Depuis toujours, l’agriculture repose sur la modification de la constitution génétique des plantes et des animaux. Grâce à la reproduction sélective, d’innombrables générations de cultures et d’animaux ont été sélectionnées en fonction de caractères jugés bénéfiques pour l’être humain. Dès le début du XXe siècle, des découvertes scientifiques ont favorisé le développement de nombreuses technologies qui ont accéléré l’innovation dans le domaine de l’agriculture; celles concernant les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les aliments génétiquement modifiés (GM) étant les plus remarquables et celles dont on parle le plus souvent 1.
Le présent document traite de l’utilisation d’OGM dans l’agriculture et du potentiel des nouvelles technologies permettant de modifier les gènes. Il donne également un aperçu comparatif du régime réglementaire applicable aux OGM au Canada, aux États-Unis (É.-U.) et dans l’Union européenne (UE).
Au sens large, on entend par biotechnologie « l’application des sciences et de l’ingénierie à l’utilisation directe ou indirecte d’organismes vivants ou de leurs parties ou produits, sous leurs formes naturelles ou modifiées 2 ». Dans la plupart des cas, ce terme sert à désigner les technologies modernes développées grâce à diverses sciences de la vie, comme la biologie moléculaire, la biochimie et la génétique.
Des organismes comme l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) affirment que les biotechnologies peuvent accélérer l’innovation dans l’agriculture 3. Certaines de ces biotechnologies peuvent être utilisées simplement pour amplifier des phénomènes naturels – la sélection par mutation, par exemple, permet de générer des mutations aléatoires pour augmenter les chances d’introduire un nouveau caractère jugé bénéfique dans une plante cultivée. D’autres, comme les techniques de recombinaison de l’ADN et de production d’OGM, peuvent servir de raccourcis aux méthodes de sélection classique et faciliter le développement de cultures et d’animaux que l’on ne pourrait obtenir autrement.
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) :
On entend par organismes génétiquement modifiés (OGM) des organismes (c’est-à-dire des plantes, des animaux ou des microorganismes) dont le matériel génétique (ADN) a été modifié d’une manière qui ne se produit pas naturellement par l’accouplement et/ou la recombinaison naturelle. Cette technologie est souvent dénommée « biotechnologie moderne » ou « technologie génétique », parfois aussi « technique de recombinaison de l’ADN » ou « génie génétique 4 ».
Bien que les termes « génétiquement modifié » et « issu du génie génétique » soient utilisés comme synonymes dans le discours public, ils ont des connotations différentes qui prennent tout leur sens dans le débat entourant l’utilisation d’OGM dans l’agriculture. Au Canada, les aliments GM sont considérés comme des « aliments nouveaux », selon l’article B.28.001 du Règlement sur les aliments et drogues pris en application de la Loi sur les aliments et drogues 5. D’après le Règlement, l’expression « modifier génétiquement » signifie « [m]anipuler intentionnellement les caractères héréditaires d’un végétal, d’un animal ou d’un micro-organisme 6 ». Cette définition est plus large que celle donnée plus haut, car elle englobe les approches anciennes et nouvelles en matière de manipulation de la composition génétique des organismes vivants, et ne dresse pas de liste de technologies particulières.
Le génie génétique est une forme de biotechnologie moderne utilisée pour modifier le génome – ou matériel génétique – d’organismes vivants. Il permet d’ajouter de nouveaux caractères précis à une plante ou à un animal par la manipulation directe de son génome. Le génie génétique repose généralement sur l’utilisation de l’ADN recombinant, qui est produit en joignant de multiples fragments d’ADN, habituellement pour des manipulations génétiques 7. On peut se servir de la technologie de recombinaison de l’ADN pour introduire de l’ADN étranger – provenant d’un organisme de la même espèce ou d’une autre – dans le génome d’un organisme vivant. Cette technologie permet donc l’introduction de gènes individuels dans une variété de culture commerciale déjà développée 8.
La technologie d’édition génomique – qui constitue une forme plus récente de génie génétique – permet de couper, remplacer ou insérer une séquence d’ADN précise dans le matériel génétique d’un organisme. Tout comme pour l’ADN recombinant, cette technologie permet d’introduire du matériel génétique dans le génome, mais elle permet aussi d’effectuer des modifications sans utiliser d’ADN étranger. Ces modifications du matériel génétique d’un organisme peuvent servir à ajouter, à amplifier, à supprimer ou à atténuer un caractère précis. L’édition génomique est utilisée couramment en recherche, mais, jusqu’à tout récemment, cette technologie restait extrêmement coûteuse. Il existe désormais une technique plus abordable, appelée la technologie CRISPR, qui permet à de plus en plus de chercheurs de recourir à l’édition génomique en agriculture 9. Le sigle CRISPR, qui signifie « clustered regularly interspaced short palindromic repeats » en anglais et « courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées » en français, décrit la façon dont ce système immunitaire bactérien est organisé dans le génome.
La technologie CRISPR est une biotechnologie développée pour modifier avec précision les gènes d’organismes vivants. Elle part de la découverte d’un système immunitaire bactérien contre les virus; mais la possibilité d’utiliser cette découverte comme outil du génie génétique fait l’objet de discussions dans la littérature scientifique depuis 2012 10. On l’a depuis utilisée pour modifier une multitude d’organismes, depuis des plantes jusqu’à des souris, et citée dans de nombreux articles de recherche.
La technologie CRISPR présente trois avantages comparativement aux biotechnologies utilisées précédemment en agriculture. Premièrement, contrairement à la sélection par mutation, elle permet d’effectuer des modifications précises dans le génome d’un organisme, plutôt que de générer des mutations qui ne seraient pas nécessairement bénéfiques. Deuxièmement, contrairement à l’ADN recombinant, elle peut fonctionner sans introduction d’ADN étranger, ce qui permet de dissiper certaines préoccupations d’ordre éthique. Troisièmement, la technologie CRISPR est plus économique que d’autres technologies d’édition génomique utilisées jusqu’à présent, parce qu’on peut l’adapter relativement facilement à différents usages. En raison de ces trois avantages, la technologie CRISPR a galvanisé la communauté scientifique et pourrait révolutionner le secteur de la biotechnologie agricole 11.
La technologie CRISPR offre de nombreuses possibilités d’innovation en agriculture. Par exemple, des chercheurs l’ont utilisée pour mettre au point des variétés de blé capables de résister au champignon, des variétés de maïs résistantes à la sécheresse ainsi que des variétés de plantes de tomates produisant des fruits de plus grande taille 12.
Depuis 1994, Santé Canada a approuvé la vente au pays de près d’une centaine d’aliments GM, dont du canola, des courges, des fèves de soja, du maïs, des pommes, des pommes de terre, du riz et des tomates 13; certains sont importés, mais plusieurs de ces aliments GM sont produits au Canada.
Le canola, les fèves de soja et le maïs constituent 99,5 % des cultures GM produites au Canada. Ensemble, ces cultures s’étendaient sur 14 millions d’hectares en 2017, dont 13,2 millions étaient occupés par des variétés GM, de sorte que celles-ci représentaient de 85 à 100 % de la production de ces cultures 14. Ces cultures GM sont toutes conçues pour être tolérantes aux herbicides, et le maïs GM est aussi résistant aux insectes.
Même si la plupart des aliments GM approuvés par Santé Canada proviennent des plantes, il existe une variété de saumon GM dont la vente au Canada a été autorisée en mai 2016 et dont les installations d’élevage sont situées au Panama. Ce saumon d’élevage a été conçu de manière à produire une hormone de croissance du saumon quinnat, ce qui lui permet d’atteindre la taille marchande deux fois plus vite que le saumon d’élevage non GM. En août 2017, l’entreprise commercialisant cette variété a déclaré avoir vendu environ 4,5 tonnes de saumon GM au Canada 15.
Jusqu’à aujourd’hui, tous les aliments GM approuvés ont été mis au point à partir d’une forme de technologie de recombinaison de l’ADN. Bien qu’on ait développé également des cultures à partir de la technologie CRISPR, comme celles énumérées ci-dessus, aucune n’a encore été commercialisée.
Le génie génétique, y compris l’édition génomique, peut procurer de nombreux avantages : une sélection plus rapide et précise, un meilleur rendement des cultures, la mise au point d’aliments plus nutritifs et une diminution du recours aux herbicides et pesticides 16. Cette technologie a aussi permis le développement de cultures résistantes aux maladies, comme une lignée de papaye résistant au virus, à Hawaï 17, et une variété d’aubergines conçue pour produire un pesticide naturel dérivé de bactéries, au Bangladesh 18. Dans les deux cas, les variétés GM ont été mises au point pour contrer une maladie affectant les cultures qui menaçait la production alimentaire locale.
Au Canada, les cultures GM ont contribué à divers gains écologiques. Selon une étude réalisée en 2018, les cultures tolérantes aux herbicides auraient permis de réduire l’utilisation d’herbicides de 8 à 20 % par rapport aux autres types de cultures. Grâce à ces cultures GM, les agriculteurs diminuent leurs émissions de gaz à effet de serre; en effet, comme ils appliquent moins d’herbicides et que les cultures nécessitent peu ou pas de travail du sol, ils utilisent moins de carburant. De plus, la réduction du travail du sol favorise la séquestration du carbone en laissant les sols intacts, ce qui leur permet de retenir plus d’eau et de matières organiques 19.
Mais le recours aux OGM en agriculture attire aussi son lot de critiques : on craint que le contrôle de la propriété intellectuelle des semences GM ne désavantage les agriculteurs les plus pauvres, certains critiques ont des inquiétudes d’ordre éthique quant à l’utilisation de la biotechnologie sur les êtres vivants, et on fait valoir que les méthodes de substitution existantes (comme les méthodes de sélection classique) sont suffisantes pour atteindre des objectifs similaires. Bien que l’innocuité des aliments GM soit aussi souvent un sujet de préoccupations 20, le consensus scientifique indique que les OGM actuellement sur le marché sont tout aussi sûrs que leurs équivalents non GM 21. La plupart des cultures GM sont commercialisées depuis plus de deux décennies sans que l’on ait observé d’effets néfastes sur la santé humaine ou animale. En outre, on consacre de nombreuses ressources à l’évaluation de l’innocuité des OGM, notamment avec les normes internationales élaborées par la FAO et l’OMS relativement à la sécurité sanitaire et à l’évaluation des risques associés aux aliments issus de la biotechnologie 22.
Au Canada, les OGM sont réglementés principalement par Santé Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), et ils ne font pas l’objet d’un cadre réglementaire distinct. Chaque ministère ou organisme veille à l’application des lois et règlements en vigueur, comme suit :
Plus précisément, les aliments GM et autres aliments dérivés de la biotechnologie sont traités comme des « aliments nouveaux », au sens du Règlement sur les aliments et drogues 24. Pour ce qui est de l’évaluation de l’innocuité, les producteurs ou les importateurs souhaitant commercialiser des aliments GM peuvent trouver des directives détaillées sur l’information et les données exigées dans les Lignes directrices sur l’évaluation de l’innocuité des aliments nouveaux de Santé Canada 25.
Le Canada ne s’est pas doté d’une politique d’étiquetage obligatoire des aliments GM. Comme pour les autres aliments, Santé Canada exige que les aliments GM soient étiquetés pour des raisons de santé ou de sécurité (p. ex. en indiquant la présence d’allergènes) ou lorsqu’il y a des changements dans la composition ou dans les qualités nutritionnelles d’un produit 26.
Un sondage réalisé en 2018 indique que la population canadienne semblerait être en faveur de l’étiquetage obligatoire des aliments GM, bien qu’il révèle également une certaine confusion à l’égard de la technologie et de la façon dont elle est réglementée 27. Quant aux organismes agricoles et agroalimentaires, comme la Fédération canadienne de l’agriculture, ils préfèrent généralement l’étiquetage volontaire. Cette dernière souligne que les allégations se rapportant à la santé, à la sécurité et à la nutrition sont assujetties aux règlements en vigueur sur l’étiquetage obligatoire 28.
Le cadre réglementaire américain s’appliquant aux OGM est semblable à celui du Canada. La Food and Drug Administration, le département de l’Agriculture et l’Environmental Protection Agency des É.-U. exercent des fonctions comparables à celles de leurs pendants canadiens. Plus important encore, les processus d’approbation et de réglementation aux É.-U. et au Canada mettent l’accent sur l’innocuité du produit final et sur la façon dont il se compare à un aliment non GM, et non sur la méthode utilisée pour le mettre au point 29.
En 2016, le Congrès américain a adopté une loi forçant le département de l’Agriculture des É.-U. à établir un cadre fédéral pour l’étiquetage obligatoire des aliments GM. Cette loi interdit aux États d’adopter des normes d’étiquetage obligatoire différentes de celles énoncées dans le cadre national 30. La norme américaine, appelée National Bioengineered Food Disclosure Standard, a été rendue publique en décembre 2018 et devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2020 31.
La réglementation de l’UE en matière d’OGM est considérée par certains chercheurs comme l’une des plus sévères au monde 32. Contrairement à l’approche réglementaire axée sur les produits adoptée par le Canada et les É.-U., l’approche de l’UE se fonde sur les processus, soumettant les produits à différents règlements en fonction de la façon dont ils ont été élaborés et non de leurs caractéristiques finales.
La législation sur les OGM dans l’UE repose sur trois directives et deux règlements. Chaque État membre est responsable de la mise en œuvre de la législation et de cadres d’application répondant aux objectifs des directives et des règlements, à savoir : protéger la santé humaine et animale et l’environnement par des évaluations de l’innocuité; assurer l’harmonisation des procédures d’évaluation des risques et d’approbation; garantir un étiquetage clair des OGM pour permettre au public de faire des choix éclairés; et permettre la traçabilité des OGM 33.
Selon le cadre de l’UE, tous les produits et denrées alimentaires ou aliments pour animaux produits à partir d’OGM doivent être étiquetés, même lorsque le produit final ne contient pas de matériel GM, comme cela peut être le cas pour des produits raffinés, comme les huiles, les farines et les sirops. Il n’est toutefois pas nécessaire d’étiqueter les aliments produits à partir d’animaux nourris avec des aliments pour animaux GM ni les aliments produits à l’aide d’une enzyme GM (comme le fromage) 34.
Au Canada, le gouvernement fédéral ne s’est pas prononcé explicitement sur le régime de réglementation entourant la technologie CRISPR et d’autres technologies d’édition génomique. Toutefois, tout produit mis au point par de tels procédés devrait être considéré comme un aliment nouveau et donc assujetti à la réglementation et aux essais prévus conformément à l’article B.28.001 du Règlement sur les aliments et drogues 35.
Aux É.-U., le département de l’Agriculture a fait connaître clairement sa position sur les technologies d’édition génomique, y compris la technologie CRISPR, au début de 2018. Il a indiqué qu’il ne réglementerait pas les plantes produites au moyen de techniques d’édition génomique tant que les changements introduits auraient pu être mis au point au moyen de méthodes de sélection classique. Il a ajouté que des techniques comme l’édition génomique contribuent à « élargir la gamme des outils traditionnels de sélection des plantes, parce qu’elles permettent d’introduire de nouveaux caractères végétaux plus rapidement et avec plus de précision, ce qui peut faire gagner des années, voire des décennies, en créant de nouvelles variétés que réclament les agriculteurs 36 ».
En revanche, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé, en juillet 2018, que les organismes obtenus au moyen de techniques d’édition génomique seraient considérés comme des OGM au sens de la Directive 2001/18/CE, qui concerne la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement 37. Autrement dit, les techniques d’édition génomique, comme la technologie CRISPR, sont soumises au même régime réglementaire que les techniques de production d’OGM par recombinaison de l’ADN, même dans les cas où aucun ADN étranger n’a été introduit.
De nombreux membres de la communauté scientifique ont critiqué la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, car ils considèrent que la directive en question a été conçue pour des techniques d’introduction d’ADN étranger dans un organisme et non pour des techniques précises d’édition génomique. Selon eux, assimiler un outil aussi précis que la technologie CRISPR à l’introduction d’ADN transgénique ne rend pas justice à la science qui sous-tend ces technologies. Ils ont également fait observer que cette décision pourrait freiner l’innovation dans le domaine agricole en Europe qui profite de ces nouvelles percées 38.
De nouveaux OGM devraient être mis au point et soumis au processus de réglementation et d’approbation au cours des prochaines années. Comme la technologie CRISPR permet de réduire les coûts de développement pour les chercheurs du monde entier, une augmentation du nombre de cultures et d’animaux issus de la technologie d’édition génomique est attendue, dont beaucoup n’auront aucune trace d’ADN étranger.
Bien que les cultures GM soient très répandues au Canada et qu’elles procurent de nombreux avantages aux agriculteurs et bienfaits à l’environnement, la réticence des consommateurs à leur égard demeure bien présente. Cette réticence se reflète dans les sondages, qui montrent que la population canadienne s’attend à plus de transparence dans l’étiquetage. En outre, des facteurs internationaux, comme les règlements américains à venir concernant l’étiquetage et les règlements de l’UE sur les OGM, qui ont des incidences sur l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’UE, pourraient avoir des répercussions sur les produits agricoles canadiens qui reposent fortement sur les innovations biotechnologiques.
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