Les Canadiens savent que les provinces et le gouvernement fédéral s’occupent des questions généralement liées à la santé et aux soins de santé, mais il y a souvent confusion dans leur esprit au sujet des compétences respectives des deux ordres de gouvernement. Cette incertitude tient en partie à la distinction entre la santé et les soins de santé.
La santé (au sens le plus large) signifie qu’il est souhaitable de maintenir ou d’atteindre un état de bien-être général. Les soins de santé (au sens le plus étroit) désignent les services offerts par les médecins et les hôpitaux. Le gouvernement fédéral a de nombreuses responsabilités en matière de santé, mais c’est aux provinces qu’il revient de fournir des soins de santé à la majorité des Canadiens.
Il n’est pas étonnant, vu l’époque où elle a été rédigée, que la Loi constitutionnelle de 1867 ne mentionne pas expressément la « santé » parmi les compétences législatives attribuées au Parlement (art. 91) ou aux législatures provinciales (art. 92).
En 1982, la Cour suprême du Canada déclarait que :
la « santé » n’est pas l’objet d’une attribution constitutionnelle spécifique, mais constitue plutôt un sujet indéterminé que les lois fédérales ou provinciales valides peuvent aborder selon la nature ou la portée du problème de santé en cause dans chaque cas 1.
La Constitution traite toutefois de compétences qui sont directement liées à la santé et aux soins de santé. Le paragraphe 91(11) attribue la responsabilité concernant « la quarantaine et l’établissement et maintien des hôpitaux de marine » au gouvernement fédéral. Le paragraphe 92(7) attribue la responsabilité de la plupart des autres hôpitaux aux provinces. Abstraction faite du fonctionnement des hôpitaux, la structure de la santé et des soins de santé au Canada repose donc en majeure partie sur des sources plutôt indirectes de pouvoir constitutionnel.
En plus de leur compétence relative aux hôpitaux, les provinces ont la responsabilité exclusive de la prestation directe de la plupart des services médicaux, de la formation des médecins et de nombreuses fonctions connexes. Il est généralement admis que cette responsabilité découle des pouvoirs que la Loi constitutionnelle de 1867 leur attribue relativement à la propriété et aux droits civils (par. 92(13)) et aux matières d’une nature purement locale ou privée (par. 92(16)).
Les secteurs de la santé où le gouvernement fédéral est le plus directement engagé dérivent de trois pouvoirs constitutionnels : la compétence en matière de droit criminel, le pouvoir de dépenser et, éventuellement, le pouvoir d’adopter des lois pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada. Ces pouvoirs seront examinés l’un après l’autre. Il sera question ensuite des autres activités du gouvernement fédéral qui sont liées à la santé et aux soins de santé et qui découlent dans une large mesure de pouvoirs différents.
Depuis de nombreuses années, la compétence en matière de droit criminel prévue dans la Loi constitutionnelle de 1867 (par. 91(27)) sert de base aux lois fédérales concernant un certain nombre de questions liées à la santé. À ce sujet, la Cour suprême a interprété au sens large la compétence en matière de droit criminel. Voici ce qu’a déclaré le juge LaForest dans une affaire de 1995 relative au tabac :
Le fédéral possède une vaste compétence pour ce qui est de l’adoption de lois en matière criminelle relativement à des questions de santé, et cette compétence n’est circonscrite que par les exigences voulant qu’elles comportent une interdiction accompagnée d’une sanction pénale, et qu’elles visent un mal légitime pour la santé publique 2.
La compétence en matière de droit criminel permet donc de protéger la santé physique et la sécurité du public en contrôlant les dangers possibles que présentent des produits ou substances comme :
Le recours à la compétence en matière de droit criminel pour réglementer la procréation assistée a fait l’objet d’une contestation constitutionnelle. Le gouvernement du Québec s’est adressé à la Cour d’appel du Québec pour savoir si les articles 8 à 19 (actes interdits et activités réglementées, renseignements personnels et accès à l’information), 40 à 53 (inspection, saisie et confiscation), 60 et 61 (infractions et peines) et 68 (non-application de certaines dispositions dans une province) de la Loi sur la procréation assistée (LPA) excèdent la compétence du Parlement. Le 18 juin 2008, la Cour a conclu que ces dispositions n’étaient pas valablement édictées en vertu de la compétence fédérale en matière de droit criminel et qu’elles empiétaient sur la compétence provinciale.
Dans un jugement divisé rendu le 22 décembre 2010, la Cour suprême du Canada a accepté une partie de cette décision. Hormis une variation mineure, quatre juges se sont déclarés d’accord avec la Cour d’appel du Québec, et quatre autres ont conclu que toutes les dispositions contestées de la LPA avaient été valablement édictées. Le neuvième juge, le juge Cromwell, a conclu que certaines dispositions avaient été valablement édictées (p. ex. l’art. 8 – utilisation du matériel reproductif humain sans consentement), mais que d’autres excédaient la compétence législative du Parlement (p. ex. le par. 10(1) – utilisation du matériel reproductif humain dans le but de créer un embryon, sauf en conformité avec les règlements et avec une autorisation). Essentiellement, les motifs du juge Cromwell ont tranché la question.
En réponse à cette décision, le gouvernement fédéral a, en 2012, abrogé toutes les dispositions de la LPA qui, selon la Cour suprême, outrepassait la compétence du fédéral3. Au même moment, le gouvernement a annoncé le démantèlement de Procréation assistée Canada (PAC), un organisme fédéral chargé d’administrer la LPA4. Les dispositions de la Loi concernant l’établissement et les activités de PAC ont elles aussi été abrogées. Santé Canada administre aujourd’hui les autres dispositions de la Loi.
Le pouvoir fédéral de dépenser découle de la compétence qu’attribue au Parlement la Loi constitutionnelle de 1867 en matière de dette et de propriété publiques (par. 91(1A)) et du pouvoir général d’imposition (par. 91(3)) 5. C’est ainsi que le Parlement peut réunir des fonds par l’imposition et les dépenser ou les redistribuer comme bon lui semble.
Bien que les provinces soient responsables de la prestation directe de la plupart des services médicaux, le gouvernement fédéral se sert du pouvoir de dépenser pour jouer un rôle important dans le système d’assurance-maladie canadien au moyen de ses contributions financières 6 et en fixant certaines normes nationales par le truchement de la Loi canadienne sur la santé 7.
En se servant de son pouvoir de dépenser, le Parlement peut assortir de conditions les sommes qu’il verse. En termes constitutionnels, donc, la Loi canadienne sur la santé (LCS) traite du financement des soins de santé, plutôt que des soins de santé directement, et les normes nationales qu’elle établit sont les conditions auxquelles doivent répondre les provinces pour continuer à recevoir les crédits fédéraux. La seule sanction à laquelle s’expose la province qui ne respecte pas l’un ou l’autre des critères ou des conditions de la LCS, c’est que le gouvernement fédéral réduise les sommes qu’il lui verse ou qu’il ne les lui verse pas.
Dans un jugement rendu par la Cour suprême du Canada en 1997, le juge LaForest a déclaré que, pour jouer son rôle dans la prestation des soins médicaux, le Parlement :
a utilisé son pouvoir inhérent de dépenser pour fixer des normes nationales à l’égard des programmes provinciaux d’assurance-maladie. Aux termes de la Loi canadienne sur la santé, […] le gouvernement fédéral doit contribuer au financement des programmes provinciaux d’assurance-maladie qui satisfont à certaines conditions d’octroi spécifiées. (Je souligne en passant que la constitutionnalité de ce genre de subvention conditionnelle a été confirmée par notre Cour dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 567 8.)
On a déjà soutenu qu’il faudrait exiger que les crédits fédéraux soient dépensés à des fins fédérales. Aujourd’hui, cependant, l’idée reçue veut que le Parlement puisse affecter ses revenus à des domaines qui, selon la loi, sont de compétence provinciale :
Il me semble que ce que la loi dit, c’est plutôt que le Parlement fédéral peut dépenser ou prêter ses fonds à n’importe quel gouvernement, institution ou particulier et à n’importe quelle fin, et qu’il peut assortir ses subventions ou ses prêts de n’importe quelles conditions, y compris des conditions qu’il ne pourrait pas imposer par voie législative. Il y a, à mon avis, une distinction entre la réglementation obligatoire, qui ne peut évidemment s’exercer que par une loi édictée dans les limites de la compétence législative, et les dépenses, les prêts et les contrats, qui n’imposent pas d’obligations aux destinataires (comme dans le cas des allocations familiales) ou dont les obligations sont volontairement acceptées par les destinataires (comme dans le cas des subventions conditionnelles) […] [note de bas de page omise] 9.
Le pouvoir de dépenser fournit les assises nécessaires aux initiatives fédérales dans des domaines tels que :
Le début de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 – celui qui énumère la plupart des compétences législatives du Parlement – donne au Parlement le pouvoir :
de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces.
Selon l’interprétation qu’en ont donnée les tribunaux, ce pouvoir résiduel peut être invoqué surtout en cas d’urgence ou lorsque survient une question d’« importance nationale ». Pour qu’une question puisse être réputée d’importance nationale, elle doit être indivisible, c’est-à-dire qu’il serait impossible aux provinces de s’en occuper chacune de son côté ou qu’elle exigerait la collaboration de toutes les provinces, faute de quoi le pays en souffrirait 10.
La mesure dans laquelle la disposition concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement peut être invoquée par le Parlement dans le domaine de la santé est une question discutable. Il ne fait guère de doute qu’elle pourrait l’être dans l’éventualité d’une urgence nationale en matière de santé dont les provinces ne pourraient pas s’occuper elles-mêmes.
Bien que la Cour suprême du Canada ait à l’occasion déclaré en termes généraux que la disposition concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement pouvait servir de soutien aux lois fédérales, le nombre de jugements qu’elle a rendus sur ce sujet est assez limité. En outre, étant donné la conception large qu’a la Cour suprême de la compétence en matière de droit criminel, la disposition concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement a moins d’importance qu’elle n’en aurait autrement 11.
Jusqu’à présent, il a été surtout question, dans le présent document, de la responsabilité du gouvernement fédéral en matière de santé et de sécurité du public découlant de sa compétence en matière de droit criminel et de ses interventions découlant de son pouvoir de dépenser. Il existe un certain nombre d’autres responsabilités fédérales dont la santé constitue un aspect et qui font intervenir divers ministères et organismes 12. Ce sont, entre autres :
Braën, André. « La santé et le partage des compétences au Canada » (1.1 Mo, 34 pages), étude no 2, Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada, juillet 2002.
Gibson, Dale. « The Canada Health Act and the Constitution », Health Law Journal, vol. 4, 1996.
Jackman, Martha. « Constitutional Jurisdiction Over Health in Canada » (125 ko, 23 pages), Health Law Journal, vol. 8, 2000.
* La version originale du présent document a été rédigée par Margaret Young, anciennement de la Bibliothèque du Parlement. [ Retour au textet ]
† Les documents de la série En bref de la Bibliothèque du Parlement sont des survols de sujets d’actualité. Dans certains cas, ils donnent un aperçu de la question et renvoient le lecteur à des documents plus approfondis. Ils sont préparés par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires, ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
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