Dans l’économie canadienne, il existe deux façons principales de créer de l’argent : les prêts et les achats d’actifs par les banques commerciales privées; et les achats d’actifs par la Banque du Canada. Ce sont les banques commerciales qui créent la majorité de l’argent dans l’économie, en consentant de nouveaux prêts, comme des prêts hypothécaires. Toutefois, les achats d’actifs sans précédent effectués par la Banque du Canada, pour réduire les répercussions négatives de la pandémie de COVID‑19 sur l’économie canadienne et faire remonter l’inflation à la cible fixée, ont attiré une attention accrue sur la création monétaire par la Banque du Canada et l’incidence de celle ci sur l’inflation. Un examen des éléments qui distinguent les deux méthodes a révélé que la création monétaire par l’intermédiaire de l’achat d’actifs par la Banque du Canada est essentiellement un processus gouvernemental interne qui est surtout limité par l’inflation. L’examen a conclu que des facteurs externes, comme le dysfonctionnement des marchés financiers, ne peuvent pas faire en sorte que le gouvernement fédéral manque d’argent.
« Le processus de création d’argent est si simple que l’esprit résiste à y croire. » [traduction]
– John Kenneth Galbraith
Le présent document examine les aspects opérationnels et juridiques du mécanisme par lequel la Banque du Canada crée de l’argent en achetant des obligations et des bons du Trésor du gouvernement fédéral lors des nouvelles émissions 1. Il porte également sur le pouvoir de création monétaire des banques commerciales privées.
La Banque du Canada a injecté récemment la plus grande somme d’argent de son histoire dans le système financier afin d’atténuer les répercussions négatives de la pandémie de COVID‑19 sur l’économie canadienne et de faire remonter l’inflation au taux ciblé 2. Grâce à divers programmes d’achat d’actifs, la Banque du Canada a acquis des obligations fédérales, provinciales et de sociétés, des papiers commerciaux, des acceptations bancaires, des obligations hypothécaires canadiennes, des bons du Trésor et des valeurs provinciales à court terme. Ces achats d’actifs ont fait passer la taille du bilan de la Banque du Canada de 120 milliards de dollars le 11 mars 2020 à un sommet de 575 milliards de dollars au 10 mars 2021. Après avoir réduit progressivement certains de ses programmes d’achat d’actifs, la Banque du Canada a ramené son bilan à 478 milliards de dollars en date du 12 mai 2021 3.
Bien que ces mesures aient été prises dans le contexte tout à fait exceptionnel d’une pandémie, la Banque du Canada achète aussi des actifs financiers dans le cadre des activités normales de gestion de son bilan pour compenser son passif, qui est principalement constitué de billets de banque en circulation et de dépôts du gouvernement 4.
La Banque du Canada aide le gouvernement du Canada à emprunter de l’argent en organisant tout au long de l’année des adjudications au cours desquelles de nouveaux titres fédéraux (obligations et bons du Trésor) sont vendus aux distributeurs de titres d’État, comme les banques, les courtiers et les sociétés de placement de titres. Cependant, lors de chaque adjudication, la Banque du Canada acquiert habituellement une part des obligations nouvellement émises et suffisamment de bons du Trésor pour répondre à ses besoins du moment 5. Les acquisitions se font sur une base non concurrentielle, ce qui signifie que la Banque du Canada n’entre pas en concurrence avec les distributeurs de titres du gouvernement lors des adjudications. En fait, la Banque du Canada se voit chaque fois allouer un nombre précis de titres à acheter 6.
En pratique, lorsque la Banque du Canada fait l’acquisition de titres du gouvernement lors d’une adjudication, cela signifie qu’elle inscrit la valeur des titres, dont chacun porte un numéro international d’identification des valeurs mobilières unique, comme un nouvel élément d’actif à son bilan. Elle inscrit en même temps le produit de la vente des titres comme dépôt sur le compte que le gouvernement du Canada détient à la Banque – ce qui constitue un élément de passif au bilan de la Banque (voir le tableau 1 à l’annexe).
Comme la Banque du Canada est une société d’État – elle appartient entièrement au gouvernement fédéral, mais conserve son autonomie pour la conduite de sa politique monétaire –, l’acquisition d’un titre du gouvernement fédéral nouvellement émis peut être considérée essentiellement comme une transaction interne. La Banque inscrit les mêmes nouveaux montants dans les colonnes de l’actif et du passif de son bilan, ce qui crée de l’argent par des écritures comptables numériques 7. Le gouvernement fédéral peut alors dépenser l’argent nouvellement créé dans l’économie canadienne à sa guise, sous réserve de l’approbation du Parlement.
La création d’argent par la Banque du Canada par l’intermédiaire de l’achat d’actifs comme des titres du gouvernement du Canada a fondamentalement le même effet financier que si la Banque prêtait de l’argent au gouvernement fédéral 8; or, la loi applicable, soit la Loi sur la Banque du Canada 9, n’autorise pas explicitement la Banque à consentir des prêts de cette nature 10. En fait, cette loi confère à la Banque le pouvoir « [d]’acheter et [de] vendre des valeurs ou titres émis ou garantis par le Canada ou une province » (al. 18c)), ainsi que le pouvoir « [d]’accepter des dépôts effectués par le gouvernement du Canada et [de] verser des intérêts à leur égard » (al. 18l)). Pris ensemble, ces deux alinéas semblent autoriser la Banque à créer de l’argent par l’acquisition directe de titres du gouvernement du Canada lors d’adjudications d’obligations.
Comme l’explique la Banque du Canada, l’achat de titres du gouvernement du Canada n’est pas un moyen de financer gratuitement les dépenses publiques ni la dette publique, car le gouvernement fédéral doit racheter les titres à leur échéance. Qui plus est, la Banque du Canada n’est pas d’avis que les achats d’actifs qu’elle a effectués depuis le début de la pandémie causeront une flambée de l’inflation, parce que l’économie canadienne connaît actuellement une faible inflation. La Banque décidera quand et dans quelle mesure elle réduira ces achats en fonction des perspectives d’évolution de l’inflation 11.
Les banques commerciales privées ont elles aussi le pouvoir de créer de l’argent lorsqu’elles achètent, en tant que négociantes principales lors d’une adjudication, des titres nouvellement émis par le gouvernement. Elles inscrivent alors à leurs bilans des écritures comptables numériques : la colonne de l’actif est augmentée du montant de l’acquisition de nouveaux titres et celle du passif, de celui du nouveau dépôt dans le compte que le gouvernement fédéral détient à la banque.
Il importe cependant de noter que la majorité de l’argent injecté dans l’économie canadienne est créé par le système bancaire privé lorsqu’une banque accorde un nouveau prêt, comme un prêt hypothécaire, un prêt à la consommation ou un prêt à une entreprise. Quand une banque consent un prêt, elle dépose en même temps un montant égal dans le compte bancaire de l’emprunteur, créant ainsi de l’argent (voir le tableau 2 à l’annexe).
L’une des principales ressemblances entre le pouvoir de créer de l’argent du système bancaire privé et le pouvoir de création monétaire de la Banque du Canada réside dans le fait que tous deux se concrétisent en inscrivant simultanément un montant dans la colonne de l’actif et un montant dans la colonne du passif d’un bilan.
Toutefois, la différence notable entre les deux pouvoirs est qu’il n’y a pas de limite externe au montant total que la Banque du Canada peut créer par l’intermédiaire de l’achat d’actifs, mis à part les répercussions de l’argent supplémentaire ainsi créé sur l’inflation 12, alors que le montant qu’une banque commerciale privée peut créer dépend du montant de ses capitaux propres par rapport à ses actifs. Les règles restrictives, appelées « contraintes en matière de fonds propres », figurent dans une série de lignes directrices établies par l’organisme canadien de réglementation des banques 13. Autre grande différence : le principal facteur sur lequel se fonde la banque commerciale privée pour accorder un prêt à une entité privée est la solvabilité de l’emprunteur, alors que le facteur principal sur lequel se fonde la Banque du Canada pour acheter des actifs est sa capacité d’atteindre sa cible d’inflation.
Tant la Banque du Canada que les banques commerciales privées créent de l’argent en achetant des actifs ou en accordant des prêts. Cependant, le pouvoir de création monétaire de la Banque du Canada par l’intermédiaire de l’achat de titres du gouvernement du Canada est essentiellement un processus gouvernemental interne, ce qui signifie que des facteurs externes, comme le dysfonctionnement des marchés financiers, ne peuvent faire en sorte que le gouvernement manque d’argent 14.
L’inflation est la principale limite à la quantité d’argent que la Banque du Canada peut créer par l’intermédiaire de l’achat d’actifs.
Le tableau 1 illustre de quelle manière les bilans de la Banque du Canada et du gouvernement du Canada sont touchés lorsque le gouvernement du Canada émet de nouveaux titres dont la Banque du Canada fait directement l’acquisition.
Bilan | Type d’écriture | |||
---|---|---|---|---|
Actif | Passif | |||
Banque du Canada | Acquisition de titres nouvellement émis par le gouvernement du Canada | Nouveau dépôt du gouvernement du Canada | ||
Gouvernement du Canada | Nouveau dépôt à la Banque du Canada | Nouvelle émission de titres du gouvernement du Canada |
Note : Lorsque la Banque du Canada achète de nouveaux titres du gouvernement du Canada, elle inscrit simultanément la valeur de ces titres en tant que nouvel actif dans son bilan et le nouveau dépôt du gouvernement du Canada, en tant que passif. Dans le bilan du gouvernement du Canada, le nouveau dépôt à la Banque du Canada est inscrit en tant qu’actif, tandis que les titres nouvellement émis sont inscrits en tant que passifs.
Source : Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement.
Le tableau 2 illustre de quelle manière les bilans d’une banque commerciale privée et d’une entité privée sont touchés lorsque la banque consent un nouveau prêt à l’entité privée.
Bilan | Type d’écriture | |||
---|---|---|---|---|
Actif | Passif | |||
Banque commerciale privée | Prêt à une entité privée | Dépôt créé pour l’entité privée | ||
Entité privée | Dépôt à la banque commerciale | Emprunt à la banque commerciale |
Note : Lorsqu’une banque commerciale consent un nouveau prêt à une entité privée, elle inscrit simultanément la valeur de ce prêt en tant qu’actif dans son bilan et les dépôts créés pour l’entité privée, en tant que passifs. Dans le bilan de l’entité privée, les dépôts à la banque commerciale sont inscrits en tant qu’actifs, tandis que les emprunts à la banque commerciale sont inscrits en tant que passifs.
Source : Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement.
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