Depuis la naissance de la radiodiffusion, dans les années 1920, la politique de radiodiffusion canadienne a toujours su s’adapter aux nouvelles technologies, tout en faisant en sorte que le système de radiodiffusion reste sous contrôle canadien, comprenne des radiodiffuseurs publics et privés, reflète les valeurs canadiennes, encourage un contenu canadien et utilise des ressources créatives canadiennes. Depuis quelques années, cependant, le développement de la technologie numérique et d’Internet complique à certains égards la réalisation de ces objectifs.
Cette étude générale présente un bref rappel de l’évolution de la politique canadienne de radiodiffusion, suivi d’un examen des principes qui régissent cette politique, du rôle de l’organisme de réglementation du système de radiodiffusion, ainsi que d’autres organismes fédéraux, et des politiques relatives au contenu canadien. Après quoi elle examine certains des changements technologiques et structurels qui posent des défis en matière de politique de radiodiffusion et propose des lectures complémentaires.
L’origine de la politique canadienne de radiodiffusion remonte aux années 1920, époque où la radiodiffusion commerciale n’en est qu’à ses balbutiements. Confronté à l’arrivée des émissions de radio américaines, le gouvernement fédéral constitue la Commission royale de la radiodiffusion, qui recommande que le système de radiodiffusion soit propriété de l’État. Le gouvernement opte toutefois pour la coexistence de radiodiffuseurs publics et privés. Le radiodiffuseur public est établi en 1932 par la Loi canadienne de la radiodiffusion (LCR), par laquelle le Parlement crée la Commission canadienne de radiodiffusion. Quatre ans plus tard, celle-ci prend le nom de Société Radio-Canada et, aujourd’hui, elle est connue sous le nom de CBC en anglais et de Radio-Canada en français.
À l’origine, CBC/Radio-Canada est chargée non seulement de produire des programmes d’information et de divertissement, mais aussi de réglementer le système de radiodiffusion, ce qui changera à la fin des années 1950. En 1957, la Commission royale d’enquête sur la radio et la télévision recommande de créer un organisme de réglementation. C’est ainsi que la LCR de 1958 crée le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion et le charge de réglementer CBC/Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés. C’est également à ce moment qu’apparaissent des exigences en matière de contenu canadien. La nouvelle loi établit, pour la première fois, le principe selon lequel le système doit être canadien en contenu et en caractère. La première réglementation du contenu canadien est mise en place l’année suivante1.
CBC/Radio-Canada diffuse ses premières émissions de télévision en 1952. Dans les années 1960 naissent les réseaux de télévision privés et la câblodistribution. Résultat, de nombreux Canadiens ont de plus en plus accès à des émissions américaines, ce qui donne lieu à une série d’études sur le système de radiodiffusion qui débouche sur l’adoption d’une nouvelle LCR en 1968. Cette dernière établit bon nombre des éléments encore présents dans la politique actuelle de radiodiffusion. Premièrement, cette loi définissait les objectifs de la politique de radiodiffusion et déclarait « que le système de la radiodiffusion canadienne devrait être possédé et contrôlé effectivement par des Canadiens de façon à sauvegarder, enrichir et raffermir la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada2 ». Elle créait aussi le Conseil de la radio-télévision canadienne (aujourd’hui le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC), qui remplaçait le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion. Le CRTC avait pour mandat d’appliquer la politique de radiodiffusion, ainsi que le pouvoir d’attribuer des licences de radiodiffusion et de réglementer la câblodistribution3. Dès sa création, le CRTC s’est montré plus actif que le Bureau des gouverneurs pour ce qui est de faire respecter les quotas de contenu canadien.
En 1972 débute la diffusion de signaux de télévision par satellite. Dans les années 1980, le système de radiodiffusion fait l’objet de nouvelles études menées par le Comité d’étude de la politique culturelle fédérale, le Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion et le Comité permanent des communications et de la culture de la Chambre des communes. Ces études contribuent à l’adoption par le Parlement, en 1991, d’une LCR qui est toujours en vigueur aujourd’hui4.
Au début des années 1990 apparaissent les médias numériques, aussi appelés nouveaux médias, qui permettent la distribution d’images, de musique et de vidéos sur Internet. Le développement rapide de ces technologies suscite des questions quant à leur rôle en matière de radiodiffusion. Après avoir étudié le sujet, le CRTC conclut à l’existence d’un contenu canadien important dans les nouveaux médias et déclare qu’une réglementation n’aiderait en rien la production et la distribution d’un tel contenu. De plus, il déclare souhaiter encourager l’innovation dans ce secteur. En 1999, le CRTC rend donc une ordonnance exemptant la radiodiffusion sur les nouveaux médias de la réglementation, ce qui fait que la radiodiffusion sur Internet n’est pas assujettie à l’obtention d’une licence.
En 2003, le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes remet un rapport important sur le système de radiodiffusion intitulé Notre souveraineté culturelle – Le deuxième siècle de la radiodiffusion canadienne. Il y conclut que la LCR de 1991 continue de répondre aux besoins des Canadiens et qu’elle nécessite peu de changements. En fait, d’après le Comité, la véritable question est de savoir comment réaliser les intentions de la LCR. Il recommande, par exemple, d’élaborer un énoncé de principe afin de définir clairement les principaux termes de la politique de radiodiffusion5.
En 2005, le gouvernement fédéral répond au rapport du Comité par un plan d’action reposant sur trois piliers, à savoir favoriser le contenu canadien, améliorer la gouvernance et la reddition de comptes et regarder vers l’avenir afin de s’adapter aux changements technologiques. Le gouvernement déclare que les objectifs de la LCR de 1991 demeurent valables et ne voit pas la nécessité de les modifier6.
En 2006, le gouvernement fédéral demande au CRTC de présenter un rapport factuel sur l’environnement futur dans lequel devra évoluer tout le système canadien de radiodiffusion. Ce rapport, qui repose sur les mémoires remis par des particuliers, des groupes de consommateurs, des radiodiffuseurs, des distributeurs et des associations de l’industrie, fournit des détails sur l’évolution et les tendances technologiques et propose des mesures stratégiques. La majorité des mémoires approuvaient ou acceptaient les objectifs de la politique de radiodiffusion formulés dans la LCR. En revanche, les avis divergeaient considérablement quant aux objectifs de la politique de réglementation et à la priorité qui devrait leur être accordée (voir la section 3.2, « Rôle du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes »)7.
En 2009, après avoir examiné l’exemption accordée en 1999 à la radiodiffusion sur les nouveaux médias, le CRTC décide de continuer à exempter de la réglementation la radiodiffusion sur Internet et les appareils mobiles. Le CRTC déclare que ce mode de radiodiffusion constitue un complément au système traditionnel de radiodiffusion et qu’une intervention nuirait à l’innovation8.
En août 2011, la transmission par ondes hertziennes des émissions de télévision est passée du mode analogique au mode numérique dans les grands marchés et sur certains canaux dans d’autres régions. Le passage a touché seulement les consommateurs qui captaient les signaux de télévision avec une antenne et dont le téléviseur n’avait pas de syntoniseur numérique9.
En 2013, un autre examen du régime télévisuel est entrepris. On annonce, dans le discours du Trône d’octobre 2013, que le gouvernement a l’intention d’exiger que les chaînes qu’offrent les services de distribution « soient dissociées dans les forfaits tout en protégeant les emplois10 ». Le 24 octobre, le CRTC lance une consultation publique sur le régime télévisuel. Le 7 novembre, le gouvernement demande au CRTC de faire rapport sur la façon dont les abonnés pourraient choisir des chaînes facultatives (c.-à-d. télévision payante et chaînes spécialisées) sur une base individuelle, autrement dit, des chaînes dissociées. Dans son rapport du mois d’avril 2014, le CRTC propose une approche qui comprendrait un forfait de base entièrement canadien, l’option de choisir des chaînes facultatives sur une base individuelle, ainsi que l’option de choisir des forfaits de chaînes. Toutefois, les effets que pourrait avoir une telle proposition sur les consommateurs, les producteurs et les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont encore incertains; aussi le CRTC a-t-il indiqué qu’il évaluerait cette approche au cours de ses consultations publiques11.
La politique de radiodiffusion énoncée au paragraphe 3(1) de la LCR définit un certain nombre d’objectifs (voir l’annexe A). Ces objectifs prévoient, entre autres, que le système canadien de radiodiffusion :
La politique de radiodiffusion définit également les objectifs de la programmation de CBC/Radio-Canada. Elle prévoit de plus des objectifs en matière de programmation éducative, de programmation qui reflète les cultures autochtones du Canada, de programmation adaptée aux besoins des personnes atteintes d’une déficience et de programmation télévisée complémentaire. Le paragraphe 3(2) de la LCR dispose que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique et que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome, à savoir le CRTC12.
Le CRTC joue un rôle central dans le système de radiodiffusion canadien, qu’il réglemente et surveille afin de garantir qu’il réponde aux objectifs de la politique de radiodiffusion de la LCR. Pour le citer, celui-ci veille à ce que :
les Canadiens [aient] accès à du contenu créatif attrayant et diversifié sur une variété de plateformes, et que ce contenu reflète la diversité culturelle du Canada et permet à la population de participer à la vie démocratique et culturelle du pays13.
À ces fins, le CRTC attribue des licences de radiodiffusion et prend des décisions sur les fusions, les acquisitions et les changements de propriété qui interviennent dans le secteur de la radiodiffusion. De plus, il réglemente le secteur des télécommunica¬tions pour faire en sorte que les Canadiens bénéficient de services de téléphonie et de télécommunications fiables, à des prix abordables. Le CRTC organise également des audiences publiques, des tables rondes et des forums informels afin de recueillir des commentaires14. Par ailleurs, il publie tous les ans de nombreuses politiques réglementaires.
Comme il est mentionné plus haut, le CRTC est guidé par les objectifs de politique réglementaire énoncés à l’article 5 de la LCR (voir l’annexe B). Si les objectifs de la politique réglementaire reprennent nombre des objectifs de la politique de radiodiffusion, ils prévoient aussi que le système soit réglementé de façon assez souple pour ne pas entraver la mise au point de technologies de l’information et pour tenir compte du fardeau administratif de la réglementation.
Divers groupes sont de différents avis sur l’importance à accorder à chacune de ces dispositions. Ainsi, les groupes culturels insistent généralement sur l’utilisation de ressources créatives canadiennes, tandis que les distributeurs insistent plutôt sur les objectifs économiques et sur la nécessité d’innover15. Comme aucun ordre de priorité n’est précisé dans les objectifs de la politique de radiodiffusion et dans ceux de la politique réglementaire, le CRTC doit interpréter leur importance relative16.
La politique de radiodiffusion relève, de façon générale, de la compétence fédérale. Outre le CRTC, un certain nombre d’entités fédérales contribuent à l’application de la politique de radiodiffusion. Pour guider le CRTC dans son interprétation de ladite politique, le gouverneur en conseil (Cabinet) peut lui donner, par décret, des instructions générales sur les grandes questions d’orientation17, ainsi que sur des questions particulières relatives à l’attribution de licences ou à la radiodiffusion d’émissions ayant un caractère d’urgence18. Par exemple, l’une de ses instructions au CRTC prévoit qu’il ne doit pas attribuer de licence de radiodiffusion à un demandeur non canadien19.
Au gouvernement fédéral, le ministère du Patrimoine canadien a pour mandat de s’assurer que les secteurs canadiens de la radiodiffusion et des communications numériques contribuent à la réalisation des objectifs de la politique énoncés dans la LCR. À l’appui de la politique de radiodiffusion, le Ministère administre des programmes, comme le Fonds des médias du Canada et le Fonds interactif du Canada20 (voir la section 3.5, « Contenu canadien »).
Des comités parlementaires participent à l’examen de la politique de radiodiffusion. Au Sénat, la question de la radiodiffusion relève du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. En outre, le Comité sénatorial permanent des langues officielles examine parfois les obligations linguistiques de CBC/Radio Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur la radiodiffusion21.
À la Chambre des communes, le Comité permanent du patrimoine canadien a pour mandat d’étudier toutes les questions relevant du mandat du ministère du Patrimoine canadien et de produire les rapports correspondants. Il invite souvent des représen-tants du CRTC, de CBC/Radio-Canada et d’autres organismes fédéraux à témoigner sur des aspects de la politique de radiodiffusion. Le Comité est habilité à formuler des recommandations sur la politique de radiodiffusion. De plus, le Comité permanent des langues officielles examine régulièrement les dispositions linguistiques de la politique de radiodiffusion.
La coexistence de radiodiffuseurs publics et privés est l’une des caractéristiques du système canadien de radiodiffusion depuis les années 1930. La politique de radiodiffusion donne à CBC/Radio-Canada le mandat particulier d’« offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit ». Entre autres, sa programmation doit être principalement canadienne, elle doit répondre aux besoins des régions et elle doit être offerte en français et en anglais dans tout le Canada22. Étant donné les objectifs qui lui sont fixés, CBC/Radio-Canada a un rôle à jouer dans l’établissement de politiques dans ces domaines23.
La politique canadienne de radiodiffusion repose sur le principe de la création de contenu canadien mis à la disposition des Canadiens. Elle prévoit d’encourager l’expression canadienne par une très large programmation, confère à CBC/Radio-Canada un rôle spécial de radiodiffuseur public national et précise que la programmation doit refléter la diversité linguistique, régionale et culturelle du Canada24. C’est sur cela que le CRTC fonde ses exigences en matière de contenu canadien. Ces dernières sont formulées dans tout un éventail de politiques et de règlements portant, entre autres, sur le nombre minimal de programmes canadiens, sur la quantité de musique canadienne diffusée à la radio et à la télévision, ainsi que sur la fourniture de services de programmes canadiens par câblodistribution et diffusion par satellite25.
Pour faire en sorte que la musique et les programmes canadiens bénéficient d’un temps d’antenne suffisant, le CRTC a défini des exigences de contenu applicable à la télévision, à la radio et aux opérateurs. Sa politique télévisuelle vise à faire en sorte qu’il existe une large gamme d’émissions canadiennes, et ce, dans un nombre d’heures adéquat26. Les stations de radio doivent diffuser un certain pourcentage de contenu canadien. Par exemple, 35 % de la musique populaire diffusée par les stations de radio commerciales entre 6 h et 18 h doit être de contenu canadien27. Les services de distribution sont tenus de transmettre plus de services sonores et télévisuels canadiens que de services étrangers, et le CRTC a établi des règles quant aux services canadiens qui doivent être fournis et à la façon dont ils doivent l’être28.
De plus, la politique de radiodiffusion prévoit que tous les éléments du système doivent contribuer à la création d’une programmation canadienne. Ces éléments sont les services de programmation, tels que les services de radio et de télévision qui décident des émissions à diffuser, ainsi que les services de distribution, comme les services de câblodistribution ou de diffusion par satellite, qui fournissent ces programmes au public29. Le CRTC a pris des mesures incitatives destinées à encourager les services de programmation à diffuser des dramatiques canadiennes et il oblige les services de télévision payants et spécialisés à contribuer à la production de programmes canadiens30. Quant aux services de distribution, le CRTC exige qu’ils participent financièrement à la création de programmes canadiens. Ils doivent, en règle générale, reverser à cette fin au moins 5 % de leurs recettes brutes annuelles découlant de leurs activités de radiodiffusion31. En 2008, le CRTC a créé le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale, afin de soutenir la programmation locale des stations de télévision conventionnelle qui opèrent dans des zones non métropo¬litaines. Ces stations ont cependant éprouvé des difficultés financières en raison de la récession. Toutefois, en 2012, le CRTC a annoncé que, le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale ayant atteint ses objectifs, celui-ci serait graduellement éliminé d’ici le 31 août 201432.
Le ministère du Patrimoine canadien joue également un rôle dans la conception et l’administration de programmes qui encouragent à développer le contenu canadien. L’un de ces programmes est le Fonds des médias du Canada, un partenariat public privé qui finance la création de contenu pour la télévision et les plateformes numériques émergentes33.
Comme il a été indiqué dans l’introduction, depuis quelques années, le développement de la technologie numérique et d’Internet présente des défis en ce qui concerne la politique de radiodiffusion. Par numérisation, l’on entend la conversion d’une information analogique, que ce soit un texte, une image, un son ou une vidéo, en un signal numérique qui peut ensuite être traité par ordinateur. C’est la distribution de ce code sur les mêmes réseaux que l’on qualifie de convergence.
La numérisation et la convergence ont entraîné deux changements majeurs dans le monde de la radiodiffusion, à savoir la fragmentation et le regroupement d’entreprises. La fragmentation résulte de l’explosion du nombre de services et d’applications. Certains sont distribués par des intervenants traditionnels réglementés, tandis que d’autres le sont par des intervenants non réglementés sur Internet ou sur des réseaux sans fil.
On parle de regroupement d’entreprises lorsque des entreprises font l’acquisition d’entreprises similaires (intégration horizontale) ou s’investissent dans différents aspects de la radiodiffusion (intégration verticale). Les entreprises intégrées verticalement peuvent participer à la production, à la radiodiffusion et à la distribution de programmes et souvent, elles proposent aussi des services de télécommunications. Ces regroupements d’entreprises pourraient avoir pour effet de réduire la concurrence et la diversité des voix34.
Les sections suivantes portent sur les répercussions de ces développements sur la politique canadienne de radiodiffusion.
La numérisation et la convergence ont pour effet de rendre la distinction moins nette entre radiodiffusion et télécommunications, alors que ces deux secteurs sont régis par des lois différentes, la LCR et la Loi sur les télécommunications. Cependant, ces deux lois se chevauchent de plus en plus35.
Ainsi, la question de savoir si les fournisseurs de services Internet (FSI), qui sont assujettis à la Loi sur les télécommunications, sont aussi des « entreprises de radiodiffusion » aux termes de la LCR a donné lieu à une controverse. Les FSI disent offrir un service neutre quant au contenu, mais pour les groupes culturels, ils fonctionnent comme des entreprises de radiodiffusion et devraient, par conséquent, être assujettis à la LCR. Ces groupes soutiennent, en outre, que les FSI devraient cotiser à un fonds d’aide à la création de contenu canadien. Le CRTC ayant renvoyé la question devant la Cour d’appel fédérale, celle-ci a statué en 2010 que les FSI donnent accès à la radiodiffusion, mais qu’étant des fournisseurs de services neutres quant au contenu, ce ne sont pas des entreprises de radiodiffusion36. En février 2012, la Cour suprême du Canada a confirmé la décision de la Cour d’appel fédérale 37.
La fragmentation a entraîné non seulement une multiplication des sources réglementées, comme les chaînes spécialisées diffusées par câble ou par satellite, mais également une augmentation des sources non réglementées, comme celles qui diffusent leurs programmes sur Internet. Par conséquent, en ce qui concerne la politique de radiodiffusion, les radiodiffuseurs réglementés perdent des recettes publicitaires et des revenus d’abonnement au profit de radiodiffuseurs non réglementés, ce qui risque de se répercuter sur leur capacité de participation aux fonds qui permettent la création de contenu canadien. À l’inverse, la fragmentation permet à des sociétés canadiennes de se tailler une place sur le marché mondial, ce qui peut avoir des retombées positives pour le Canada38.
Depuis 2001, le regroupement d’entreprises a entraîné une intégration verticale de l’industrie de la radiodiffusion. Au nombre des regroupements notables, il faut mentionner l’acquisition de TVA par Quebecor Media, celle de cinq stations de City Television par Rogers Media, celle de Canwest Global par Shaw Communications et celle de CTVglobemedia par BCE. En juin 2013, le CRTC a approuvé l’acquisition de services de télédiffusion et de radiodiffusion d’Astral Media par BCE. Ce faisant, le CRTC a imposé un certain nombre de conditions conçues pour que le système demeure concurrentiel39.
L’intégration verticale présente des avantages, comme la réduction des coûts, mais aussi un risque, à savoir que les sociétés intégrées montrent une préférence pour les entreprises de leur propre groupe. Devant le plus grand nombre de regroupements d’entreprises, le CRTC a décidé, en 2010, d’adopter une approche par groupe du renouvellement des licences des grands groupes de propriété de télévision privée qui offrent des services de diffusion conventionnels et spécialisés. Avant, ces services étaient examinés individuellement. La nouvelle approche vise à donner aux groupes de propriété plus de latitude dans l’affectation des ressources entre leurs différents services40. En réponse à l’inquiétude au sujet de la possibilité que les sociétés intégrées accordent la préférence à leurs propres entreprises, le CRTC a annoncé, en septembre 2011, un cadre visant à interdire aux entreprises d’offrir des émissions de télévision à leurs abonnés des services Internet ou mobiles de façon exclusive. Le CRTC a aussi adopté un code de déontologie visant à empêcher les pratiques anticoncurrentielles et a mis en place des mesures pour garantir le traitement équitable des distributeurs et des télédiffuseurs indépendants 41.
La méthode traditionnelle pour soutenir la création du contenu canadien et faire en sorte que les Canadiens y aient accès repose sur la rareté des radiofréquences. Pour avoir accès à une fréquence, un radiodiffuseur doit obtenir une licence du CRTC. En contrepartie, il doit se conformer à la réglementation sur le contenu canadien qui fixe des niveaux minimums d’investissement dans des programmes canadiens et établir un minimum d’heures de diffusion de programmes canadiens.
Sur Internet, cependant, la rareté des fréquences ne constitue pas un problème et toutes sortes de sources proposent tout un éventail de contenus. Comme l’a souligné M. Konrad von Finckenstein, ancien président du CRTC, dans un discours : « […] le contrôle de l’accès en tant que moyen pour s’assurer qu’on fournisse un contenu canadien est en voie de devenir désuet. À l’avenir, si l’on désire retrouver du contenu canadien dans quelconques médias que ce soit, il faudra songer à accen-tuer le soutien et la promotion, et à mettre le radiodiffuseur public à cette fin42. »
Comme tous les radiodiffuseurs, CBC/Radio-Canada doit s’adapter à l’évolution technologique. En même temps, elle doit respecter le mandat précis que lui confère la LCR. Le dernier plan de CBC/Radio-Canada pour s’adapter aux changements du milieu s’intitule Un espace pour nous tous. Lancé en juin 2014, ce plan prévoit l’accélération du passage vers les services numériques, le maintien de la présence régionale, mais à moindres coûts, ainsi que la réduction des productions internes, exception faite des nouvelles, des actualités et de la radio43.
Lorsque le Parlement a adopté la Loi sur la radiodiffusion en 1991, bon nombre des technologies qui font aujourd’hui partie de notre quotidien n’existaient pas. Les changements entraînés par l’adoption de la technologie numérique constituent autant de défis pour la réalisation des objectifs de la LCR.
Les objectifs traditionnels de la politique de radiodiffusion que sont la propriété canadienne, la coexistence de radiodiffuseurs publics et privés, la production et la distribution de contenu canadien, et l’utilisation des ressources créatrices du pays, persistent, et le débat actuel porte essentiellement sur la meilleure façon d’atteindre ces objectifs. L’évolution technologique complique la donne.
Afin de s’adapter à un environnement en pleine évolution, le CRTC suit les tendances et tient souvent des audiences pour mieux comprendre les nouveaux enjeux. De temps en temps, il prend des décisions stratégiques afin de préciser comment les objectifs de la politique de radiodiffusion doivent être réalisés. La politique canadienne de radiodiffusion continuera ainsi d’évoluer jusqu’à la prochaine révision de la Loi sur la radiodiffusion.
Canadian Broadcasting Corporation. A Space for Us All (2,33 Mo, 19 pages), 26 juin 2014 [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT].
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada
–––. L’Environnement futur du système canadien de radiodiffusion, 14 décembre 2006.
–––. Naviguer dans les eaux de la convergence : Tableau des changements au sein de l’industrie des communications canadiennes et des répercussions sur la réglementation, février 2010.
–––. Rapport de surveillance des communications (8 Mo, 268 pages), septembre 2013.
–––. Plan triennal 2014-2017 (1,13 Mo, 26 pages), avril 2014.
Ménard, Marion. CBC/Radio-Canada : aperçu et enjeux (409 ko, 16 pages). Publication no 2013-92-F. Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, Ottawa, 28 octobre 2013.
Peers, Frank W. et Susan Harada. « Radiodiffusion et télédiffusion », L’Encyclopédie canadienne.
Politique canadienne de radiodiffusion
3. (1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion :
a) le système canadien de radiodiffusion doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle;
b) le système canadien de radiodiffusion, composé d’éléments publics, privés et communautaires, utilise des fréquences qui sont du domaine public et offre, par sa programmation essentiellement en français et en anglais, un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle;
c) les radiodiffusions de langues française et anglaise, malgré certains points communs, diffèrent quant à leurs conditions d’exploitation et, éventuellement, quant à leurs besoins;
d) le système canadien de radiodiffusion devrait :
(i) servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada,e) tous les éléments du système doivent contribuer, de la manière qui convient, à la création et la présentation d’une programmation canadienne;
(ii) favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes, qui mette en valeur des divertissements faisant appel à des artistes canadiens et qui fournisse de l’information et de l’analyse concernant le Canada et l’étranger considérés d’un point de vue canadien,
(iii) par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d’emploi, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment l’égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu’y occupent les peuples autochtones,
(iv) demeurer aisément adaptable aux progrès scientifiques et techniques;
f) toutes les entreprises de radiodiffusion sont tenues de faire appel au maximum, et dans tous les cas au moins de manière prédominante, aux ressources – créatrices et autres – canadiennes pour la création et la présentation de leur programmation à moins qu’une telle pratique ne s’avère difficilement réalisable en raison de la nature du service – notamment, son contenu ou format spécialisé ou l’utilisation qui y est faite de langues autres que le français ou l’anglais – qu’elles fournissent, auquel cas elles devront faire appel aux ressources en question dans toute la mesure du possible;
g) la programmation offerte par les entreprises de radiodiffusion devrait être de haute qualité;
h) les titulaires de licences d’exploitation d’entreprises de radiodiffusion assument la responsabilité de leurs émissions;i) la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait à la fois :(i) être variée et aussi large que possible en offrant à l’intention des hommes, femmes et enfants de tous âges, intérêts et goûts une programmation équilibrée qui renseigne, éclaire et divertit,j) la programmation éducative, notamment celle qui est fournie au moyen d’installations d’un organisme éducatif indépendant, fait partie intégrante du système canadien de radiodiffusion;
(ii) puiser aux sources locales, régionales, nationales et internationales,
(iii) renfermer des émissions éducatives et communautaires,
(iv) dans la mesure du possible, offrir au public l’occasion de prendre connaissance d’opinions divergentes sur des sujets qui l’intéressent,
(v) faire appel de façon notable aux producteurs canadiens indépendants;
k) une gamme de services de radiodiffusion en français et en anglais doit être progressivement offerte à tous les Canadiens, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens;
l) la Société Radio-Canada, à titre de radiodiffuseur public national, devrait offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit;
m) la programmation de la Société devrait à la fois :(i) être principalement et typiquement canadienne,n) les conflits entre les objectifs de la Société énumérés aux alinéas l) et m) et les intérêts de toute autre entreprise de radiodiffusion du système canadien de radiodiffusion doivent être résolus dans le sens de l’intérêt public ou, si l’intérêt public est également assuré, en faveur des objectifs énumérés aux alinéas l) et m);
(ii) refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu’au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions,
(iii) contribuer activement à l’expression culturelle et à l’échange des diverses formes qu’elle peut prendre,
(iv) être offerte en français et en anglais, de manière à refléter la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l’une ou l’autre langue,
(v) chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais,
(vi) contribuer au partage d’une conscience et d’une identité nationales,
(vii) être offerte partout au Canada de la manière la plus adéquate et efficace, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens,
(viii) refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada;
o) le système canadien de radiodiffusion devrait offrir une programmation qui reflète les cultures autochtones du Canada, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens;
p) le système devrait offrir une programmation adaptée aux besoins des personnes atteintes d’une déficience, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens;
q) sans qu’il soit porté atteinte à l’obligation qu’ont les entreprises de radiodiffusion de fournir la programmation visée à l’alinéa i), des services de programmation télévisée complémentaires, en anglais et en français, devraient au besoin être offerts afin que le système canadien de radiodiffusion puisse se conformer à cet alinéa;
r) la programmation offerte par ces services devrait à la fois :(i) être innovatrice et compléter celle qui est offerte au grand public,s) les réseaux et les entreprises de programmation privés devraient, dans la mesure où leurs ressources financières et autres le leur permettent, contribuer de façon notable à la création et à la présentation d’une programmation canadienne tout en demeurant réceptifs à l’évolution de la demande du public;
(ii) répondre aux intérêts et goûts de ceux que la programmation offerte au grand public laisse insatisfaits et comprendre des émissions consacrées aux arts et à la culture,
(iii) refléter le caractère multiculturel du Canada et rendre compte de sa diversité régionale,
(iv) comporter, autant que possible, des acquisitions plutôt que des productions propres,
(v) être offerte partout au Canada de la manière la plus rentable, compte tenu de la qualité;
t) les entreprises de distribution :(i) devraient donner priorité à la fourniture des services de programmation canadienne, et ce en particulier par les stations locales canadiennes,
(ii) devraient assurer efficacement, à l’aide des techniques les plus efficientes, la fourniture de la programmation à des tarifs abordables,
(iii) devraient offrir des conditions acceptables relativement à la fourniture, la combinaison et la vente des services de programmation qui leur sont fournis, aux termes d’un contrat, par les entreprises de radiodiffusion,
(iv) peuvent, si le Conseil le juge opportun, créer une programmation – locale ou autre – de nature à favoriser la réalisation des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion, et en particulier à permettre aux minorités linguistiques et culturelles mal desservies d’avoir accès aux services de radiodiffusion.
Déclaration
(2) Il est déclaré en outre que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique et que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome.
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* Source : Loi sur la radiodiffusion, L.C.1991, ch. 11. [ Retour au texte ]
Mission
5. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, ainsi que de la Loi sur la radiocommunication et des instructions qui lui sont données par le gouverneur en conseil sous le régime de la présente loi, le Conseil réglemente et surveille tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue de mettre en œuvre la politique canadienne de radiodiffusion.
Réglementation et surveillance
(2) La réglementation et la surveillance du système devraient être souples et à la fois :
a) tenir compte des caractéristiques de la radiodiffusion dans les langues française et anglaise et des conditions différentes d’exploitation auxquelles sont soumises les entreprises de radiodiffusion qui diffusent la programmation dans l’une ou l’autre langue;
b) tenir compte des préoccupations et des besoins régionaux;
c) pouvoir aisément s’adapter aux progrès scientifiques et techniques;
d) favoriser la radiodiffusion à l’intention des Canadiens;
e) favoriser la présentation d’émissions canadiennes aux Canadiens;
f) permettre la mise au point de techniques d’information et leur application ainsi que la fourniture aux Canadiens des services qui en découlent;
g) tenir compte du fardeau administratif qu’elles sont susceptibles d’imposer aux exploitants d’entreprises de radiodiffusion.
Conflit
(3) Le Conseil privilégie, dans les affaires dont il connaît, les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion en cas de conflit avec ceux prévus au paragraphe (2).
Équité en matière d’emploi
(4) Les entreprises de radiodiffusion qui sont assujetties à la Loi sur l’équité en matière d’emploi ne relèvent pas des pouvoirs du Conseil pour ce qui est de la réglementation et de la surveillance du domaine de l’équité en matière d’emploi.
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* Source : Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11. [ Retour au texte ]
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
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