Au Canada, la demande de services de transport ferroviaire de voyageurs a diminué au cours des 70 dernières années, alors que d'autres moyens de transport plus concurrentiels ont gagné des parts de marché1.
Le déclin a été le plus marqué dans les années 1940 et 1950. En 1945, les compagnies ferroviaires canadiennes ont transporté 55,4 millions de voyageurs et ont tiré de cette activité environ 20 % de leurs recettes. En 1955, le nombre de voyageurs ayant chuté à 27,2 millions, le trafic voyageurs représentait moins de 10 % des recettes2.
Au début des années 1960, le transport ferroviaire interurbain de voyageurs était assuré principalement par les deux transporteurs nationaux, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP). En 1977, pour empêcher la disparition des services de transport ferroviaire interurbain de voyageurs, le gouvernement fédéral a fondé la société d'État VIA Rail Canada Inc. Et lui a donné comme mission principale d'assurer un service de base partout au Canada. Depuis sa fondation, VIA Rail peine à maintenir l'achalandage et la qualité du service. Elle n'est jamais parvenue à l'autosuffisance financière et ne pourrait pas survivre sans les subventions fédérales.
Au Canada, le transport ferroviaire de voyageurs se trouve à la croisée des chemins : le maintien du statu quo garantit le déclin d'une industrie dont le modèle opérationnel et les contraintes institutionnelles offrent peu de possibilités d'expansion ou de développement. Pour assurer l'avenir du transport ferroviaire interurbain de voyageurs au Canada, il faudra probablement de nouvelles idées et un nouveau modèle opérationnel ou de nouvelles politiques.
La présente étude renferme des éléments d'information et d'analyse sur VIA Rail. Elle décrit le contexte dans lequel VIA Rail opère et donne un aperçu des futurs défis et options en matière de transport ferroviaire de voyageurs au Canada.
Du milieu du XIXe siècle aux premières décennies du XXe, le train était le principal moyen de transport terrestre de voyageurs et de marchandises en Amérique du Nord. Les compagnies ferroviaires n'avaient guère de concurrence sur de courtes ou de longues distances, puisque seuls les trains pouvaient transporter des passagers et des marchandises grâce à un réseau d'infrastructure reliant les villes, régions et pays.
Cependant, avec l'essor du véhicule à moteur au début du XXe siècle et l'expansion du réseau routier, la domination des transporteurs ferroviaires sur le marché du transport interurbain sur de courtes distances a commencé à fléchir (voir la figure 1). La demande de services de transport ferroviaire de voyageurs a baissé davantage dans les années 1940 et 1950 en raison du développement du transport aérien commercial, l'avion devenant un mode de transport concurrentiel pour les longs parcours.
Source: Statistique Canada, Tableau T39-46, « Tonnage des marchandises et milles parcourus pour le transport des marchandises par rail, transport des voyageurs et voyageurs-milles, 1946 à 1975 », dans Section T : Transports et communications, Statistiques historiques du Canada,
no 11-516-XWF au catalogue de Statistique Canada, Ottawa, 29 juillet 1999.
En raison de la pression continue qu'exercent le transport routier sur de courtes distances et le transport aérien sur de longues distances, l'industrie canadienne du transport ferroviaire de voyageurs n'a cessé de perdre des parts de marché et a vu son achalandage et sa rentabilité s'effriter. L'industrie a donc traversé des périodes successives de fusion et de réduction des effectifs.
Le tableau 1 illustre les parts de marché des principaux moyens de transport de voyageurs (véhicule à moteur, avion et train) au Canada depuis 1986. Les données confirment la domination du véhicule à moteur, qui est suivi de l'avion et, en dernier lieu, du train.
Année | Véhicule à moteur | % | Avion | % | Train | % | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|
1986 | 295,9 | 85,2 | 49,1 | 14,1 | 2,4 | 0,7 | 347,4 |
1988 | 322,8 | 85,1 | 54,3 | 14,3 | 2,4 | 0,6 | 379,5 |
1990 | 334,4 | 86,7 | 50,1 | 13,0 | 1,3 | 0,3 | 385,8 |
1992 | 348,8 | 88,2 | 45,4 | 11,5 | 1,3 | 0,3 | 395,5 |
1994 | 379,5 | 89,1 | 45,3 | 10,6 | 1,4 | 0,3 | 426,1 |
1996 | – | – | 57,0 | – | 1,5 | – | – |
1998 | – | – | 64,4 | – | 1,4 | – | – |
2000 | 475,1 | 87,1 | 68,5 | 12,6 | 1,5 | 0,3 | 545,1 |
2002 | 470,6 | 86,9 | 69,3 | 12,8 | 1,6 | 0,3 | 541,4 |
2004 | 469,5 | 85,8 | 76,1 | 13,9 | 1,4 | 0,3 | 547,0 |
2006 | 488,4 | 84,5 | 88,3 | 15,3 | 1,5 | 0,3 | 578,2 |
2008 | 476,8 | 82,9 | 96,7 | 16,8 | 1,6 | 0,3 | 575,0 |
Notes: Les pourcentages et les totaux ne sont pas fournis pour 1996 et 1998 faute de données sur le transport par véhicule à moteur – de loin le moyen de transport de voyageurs le plus important au Canada.
Source: Statistique Canada, « Tableau 405-0005 – Enquête sur les véhicules au Canada, passagers-kilomètres, milliards », « Tableau 401-0001 – Opérations et finances des principaux transporteurs aériens canadiens, passagers-kilomètres, milliards », « Tableau 404-0016 –Enquête sur le transport ferroviaire, passagers-kilomètres, milliards », CANSIM (base de données); Urban Renaissance Institute, Passenger Travel by Motorized Modes, Canada, 1970-1995, 30 janvier 1996.
En 1959, au vu de la transformation de l'industrie ferroviaire après la fin de la guerre, le gouvernement fédéral a chargé une commission royale d'élaborer une nouvelle politique nationale des transports et de formuler des recommandations sur la meilleure façon de restructurer le cadre réglementaire régissant les transports au Canada, plus particulièrement les chemins de fer. La Commission royale d'enquête sur les transports (commission MacPherson, 1959-1961) a reconnu, dans son rapport, que les transports avaient beaucoup évolué et que nombre de compagnies de chemin de fer n'étaient plus rentables. Elle a recommandé que la politique des transports soit davantage axée sur les forces du marché afin d'encourager l'expansion des moyens de transport les plus performants et de contribuer ainsi au plein développement de l'économie canadienne. La commission a proposé, entre autres, de laisser aux compagnies de chemin de fer plus de latitude pour supprimer des trajets non rentables.
En adoptant, en 1967, la Loi nationale sur les transports (LNT), le gouvernement fédéral n'a donné suite que partiellement aux recommandations de la commission MacPherson : les compagnies de chemin de fer avaient encore besoin d'une approbation réglementaire pour abandonner des trajets non rentables. En outre, pour que le transport ferroviaire de voyageurs ne disparaisse pas complètement au Canada, la LNT autorisait le gouvernement fédéral à indemniser les compagnies de chemin de fer des pertes associées au transport de voyageurs ou aux lignes secondaires non rentables.
Dans les années 1960 et 1970, le transport ferroviaire de voyageurs a continué de perdre des parts de marché au Canada, au profit du véhicule à moteur et de l'avion. Le CN et le CP ont donc misé de plus en plus sur le transport des marchandises, qui était plus lucratif. Le trafic voyageurs interurbain est passé de 4,91 millions de passagers-kilomètres en 1967 à 2,57 millions de passagers-kilomètres en 19764. Aux termes de la LNT, le gouvernement fédéral subventionnait le CN et le CP en dédommagement des pertes associées à des services déficitaires (jusqu'à 80 % des frais d'exploitation dans le cas du transport de voyageurs et 100 % des frais d'exploitation de lignes secondaires non rentables). Ces subventions sont passées de 110 millions de dollars en 1967 à 181,7 millions de dollars en 1976.
En 1976, face à l'augmentation des subventions et à la réduction du trafic voyageurs, le gouvernement fédéral a révisé sa politique sur le transport ferroviaire de voyageurs et a demandé à la Commission canadienne des transports (CCT) et aux deux compagnies ferroviaires nationales de dresser un plan de transport ferroviaire de voyageurs en fonction de la nouvelle politique. Les deux transporteurs se sont mis à négocier en vue de trouver la meilleure façon de coordonner leurs services de transport de voyageurs de manière à éliminer les dédoublements inutiles, à réduire les pertes et à améliorer le service. Cependant, au lieu de gérer conjointement leurs services, le CN et le CP ont fondé une société de transport de voyageurs destinée à devenir une filiale du CN5. C'est ainsi que VIA Rail a été constituée en société en janvier 1977, en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, pour ensuite devenir une filiale du CN en février 1977.
Plus tard en 1977, la CCT a tenu des audiences publiques sur le transport ferroviaire de voyageurs au Canada. Il en est ressorti principalement un consensus selon lequel le service ne devrait pas être réduit davantage. Le gouvernement fédéral a réagi en déboursant, au moyen d'un décret, 100 000 $ pour l'acquisition de toutes les actions ordinaires émises et en circulation de VIA Rail et a transformé cette dernière en société d'État. En avril 1978, VIA Rail Canada Inc. est devenue responsable du transport ferroviaire interurbain de voyageurs au Canada.
À l'origine, VIA Rail n'avait ni matériel roulant ni gares ni équipement ou installations connexes. Tous ces éléments d'actif appartenaient aux deux chemins de fer nationaux. Pendant un certain temps, même le personnel roulant est resté au service du CN ou du CP. VIA Rail a donc dû négocier avec le CN et le CP des accords aux termes desquels elle leur versait des subventions en vue de l'utilisation de leurs voies, de leur équipement et de leur personnel, et pour couvrir d'autres frais associés au transport de voyageurs. VIA Rail s'est vu transférer peu à peu la propriété de matériel ferroviaire et d'éléments d'infrastructure. Elle a ainsi eu accès à un certain nombre de corridors ferroviaires et de lignes, en plus d'hériter de diverses pièces d'équipement désuètes.
VIA Rail était responsable de la majorité des services ferroviaires de transport de voyageurs partout au Canada, mais ses opérations restaient assujetties aux décisions du Cabinet et aux priorités budgétaires du gouvernement fédéral. Les contraintes budgétaires obligeaient parfois le gouvernement à demander à VIA Rail de restructurer ses opérations afin de réduire son besoin de subventions. En 1989-1990, VIA Rail s'est vue dans l'obligation d'abandonner plusieurs trajets non rentables. Cela a diminué considérablement ses frais d'exploitation, mais a également réduit de 45 % son achalandage annuel.
Les subventions fédérales de fonctionnement versées à VIA Rail se sont amoindries pendant les années 1990 pour ensuite se stabiliser au milieu des années 2000 à environ 155 millions de dollars constants de 2002. Depuis lors, les subventions annuelles augmentent modestement. Selon le dernier rapport annuel de VIA Rail, les subventions de fonctionnement se sont élevées, en 2014, à un peu plus de 253 millions de dollars constants de 2002. En revanche, les subventions pour le capital montent en flèche depuis cinq ans, le gouvernement fédéral ayant annoncé des dépenses d'investissement destinées à remettre à neuf une infrastructure et un matériel roulant vieillissants.
VIA Rail a beau avoir vu le jour par décret, elle n'a toujours pas, en dépit des promesses du gouvernement, de loi habilitante lui conférant un mandat explicite ou lui fournissant un cadre juridique établissant ses pouvoirs et ses responsabilités de gouvernance.
VIA Rail est désignée société d'État mère à la partie I de l'annexe III de la Loi sur la gestion des finances publiques, une loi qui limite à la fois son autonomie en matière de fonctionnement et son pouvoir d'emprunt6. Par conséquent, la résorption du défi¬cit d'exploitation que la société encourt en fournissant des services de transport de voyageurs autorisés par le gouvernement fédéral dépend des crédits parlementaires. Or, actuellement, aucune disposition législative et aucun engagement gouvernemen¬tal n'assurent à VIA Rail de financement gouvernemental annuel stable et prévisible.
Bien qu'elle ne soit pas pourvue d'un mandat législatif, VIA Rail a pour obligation implicite de fournir à longueur d'année aux Canadiens des petites comme des grandes localités des services de transport ferroviaire de voyageurs. Elle offre trois services principaux7 :
VIA Rail a deux grandes sources de recettes : la vente de billets et les subventions fédérales. Comme elle compte sur des crédits fédéraux, son fonctionnement est influencé autant par les décisions politiques que par des considérations commerciales.
Puisque la plupart des voies ferrées que VIA Rail utilise quotidiennement appartiennent au CN, au CP et à d'autres exploitants de lignes courtes, la société d'État doit négocier des accords de service avec ces compagnies pour avoir accès à leur infrastructure. Son rendement opérationnel est donc en grande partie tributaire des conditions de ces contrats. Étant donné que ses services de transport de voyageurs doivent partager les voies ferrées avec les trains de marchandises du CN, du CP et d'autres exploitants de lignes courtes, VIA Rail n'est pas toujours en mesure d'établir des horaires qui correspondent le mieux à ses intérêts commerciaux. Ces dernières années, la société s'est employée à améliorer la ponctualité de ses services. À la suite de négociations avec le CN et le CP en vue de fixer des heures d'arrivée et de départ plus réalistes, VIA Rail mentionnait, dans son rapport annuel de 2009, que son rendement au chapitre de la ponctualité s'était amélioré par rapport à l'année précédente. En effet, en 2008, 75 % de ses trains respectaient l'horaire, mais cette proportion s'élevait à 83 % en 20098. Ce taux a subi une diminution en 2014 pour se fixer à 76 % en raison de l'augmentation du transport de pétrole, de céréales et de marchandises, et de la multiplication des trains de banlieue à Toronto et à Montréal9.
Après avoir atteint un sommet d'environ 8 millions de passagers en 1981, l'achalandage de VIA Rail a diminué en raison de l'abandon de trajets populaires mais non rentables (voir la figure 2). Pendant presque toutes les années 1980, l'achalandage annuel a fluctué entre 6 et 7 millions de passagers. En 1989, le gouvernement fédéral a demandé à VIA Rail de réduire ses frais de fonctionnement et d'augmenter ses recettes de manière à recevoir moins de subventions. VIA Rail a restructuré ses opérations en réduisant ses effectifs et ses services sur les trajets non rentables. En 1989-1990, la restructuration de VIA Rail s'est traduite par une chute de l'achalandage de plus de 45 % parce que la société a abandonné plusieurs corridors et lignes secondaires non rentables et s'est concentrée sur des trajets qui offraient plus de potentiel en matière d'achalandage et de revenus. Depuis, l'achalandage a graduellement augmenté et a atteint un sommet de 4,6 millions de passagers en 2008. L'achalandage de VIA Rail a toutefois diminué depuis 2008 à cause de la concurrence accrue des trains de marchandises et des trains de banlieue.
Source: VIA Rail Canada Inc., rapports annuels, 1977-2014.
Pour respecter la directive du gouvernement fédéral selon laquelle la société est tenue de fournir des services de transport de voyageurs à la population générale et vu la structure actuelle de ses frais d'exploitation, VIA Rail a besoin des subventions fédérales pour s'acquitter de son mandat. La figure 3 montre les subventions versées annuellement à VIA Rail pour le capital et l'exploitation en dollars constants de 2002.
Source: VIA Rail Canada Inc., rapports annuels, 1977-2014; Comptes publics du Canada, 1977-2014.
Les subventions annuelles versées à VIA Rail ont augmenté continuellement jusqu'en 1983, année où le gouvernement fédéral a commencé à réduire ses subventions. En 1982, les subventions pour le capital ont commencé à augmenter pour permettre à VIA Rail de remplacer du matériel vétuste et certaines locomotives d'occasion par un matériel roulant neuf et plus perfectionné techniquement. Entre le milieu et la fin des années 1980, les subventions totales ont oscillé entre 700 millions et un milliard de dollars par an jusqu'à ce que le gouvernement fédéral demande à nouveau à VIA Rail, en 1989, de restructurer ses opérations pour réduire ses besoins en matière de subventions. De nombreux trajets non rentables ont été modifiés ou abandonnés, entraînant une réduction de l'achalandage annuel de 45 % (voir la figure 2).
Le financement fédéral a continué de diminuer pendant les années 1990 quand VIA Rail restructurait et réduisait ses opérations. À la fin des années 1990, les subventions de fonctionnement, qui représentaient le gros du financement fédéral, oscillaient entre 180 et 200 millions de dollars par an. Après avoir diminué au milieu des années 2000, elles sont reparties à la hausse en 2006 pour atteindre près de 445 millions de dollars en 2010 avant de redescendre à 318 millions de dollars en 2014. (Tous les chiffres sont en dollars constants de 2002.)
À part quelques pics isolés dans les années 1980, les subventions pour le capital ont diminué à partir de la fin des années 1980 et ont disparu complètement à la fin des années 1990. Elles ont repris leur croissance en 2000 pour atteindre, en 2001, un pic de près de 155 millions en dollars constants de 2002 avant de diminuer puis d'augmenter de plus belle en 2009. Cette augmentation est survenue après que le gouvernement fédéral a annoncé, en 2007 et en 2009, la remise à neuf du matériel roulant de VIA Rail, de même que la mise à niveau de ses éléments d'infrastructure fixe, tels que ses gares et ses voies, et l'amélioration de ses services de transport de voyageurs. En 2014, les subventions pour le capital ont totalisé 65 millions en dollars constants de 2002.
VIA Rail ne compte pas seulement sur des subventions fédérales. La figure 4 montre, en dollars courants et en dollars constants de 2002, les recettes que la société tire de la vente de billets. Après leur chute soudaine en 1990, qui résultait de la réduction d'achalandage consécutive à l'abandon de trajets non rentables, les recettes sont reparties à la hausse pour atteindre un peu plus de 283 millions de dollars en 2008 (ou 248 millions en dollars constants de 2002). Depuis 2008, les recettes provenant de la vente de billets, en dollars courants et en dollars constants, stagnent en raison de la récession et de la baisse de l'achalandage découlant de la concurrence accrue des trains de marchandises et des trains de banlieue, plus nombreux. Les recettes tirées de la vente de billets ont atteint 258 millions de dollars en 2014 (ou 206 millions en dollars constants de 2002). Au cours de ses 38 années d'existence, VIA Rail n'a jamais atteint la rentabilité ou l'autonomie financière.
Source: VIA Rail Canada Inc., rapports annuels, 1978-2014.
Comme l'illustre la figure 5, dans les premières années d'exploitation de VIA Rail, il y avait un écart notable entre les recettes d'exploitation et les dépenses, mais après 1990, les dépenses ont diminué graduellement grâce à des mesures de restructuration, et les recettes ont augmenté petit à petit. Bien que les dépenses dépassent encore de beaucoup les recettes, VIA Rail a réussi, depuis le milieu des années 1990, à limiter ses coûts dans une certaine mesure par une meilleure gestion de ses accords contractuels avec le CN et le CP et par la maîtrise de ses frais de fonctionnement10. Depuis 20 ans, les dépenses annuelles fluctuent autour de 500 millions de dollars, et les recettes d'exploitation se stabilisent à environ 220 millions de dollars. Cela signifie que l'écart entre les recettes et les dépenses se creuse de plus en plus.
Source: VIA Rail Canada Inc., rapports annuels, 1978-2014.
Les subventions de fonctionnement que reçoit VIA Rail suffisent tout juste à main-tenir les services de transport de voyageurs actuels. Quant aux subventions pour le capital, elles sont intermittentes et servent surtout à réparer et à remettre à neuf le matériel roulant et les installations, et non à améliorer le service.
Malgré le caractère imprévisible des subventions de l'État, VIA Rail a réussi au fil des ans à stabiliser le trafic voyageurs annuel. Elle est aussi parvenue à améliorer jusqu'à un certain point son efficience opérationnelle et la gestion de ses obligations contractuelles envers le CN et le CP, mais sans pour autant atteindre la rentabilité11. La viabilité commerciale reste hors de portée, et VIA Rail ne saurait se passer du soutien du gouvernement fédéral.
La capacité de VIA Rail à gérer ses activités de façon efficiente est sérieusement limitée, car la société est obligée de partager les voies ferrées avec les deux transporteurs ferroviaires nationaux et d'autres exploitants régionaux et ne dispose pas d'un accès prioritaire à ces voies. Elle n'est donc pas en mesure de décider de la fréquence et des trajets qui serviraient le mieux ses intérêts commerciaux. Toute augmentation de la fréquence et de la rapidité de ses services de transport de voyageurs sur l'infrastructure ferroviaire existante aurait des répercussions directes sur les frais d'entretien, la capacité des voies et la sécurité des passagers pour tous les exploitants qui utilisent les voies ferrées.
Même si VIA Rail avait un meilleur accès aux voies existantes ou se dotait de son propre réseau de voies, le potentiel commercial des services de transport de voyageurs reste incertain comparativement aux autres moyens de transport au Canada. D'après plusieurs études, le transport ferroviaire de voyageurs pourrait occuper certains créneaux du marché, notamment le corridor Québec-Windsor, qui ont le meilleur potentiel de croissance économique dans ce domaine. Ces voies pourraient même faire concurrence au transport aérien régional sur de courtes distances. Cependant, l'écart entre la rentabilité potentielle et la rentabilité réelle demeure énorme et difficile à combler12.
Les contraintes institutionnelles et commerciales limitent considérablement les perspectives de croissance des services de transport ferroviaire de voyageurs au Canada. Depuis 1989, la viabilité et le potentiel de croissance de ces services dans le cadre de divers scénarios ont fait l'objet de plusieurs études qui, malgré leurs différentes approches et méthodologies, arrivent aux mêmes résultats13 :
Il ressort des études de faisabilité sur les liaisons ferroviaires à grande vitesse au Canada qu'elles seraient techniquement réalisables et souhaitables à plusieurs titres (notamment sur le plan environnemental et économique), mais que le rendement du capital investi ne serait pas suffisant pour intéresser des investisseurs privés au financement du projet en entier. Il faudrait donc que le gouvernement fédéral prenne de grands engagements financiers en cautionnant notamment une partie des dépenses d'investissement associées au développement et à la construction de matériel roulant de pointe et d'éléments d'infrastructure fixe14.
En février 2009, les gouvernements fédéral, ontarien et québécois ont accordé au consortium EcoTrain un contrat de 3 millions de dollars pour mettre à jour une étude réalisée en 1995 sur la faisabilité d'une liaison ferroviaire à grande vitesse dans le corridor Québec-Windsor15. Selon l'étude de 1995, qui a été commandée par les trois mêmes gouvernements, une liaison ferroviaire à grande vitesse serait possible et souhaitable, mais pas sans un investissement public à hauteur de 75 % des frais du projet16. Le rapport sur l'étude mise à jour, rendu public en novembre 2011, précise qu'il faudrait investir entre 18,9 et 21,3 milliards de dollars constants de 2009 selon que les locomotives fonctionnent au diesel ou à l'électricité. Par ailleurs, la liaison ferroviaire à grande vitesse permettrait de couvrir les frais de fonctionnement, mais il faudrait que les gouvernements participants contribuent largement aux frais de développement, et l'investissement ne rapporterait rien17. Selon la presse, le ministre des Transports a déclaré : « Étant donné le contexte fiscal actuel, un nouveau projet de cette envergure n'est pas une priorité pour notre gouvernement18. »
Puisque le gouvernement fédéral juge que le train à grande vitesse n'est pas une option pratique ou une solution faisable pour améliorer le service de transport de voyageurs, VIA Rail a récemment choisi d'explorer une nouvelle approche. En effet, VIA Rail fait la promotion du service de transport de voyageurs à forte fréquence, plutôt que du train à grande vitesse. Pour y parvenir, elle préconise l'acquisition et la construction d'un réseau ferroviaire consacré au transport de voyageurs. Un tel réseau permettrait de résoudre le problème des embouteillages liés au partage du réseau actuel avec les transporteurs de marchandises19.
Un réseau ferroviaire pour le transport de voyageurs donnerait également à VIA Rail plus de latitude pour augmenter la fréquence de ses services, offrir plus de services qui répondent mieux aux besoins de tous les Canadiens et accroître ainsi l'achalan¬dage, augmenter les recettes tirées de la vente de billets, réduire sa dépendance à l'égard des subventions du gouvernement et améliorer la ponctualité des trains.
La stratégie de trains à forte fréquence de VIA Rail nécessiterait l'acquisition de voies ferrées qui appartiennent aux transporteurs de marchandises ainsi que la restauration ou la reconstruction des emprises qui se trouvent dans le segment Toronto-Ottawa-Montréal du corridor Québec-Windsor. Contrairement à l'option des trains à grande vitesse, qui nécessiterait la construction d'un tout nouveau réseau ferroviaire et des investissements substantiels dans une technologie nouvelle et du matériel nouveau qui n'ont pas été mis à l'épreuve, la stratégie de trains à forte fréquence permettrait simplement d'élargir et de réhabiliter le réseau ferroviaire existant au moyen de la technologie existante pour exploiter des trains à des vitesses habituelles. La stratégie de trains à forte fréquence de VIA Rail est nettement moins coûteuse que les projets de trains à grande vitesse, comporte moins de risque et pourrait être mise en œuvre plus rapidement.
Selon VIA Rail, le projet de trains à forte fréquence exigerait un investissement de 3 milliards de dollars, et les deux tiers de ce montant seraient affectés à l'acquisition et à la réhabilitation des voies ferrées et des infrastructures de signalisation. Le segment Toronto-Ottawa-Montréal a été choisi parce qu'il a le meilleur potentiel de rentabilité. VIA Rail développerait petit à petit son service pour desservir plus de communautés dans le pays entier. Le réseau ferroviaire consacré au transport de voyageurs accueillerait les trains interurbains de VIA Rail ainsi que les trains de banlieue comme MetroLinx (région métropolitaine de Toronto) et les trains de l'Agence métropolitaine de transport (région métropolitaine de Montréal).
Grâce à un tel réseau, VIA Rail doublerait la fréquence de ses trains et espère ainsi multiplier son achalandage par environ quatre, accroître ses recettes et réduire sa dépendance à l'égard des subventions fédérales. Pour réduire encore davantage le fardeau que devraient porter les contribuables canadiens, VIA Rail cherche à obtenir des fonds privés pour exécuter son projet20.
VIA Rail prévoit soumettre son projet de trains à forte fréquence au Cabinet fédéral d'ici la fin de 2015 ou au début de 2016. Si le projet est approuvé, VIA Rail le réaliserait en l'espace de quatre à sept ans21.
Depuis sa fondation il y a 38 ans, VIA Rail Canada Inc. est parvenue à remplir son mandat (non législatif) d'assurer des services de transport ferroviaire de voyageurs, malgré des contraintes institutionnelles, commerciales et financières considérables. La société a amélioré son efficience opérationnelle ces dernières années, malgré les limites qui lui sont imposées : le manque d'autonomie par rapport aux décisions du Cabinet fédéral, sa dépendance à l'égard des subventions fédérales, l'obligation de partager les voies ferrées et d'autres éléments d'infrastructure avec le CN et le CP, ainsi que le manque ou l'absence de pouvoir discrétionnaire qui lui permettrait de décider s'il faut privilégier les trajets rentables ou abandonner ceux qui ne le sont pas.
L'avenir du transport ferroviaire interurbain de voyageurs au Canada demeure, à tout le mieux, incertain étant donné la conjoncture économique et les options de transport disponibles. Le fait que VIA Rail doit partager les voies ferrées et les installations avec d'autres transporteurs ferroviaires limite considérablement sa capacité d'offrir un service de transport de voyageurs efficient et ponctuel, et cela nuit à sa capacité de s'acquitter de son mandat. VIA Rail envisage actuellement de mettre sur pied un réseau ferroviaire distinct consacré au transport de voyageurs. Ce projet représente peut-être la meilleure option disponible pour améliorer le potentiel de croissance du transport ferroviaire interurbain de voyageurs au Canada.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
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