1998 à 2003 – la Commission Gomery3 – qui ont fait ressortir l’urgence de mieux protéger les fonctionnaires qui tentent de dénoncer les actes répréhen-sibles commis dans la fonction publique fédérale.
D’après le rapport de la phase 1 (Qui est responsable?) des travaux de la Commission Gomery, un fonctionnaire a bien perdu son poste en essayant de dénoncer des pratiques suspectes et en exprimant des doutes sur la gestion des fonds publics au cours des périodes examinées4. Que les fonctionnaires aient hésité à déclarer des pratiques douteuses dans leur ministère ou organisme semblait probable, vu la possibilité réelle de représailles et l’absence de protection pour les dénonciateurs.
De telles constatations ont mené à la création d’un cadre législatif pour protéger les dénonciateurs, la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (LPFDAR)5. Souvent appelée « loi sur la dénonciation », cette mesure législative a été adoptée par le Parlement en novembre 2005 et est entrée en vigueur en avril 2007. Toutefois, elle a été substantiellement modifiée par la Loi fédérale sur la responsabilité6 (LFR) en 2006, c’est-à-dire avant même d’entrer en vigueur.
Le long préambule de la LPFDAR pose comme principe que l’administration publique fédérale est une institution nationale et qu’elle est essentielle au fonctionnement de la démocratie parlementaire canadienne. Il affirme en outre que les fonctionnaires ont un devoir de loyauté envers leur employeur et bénéficient de la liberté d’expres¬sion, et que la loi sur la dénonciation vise à atteindre l’équilibre entre ce devoir et cette liberté.
La LPFDAR établit un mécanisme pour la divulgation d’actes répréhensibles dans la fonction publique fédérale, les sociétés d’État et d’autres organismes publics. Le terme « secteur public » au sens de cette loi englobe la Gendarmerie royale du Canada, mais non les Forces canadiennes, le Service canadien du renseignement de sécurité ou le Centre de la sécurité des télécommunications7. La LPFDAR, dans sa version originale protégeait uniquement les fonctionnaires qui faisaient des divulgations en toute bonne foi. Modifiée par la LFR, elle protège également des représailles les employés du secteur privé qui dénoncent un acte répréhensible commis au sein de la fonction publique fédérale8.
L’article 5 de la LPFDAR exige que le Conseil du Trésor élabore un code de conduite applicable au secteur public fédéral. La LPFDAR dispose également que chaque administrateur général d’un ministère ou organisme est tenu d’établir un mécanisme interne, entre autres en désignant un agent supérieur chargé de prendre connaissance des divulgations et d’y donner suite9. Ce mécanisme protège l’identité des personnes en cause dans le cadre d’une divulgation et la confidentialité de l’information recueillie relativement aux divulgations et aux enquêtes10.
Le paragraphe 39(1) de la LPFDAR crée le poste indépendant de commissaire à l’intégrité du secteur public. Le titulaire, qui est nommé par le gouverneur en conseil après approbation du Parle¬ment, relève directement de ce dernier. Il a le pouvoir d’enquêter sur des allégations d’actes répréhensibles et de représailles, de recom-mander aux administrateurs généraux les mesures correctives à prendre et d’exa-miner les rapports faisant état des mesures prises par les administrateurs généraux pour donner suite à ses recommandations11. Pour les enquêtes, la LPFDAR prévoit que le commissaire dispose de tous les pouvoirs accordés par la partie II de la Loi sur les enquêtes, y compris ceux de visiter les lieux d’une institution fédérale ou d’un bureau public avec droit d’accès dans tous les locaux, d’y consulter les documents, papiers, registres et archives, de contraindre une personne à produire des éléments de preuve, de faire prêter serment et d’assigner quelqu’un à comparaître12.
La LPFDAR définit les termes « acte répréhensible13 » et « représailles 14 ». Elle établit également deux mécanismes distincts pour traiter, d’une part, des plaintes concernant des actes répréhensibles et, d’autre part, des plaintes relatives aux représailles.
L’article 13 prévoit le mécanisme permettant au commissaire d’entreprendre des enquêtes concernant des actes répréhensibles. La LPFDAR dispose qu’un fonc-tionnaire qui a connaissance d’un acte répréhensible peut le divulguer soit à son supérieur hiérarchique, soit directement au commissaire15. Après enquête, le com-missaire fait part de ses observations, conclusions et recommandations à l’adminis-trateur général de l’institution fédérale qui fait l’objet de la plainte16. Si celle-ci est jugée fondée, le commissaire doit déposer un rapport au Parlement (dans lequel il énonce ses conclusions et ses recommandations à l’administrateur général) dans les 60 jours suivant la date à laquelle il a conclu qu’il y a eu acte répréhensible17. L’article 9 de la LPFDAR prévoit qu’un fonctionnaire qui commet un tel acte s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.
L’article 19.1 établit un mécanisme pour les plaintes de fonctionnaires ayant des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été victimes de représailles. Les articles 19 à 20.6 confèrent au commissaire le pouvoir d’entendre les plaintes, de mener des enquêtes et de tenter d’obtenir, par conciliation, une entente entre les parties. En l’absence d’entente, le commissaire ne peut imposer de règlement aux parties, mais peut renvoyer l’affaire au tribunal indépen¬dant de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Le tribunal se prononcera sur la plainte et décidera si des mesures de réparation ainsi que des mesures disciplinaires sont nécessaires18.
Ce tribunal est composé d’un président et de deux à six membres appartenant à la Cour fédérale ou à une cour supérieure d’une province19. Le président désigne un membre chargé d’entendre le dossier; il peut désigner jusqu’à trois membres selon la complexité du dossier20. Le tribunal peut convoquer des témoins, faire prêter serment et recevoir des éléments de preuve21. Il doit observer les principes de justice naturelle, et ses décisions peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire22.
La LPFDAR, dans sa version originale, avait apporté d’importantes modifications corrélatives à la Loi sur l’accès à l’information, à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Elle fixait une période de cinq ans pendant laquelle les renseignements recueillis au cours d’une enquête sur un acte répréhensible ne pouvaient être communiqués. La LFR a modifié cette disposition, qui vise maintenant à protéger contre toute communication aux termes de la Loi sur l’accès à l’information les renseignements créés en vue de faire une divulgation ou au cours d’une enquête associée à une divulgation23. Cette nouvelle disposition a pour objet de protéger les renseignements délicats relatifs aux divulgations détenus par le commissaire au même titre que les renseignements que possèdent les autres hauts fonctionnaires du Parlement qui mènent des enquêtes. Il est toutefois impor-tant de préciser que l’interdiction de communiquer est levée si la personne qui a fourni les renseignements contenus dans le document concerné consent à leur communication24.
L’article 54 précise que, cinq ans après son entrée en vigueur, la LPFDAR doit faire l’objet d’un examen portant sur sa mise en application et son efficacité.
La Commission Gomery, dans son rapport de la phase 2 (Rétablir l’imputabilité), a mentionné la nouvelle loi sur la divulgation d’actes répréhensibles. Elle a félicité le Parlement de l’avoir adoptée, mais croyait que l’on pourrait « améliorer sensiblement » ses dispositions au moyen des modifications suivantes :
Seule la première de ces recommandations a été incorporée directement dans la LFR pour modifier la LPFDAR originale. Ainsi, les employés du secteur privé et le public ont le droit de faire des divulgations au commissaire.
Au Canada, diverses lois fédérales et provinciales protègent d’une façon similaire les employés contre les représailles découlant de l’exercice d’un droit qu’elles leur confèrent. Par exemple, l’article 16 de la Loi canadienne sur la protection de l’envi-ronnement (1999) prévoit une protection contre les représailles en milieu de travail pour les employés qui transmettent de bonne foi des renseignements aux autorités compétentes relativement à un acte contraire à ses dispositions. Toutefois, le fédéral et les provinces n’ont généralement pas adopté de protections légales de plus ample portée, telles que celles qui existent ailleurs, en particulier aux États-Unis.
En Ontario, des mesures de protection des fonctionnaires dénonciateurs sont en-trées en vigueur lorsque des modifications à la Loi sur la fonction publique26 ont été promulguées en 1993. Les procédures de divulgation de l’Ontario ont été modifiées avec l’abrogation de la Loi sur la fonction publique et son remplacement par la Loi sur la fonction publique de l’Ontario27 en 2006, et la partie VI de la loi actuelle offre aux fonctionnaires ontariens une protection contre les représailles ainsi que des moyens pour dénoncer les actes répréhensibles.
Similairement, la partie 6 de la Loi sur la fonction publique28 du Nunavut prévoit un mécanisme de divulgation d’actes répréhensibles pour les fonctionnaires ainsi qu’une protection contre les représailles.
De même, depuis 2006, le Nouveau-Brunswick29, la Nouvelle-Écosse30, le Manitoba31, la Saskatchewan32, l’Alberta33, Terre-Neuve-et-Labrador34 et le Yukon35 ont tous adopté des lois spécifiques sur la divulgation dans l’intérêt public afin de protéger les fonctionnaires provinciaux qui dénoncent des actes répréhensibles en milieu de travail et de faciliter la divulgation ainsi que les enquêtes à son sujet.
L’article 28 de la Loi sur les normes d’emploi36 du Nouveau-Brunswick et l’arti-cle 2 42 de la Saskatchewan Employment Act37 interdisent aux employeurs de toute entreprise sous réglementation provinciale de prendre des mesures de repré-sailles contre des employés qui portent plainte contre leur employeur relativement à la contravention présumée de toute loi fédérale ou provinciale.
Enfin, l’article 26 de la Loi concernant la lutte contre la corruption38, adoptée en 2011 au Québec, autorise « toute personne » à dénoncer, auprès du commissaire à la lutte contre la corruption, les actes répréhensibles dans le secteur public ou relati¬vement à la passation de contrats avec le secteur public. Le paragraphe 122(7) de la Loi sur les normes du travail39 interdit à un employeur d’exercer à l’endroit d’un salarié des représailles « en raison d’une dénonciation faite par un salarié d’un acte répréhensible au sens de la Loi concernant la lutte contre la corruption (chapitre L 6.1) ou de sa collaboration à une vérification ou à une enquête portant sur un tel acte ».
Il convient de noter que la Commission Charbonneau, constituée par le gouverne-ment du Québec pour enquêter sur la corruption dans l’industrie de la construction au Québec, a souligné dans son rapport final, déposé en novembre 2015, que la création d’un régime général de protection des dénonciateurs (appelés par elle « lanceurs d’alerte ») s’imposait. Selon le rapport, la Loi concernant la lutte contre la corruption est limitée dans sa portée puisqu’elle ne vise qu’un secteur précis. La Commission recommande donc au gouvernement d’améliorer le régime de protection des lanceurs d’alerte prévu par loi pour assurer :
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