Pendant un siècle et demi, l’expression « projet de loi omnibus » n’a pas eu de définition nette dans les règles de procédure du Sénat et de la Chambre des communes. Souvent, les projets de loi omnibus déposés suscitaient des questions sur leur nature, leur recevabilité, leur bien-fondé ou d’autres aspects encore.
Au fil du temps, diverses sources parlementaires ont énoncé les caractéristiques essentielles généralement associées aux projets de loi omnibus. Ces derniers peuvent prendre différentes formes, par exemple, des textes volumineux, complexes et ambitieux ou encore qui visent à créer ou à modifier plusieurs lois disparates.
Plusieurs présidents de la Chambre des communes ont toutefois affirmé, lorsqu’ils se sont prononcés en faveur de la recevabilité d’un projet de loi omnibus, que ce qui assurait la cohérence des multiples éléments des projets de loi omnibus était un principe unificateur, un seul objet, un objet unique, ou encore un fil conducteur.
En 2017, la Chambre a ajouté à son règlement une définition dans laquelle elle a décrit le projet de loi omnibus comme un projet de loi émanant du gouvernement qui vise à modifier, à abroger ou à édicter plus d’une loi, mais qui n’a aucun fil directeur ou qui porte sur des sujets qui n’ont rien en commun les uns avec les autres. Aux fins des votes, les articles d’un projet de loi peuvent être regroupés par thèmes, et ces groupes d’articles peuvent être étudiés séparément dans le cadre d’un seul débat à chaque étape du processus.
Même si, de nos jours, les projets de loi omnibus sont bien ancrés dans la pratique parlementaire canadienne, on considère encore souvent leur usage comme exceptionnel. Puisque peu d’études ont été faites pour répondre aux questions qui reviennent régulièrement sur ce type de projet de loi, le présent document propose des réponses aux questions les plus fréquentes sur les projets de loi omnibus.
Depuis des décennies, les gouvernements de toutes les allégeances politiques ont recours aux projets de loi omnibus pour proposer certains types de mesures législatives au Parlement. Bien qu’il s’agisse d’un moyen bien ancré dans la pratique parlementaire canadienne, son usage est souvent considéré comme exceptionnel. Chaque fois qu’un projet de loi omnibus est déposé, il suscite immanquablement des questions sur sa nature, sa recevabilité, son bien-fondé et d’autres aspects. Or, peu d’études ont été entreprises pour répondre à ces questions qui reviennent régulièrement.
Le présent document propose des réponses aux questions les plus fréquentes au sujet des projets de loi omnibus.
Pendant un siècle et demi, l’expression « projet de loi omnibus » n’a pas eu de définition nette dans les règles de procédure du Sénat et de la Chambre des communes. Or, au fil du temps, diverses sources parlementaires ont énoncé les caractéristiques essentielles des textes qui étaient généralement considérés comme des projets de loi omnibus.
En 2017, la Chambre des communes a défini l’expression « projet de loi omnibus » dans son règlement pour permettre au Président de diviser, selon les besoins, les questions sur les projets de loi omnibus en vue du vote aux étapes de la deuxième et de la troisième lectures. L’article 69.1 du Règlement de la Chambre des communes (le Règlement) décrit un projet de loi omnibus comme étant un projet de loi émanant du gouvernement qui vise à modifier, à abroger ou à édicter plus d’une loi, mais qui n’a aucun fil directeur ou qui porte sur des sujets qui n’ont rien en commun les uns avec les autres 1.
De même, le Vocabulaire de procédure parlementaire de la Chambre des communes définit l’expression « projet de loi omnibus » en ces termes : « Projet de loi qui vise à modifier, à abroger ou à édicter plusieurs lois sans qu’il […] y ait de fil directeur ou [qui] porte sur des sujets qui n’ont rien en commun les uns avec les autres 2 ».
Souvent, le Président de la Chambre des communes se fonde sur les précédents pertinents pour rendre ses décisions. Il serait donc utile de rappeler les définitions déjà données à l’expression « projet de loi omnibus » dans le contexte parlementaire canadien.
En 1988, le très honorable Herb Gray, alors leader de l’Opposition officielle à la Chambre, a affirmé, durant un débat, que l’élément central d’un projet de loi omnibus est un principe unificateur reliant les nombreuses lois qu’il vise à modifier :
La défense essentielle de la procédure omnibus, c’est que le projet de loi en question, bien qu’il cherche à créer ou à modifier beaucoup de lois disparates, a en fait un seul principe de base ou un seul objet fondamental qui justifie toutes les mesures envisagées et qui rend le projet de loi intelligible à des fins parlementaires 3.
Par la suite, plusieurs présidents de la Chambre des communes ont utilisé ces termes en y faisant référence de façon positive dans leurs propres décisions 4. Ils ont également parlé d’un « principe unificateur 5 », d’un « seul objet 6 », d’un « objet unique 7 » ou d’un « fil conducteur 8 » qui relie les multiples éléments des projets de loi omnibus.
Dans une perspective parlementaire plus large, le sens donné à l’expression « projet de loi omnibus » pourrait varier selon le contexte. Par exemple, cette expression est parfois utilisée pour parler des propositions législatives adoptées dans le cadre du programme de correction des lois. Créé en 1975, ce programme permet l’adoption rapide de modifications visant à corriger des anomalies, des erreurs et des contradictions dans diverses lois du Parlement, ou à apporter des changements mineurs et non controversés. En tout, 12 lois correctives ont été adoptées depuis la création de ce programme, la dernière en 2017 9.
L’expression « projet de loi omnibus » peut également désigner des projets de loi qui ne sont pas nécessairement longs, mais qui, s’ils étaient adoptés, auraient de vastes répercussions sur le droit statutaire en général. Un exemple notoire est le recours généralisé à la disposition de dérogation par l’Assemblée nationale du Québec, en 1982. Par suite de l’adoption au Québec de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982 10 (qui ne comportait que sept articles), toutes les lois du Québec ont été abrogées, puis promulguées à nouveau avec la disposition de dérogation prévue à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, soustrayant ainsi toutes les lois du Québec de l’application de cette charte 11.
Il est difficile d’affirmer avec certitude à quel moment a été déposé le premier projet de loi omnibus au Parlement.
La procédure et les usages de la Chambre des communes renvoie à un projet de loi d’intérêt privé déposé en 1888 qui visait à confirmer deux accords ferroviaires distincts 12. Or, d’autres projets de loi de nature « omnibus » pourraient avoir été déposés auparavant. En 1868 déjà, durant la première session parlementaire du Parlement canadien, la Loi maintenant en vigueur pendant un certain temps plusieurs lois qui y sont énumérées 13 a été adoptée. Cette mesure pourrait bien être qualifiée de premier projet de loi omnibus adopté au Canada depuis la Confédération. Cette loi comportait un seul objet, soit le maintien de lois sur le point d’expirer, et en modifiait plusieurs autres portant sur des sujets différents, comme la faillite, la paix aux frontières et les banques.
Selon le hansard, c’est en 1923 que, pour la première fois, le caractère « omnibus » d’un projet de loi a suscité une réaction négative. Cette année là, le Sénat a rejeté un projet de loi omnibus du gouvernement portant sur les chemins de fer en raison de sa trop vaste portée. Le projet de loi 234, Loi concernant la construction de lignes des chemins de fer nationaux du Canada, prévoyait la mise en place d’un vaste programme de construction de 29 embranchements. Au cours des débats, il a été suggéré que si le projet de loi était déposé de nouveau, il y aurait lieu de le fractionner en plusieurs projets de loi distincts, un pour chaque embranchement. Le gouvernement a suivi ce conseil et, à la session suivante, il a déposé un ensemble de projets de loi distincts 14.
À la Chambre des communes, c’est en 1953 que le bien-fondé d’un projet de loi omnibus semble avoir été remis en question pour la première fois, lorsque l’honorable Brooke Claxton, alors ministre de la Défense nationale, a été invité à donner la raison pour laquelle son projet de loi visait trois lois fédérales. Le ministre a dit que, pour faciliter les choses tant pour les députés de la Chambre des communes que pour les Forces armées canadiennes, les modifications apportées aux lois relatives à l’armée avaient été regroupées dans un même projet de loi en 1950, en 1951, en 1952 et encore une fois en 1953 15.
Les règles, la procédure et les usages parlementaires n’interdisent nullement le dépôt de projets de loi omnibus. Toutefois, à l’instar de toute proposition législative, ces projets de loi doivent respecter les règles en vigueur relativement à leur recevabilité et à leur examen.
Des modifications apportées au Règlement en 2017 permettent au Président de la Chambre de diviser un projet de loi omnibus émanant du gouvernement en plusieurs parties aux fins des votes tenus aux étapes de la deuxième et de la troisième lectures. Ces changements n’ont aucune incidence sur la recevabilité du projet de loi au regard de la procédure.
La première décision relative à la recevabilité d’un projet de loi omnibus semble remonter au 23 janvier 1969. Le Président Lucien Lamoureux a dû se prononcer sur la recevabilité d’une motion visant à demander à un comité de diviser un projet de loi en plusieurs parties distinctes avant son renvoi au comité compétent. Le Président a jugé cette motion irrecevable et contraire aux précédents et autorités, pour le motif que ce genre de motion n’était recevable qu’après le renvoi du projet de loi à un comité. Quant au caractère « omnibus » du projet de loi, le Président Lamoureux a déclaré : « Il n’appartient pas à la présidence de déterminer s’il est convenable ou opportun que le gouvernement présente cette mesure législative sous la forme d’un bill omnibus 16 ».
Deux ans plus tard, en 1971, le Président Lamoureux a encore une fois été appelé à se prononcer sur la recevabilité d’un projet de loi omnibus. Des députés s’opposaient à l’inclusion de plusieurs propositions et principes distincts dans le projet de loi C 207, Loi de 1970 sur l’organisation du gouvernement 17. Tout en partageant les inquiétudes exprimées au sujet du caractère « omnibus » du projet de loi, le Président Lamoureux se sentait lié par une « pratique établie depuis longtemps » en ce qui concerne le dépôt de projets de loi omnibus devant le Parlement canadien. Il a toutefois laissé entendre qu’à un certain stade, le caractère « omnibus » d’une proposition législative risquait de rendre celle ci irrecevable sur le plan de la procédure :
Cependant, où faut il nous arrêter? Où est le point de non retour? […] [N]ous pourrions en arriver à n’être saisi que d’un seul bill au début d’une session, visant [à] améliorer les conditions de vie au Canada et qui comprendrait tous les projets de loi de la session. Ce serait un bill omnibus avec un « B » et un « O » majuscules. Mais une telle procédure serait elle acceptable? Il doit exister un point où nous outrepassons ce qui est acceptable du strict point de vue parlementaire […] au-delà duquel un bill est plus qu’un bill omnibus et devient irrecevable du point de vue de la procédure 18.
Depuis, de nombreux députés ont fait des « rappels au Règlement » pour manifester leur opposition à des propositions législatives de caractère « omnibus », alléguant, notamment, que le point de non retour dont parlait le Président Lamoureux avait été atteint. Les présidents de la Chambre des communes qui se sont succédé ont pourtant continué à juger que les projets de loi omnibus étaient recevables sur le plan de la procédure. Par exemple, certains ont rejeté des motions portant division de projets de loi par un comité 19, ainsi que des demandes qui leur étaient adressées de diviser eux mêmes des projets de loi en plusieurs parties 20. Malgré les réserves souvent exprimées au sujet du recours à des projets de loi omnibus 21, les présidents ont clairement indiqué qu’ils étaient liés par la « pratique établie depuis longtemps » en ce qui concerne les projets de loi omnibus 22.
Même si le caractère « omnibus » d’un projet de loi ne le rend pas, en soi, irrecevable du point de vue de la procédure, ce genre de projet de loi est évidemment assujetti au Règlement du Sénat et au Règlement de la Chambre des communes. Par exemple, un projet de loi omnibus de nature financière doit obtenir la recommandation royale avant sa troisième lecture et son adoption par la Chambre des communes 23. À l’instar de toute autre mesure législative, un projet de loi omnibus ne peut être déposé dans « une forme incomplète 24 ». En 1981, la Présidente Jeanne Sauvé a supprimé la partie I du projet de loi C 54, Loi modifiant la législation relative à l’impôt sur le revenu et attribuant d’autres pouvoirs de recueillir des fonds 25, parce que l’avis relatif aux dispositions sur le pouvoir d’emprunt n’avait pas été donné comme l’exige le Règlement de la Chambre des communes 26.
L’opposition a souvent recours à la pression politique et à des tactiques procédurales pour retarder ou bloquer l’adoption de projets de loi omnibus. Ces actions ont parfois atteint leur but et conduit à la division de projets de loi omnibus. Par exemple, La procédure et les usages de la Chambre des communes 27 mentionne que, en 1982, vu l’insistance de l’opposition, le gouvernement a fini par accepter la division du projet de loi C-93, Loi modifiant certaines lois fiscales et prévoyant d’autres sources de financement 28. Par consentement unanime, le projet de loi C 93 a été retiré, et le gouvernement a accepté de le remplacer par deux propositions législatives distinctes 29.
En 1982, le processus politique a conduit à la division d’un autre projet de loi omnibus. Incapable d’obtenir la division du projet de loi C 94, Loi de 1982 sur la sécurité énergétique, par voie de « rappel au Règlement » 30, l’opposition a exigé un vote par appel nominal sur une motion d’ajournement. Les députés ont été appelés à la Chambre par la sonnerie, mais le whip de l’opposition a refusé de descendre l’allée de la Chambre aux côtés de son homologue du gouvernement, ce qui aurait donné le signal que le vote pouvait se dérouler. À l’époque, la durée de la sonnerie n’était pas limitée par le Règlement et cette sonnerie a fonctionné sans interruption pendant plus de deux semaines 31. À la reprise de ses travaux, la Chambre a adopté une motion du gouvernement portant division du projet de loi en huit mesures distinctes 32.
En 2012, un autre incident notoire a retardé l’adoption d’un projet de loi omnibus. À l’étape du rapport du projet de loi C 38, Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, l’opposition a présenté 871 motions d’amendement et demandé un vote par appel nominal pour chaque vote, ce qui a donné lieu à un marathon de votes de 22 heures à la Chambre des communes 33. Le projet de loi a toutefois été adopté sans amendement.
Voici une liste sélective de projets de loi omnibus déposés au Parlement canadien.
Au fil des ans, de nombreux arguments ont été avancés pour et contre les projets de loi omnibus.
Certains ont défendu le caractère « omnibus » d’un projet de loi au motif que ses divers éléments reposent sur un principe, un thème ou un objectif commun, ou qu’ils s’inscrivent dans une même initiative administrative. Le regroupement des diverses modifications pourrait permettre au Parlement de mieux étudier chaque élément et son interaction avec les autres éléments du projet de loi, et simplifier ainsi l’examen de ce dernier. Comme le volume et la complexité des initiatives gouvernementales n’ont cessé d’augmenter au fil des ans, les projets de loi omnibus pourraient faciliter l’examen simultané de tous les aspects connexes d’un programme législatif donné. Ceux qui regroupent différentes propositions sur le même thème permettraient également de canaliser les débats parlementaires.
Les objections aux projets de loi omnibus tendent à s’appuyer sur l’argument selon lequel les parlementaires ne peuvent se prononcer pour ou contre chaque mesure contenue dans un tel projet de loi. D’aucuns répondent à cela que le processus législatif offre aux parlementaires plusieurs occasions d’exprimer leur point de vue et de se prononcer sur les diverses mesures contenues dans un projet de loi, notamment à l’étape du rapport à la Chambre des communes. D’autres soutiennent que les projets de loi omnibus ne peuvent être renvoyés au comité compétent en la matière. D’autres encore sont d’avis que la longueur de ces projets de loi et la rapidité avec laquelle ils sont adoptés font en sorte que les parlementaires ne sont pas en mesure de se renseigner sur les points pertinents, privant ainsi le Parlement de la possibilité de déceler d’éventuelles lacunes et de les corriger.
* Historiquement, le mot « bill » était utilisé en français pour désigner un projet de loi. Dans la présente Étude de la Colline, nous avons conservé le mot « bill » dans les citations historiques.
Bibliothèque du Parlement, « Débats de la Chambre des communes, 21e législature, 7e session : vol. 4», Ressources parlementaires historiques canadiennes, base de données, 2 avril 1953, p. 3757 :
La Loi sur la Défense nationale a été établie en 1950; cette année‑là, nous avons incorporé dans un seul bill un grand nombre de dispositions d’autres lois. Nous avons décidé, avec l’approbation de la Chambre jusqu’à présent, que les honorables députés accepteraient, tout comme l’armée l’accepte très volontiers, que toutes les modifications apportées aux lois actuelles relatives à l’armée soient chaque année contenues dans un seul projet de loi. C’est ainsi qu’ont été adoptées les lois sur les forces canadiennes de 1950, 1951 et 1952. Elles ont toutes apporté des modifications à diverses lois[ Retour au texte ]
et la mesure à l’étude s’inspire de ce précédent
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