Différentes règles quant à l'usage du français et de l'anglais s'appliquent au système de justice du Canada. Cette étude générale se concentre sur le rôle du gouvernement fédéral en la matière en abordant notamment les enjeux relatifs au bilinguisme dans l'appareil judiciaire canadien.
L'administration de la justice dans les deux langues officielles est encadrée par différentes lois, dont la Loi constitutionnelle de 1867, la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur les langues officielles. À ces obligations constitutionnelles et législatives s'ajoute une série d'autres lois et règlements qui établissent des critères précis en matière de respect des langues officielles par les tribunaux fédéraux.
Le système de justice du Canada est à la fois bilingue et bijuridique, et les tribunaux fédéraux sont appelés à interpréter des lois qui reflètent ces réalités. Par ailleurs, les versions française et anglaise des textes législatifs fédéraux ont également force de loi et sont corédigées de sorte qu'elles soient de même valeur.
La nature même des opérations des tribunaux fédéraux accorde une place importante à l'usage du français et de l'anglais tant dans les plaidoiries que dans les communications et les actes de procédures. Ainsi, pour permettre l'exercice des droits linguistiques des justiciables, des services de traduction ou d'interprétation simultanée sont offerts sous certaines conditions.
Enfin, les jugements des tribunaux fédéraux sont rendus disponibles dans les deux langues officielles. Cependant, il existe encore des obstacles pour qu'ils le soient de manière simultanée ou pour qu'ils soient de même qualité dans une langue comme dans l'autre. Les délais associés à la traduction de certains jugements des tribunaux autres que la Cour suprême du Canada ont alimenté les demandes pour préciser les obligations qui découlent de la Loi sur les langues officielles.
Quant au droit criminel, il constitue un cas à part, puisque l'emploi des langues officielles est régi à même le Code criminel. Ainsi, en vertu du Code criminel, peu importe où il se trouve au Canada, un accusé peut subir son procès dans la langue officielle de son choix et a droit à des services de traduction en ce qui concerne les actes d'accusation ou les dénonciations. Cela oblige donc les tribunaux saisis d'affaires criminelles au bilinguisme institutionnel.
Malgré les obligations existantes, la pleine mise en œuvre du bilinguisme judiciaire n'est pas encore assurée. La nomination de juges bilingues, tant dans les cours supérieures et les cours d'appel des provinces et des territoires qu'à la Cour suprême du Canada, suscite de nombreux débats.
Au cours des dernières années, le gouvernement fédéral a pris des mesures pour pallier le manque de capacité bilingue de la magistrature fédérale. Cela dit, les pressions sont de plus en plus fortes pour apporter des modifications législatives en ce sens. Les débats portant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles ont été l'occasion de faire ressortir les défis actuels et les besoins à combler pour assurer l'accès égal, pour l'ensemble des Canadiens et Canadiennes, à un système de justice dans les deux langues officielles.
Le droit d'être entendu dans la langue officielle de son choix sans l'aide d'un interprète alimente les débats parlementaires depuis quelques années déjà. L'offre de formation linguistique pour l'ensemble des professionnels de la justice et l'évaluation des capacités linguistiques font partie des solutions à envisager pour améliorer l'accès équitable au système de justice. Des améliorations ont d'ailleurs été apportées, au cours de la 42e législature, à la protection des droits linguistiques dans les secteurs du droit criminel et du droit familial.
L'accès à la justice dans les deux langues officielles est une question qui fait directement appel à la collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que tous les acteurs du système de justice. Le gouvernement fédéral est d'ailleurs conscient des défis à relever dans ce domaine et offre, depuis plus d'une quinzaine d'années, du financement pour accroître les capacités des réseaux, améliorer la formation et faciliter l'accès aux services de justice dans les deux langues officielles. L'objectif est d'assurer un accès égal à des services de qualité égale pour les francophones et les anglophones du pays. Certains aimeraient d'ailleurs que cela se transpose en obligations législatives bien définies.
Les règles qui régissent le bilinguisme dans l'appareil judiciaire canadien continueront d'évoluer dans les années à venir en fonction de la jurisprudence, des modifications législatives ou de l'évolution des mentalités au sein de la société canadienne. Les débats portant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles – le dépôt d'un projet de loi à cette fin est d'ailleurs prévu d'ici la fin de la 43e législature – seront certainement l'occasion de débattre de ces enjeux.
Le présent document porte sur les règles qui régissent l'usage des deux langues officielles dans le système de justice du Canada, en mettant particulièrement l'accent sur le rôle du gouvernement fédéral à cet égard. Il donne d'abord un aperçu de l'appareil judiciaire canadien. Il examine ensuite le cadre législatif et constitutionnel du bilinguisme judiciaire dans le contexte fédéral, du côté tant des tribunaux fédéraux que du droit criminel. Il traite enfin d'un certain nombre d'enjeux actuels relatifs à l'usage des deux langues officielles dans l'appareil judiciaire canadien.
L'appareil judiciaire canadien se compose de différents tribunaux qui sont administrés soit par le gouvernement fédéral, soit par les gouvernements provinciaux et territoriaux.
Les tribunaux administratifs 1 – fédéraux, provinciaux ou territoriaux – ne font pas partie du système judiciaire en tant que tel. Toutefois, ils jouent un rôle essentiel pour ce qui est d'examiner des différends qui touchent à un grand nombre de règles et de règlements administratifs, et ils peuvent être appelés à se pencher sur des affaires relatives au respect des droits linguistiques. Ils peuvent aussi renvoyer des questions aux instances supérieures, au besoin. Depuis 2014, le Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs offre des services de soutien aux tribunaux administratifs fédéraux.
Sauf au Nunavut 2, il existe dans chaque province et territoire trois niveaux de tribunaux :
Les trois niveaux sont administrés par la province ou le territoire compétent. Cela dit, la nomination des juges des cours supérieures et d'appel provinciales relève du gouvernement fédéral 4. Il en est de même pour la Cour suprême du Yukon, la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest et la Cour de justice du Nunavut.
Le Parlement du Canada a établi des tribunaux spécialisés pour traiter les affaires dans les domaines plus pointus du droit. La Cour canadienne de l'impôt, les cours martiales et la Cour d'appel de la cour martiale en sont des exemples. Le Parlement a aussi créé la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale. Les deux sont de juridiction civile, mais n'entendent que les causes qui portent sur des questions abordées dans les lois fédérales. Depuis 2003, le Service administratif des tribunaux judiciaires offre des services de soutien à tous les tribunaux fédéraux.
Enfin, le plus haut tribunal du pays est la Cour suprême du Canada. La compétence de ce tribunal d'appel de dernière instance s'étend à tous les domaines du droit. La Cour suprême entend aussi les causes qui présentent un intérêt important pour le public ou le droit canadien. De plus, elle est habilitée à fournir, sur demande, des avis consultatifs au gouvernement fédéral sur l'interprétation de la Constitution et des lois fédérales ou provinciales.
Le gouvernement fédéral est responsable de la nomination des juges pour l'ensemble des tribunaux fédéraux. Dans le cas de la Cour suprême, la nomination des juges est étudiée par un comité consultatif indépendant et entérinée par le premier ministre. La nomination des juges de la Cour fédérale, de la Cour d'appel fédérale et de la Cour canadienne de l'impôt est étudiée par des comités consultatifs et entérinée par le gouverneur général sur l'avis du Cabinet fédéral, sur recommandation du ministre de la Justice ou du premier ministre (dans le cas des juges en chef et juges en chef associés) 5.
La figure 1 illustre la structure générale de l'appareil judiciaire canadien et la compétence relative à la nomination des juges, une question qui sera traitée plus en détail à la section 4.1 de la présente étude générale.
L'infographie illustre la structure générale de l'appareil judiciaire canadien et la compétence relative à la nomination des juges.
Au sommet se trouve la Cour suprême du Canada, pour laquelle la nomination des juges est de compétence fédérale.
Viennent ensuite, d'un côté, les tribunaux fédéraux, dont l'administration et la nomination des juges relèvent du gouvernement fédéral, et de l'autre côté, les tribunaux provinciaux, dont l'administration et la nomination des juges relèvent des gouvernements provinciaux, sauf en ce qui a trait aux cours supérieures et aux cours d'appel, pour lesquelles la nomination des juges est de compétence fédérale.
Du côté des tribunaux fédéraux, on retrouve les tribunaux administratifs, la Cour fédérale au même niveau que la Cour canadienne de l'impôt, puis la Cour d'appel fédérale.
Les cours martiales et la Cour d'appel de la cour martiale sont également des tribunaux fédéraux.
Du côté des tribunaux provinciaux, on retrouve les tribunaux administratifs, les cours provinciales, les cours supérieures et les cours d'appel.
La description des tribunaux provinciaux s'applique aussi aux tribunaux correspondants des territoires, sauf au Nunavut, où les fonctions de la Cour de justice combinent celles de la cour supérieure et de la cour territoriale.
Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Ministère de la Justice, L'appareil judiciaire du Canada; de Association canadienne des juges des cours supérieures, Structure des tribunaux; de Commissariat à la magistrature fédérale Canada, Guide pour candidats, octobre 2016; de Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5.
La présente section porte sur les obligations linguistiques qui incombent aux tribunaux fédéraux, en mettant l'accent sur un certain nombre de principes clés.
L'administration de la justice dans les deux langues officielles est encadrée par différentes lois. Le tableau 1 résume les principales obligations législatives et constitutionnelles qui s'appliquent aux tribunaux fédéraux en matière de langues officielles.
Loi constitutionnelle de 1867 |
Charte canadienne des droits et libertés |
Autres lois et règlements |
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L'article 133 garantit que le français et l'anglais peuvent être employés également « dans toute plaidoirie ou pièce de procédure » devant les tribunaux du Canada (et du Québec). De plus, l'article 133 dispose que les lois du Parlement du Canada et de la législature de Québec doivent être imprimées et publiées dans les deux langues. |
L'article 14 accorde le droit à l'assistance d'un interprète au cours des procédures. L'article 16 dispose que le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada, et traite du principe de la « progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais ». L'article 19 établit que chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement (et les tribunaux du Nouveau‑Brunswick) et dans tous les actes de procédure qui en découlent. |
En plus de ces dispositions générales, un certain nombre de lois et de règlements établissent des critères particuliers en matière de respect des langues officielles :
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Loi sur les langues officielles |
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Partie II : obligations linguistiques relatives aux actes législatifs
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Loi sur les langues officielles |
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Partie III : obligations linguistiques relatives à l'administration de la justice
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Les tribunaux fédéraux interprètent des lois qui sont pensées, rédigées et adoptées dans les deux langues officielles. Les deux versions ont également force de loi ou même valeur.
Le système de justice canadien est fondé sur deux traditions juridiques : le droit civil, qui s'applique au Québec, et la common law, qui s'applique dans le reste du Canada. Bien que la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale entendent des causes qui ne portent que sur les questions abordées dans les lois fédérales, la Cour suprême peut, de son côté, être appelée à interpréter des lois fondées sur l'une ou l'autre de ces deux traditions juridiques.
Les lois fédérales sont rédigées parallèlement en français et en anglais, et les deux versions font foi. En effet, les obligations inscrites dans la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) 6 et la Loi sur les langues officielles (LLO) 7 font en sorte qu'une loi fédérale n'est généralement pas écrite dans une langue, puis traduite dans l'autre : la corédaction constitue plutôt la méthode de rédaction législative qui s'applique. La règle du sens commun encadre l'interprétation des lois bilingues, comme l'explique Karine McLaren, anciennement directrice du Centre de traduction et de terminologie juridiques de l'Université de Moncton, puisque les versions française et anglaise d'une loi formulent les mêmes notions :
[I]l peut exister deux versions linguistiques d'une loi, mais il ne peut y avoir qu'une seule intention du législateur, donc une seule norme, qui s'applique universellement indépendamment de la langue dans laquelle la loi est lue 8.
L'emploi des langues officielles dans le système judiciaire canadien dépend du type de tribunal et de la nature de l'affaire dont il est saisi. Comme le rappelle Vanessa Gruben, de l'Université d'Ottawa :
C'est au gouvernement fédéral qu'il appartient de réglementer les langues employées devant les tribunaux fédéraux et la procédure pénale […] C'est également au Parlement qu'il revient de réglementer les langues employées devant certains tribunaux administratifs 9.
Le droit de chacun d'employer sa langue devant les tribunaux fédéraux s'étend aux justiciables, aux avocats, aux témoins, aux juges et aux autres officiers de justice.
Dans les tribunaux fédéraux, le droit d'employer le français ou l'anglais se définit selon différents aspects et s'étend à l'ensemble des participants du système de justice, selon les circonstances.
Les obligations linguistiques s'appliquent à tous les actes imprimés (p. ex. assignations) de même qu'aux prétentions des parties, aux plaidoiries de vive voix, aux exposés et aux mémoires. Elles ne visent pas la preuve.
Les communications verbales ou écrites au sein des tribunaux fédéraux peuvent se faire en français ou en anglais. C'est l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui institutionnalise le droit d'utiliser l'une ou l'autre langue dans les plaidoiries et les pièces de procédure. Cette obligation est reprise dans la Charte – qui fait allusion au droit d'employer le français et l'anglais dans les affaires et actes de procédures – puis dans la LLO.
Pour permettre l'exercice des droits linguistiques, des services de traduction ou d'interprétation simultanée sont offerts sous certaines conditions 10. Le droit à l'assistance d'un interprète au cours des procédures est garanti par la Charte. Il faut cependant distinguer le droit linguistique de l'accusé (c.‑à‑d. le droit de s'exprimer dans sa langue) et le droit à un procès équitable (c.‑à‑d. le droit de comprendre et d'être compris). En 1999, la Cour suprême a résumé cette distinction dans l'affaire R. c. Beaulac :
Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres des collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui de personnes qui parlent d'autres langues. Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts. Ils visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l'égalité de statut du français et de l'anglais 11.
La LLO prévoit le recours à des services de traduction sur demande pour les actes judiciaires. Les dispositions concernant l'interprétation simultanée ont notamment pour but de permettre aux témoins de s'exprimer et d'être entendus dans la langue de leur choix sans subir de préjudice.
Lorsqu'il s'agit d'une affaire civile, la LLO oblige les institutions fédérales à utiliser la langue officielle choisie par les autres parties ou la langue la plus justifiée dans les circonstances.
De façon générale, si une affaire se déroule dans une langue, le jugement sera rendu et prononcé dans cette langue. Une traduction du jugement doit être mise à la disposition du public dans les meilleurs délais. Une décision rendue dans une seule langue n'est pas considérée comme invalide, pourvu qu'elle respecte les dispositions de la LLO.
Les jugements des tribunaux fédéraux sont publiés simultanément dans les deux langues officielles dans l'un ou l'autre de cas suivants :
Il en est de même pour les jugements publiés dans le recueil des décisions.
Karine McLaren commente ainsi les obligations existantes en matière de traduction des jugements :
L'article 20 de la Loi sur les langues officielles n'impose aucune méthode particulière aux divers tribunaux fédéraux. Par conséquent, ces derniers en sont venus à répondre de différentes manières à leurs obligations respectives 12.
Elle ajoute qu'aucun critère objectif n'a été établi pour déterminer ce qui « présente de l'intérêt ou de l'importance » pour le public concernant les décisions à traduire 13. Pourtant, en 1999, le commissaire aux langues officielles de l'époque, Victor Goldbloom, avait souligné la nécessité d'établir de tels critères 14.
En outre, aucune sanction n'est prévue lorsqu'il y a des délais dans le processus de traduction et de publication des décisions. Selon Vanessa Gruben, il y aurait lieu de sanctionner « plus sévèrement le non‑respect de cette obligation » afin d'améliorer « l'égalité d'accès au système judiciaire dans les deux langues officielles » 15. Michel Doucet, anciennement professeur titulaire en droit, ajoute que l'obligation législative de traduire un jugement n'entraîne pas pour autant une reconnaissance de l'autorité égale de ses deux versions, puisqu'aucune règle de procédure de la sorte n'a été établie dans les tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême 16.
Il existe un différend à savoir si l'obligation de publier les jugements simultanément dans les deux langues officielles sur le Web relève de la partie III de la Loi sur les langues officielles, qui traite de l'administration de la justice, ou de sa partie IV, qui porte sur les communications avec le public. L'égalité d'accès aux jugements des cours fédérales dans les deux langues officielles s'en trouve compromise.
Alors que la Cour suprême publie simultanément tous ses jugements dans les deux langues officielles, il en va autrement pour les autres tribunaux fédéraux qui traduisent leurs décisions « dans les meilleurs délais ». Le Service administratif des tribunaux judiciaires (SATJ) a fait l'objet de plaintes à l'égard de la langue d'affichage des décisions de la Cour fédérale, de la Cour d'appel fédérale et de la Cour canadienne de l'impôt. L'ancien commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, qui a fait enquête sur cette question à partir de 2007, a déposé en 2016 un rapport auprès du gouverneur en conseil ainsi qu'un rapport au Parlement 17. À son avis, l différend qui persiste au sujet de l'interprétation des obligations applicables à la langue d'affichage des jugements nécessite soit une clarification législative, soit un renvoi à la Cour suprême.
Le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a été saisi de la question et a recommandé au gouvernement fédéral, dans un rapport déposé en décembre 2017, de préciser les obligations découlant de la LLO :
Par ailleurs, dans son budget de 2017, le gouvernement fédéral a reconnu les problèmes d'accessibilité des décisions en français et en anglais, et octroyé un budget supplémentaire de 2 millions de dollars sur deux ans au SATJ, à compter de 2017‑2018, pour accroître sa capacité de traduction 19. À compter de 2019‑2020, le SATJ s'est vu attribuer un financement permanent de 1,7 million de dollars à cet effet. L'organisme a modifié son modèle de traduction en privilégiant l'utilisation d'un outil de traduction automatisé 20.
Dans le cadre des débats portant sur la modernisation de la LLO, des demandes ont été faites par des experts du secteur de la justice pour clarifier l'article 20 de manière à rendre obligatoire la traduction d'un plus grand nombre de décisions de justice et leur publication simultanée sur le Web 21. Cela a incité le Comité sénatorial permanent des langues officielles à recommander, dans son rapport final publié en juin 2019, de modifier la LLO afin :
L'actuel commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a présenté des recommandations semblables pour que la LLO assure un accès plus facile et plus rapide aux décisions des tribunaux fédéraux dans les deux langues officielles, et qu'elle précise l'obligation de les publier de façon simultanée 23. Un recours avait été intenté en avril 2018 devant la Cour fédérale au sujet du délai de publication et de la qualité de la traduction des décisions des cours fédérales, mais celui‑ci est tombé à l'eau suivant le décès du demandeur 24.
La Cour suprême, la Cour d'appel fédérale, la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt établissent leurs propres règles concernant l'emploi de l'une ou l'autre des langues officielles, sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil. Ces règles de procédure doivent être bilingues. L'article 17 de la LLO permet au gouverneur en conseil d'établir de telles règles pour les autres tribunaux, mais ce pouvoir n'a jamais été utilisé.
Les tribunaux fédéraux n'ont pas compétence à proprement parler en matière de droit criminel 25, puisque ce sont les cours supérieures et les cours provinciales et territoriales qui sont investies de cette compétence. Les droits linguistiques garantis dans ce domaine ne relèvent pas de la Constitution ou de la LLO, mais plutôt du Code criminel (le Code) 26. Le tableau 2 résume les principales obligations qui s'appliquent en matière de langue dans les affaires criminelles.
Code criminel |
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L'article 530 garantit à l'accusé le droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix. L'accusé doit être informé de ce droit. L'utilisation des deux langues officielles peut être prescrite si les circonstances le justifient. L'article 530.01 permet à l'accusé d'obtenir la traduction des passages des dénonciations et des actes d'accusation rédigés dans l'autre langue officielle par le poursuivant. L'article 530.1 précise les principes régissant le déroulement d'un procès bilingue. Le paragraphe 849(3) exige que les formules prévues par le Code soient imprimées dans les deux langues officielles. |
L'une des particularités du Code est de prévoir que l'accusé a le droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix, où qu'il se trouve au Canada, et qu'il doit être informé de ce droit. Si l'accusé présente une demande à ce sujet dans le délai prescrit, celle‑ci est automatiquement accordée. Si le délai est expiré, le tribunal peut tout de même l'accorder, dans l'intérêt de la justice. Toutes les cours de juridiction criminelle au Canada sont assujetties aux obligations linguistiques prévues dans le Code. La Cour suprême s'est prononcée sur l'application de ces dispositions dans l'affaire R. c. Beaulac :
Le paragraphe 530(1) donne à l'accusé le droit absolu à l'accès égal aux tribunaux désignés dans la langue officielle qu'il estime être la sienne. Les tribunaux saisis d'affaires criminelles sont donc tenus d'être institutionnellement bilingues afin d'assurer l'emploi égal des deux langues officielles du Canada 27.
L'administration des tribunaux doit faire en sorte qu'une affaire puisse être entendue dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Il n'est pas nécessaire que toutes les personnes qui y siègent soient bilingues.
Un procès criminel peut donc être mené dans une seule langue, ce qui impose une obligation de bilinguisme institutionnel.
En 2015, la Cour d'appel de l'Ontario a rendu, dans l'affaire R. c. Munkonda, une décision qui rappelle deux principes régissant le déroulement d'un procès ou d'une enquête préliminaire bilingue :
Tout comme la LLO, le Code prévoit le recours à des services de traduction pour les actes d'accusation ou les dénonciations.
Il convient de noter que l'entrée en vigueur de l'article 533.1 du Code en 2008 a rendu obligatoire un examen approfondi, par un comité parlementaire, des dispositions et de l'application de la partie XVII (Langue de l'accusé) du Code. Ainsi, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a fait cet examen et déposé ses conclusions en avril 2014 29. Il a notamment recommandé qu'un comité parlementaire examine de nouveau cette partie du Code après cinq ans.
Par ailleurs, depuis 2019, un accusé peut, pour n'importe quel type d'infractions, choisir de subir son procès en français ou en anglais au moment de sa comparution au cours de laquelle la date du procès est fixée 30.
Parmi les enjeux récents relatifs à l'usage des langues officielles dans le système de justice canadien, mentionnons la nomination des juges, la distinction entre le droit d'être entendu et le droit d'être compris dans la langue de son choix, l'accès à la justice, la formation linguistique et l'égalité des deux langues officielles, qui sont examinés ici en mettant un accent particulier sur le rôle du gouvernement fédéral. Plusieurs questions abordées dans la présente section exigent la collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux, et c'est pourquoi des exemples tirés de certaines provinces y sont cités.
La Loi sur les juges, la Loi sur les Cours fédérales et la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt encadrent le régime de nomination des juges dans les tribunaux fédéraux. C'est le Commissariat à la magistrature fédérale Canada qui est responsable d'administrer le régime de nomination.
Le gouvernement fédéral exerce des responsabilités à l'égard de la nomination des juges aux tribunaux fédéraux de même qu'aux cours supérieures et cours d'appel des provinces et des territoires.
Des comités consultatifs sont chargés d'examiner les compétences des personnes qui se portent candidates à la magistrature fédérale. Il y a au total 17 comités consultatifs : trois pour l'Ontario, deux pour le Québec, un pour chaque autre province et territoire, et un pour la Cour canadienne de l'impôt. Depuis octobre 2016, ces comités doivent être représentatifs de la diversité de la population canadienne, notamment en ce qui a trait à la représentation des « membres des communautés minoritaires linguistiques 31 ».
Une fois la liste des candidats établie, le ministre de la Justice la présente au Cabinet fédéral et procède à la nomination des juges. La nomination des juges en chef et des juges en chef associés est la prérogative du premier ministre.
Les évaluations des candidats sont valables pour deux ans. « La compétence professionnelle et le mérite général sont les principales qualités prises en considération aux fins de la nomination à la magistrature 32. » Le bilinguisme est un facteur, parmi d'autres, pris en compte dans l'évaluation des candidats. La composition du bassin des candidats doit quant à elle être représentative de la diversité de la population, en incluant notamment des « membres des minorités linguistiques 33 ».
Sans formation supplémentaire :
Le bilinguisme n'est pas un critère à respecter obligatoirement au moment de la nomination des juges des cours supérieures et des cours d'appel des provinces et des territoires. Cela dit, depuis octobre 2016, les candidats à la magistrature doivent répondre à quatre questions de nature linguistique au moment de postuler. Le gouvernement fédéral compile les réponses reçues et rend public un aperçu des aptitudes linguistiques des candidats en se fondant sur des renseignements recueillis au moyen de l'auto‑identification.
C'est ainsi qu'entre octobre 2016 et octobre 2017 34, parmi les 74 candidats nommés aux cours supérieures de première instance :
L'année suivante, soit entre octobre 2017 et octobre 2018 37, l'ensemble des aptitudes linguistiques des candidats nommés ont connu une légère baisse par rapport à l'année précédente. Parmi les 79 candidats ayant accédé à la magistrature :
Puisqu'un candidat peut avoir répondu positivement à l'une ou l'autre – ou à l'ensemble – des questions portant sur ces quatre aptitudes linguistiques, il est difficile d'obtenir un portrait clair de la situation. De plus, il demeure impossible de dire avec exactitude combien des 1 107 juges de nomination fédérale en poste dans les provinces et territoires au 1er novembre 2020 étaient bilingues 38. Cela tient au fait que :
Année après année, des intervenants insistent pour que le gouvernement fédéral procède à la nomination d'un nombre suffisant de juges bilingues aux tribunaux administrés par les provinces. L'ancien commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, ainsi que ses prédécesseurs se sont prononcés maintes fois sur la question. Une étude abordant la question du manque de juges de nomination fédérale capables de présider une instance dans les deux langues officielles a été publiée par l'ancien commissaire en août 2013, en partenariat avec la commissaire aux langues officielles du Nouveau‑Brunswick de l'époque, Katherine d'Entremont, et l'ancien commissaire aux services en français de l'Ontario, François Boileau 40. L'étude a conclu que le processus en vigueur ne permettait pas d'assurer la nomination d'un nombre suffisant de juges dans les cours supérieures de chaque province et territoire.
En septembre 2017, le gouvernement fédéral a procédé au lancement de son plan d'action pour améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures, dans lequel il s'engage à prendre les mesures suivantes :
Sans formation supplémentaire :
En 2018‑2019, le Commissariat à la magistrature fédérale a mis en place un outil de contrôle de qualité pour évaluer les compétences dans la langue seconde des candidats à la magistrature 42. En 2020‑2021, l'outil sera déployé à l'ensemble des candidats qui se sont déclarés bilingues 43.
Le gouvernement fédéral a donc reconnu l'importance de nommer un plus grand nombre de juges bilingues à la magistrature des cours supérieures des provinces et territoires, mais certains croient qu'il doit aller plus loin. Dans un rapport déposé en décembre 2017, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes lui a recommandé de modifier la Loi sur les juges 44 pour :
Le projet de loi C‑381 46, déposé en première lecture le 31 octobre 2017, visait des objectifs similaires. Ce projet de loi est mort au Feuilleton.
Dans le cadre des débats portant sur la modernisation de la LLO, des intervenants ont réclamé des améliorations législatives pour encadrer les obligations linguistiques des juges de nomination fédérale 47. Dans son rapport final, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a reconnu qu'une nouvelle mouture de la LLO devrait assurer l'accès égal à la justice en français et en anglais au moment de nommer les juges des cours supérieures et des cours d'appel des provinces et des territoires. Cela signifie, concrètement, de confier le mandat au Commissariat à la magistrature fédérale d'évaluer systématiquement les besoins en matière de candidats bilingues à la magistrature partout au pays, de même que les compétences linguistiques de ces derniers 48.
La figure 2 illustre la distinction entre la situation actuelle et les mesures législatives proposées dans le projet de loi C‑381 et dans les rapports des comités parlementaires pour favoriser la nomination d'un plus grand nombre de juges bilingues aux cours supérieures et aux cours d'appel des provinces et territoires.
L'infographie compare la situation actuelle aux modifications législatives proposées pour favoriser la nomination d'un plus grand nombre de juges bilingues aux cours supérieures provinciales et territoriales.
Le gouvernement fédéral s'est engagé à nommer un plus grand nombre de juges bilingues dans ces cours, mais aucune obligation législative n'est prévue à cet égard.
Actuellement, sauf dans le cas des nouveaux candidats à la magistrature, le nombre de juges des cours supérieures provinciales qui sont bilingues n'est pas systématiquement comptabilisé. Il n'y a pas de postes bilingues prédéfinis pour chaque province et territoire.
Les compétences linguistiques des juges sont évaluées dans le cas des nouveaux candidats qui se sont déclarés bilingues.
Le projet de loi C‑381, qui visait à modifier la Loi sur les juges, et les recommandations des comités permanents des langues officielles de la Chambre des communes et du Sénat proposaient des solutions législatives pour pallier les lacunes actuelles.
Les objectifs des modifications législatives proposées étaient de faire de la capacité de parler et de comprendre les deux langues officielles une condition de nomination aux cours supérieures provinciales et territoriales; de désigner des postes bilingues au sein de ces cours supérieures provinciales et de pourvoir ces postes par des candidats bilingues; et de donner au Commissariat à la magistrature fédérale le mandat d'évaluer systématiquement les compétences linguistiques des candidats et les besoins en matière de candidats bilingues dans l'ensemble des régions du pays.
Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Ministère de la Justice Canada, Plan d'action – Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures (759 Ko, 1 page), 2017; de Projet de loi C‑381, Loi modifiant la Loi sur les juges (bilinguisme), 1re session, 42e législature; de Chambre des communes, Comité permanent des langues officielles, Pour que justice soit rendue dans les deux langues officielles (5,2 Mo, 76 pages), huitième rapport, 1re session, 42e législature, décembre 2017; de Sénat, Comité permanent des langues officielles, La modernisation de la Loi sur les langues officielles – La perspective des institutions fédérales et les recommandations (4,7 Mo, 99 pages), rapport final, 1re session, 42e législature, juin 2019.
La Loi sur les langues officielles exige que le juge qui entend l'affaire « comprenne l'anglais et le français sans l'aide d'un interprète lorsque les parties ont opté pour que l'affaire ait lieu dans les deux langues ». (Loi sur les langues officielles, al. 16(1)c))
En ce qui concerne la Cour fédérale, la Cour d'appel fédérale et la Cour canadienne de l'impôt, la LLO a reconnu dès 1988 une obligation relative à la compréhension des langues officielles par les juges (art. 16) et le pouvoir d'établir les règles de procédure afférentes (art. 17). Cela dit, cette obligation ne s'applique pas systématiquement à tous les juges nommés, mais seulement à ceux qui entendent des affaires dans les deux langues. C'est le principe du bilinguisme institutionnel qui s'applique. Sur les 93 juges de nomination fédérale en poste dans ces trois cours au 1er novembre 2020 49, il est impossible de déterminer combien étaient effectivement bilingues. La nomination d'un plus grand nombre de juges bilingues dans l'un ou l'autre de ces trois tribunaux fédéraux n'a pas été signalée comme un enjeu ces dernières années.
La Cour suprême fonctionne sous le régime de la Loi sur la Cour suprême (LCS) 50 qui ne contient aucune disposition sur les langues officielles. La LLO n'assujettit pas ce tribunal aux obligations prévues aux articles 16 et 17, comme c'est le cas pour les autres tribunaux fédéraux 51.
La Cour suprême présente certaines particularités pour diverses raisons d'ordre géographique et administratif. L'article 6 de la LCS énonce des conditions relatives à la représentation du Québec : au moins trois juges doivent provenir de cette province. Parmi les six autres juges, la convention veut que trois d'entre eux soient de l'Ontario, un des provinces de l'Atlantique et deux des provinces de l'Ouest. Les neuf juges de la Cour suprême occupent leur poste à titre inamovible jusqu'à l'âge de 75 ans, à moins d'une révocation par le gouverneur général, à la demande du Sénat et de la Chambre des communes, pour incapacité ou mauvaise conduite dans l'exercice de leurs fonctions.
Les juges de la Cour suprême sont appelés à interpréter des lois fondées sur le droit civil et la common law. Ils doivent aussi se prononcer sur des causes qui ont été débattues aux instances inférieures dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Les Règles de la Cour suprême prévoient que les communications verbales et écrites avec la Cour se font dans les deux langues et que des services d'interprétation simultanée sont offerts durant l'audition des procédures 52.
L'idée de nommer un plus grand nombre de juges bilingues à la Cour suprême a suscité de nombreux débats ces dernières années. Un nouveau processus de nomination des juges à ce tribunal a d'ailleurs été lancé en août 2016. Dans le cadre de ce processus, un comité consultatif indépendant a pour mandat de fournir au premier ministre une courte liste de candidats en vue d'une nomination à la Cour suprême. Le gouvernement s'est engagé à nommer des juges qui sont « effectivement bilingues 53 ». Comme l'indique le Commissariat à la magistrature fédérale :
La Cour suprême instruit des appels en français et en anglais. Les documents écrits peuvent être soumis dans l'une ou l'autre langue officielle, et les avocats peuvent plaider dans la langue officielle de leur choix. Les juges peuvent poser des questions en anglais ou en français. Il est prévu qu'un juge de la Cour suprême puisse lire des documents et comprendre un plaidoyer sans devoir recourir à la traduction ou à l'interprétation. Idéalement, le juge doit pouvoir discuter avec un avocat pendant un plaidoyer et avec les autres juges de la Cour en français ou en anglais 54.
Le Commissariat à la magistrature fédérale procède à l'évaluation du niveau de bilinguisme effectif des candidats dans les deux langues officielles. Le candidat choisi participe par la suite à une rencontre avec des représentants du Parlement, qui ont alors l'occasion de lui poser des questions sur sa candidature dans la langue officielle de leur choix. Trois juges bilingues ont été nommés à la plus haute cour du pays depuis l'entrée en vigueur de ce nouveau processus. Il s'agit des juges Malcolm Rowe, Sheilah Martin et Nicholas Kasirer.
Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a examiné le processus qui a mené à la nomination du juge Rowe. Il a déposé ses conclusions en février 2017 sans toutefois faire de recommandation précise au sujet des conditions de nomination touchant au bilinguisme ou au processus d'évaluation des compétences linguistiques du candidat nommé 55. Dans sa réponse au rapport du Comité, le gouvernement a réaffirmé son engagement « à nommer à la Cour suprême uniquement des juges qui sont effectivement bilingues 56 ». En juillet 2017 et en avril 2019, le gouvernement a de nouveau suivi le processus de nomination mis en place en 2016 pour pourvoir un poste à la Cour suprême 57.
Le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, dans son rapport publié en décembre 2017, a quant à lui demandé au gouvernement fédéral de déposer « un projet de loi qui garantirait la nomination de juges bilingues à la Cour suprême du Canada » et de modifier le paragraphe 16(1) de la LLO « afin que l'obligation relative à la compréhension des deux langues officielles s'applique également aux juges de la Cour suprême du Canada » 58. Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge s'est rallié à cette proposition dans ses recommandations portant sur la modernisation de la LLO 59. La suggestion a également fait partie de la synthèse des consultations publiques menées par le gouvernement fédéral 60.
De son côté, après avoir entendu de multiples témoignages demandant des modifications législatives en ce sens, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a recommandé, dans son rapport final, de modifier la LLO ou toute autre loi fédérale « afin d'exiger que, dès leur nomination, les juges de la Cour suprême du Canada comprennent suffisamment l'anglais et le français pour être en mesure de lire les arguments écrits des parties et de comprendre les plaidoiries orales sans l'aide de services de traduction ou d'interprétation 61 ».
Depuis 2008, plusieurs projets de loi d'initiative parlementaire ont été déposés à la Chambre des communes en vue de rendre obligatoire, pour les juges de la Cour suprême, la compréhension des deux langues officielles 62. Deux approches ont été suggérées dans les différents projets de loi déposés à la Chambre des communes :
Les débats qui ont entouré la nomination du juge Marc Nadon, en 2013, et le renvoi à la Cour suprême qui a suivi ont soulevé des questions sur l'imposition du bilinguisme comme condition de nomination des juges à la Cour suprême, qui pourrait être considérée inconstitutionnelle selon certains. Selon ce renvoi, le Parlement « ne peut modifier unilatéralement ni la composition ni d'autres caractéristiques essentielles de la Cour 69 ». Il ne précise toutefois pas si l'ajout d'exigences linguistiques constitue une modification aux caractéristiques essentielles de la Cour suprême. Les comités parlementaires des langues officielles ont fait état de cette question dans des rapports distincts 70. Le ministre de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti, a par ailleurs affirmé qu'une telle mesure pourrait être inconstitutionnelle et représenter un obstacle à la nomination de juges autochtones 71.
La figure 3 présente la distinction entre les deux mécanismes qui ont jusqu'à maintenant retenu l'attention du Parlement pour favoriser la nomination d'un plus grand nombre de juges bilingues à la Cour suprême.
L'infographie compare deux mécanismes proposés pour nommer un plus grand nombre de juges bilingues à la Cour suprême.
La première option prévoit une modification à la Loi sur la Cour suprême, incarnée par le projet de loi C‑203, Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême (compréhension des langues officielles) déposé en 2015 et rejeté par la Chambre des communes le 25 octobre 2017.
Ce projet de loi avait pour objectif de faire de la compréhension des langues officielles, sans l'aide d'un interprète, une condition de nomination des juges à la Cour suprême, en imposant le bilinguisme individuel des juges.
Il aurait eu pour effet de cibler les compétences linguistiques de chacun des juges nommés, d'imposer le bilinguisme aux neuf juges et d'empêcher la nomination d'un candidat qui n'a pas les compétences linguistiques requises. Cette exigence n'aurait cependant pas visé les juges actuellement en poste.
Trois autres projets de loi similaires ont été présentés entre 2008 et 2013 : le projet de loi C‑559, le projet de loi C‑232 et le projet de loi C‑208.
La deuxième option prévoit une modification à la Loi sur les langues officielles, incarnée par le projet de loi C‑382, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (Cour suprême du Canada) déposé à la Chambre des communes le 31 octobre 2017 et mort au Feuilleton.
Ce projet de loi avait pour objectif d'appliquer à la Cour suprême du Canada l'obligation relative à la compréhension des deux langues officielles par les juges sans l'aide d'un interprète, en imposant le bilinguisme institutionnel de la Cour suprême. Il aurait eu pour effet de cibler les compétences linguistiques des juges qui entendent l'affaire, de permettre la nomination d'un juge qui n'a pas les compétences linguistiques requises (mais ce dernier n'aurait pas pu entendre une affaire dans une langue qu'il ne maîtrise pas sans l'aide d'un interprète) et de permettre l'instruction d'affaires bilingues dans la mesure où ces affaires sont instruites par une formation réduite de juges.
Comme un minimum de cinq juges est requis pour tenir une séance de la Cour suprême, seuls cinq juges bilingues auraient été nécessaires.
Un autre projet de loi similaire a été présenté en 2008, à savoir le projet de loi C‑548.
Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Projet de loi C‑203, Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême (compréhension des langues officielles), 1re session, 42e législature; Projet de loi C‑382, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (Cour suprême du Canada), 1re session, 42e législature.
Le droit d'employer la langue officielle de son choix suppose‑t‑il le droit d'être compris sans le recours à un interprète?
En 1986, la Cour suprême a décidé, dans l'affaire MacDonald, que les parties à un litige ont le droit d'employer l'une ou l'autre langue, mais que cela ne leur confère pas nécessairement le droit d'être entendues ou comprises par le tribunal dans cette langue 72. L'interprétation large et libérale des droits linguistiques qu'ont ensuite faite les tribunaux semble cependant aller à l'encontre de ce jugement concernant le droit des parties et celui des juges d'utiliser la langue de leur choix.
Lorsqu'il adopte la LLO en 1988, le Parlement impose aux tribunaux fédéraux (sauf à la Cour suprême) l'obligation de veiller à ce que les juges comprennent, sans l'aide d'un interprète, la langue officielle dans laquelle l'affaire se déroule. Un juge unilingue peut entendre une affaire s'il comprend la langue choisie par les parties. Lorsque l'affaire se déroule dans les deux langues, le juge désigné doit obligatoirement être bilingue. Depuis l'entrée en vigueur de cette obligation en 1993, les tribunaux fédéraux doivent s'assurer qu'ils disposent d'un nombre suffisant de juges capables d'entendre les affaires dans l'une ou l'autre langue.
En mars 2011, dans l'affaire Pooran, la Cour provinciale de l'Alberta a rendu une décision selon laquelle :
Si des participants à un litige ont le droit d'employer soit l'anglais, soit le français dans leurs observations orales devant les tribunaux, mais qu'ils ne sont compris que par l'intermédiaire d'un interprète, ils ne détiennent certes que des droits linguistiques fictifs. Une interprétation aussi restreinte de leur droit d'utiliser l'anglais ou le français est illogique – comme le fait d'applaudir d'une seule main et d'en espérer du son. Ainsi une telle interprétation a‑t‑elle été écartée avec force dans l'arrêt Beaulac 73.
La question de l'existence d'un droit d'être compris directement à l'oral comme à l'écrit, sans l'intermédiaire de services d'interprétation ou de traduction, plus précisément dans le contexte de la Cour suprême, a fait l'objet d'une analyse selon laquelle « il existe de nombreux motifs sur lesquels les tribunaux pourraient s'appuyer » afin de conclure à l'existence d'un droit d'être compris directement par les juges de la plus haute instance 74.
La pénurie d'avocats et de juges qui ont une connaissance suffisante du français et de l'anglais constitue l'un des principaux obstacles à l'accès à la justice dans la langue officielle de son choix. À cela s'ajoutent les obstacles institutionnels comme la pénurie de personnel judiciaire bilingue, le manque de ressources juridiques ou administratives bilingues, et les délais associés au choix de procéder dans une langue plutôt que dans l'autre.
L'accès à la justice dans les deux langues officielles est une question qui fait directement appel à la collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Malgré les obligations législatives et constitutionnelles existantes, force est de constater qu'il existe encore aujourd'hui des lacunes en matière d'accès aux tribunaux dans la langue officielle de son choix. Bien que des dispositions législatives favorisant l'accès à la justice dans les deux langues officielles existent dans bon nombre de provinces et de territoires 75, il reste encore du travail à faire pour assurer un accès égal à l'échelle du pays.
Une étude réalisée pour le compte du ministère de la Justice en 2002 a fait ressortir de grandes variations dans l'offre de services judiciaires et juridiques dans les deux langues officielles dans l'ensemble des régions du pays 76.
Depuis 2003, le gouvernement fédéral a offert du financement supplémentaire pour l'accès à la justice dans les deux langues officielles dans le cadre de quatre initiatives horizontales. D'abord, le Plan d'action pour les langues officielles (2003‑2008) prévoyait des investissements de 18,5 millions de dollars sur cinq ans pour des mesures visant :
Ensuite, la Feuille de route pour la dualité linguistique canadienne 2008‑2013 78 prévoyait des investissements de 41 millions de dollars sur cinq ans pour la poursuite de ces initiatives, de même que pour encourager les jeunes qui maîtrisent les deux langues officielles à faire carrière dans le secteur de la justice. Elle prévoyait également d'intensifier les efforts en vue d'offrir une formation linguistique à l'ensemble des auxiliaires de justice (p. ex. greffiers, sténographes, juges de paix, médiateurs).
Pour sa part, la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013‑2018 79 prévoyait des investissements de 40,2 millions de dollars sur cinq ans pour la formation, les réseaux et l'accès aux services de justice.
Finalement, l'actuel Plan d'action pour les langues officielles 2018‑2023 contient des engagements financiers totalisant 103,55 millions de dollars sur cinq ans, ce qui comprend le même investissement de 40,2 millions de dollars aux réseaux, à la formation et à l'accès aux services de justice, auquel s'ajoute un montant de 49,6 millions de dollars pour le Fonds de mise en application de la Loi sur les contraventions, une bonification de 10 millions de dollars pour le Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles ainsi qu'un financement de base de 3,75 millions de dollars pour les organismes communautaires du secteur de la justice 80.
Dans l'étude qu'il a fait paraître en août 2013 en collaboration avec ses homologues provinciaux, le commissaire aux langues officielles du Canada de l'époque a confirmé que la capacité bilingue de la magistrature n'était pas garantie en tout temps, et que cette lacune pouvait entraîner des délais et des coûts supplémentaires importants 81. Pour rectifier le tir, il a été reconnu dans l'étude qu'il faudrait une action concertée de la part du ministre de la Justice du Canada et de ses homologues provinciaux et territoriaux, ainsi que des juges en chef des cours supérieures. L'étude contenait 10 recommandations destinées à la fois au ministre fédéral de la Justice et à ses homologues des provinces et territoires, dont quatre visaient à renforcer la collaboration intergouvernementale. Le commissaire a dû revenir à la charge dans son rapport annuel 2015‑2016, aucune suite n'ayant été donnée à ces 10 recommandations 82.
Le plan d'action de 2017 du gouvernement fédéral pour améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures répond en partie aux recommandations du commissaire aux langues officielles, puisqu'il incite Justice Canada à :
Dans le cadre des débats portant sur la modernisation de la LLO, des intervenants ont demandé de préciser, par voie législative, les objectifs fédéraux en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles, notamment l'importance de la collaboration intergouvernementale, et les responsabilités de Justice Canada en la matière 84. Ces demandes n'ont pas fait l'objet de recommandations formelles de la part des comités parlementaires ni de celle du commissaire aux langues officielles.
Des changements apportés à la Loi sur le divorce en juin 2019 permettront, quand ils seront en vigueur, d'étendre le droit d'accès à la justice familiale dans la langue de son choix pour l'ensemble des justiciables canadiens 85. Le ministère de la Justice s'est vu octroyer un budget de 21,6 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2020‑2021, pour travailler en collaboration avec les provinces et les territoires pour la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions 86.
La formation linguistique est une autre question qui fait directement appel à la collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Le Commissariat à la magistrature fédérale offre, depuis 1978, de la formation linguistique aux juges de nomination fédérale et de nomination provinciale pour leur permettre d'améliorer l'usage de leur seconde langue officielle. Le Programme de formation linguistique du Commissariat :
permet à de nombreux juges d'atteindre un haut niveau d'efficacité linguistique au point où plusieurs maîtrisent suffisamment la langue seconde pour pouvoir être capables de présider un tribunal, de comprendre des témoignages, de lire des textes juridiques, de rédiger des jugements et de participer à des colloques sur le droit 87.
Par ailleurs, le Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles du ministère de la Justice comporte un volet axé sur la formation, qui vise le perfectionnement du personnel de justice en matière de terminologie juridique, le développement d'un programme de cours pour les étudiants bilingues qui s'intéressent à une carrière en justice, l'élaboration d'une stratégie de recrutement et de promotion des carrières en justice, ainsi que la conception d'outils d'appui à la formation.
Du côté universitaire, l'Université de Moncton, l'Université d'Ottawa et l'Université McGill sont les seules universités offrant des programmes de droit dans les deux langues officielles. D'autres organismes, comme le Centre canadien de français juridique ou les associations de juristes d'expression française, offrent de la formation ciblée à l'intention des divers intervenants en justice. Ces intervenants ont uni leurs forces en créant le Réseau national de formation en justice, qui vise à former les étudiants du niveau postsecondaire et les intervenants actuels du secteur de la justice ainsi qu'à accroître la capacité du système de justice canadien en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles.
Un rapport soumis au ministère de la Justice en 2009 a conclu que la maîtrise du vocabulaire juridique propre à chaque langue est essentielle pour assurer le bilinguisme institutionnel dans le domaine judiciaire 88. Une évaluation rendue publique par le Ministère en mai 2012 a révélé que des efforts supplémentaires seront nécessaires pour relever les défis cernés dans le cadre de cette analyse des besoins 89. Ainsi, la formation à distance pourrait devenir prioritaire 90. Une autre évaluation du Ministère parue en 2017 confirme le besoin continu d'appuyer la formation linguistique de tous les professionnels participant au système de justice 91. Les débats sur la modernisation de la LLO ont confirmé que les besoins en matière de formation des professionnels de la justice sont toujours criants 92.
L'étude publiée par le commissaire aux langues officielles en août 2013 a présenté la vision suivante de la formation linguistique des juges :
La formation linguistique devrait servir à maintenir et à enrichir la capacité bilingue du tribunal, tout en permettant également à l'ensemble des juges intéressés de profiter des activités d'apprentissage et ainsi d'utiliser leurs compétences linguistiques dans le cadre de leur travail. Le programme de formation linguistique actuel du Commissariat à la magistrature fédérale semble répondre aux besoins des juges tant à l'égard de l'apprentissage de la langue seconde, qu'au maintien et au renforcement de leur compétence linguistique. Cependant, les outils de formation linguistique offerts aux juges des cours provinciales pourraient constituer des modèles intéressants si le Commissariat souhaitait offrir aux juges des cours supérieures un programme complémentaire de formation linguistique leur permettant d'évaluer leurs compétences linguistiques dans des situations réelles de travail 93.
Un programme de formation en français, offert par la Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick, a depuis été développé et a d'ailleurs été cité comme un exemple à suivre 94. Un autre projet visant la formation en anglais pour les juges a aussi vu le jour au Québec, en collaboration avec l'Université Bishop's. D'autres initiatives de formation existent dans certaines régions du pays pour des secteurs particuliers de la pratique du droit. Il y a cependant lieu d'en faire plus, et c'est pourquoi le plan d'action de 2017 du gouvernement fédéral pour améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures prévoit des mesures pour :
En ce qui a trait à l'évaluation des compétences linguistiques, un examen a été mis au point par le service d'évaluation KortoJura, qui est issu du programme de formation linguistique pour les juges créé par la Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick. Celui‑ci évalue les compétences linguistiques initiales des professionnels de la justice et les progrès réalisés par les participants à la formation linguistique. Dans son rapport déposé en décembre 2017, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a recommandé que
le Commissariat à la magistrature fédérale explore les ressources canadiennes existantes, telles que KortoJura, afin de développer une épreuve et une échelle pour évaluer les compétences langagières des candidats à la magistrature fédérale et à la Cour suprême 96.
Dans son rapport annuel pour 2015‑2016, le commissaire aux langues officielles de l'époque a lui aussi reconnu l'importance de créer des normes nationales et des outils d'évaluation applicables à l'ensemble du pays 97. Les débats sur la modernisation de la LLO ont confirmé le besoin de déployer les outils existants à plus grande échelle 98.
Dans l'affaire R. c. Beaulac, la Cour suprême précise que les dispositions des articles 530 et 530.1 du Code ont pour objet de :
donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l'une des langues officielles du Canada afin d'aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle 99.
De plus, la Cour reconnaît que les droits linguistiques reposent sur le principe de l'égalité réelle des deux langues officielles :
L'existence de droits linguistiques exige que le gouvernement satisfasse aux dispositions de la Loi en maintenant une infrastructure institutionnelle adéquate et en fournissant des services dans les deux langues officielles de façon égale […] une demande de service dans la langue de la minorité de langue officielle ne doit pas être traitée comme s'il y avait une langue officielle principale et une obligation d'accommodement en ce qui concerne l'emploi de l'autre langue officielle. Le principe directeur est celui de l'égalité des deux langues officielles 100.
« Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s'agit de l'accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada » (Rs. c. Beaulac, par. 22).
L'étude réalisée pour le compte du ministère de la Justice en 2002 confirme que « l'accès égal à des services judiciaires et juridiques de qualité dans l'une et l'autre langue officielle alimente un projet de société qui, à cet égard, reste inachevé 101 ». Selon certains, l'égalité réelle suppose une offre active de services. Dans l'affaire DesRochers, la Cour suprême statue que : « L'égalité réelle, par opposition à l'égalité formelle, doit être la norme et l'exercice des droits linguistiques ne doit pas être considéré comme une demande d'accommodement 102 ». En outre, dans l'affaire Thibodeau, la Cour fédérale confirme que l'égalité des deux langues officielles comporte quatre volets : l'égalité de statut, l'égalité d'usage, l'égalité d'accès et l'égalité de qualité 103.
Le principe de l'égalité des deux langues officielles reconnu dans la jurisprudence prévoit le traitement égal des deux communautés linguistiques du pays. Selon Vanessa Gruben, tout porte à croire qu'une interprétation large du principe de l'égalité des deux langues officielles pourrait amener les tribunaux à modifier leur vision des droits linguistiques dans le domaine judiciaire 104. Dans une étude d'impact rédigée en 2010, l'avocate Ingride Roy souligne trois principes applicables à l'égalité linguistique qui ressortent de la jurisprudence :
Dans l'étude publiée en août 2013, le commissaire aux langues officielles de l'époque a reconnu que « les juges des cours supérieures doivent être davantage sensibilisés aux droits linguistiques des justiciables afin d'assurer une égalité réelle en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles 106 ». Le plan d'action du gouvernement fédéral pour améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures n'aborde pas cette question de front, mais prévoit néanmoins certains engagements pour améliorer le respect des droits linguistiques des justiciables canadiens.
L'interprétation des droits linguistiques est en constante évolution. Les débats récents à propos du bilinguisme des juges de la Cour suprême en sont un exemple. En 1999, la Cour suprême a adopté une interprétation large et libérale de ces droits dans le domaine judiciaire :
Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada 107 [souligné dans l'original].
Cette interprétation a été reprise dans un grand nombre de jugements depuis. Les règles qui régissent le bilinguisme dans l'appareil judiciaire canadien pourraient donc être appelées à évoluer dans les années à venir en fonction de la jurisprudence, des modifications législatives ou de l'évolution des mentalités au sein de la société canadienne.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu'elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d'information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu'aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
En septembre 2020, l'Association du Barreau canadien (ABC) a exhorté le premier ministre et le ministre de la Justice et procureur général du Canada à nommer des personnes de race noire, des Autochtones et des personnes de couleur à la Cour suprême. En 2010, l'ABC avait adopté une résolution (269 Ko, 4 pages) pour modifier le par. 16(1) de la LLO en faveur de la nomination de juges bilingues à la Cour suprême. En réaction à la demande de l'ABC, l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario s'est opposée à ce que le principe de diversité des nominations à la magistrature remette en question le principe de bilinguisme des juges de la Cour suprême, considérant qu'il s'agit d'une compétence professionnelle essentielle. Pour un aperçu du débat portant sur le bilinguisme comme compétence juridique, voir Juan Jiménez‑Salcedo, « Le débat autour du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada : analyse de la doctrine et des débats parlementaires », Revue internationale de Sémiotique juridique, 33, 11 mai 2020, p. 325 à 351; et Jean‑Christophe Bédard‑Rubin et Tiago Rubin, « Assessing the Impact of Unilingualism at the Supreme Court of Canada : Panel Composition, Assertiveness, Caseload, and Defence (1,4 Mo, 43 pages) », Osgoode Hall Law Journal, vol. 55, no 3, été 2018, p. 715 à 755. [ Retour au texte ]
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