La présente publication a été préparée dans le cadre d’une série visant à appuyer les parlementaires au commencement de la 43e législature.
L'Organisation mondiale du commerce (OMC) fait aujourd'hui face à des défis qui touchent sa gouvernance ainsi que son travail de négociation d'accords, de surveillance et de règlement des différends. Le Canada, en sa qualité de membre fondateur de l'OMC, a élaboré différentes propositions de réformes qui visent à répondre à ces défis et à aider l'OMC à continuer de jouer son rôle dans le cadre d'un système commercial multilatéral et fondé sur des règles.
Les défis que l'OMC doit relever sur le plan de la gouvernance semblent découler de son processus décisionnel, des mandats limités de certains de ces organes et du rôle restreint de son Secrétariat. Par le biais de la réunion ministérielle du groupe d'Ottawa sur la réforme de l'OMC (le groupe d'Ottawa), le Canada et d'autres membres de l'OMC s'affairent à renforcer le fonctionnement de l'organisation. En janvier 2019, ils ont décidé de lancer des consultations auprès d'autres membres intéressés de l'OMC dans l'objectif de proposer des réformes. Les organes de l'OMC qui s'intéressent au commerce des services, aux obstacles techniques au commerce, aux mesures sanitaires et phytosanitaires et aux règles d'origine seront les premiers à recevoir leur attention.
Par ailleurs, l'OMC affiche un succès limité en matière de négociation; en effet, les négociations multilatérales du cycle de Doha n'ont pas vraiment avancé depuis leur lancement en 2001. Ce constat peut s'expliquer par l'application stricte du principe de l'« engagement unique » et par les divergences commerciales entre les membres de l'OMC, lesquelles peuvent être attribuables à leur niveau de développement. Le Canada soutient une approche de négociation qui reconnaît que, même si les besoins de certains pays en développement justifient d'échelonner la mise en œuvre des engagements de l'OMC sur différentes périodes de transition, l'objectif à long terme consiste à mettre en œuvre intégralement les engagements dans tous les pays. Le Canada veut aussi commencer à discuter des négociations qui doivent avoir lieu à l'OMC concernant le commerce électronique et certains enjeux liés aux entreprises d'État.
Les mesures commerciales nationales appliquées par les membres de l'OMC ne font probablement pas l'objet d'un suivi efficace et en temps opportun, ce qui risque de nuire à la transparence du système de commerce multilatéral. Il semble notamment que les examens périodiques des politiques commerciales menés par l'OMC ne permettent pas d'améliorer les mesures commerciales nationales de ses membres, et que ces examens ne soient pas assez fréquents pour tenir compte des réalités économiques actuelles. Le Canada veut à la fois renforcer ces examens et clarifier les communications au sujet des examens, et il juge nécessaire d'aborder les préoccupations sur le respect de l'obligation qui consiste à informer l'organe compétent de l'OMC à propos des mesures commerciales nationales.
Enfin, notons que, même si l'Organe de règlement des différends de l'OMC n'a pas tardé à connaître du succès, l'Organe d'appel fait face à une situation que certains qualifient de crise. Le Canada, qui a fréquemment recours au mécanisme de règlement des différends de l'OMC, croit que, pour résoudre la question des nominations à l'Organe d'appel, il faudra répondre aux préoccupations des membres de l'OMC concernant son fonctionnement.
Si l'OMC ne s'attaque pas aux défis observés dans les quatre domaines précisés, il pourrait en résulter un affaiblissement du système commercial multilatéral et fondé sur des règles. Le Canada et d'autres membres de l'OMC qui partagent des points de vue semblables explorent actuellement divers aspects des réformes et des futures négociations, ainsi que diverses façons de les aborder.
Dans un monde marqué par la montée du protectionnisme et la persistance des tensions commerciales 1, des observateurs sont d'avis qu'il est plus important que jamais que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) joue son rôle de pierre angulaire d'un système commercial multilatéral et fondé sur des règles 2. Mais près de 25 ans après avoir succédé à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le GATT), l'OMC semble être plongée dans ce que certains appellent un profond malaise 3, et son fonctionnement n'est peut‑être pas aussi efficace et efficient qu'il pourrait l'être.
Par exemple, l'OMC n'a pas encore conclu les négociations commerciales du cycle de Doha 4, qui ont commencé en 2001, et le niveau de développement de certains pays qui en sont membres continue de présenter des difficultés. Depuis sa fondation en 1995, l'OMC a conclu un seul nouvel accord multilatéral, l'Accord sur la facilitation des échanges, qui est entré en vigueur le 22 février 2017. Elle n'a conclu ou mis à jour aucun accord multilatéral portant, par exemple, sur les chaînes d'approvisionnement mondiales ou sur les technologies qui transforment le commerce et l'investissement.
L'OMC semble par ailleurs incapable de déterminer efficacement dans quelle mesure ses membres s'acquittent de leurs obligations aux termes des accords multilatéraux. Elle semble aussi avoir du mal à résoudre, de manière efficace et opportune, les problèmes de concordance entre ces accords et les mesures commerciales nationales des membres 5. De plus, l'OMC semble être incapable de s'assurer que ses membres font connaître leurs mesures commerciales nationales avec clarté et en temps opportun.
Le règlement des différends pose aussi problème pour l'OMC. Selon certains observateurs, la nomination de nouveaux membres à l'Organe d'appel bute sur certaines difficultés, ce qui réduit la capacité de l'OMC de faire respecter les accords multilatéraux 6. Ce problème amène les membres de l'OMC à miser de plus en plus sur les accords commerciaux bilatéraux ou plurilatéraux. C'est tout le système commercial multilatéral et fondé sur des règles qui risque alors d'être affaibli.
Tel est le contexte dans lequel s'inscrivent les défis qui pèsent sur le système commercial multilatéral de l'OMC et qui sont analysés dans le présent document, lequel porte également sur les priorités du Canada pour chacun d'entre eux. Mais avant de décrire les défis qui touchent tout particulièrement la négociation d'accords multilatéraux – nouveaux ou mis à jour –, la surveillance de la conformité des membres aux accords de l'OMC et le règlement des différends commerciaux entre les membres de l'OMC, nous porterons notre attention sur certains défis de gouvernance qui pourraient influer sur la capacité de l'OMC de s'acquitter efficacement de ses responsabilités dans ces trois domaines.
La fonction de « gouvernance 7 », qui est l'une des responsabilités fondamentales de l'OMC, consiste à faciliter « la mise en œuvre, l'administration et le fonctionnement […] des Accords commerciaux multilatéraux et [à favoriser] la réalisation de leurs objectifs 8 ». Cette fonction s'applique à tous les membres de l'organisation. Elle prévoit aussi que l'OMC doit servir de « cadre » pour la mise en œuvre, l'administration et le fonctionnement des accords commerciaux plurilatéraux 9, ce qui s'applique à certains membres de l'OMC. Pour remplir sa fonction de gouvernance, l'OMC s'appuie sur différents organes, conseils et comités 10, et sur son Secrétariat.
En relevant les défis liés à cette fonction, l'OMC pourrait renforcer son fonctionnement et, par ricochet, augmenter sa capacité de négocier des accords multilatéraux – nouveaux ou mis à jour –, de surveiller la conformité de ses membres aux accords conclus et de régler les différends commerciaux qui surviennent entre ses membres.
Parfois appelé le « triangle décisionnel 11 », le processus décisionnel de l'OMC s'appuie sur trois principes :
Le processus décisionnel pourrait être la raison qui explique pourquoi les organes de l'OMC 12, et plus particulièrement la Conférence ministérielle (CM), ont de la difficulté à produire les résultats attendus 13.
La dernière CM de l'OMC, qui s'est tenue en décembre 2017, n'a abouti à aucune déclaration ministérielle 14 ni à aucun consensus sur plusieurs questions de fond 15. Ces résultats modestes ont amené des membres de l'OMC à explorer des façons possibles d'aborder certains dossiers multilatéraux selon un point de vue plurilatéral. Par exemple, divers groupes de membres de l'OMC, dont certains comprennent le Canada, ont produit des déclarations conjointes indiquant leur volonté d'entamer des discussions sur le développement d'un cadre multilatéral concernant « la facilitation de l'investissement pour le développement 16 », d'engager des travaux exploratoires en vue de négociations futures à l'OMC sur le commerce électronique 17, et de créer un Groupe de travail informel sur les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) chargé d'étudier des questions connexes, l'objectif consistant à établir un programme de travail formel pour les MPME à la prochaine CM 18.
Des réformes ont été proposées afin d'améliorer le processus décisionnel de l'OMC. Ces propositions portent sur la création d'un comité exécutif. Formé de représentants de quatre groupes de membres de l'OMC, ce comité se pencherait sur le manque de leadership à l'OMC et donnerait des directives concernant les négociations et le fonctionnement futurs de l'OMC 19.
Entre les CM, le Conseil général de l'OMC se réunit pour s'occuper de l'administration courante des accords de l'organisation 20 ou pour s'acquitter des fonctions de l'Organe de règlement des différends (ORD) 21 et de l'Organe d'examen des politiques commerciales (OEPC) 22. En outre, des conseils et des comités spécialisés surveillent la mise en œuvre d'accords de l'OMC en particulier; notons par exemple le Conseil du commerce des marchandises, le Conseil du commerce des services, le Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires et le Comité des obstacles techniques au commerce.
Compte tenu du mandat limité des conseils et des comités spécialisés de l'OMC, il a été proposé d'éliminer les comités qui sont devenus moins pertinents et d'en créer de nouveaux, comme un comité sur le commerce électronique 23.
Le Secrétariat de l'OMC fournit une assistance technique à certains membres de l'OMC afin de les aider à mettre en œuvre les accords multilatéraux de l'OMC, tout en offrant un soutien professionnel et technique aux divers organes de l'OMC et en produisant des rapports sur l'état du commerce mondial.
Le rôle que joue le Secrétariat dans la mise en œuvre des accords multilatéraux est actuellement limité, notamment parce que l'OMC est une organisation dirigée par ses membres. En outre, le Secrétariat n'a aucun pouvoir de décision. Selon certains observateurs, le Secrétariat pourrait accroître sa capacité de mettre en œuvre les accords multilatéraux de l'OMC s'il avait la possibilité d'établir le programme de l'OMC et si ses capacités de recherche et de collecte de données étaient renforcées 24.
Le Canada souhaite améliorer le fonctionnement de l'OMC 25. En septembre 2018, la délégation canadienne à l'OMC a distribué un document de travail qui parlait de la nécessité de mener « une réflexion à plus long terme pour concevoir des améliorations plus ambitieuses à apporter aux organes permanents 26 » de l'OMC. Dans un autre document de travail, distribué en décembre 2018, le Canada estime que les membres de l'OMC
pourraient demander au Secrétariat de recueillir des renseignements factuels à partir de sources publiques et de les communiquer, afin de compléter les renseignements recueillis à partir des sources existantes et des notifications présentées par les pays pour chaque conseil ou comité compétent 27.
En octobre 2018, le Canada et un groupe de membres de l'OMC qui partagent des points de vue semblables ont mis sur pied la réunion ministérielle sur la réforme de l'OMC (le groupe d'Ottawa), dont le premier communiqué conjoint affirme que la « situation actuelle à l'OMC n'est plus viable » et qu'il est nécessaire de travailler à ce que « l'OMC soit pleinement opérationnelle et qu'elle profite à tous » 28. Le deuxième communiqué conjoint, publié en janvier 2019, indique que des représentants du groupe d'Ottawa « entameront des consultations ouvertes avec tous les membres intéressés [de l'OMC] pour élaborer des propositions collectives sur une base transversale, comité par comité 29 ». Selon Affaires mondiales Canada, ces consultations porteront initialement sur les quatre organes suivants de l'OMC :
La fonction de « négociation 31 » de l'OMC a longtemps été vue comme l'activité la plus importante 32 de l'OMC, malgré son succès limité à cet égard. L'Accord de Marrakech instituant l'Organisation Mondiale du Commerce (l'Accord instituant l'OMC) fait une distinction entre deux catégories de négociations multilatérales et précise le rôle qui incombe à l'OMC dans le cadre de ces négociations :
Le fait que les négociations multilatérales du cycle de Doha – parfois appelé le Programme de Doha pour le développement (PDD) – aient abouti dans une impasse témoigne des difficultés actuelles de l'OMC de conclure de nouveaux accords multilatéraux. Le cycle de Doha, qui devait à l'origine finir en 2005, n'a enregistré aucun progrès jusqu'à ce que l'Accord sur la facilitation des échanges soit conclu en 2013.
Cela dit, l'OMC a fait état, dans la Déclaration ministérielle de 2015, de divergences persistantes entre ses membres concernant les négociations du cycle de Doha dans leur ensemble. Dans cette déclaration, de nombreux membres réaffirment « leur engagement sans réserve de conclure le PDD », tandis que d'autres disent privilégier l'adoption de « nouvelles approches » dans les négociations multilatérales 34.
En réaction à la difficulté qu'éprouve l'OMC à conclure de nouveaux accords multilatéraux ou à mettre à jour des accords existants, certains pays décident de conclure des accords bilatéraux et plurilatéraux, appelés « accords commerciaux régionaux (ACR) 35 » par l'OMC. Selon l'OMC, les ACR sont des « accords commerciaux préférentiels réciproques entre deux partenaires ou plus 36 ». Au 17 janvier 2020, on dénombrait 303 ACR parmi les membres de l'OMC. En 1995, il n'y en avait que 47 37. Des observateurs estiment que la multiplication des ACR ralentit le commerce mondial 38.
L'Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) est un exemple récent d'accord plurilatéral. Lorsqu'il sera ratifié par tous les pays partenaires, il devrait représenter environ 13,5 % du produit intérieur brut mondial 39. Le PTPGP est entré en vigueur le 30 décembre 2018 au Canada et dans cinq autres pays partenaires; il le sera dans les autres pays signataires quand ceux‑ci l'auront ratifié.
D'après certains observateurs, l'une des principales raisons de l'incapacité de l'OMC à faire des progrès dans la conclusion de nouveaux accords multilatéraux et la mise à jour d'accords existants est le « triangle décisionnel », qui serait incompatible avec les nouveaux défis et non viable 40.
Selon eux, une application moins stricte du principe de l'« engagement unique » pourrait, par exemple, aider l'OMC à conclure de nouveaux accords multilatéraux et à mettre à jour des accords existants. En 2011, certains membres de l'OMC se sont d'ailleurs engagés à « faire avancer les négociations, là où des progrès peuvent être réalisés, y compris en mettant l'accent sur les éléments de la Déclaration de Doha qui permettent aux Membres de parvenir à des accords provisoires ou définitifs […] avant la pleine conclusion de l'engagement unique 41 ». Cette approche a mené à l'Accord sur la facilitation des échanges.
Dans la même veine, compte tenu du principe voulant que l'OMC travaille sur la base du consensus, le Parlement européen a adopté, en novembre 2018, une résolution qui demandait de permettre aux membres de l'OMC de conclure des accords plurilatéraux ou des accords fondés sur l'approche de la « masse critique 42 », dans le cadre de l'OMC, en l'absence de consensus sur une question commerciale 43.
L'OMC est constituée de pays développés, de pays en développement et de pays les moins avancés (PMA); les deux derniers groupes forment ensemble la majorité des membres. Les PMA reconnus par l'OMC sont ceux que les Nations Unies ont désignés comme tels. Sur les 47 pays considérés actuellement comme des PMA, 36 sont membres de l'OMC 44. Les autres membres de l'OMC s'identifient comme des pays « développés » ou « en développement ».
Les écarts d'ordre commercial qui persistent entre les membres de l'OMC – et qui pourraient être imputables aux différences dans le niveau de développement – sont susceptibles de réduire la capacité de l'OMC de conclure de nouveaux accords multilatéraux ou de mettre à jour des accords existants. Par exemple, des pays en développement et des PMA qui font partie de l'OMC refusent de négocier certains dossiers, tels que l'investissement et le commerce électronique, tant qu'ils n'ont pas obtenu un meilleur accès aux marchés des pays développés pour leurs exportations agricoles 45.
Par ailleurs, le niveau de développement d'un pays peut influer sur la vitesse à laquelle il s'acquitte des obligations qui lui sont conférées par l'OMC. Certains pays développés remettent en question le fait que des membres de l'OMC puissent s'identifier comme des pays en développement, et ainsi profiter des dispositions des accords multilatéraux relatives au traitement spécial et différencié 46.
Selon certains observateurs, l'OMC ne s'adapte pas à l'évolution du commerce au XXIe siècle, qui exige de mettre à jour les accords multilatéraux ou d'y ajouter de nouvelles dispositions 47. Diverses questions relatives au commerce ont émergé depuis 1995, comme les liens entre le commerce et les changements climatiques 48, les Objectifs de développement durable 49, les questions de genre 50 et les droits de la personne 51. D'autres questions, comme le commerce électronique et les entreprises d'État, sont analysées dans les paragraphes qui suivent.
L'OMC a commencé à réglementer le commerce électronique en 1998, lorsqu'elle a adopté la Déclaration sur le commerce électronique mondial et créé un programme de travail sur le commerce électronique. La déclaration a établi un moratoire de deux ans sur l'imposition de droits de douane sur les transmissions électroniques 52, moratoire qui a ensuite été renouvelé régulièrement par consensus. Le moratoire est cependant de plus en plus contesté 53. En décembre 2017, un groupe de membres de l'OMC a produit une déclaration conjointe sur le commerce électronique dans laquelle il annonce son intention d'engager « ensemble des travaux exploratoires en vue de négociations futures à l'OMC » sur le commerce électronique 54. En janvier 2019, 76 membres de l'OMC, qui comptent pour 90 % du commerce mondial, ont confirmé leur intention d'engager des négociations sur le commerce électronique 55.
À l'échelle internationale, le nombre d'entreprises d'État augmente, même si beaucoup ont été privatisées dans les années 1990 et 2000 56; cette hausse peut s'expliquer en partie par un « vide important » dans la réglementation des entreprises commerciales d'État (ECE) par l'OMC 57. En 2010‑2011, 204 des 2 000 plus grandes sociétés de la planète étaient des entreprises d'État dans lesquelles des gouvernements étaient actionnaires majoritaires 58. Or, les avantages concurrentiels des entreprises d'État risquent de fausser le commerce et l'investissement mondiaux. Par exemple, le financement public des entreprises d'État et le maintien d'un contexte réglementaire qui leur est peut‑être plus favorable peuvent avoir un effet sur la capacité des autres entreprises d'importer et d'exporter des marchandises à des prix relativement bas, ainsi que d'être propriétaires et exploitants d'installations de production et de transformation 59.
Selon différents observateurs, l'OMC doit se donner de nouvelles règles pour pouvoir réglementer les entreprises d'État 60. L'article XVII du GATT de 1947, qui a été incorporé au GATT de 1994 61, définissait les ECE dans des mots qui, de l'avis de certains, étaient timides et vagues 62. En 1994, les membres de l'OMC ont adopté le Mémorandum d'accord sur l'interprétation de l'article XVII du GATT de 1994, qui donne une « définition pratique 63 » du terme « entreprises commerciales d'État » qui ne répond pas à toutes les préoccupations concernant l'identification de ces entreprises. La Déclaration conjointe concernant la réunion trilatérale des ministres du Commerce des États‑Unis, du Japon et de l'Union européenne, produite le 25 septembre 2018, préconise « l'élaboration de règles efficaces » afin de « remédier aux comportements de distorsion du marché » des entreprises d'État et de « lutter contre des pratiques de subventions particulièrement préjudiciables 64 ». La déclaration conjointe fait également état des efforts communs déployés pour « préserver l'efficacité des disciplines de l'OMC existantes 65 ».
Le Canada veut « redynamiser » la fonction de négociation de l'OMC et conclure les négociations sur les subventions à la pêche. Il estime également que le traitement des dossiers économiques et commerciaux modernes exige d'« adopter des approches de négociation souples et ouvertes afin d'obtenir des résultats multilatéraux 66 ». Le Canada souhaite aussi donner priorité à trois catégories de questions dans les discussions portant sur la modernisation des accords multilatéraux :
En ce qui a trait à la question du niveau de développement des pays membres de l'OMC, le Canada suggère d'adopter une approche qui tiendrait compte du « besoin de flexibilité [au sein de l'OMC] aux fins du développement, tout en reconnaissant que tous les pays n'ont pas besoin ou ne devraient pas bénéficier du même niveau de flexibilité 68 ».
Une approche de ce genre reconnaîtrait que, même si les besoins en matière de développement de certains pays justifient une mise en œuvre assortie d'une période transitoire des engagements pris devant l'OMC, l'objectif à long terme est la mise en œuvre intégrale de toutes les obligations par l'ensemble des pays membres. Cette approche permettrait également de définir des catégories de besoins « différenciées par obligation, par pays et par durée de la transition requise, à appliquer en fonction de données justifiant les besoins et sujettes à la négociation 69 ».
En outre, le Canada juge nécessaire de réglementer le commerce électronique au moyen d'un « cadre solide et fondé sur des règles 70 » et il veut amorcer des discussions sur les négociations futures de l'OMC sur cette question 71. En 2019, par exemple, le Canada a proposé un libellé des règles sur le commerce électronique et distribué deux documents conceptuels qui traitent de divers aspects du commerce électronique 72.
Sur la question des entreprises d'État, le Canada croit que « la distorsion des conditions de concurrence » que causent ces organismes devrait être examinée en priorité lors des discussions portant sur la modernisation des accords multilatéraux de l'OMC 73. Lors d'entretiens tenus récemment dans le cadre du groupe d'Ottawa, le Canada a pressé les autres membres de l'OMC de tenter de résoudre « les distorsions du marché qui sont attribuables aux subventions et autres instruments 74 ».
Comme l'exige sa fonction de « surveillance », l'OMC s'efforce d'accroître la transparence du système commercial multilatéral 75. Cela dit, l'OMC est une organisation dirigée par ses membres, et il appartient donc principalement aux membres de surveiller l'application des mesures commerciales nationales, ce qu'ils font par l'intermédiaire des comités de l'OMC ou du mécanisme d'examen des politiques commerciales (MEPC) 76.
D'après certains observateurs, l'OMC semble incapable de détecter les violations de ses accords multilatéraux et d'y remédier efficacement en temps opportun 77. Conformément à ces accords, les mesures commerciales nationales doivent être divulguées de deux manières : au moyen d'un avis à l'organe compétent de l'OMC et dans un document publié par les membres de l'OMC.
La plupart des accords multilatéraux de l'OMC sont administrés par un comité créé à cette fin 78. Lors des réunions de ces comités, les membres de l'OMC parlent du degré de conformité de leurs mesures commerciales nationales à l'accord applicable. Ces discussions leur permettent de justifier les mesures commerciales et d'examiner les changements demandés par d'autres membres de l'OMC. Ces comités ont cependant un mandat limité, ce qui les empêche de jouer un rôle plus proactif 79 dans la surveillance de la conformité des membres aux accords conclus. Ils ne peuvent pas, par exemple, forcer les membres de l'OMC à modifier les mesures commerciales qui sont incompatibles avec un accord de l'OMC.
Tous les membres de l'OMC font l'objet d'examens périodiques de leurs politiques commerciales. Ces examens sont effectués par l'OEPC, qui s'appuie sur les rapports présentés par le membre soumis à examen et par le Secrétariat 80. Le Canada, par exemple, a subi son onzième examen de ses politiques commerciales les 12 et 14 juin 2019 81. Cet exercice, qui consiste en une évaluation par les pairs, ne peut pas servir à « assurer le respect d'obligations spécifiques » ou à appliquer des « procédures de règlement des différends ». Le MEPC ne semble pas avoir pour effet de pousser les membres de l'OMC à modifier leurs mesures commerciales nationales. En outre, les examens ne peuvent pas être utilisés pour forcer un membre à mettre en place de nouvelles mesures ou à renforcer les mesures déjà appliquées 82. C'est ce qui amène certains observateurs à croire que les examens des politiques commerciales n'ont pas d'effet important sur les politiques commerciales nationales 83, mais ils pourraient quand même aider à cerner les mesures commerciales d'un membre qui posent problème pour d'autres membres de l'OMC.
La fréquence à laquelle un membre de l'OMC est soumis au MEPC est fonction de sa part du commerce mondial. Au 1er janvier 2019, les pays qui se taillaient les quatre plus grandes parts du commerce mondial étaient examinés une fois tous les trois ans, et les seize pays suivants l'étaient une fois tous les cinq ans. Pour tous les autres membres, l'examen avait lieu une fois tous les sept ans 84. Cela dit, les membres de l'OMC qui sont des PMA peuvent être examinés moins souvent que les autres membres 85. De plus, selon différents observateurs, les membres qui n'enregistrent pas encore une grande part du commerce mondial, mais qui ont un certain poids commercial, comme le Brésil et l'Indonésie, font plus rarement l'objet d'examens que ceux qui affichent une plus grande part 86. Des observateurs estiment d'ailleurs que les examens sont généralement trop peu fréquents, vu l'importance et la nature des réalités économiques actuelles 87.
Le Canada veut améliorer l'examen des mesures commerciales nationales des membres de l'OMC et renforcer les communications sur le sujet. En effet, il a des préoccupations concernant le respect de l'exigence selon laquelle les membres doivent informer l'organe compétent de l'OMC au sujet de ces mesures 88. Plus précisément, le Canada souhaite renforcer à la fois la capacité des organes de l'OMC de discuter de dossiers commerciaux et celle des membres de l'OMC de participer à ces discussions. Le Canada cherche en outre à améliorer les possibilités de remédier aux préoccupations commerciales des membres de l'OMC et les mécanismes prévus à cette fin 89.
L'OMC s'acquitte de sa fonction de « règlement des différends » en s'appuyant sur un mécanisme qui lui permet de faire respecter ses accords et de résoudre les litiges entre ses membres. Le Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, communément appelé le Mémorandum d'accord sur le règlement des différends (MRD), est le principal accord de l'OMC en matière de règlement des différends. Il a créé l'ORD, qui regroupe tous les membres de l'OMC. L'ORD a le pouvoir d'établir des groupes spéciaux chargés de régler les différends, d'adopter les rapports des groupes spéciaux, d'assurer la surveillance de la mise en œuvre des décisions et des recommandations des groupes spéciaux et d'autoriser la « suspension de concessions et d'autres obligations », conformément aux accords multilatéraux de l'OMC 90.
L'OMC a l'un des mécanismes de règlement des différends internationaux les plus utilisés dans le monde. Entre la fondation de l'OMC, le 1er janvier 1995, et le 31 décembre 2018, les membres ont renvoyé 573 différends à l'ORD et plus de 350 décisions ont été rendues 91.
Habituellement, les groupes spéciaux constitués par l'ORD comprennent trois personnes, ou cinq dans les affaires complexes, et leurs membres doivent provenir de pays qui ne sont pas parties à l'affaire étudiée. Le fonctionnement des groupes spéciaux suit les procédures énoncées dans le MRD, et il est possible de faire appel de leurs constatations et recommandations auprès de l'Organe d'appel de l'OMC. Les appels sont instruits par trois des sept membres de l'Organe d'appel, qui sont nommés pour un mandat de quatre ans, renouvelable une seule fois. Selon le MRD, les différends devraient se régler dans un délai d'un an après la nomination du groupe spécial. Dans la réalité, cependant, ce délai est rarement respecté 92.
L'Organe d'appel ne peut pas instruire une affaire et rendre une décision s'il compte moins de trois membres 93. Or, deux des membres sont arrivés à la fin de leur mandat le 10 décembre 2019, et l'Organe d'appel s'est alors retrouvé avec un seul membre 94. Six postes sont vacants : l'ORD ne les a pas pourvus dès qu'ils se sont libérés, comme il en a pourtant le devoir en vertu du paragraphe 2 de l'article 17 du MRD.
Depuis 2017, les États‑Unis refusent de consentir à la nomination de nouveaux membres de l'Organe d'appel. Le pays exprime depuis longtemps des objections à des décisions de l'Organe d'appel qui concernent l'interprétation de certains recours commerciaux américains; ces recours sont l'objet de la plupart des plaintes déposées par des membres l'OMC à l'encontre des États‑Unis 95. Le représentant américain au Commerce maintient que l'Organe d'appel accroît ou diminue les droits des États‑Unis en omettant d'appliquer les accords de l'OMC tels qu'ils sont rédigés dans les domaines des subventions, des droits antidumping, des droits compensateurs et des mesures de sauvegarde 96.
Le 28 mai 2019, Peter Van den Bossche a exprimé les propos suivants à l'ORD au moment où prenait fin son mandat à l'Organe d'appel :
Le système de règlement des différends de l'OMC traverse une période très difficile. Ce système était – et est toujours à l'heure où je vous parle – une magnifique expérience d'exercice de la primauté du droit dans le domaine des relations internationales. Mais dans six mois et deux semaines, cette expérience unique pourrait graduellement se désintégrer et prendre fin. L'histoire jugera durement les responsables de l'effondrement du système de règlement des différends de l'OMC 97.
Le Canada a souvent recours au système de règlement des différends de l'OMC. Depuis 1995, il a été plaignant dans 40 affaires, dont 20 concernaient les États‑Unis. Le Canada a aussi été défendeur dans 23 affaires 98.
Le Canada est pour le maintien d'un système de règlement des différends efficace et fondé sur des règles. À l'heure actuelle, plusieurs différends en attente de décision devant l'OMC revêtent une grande importance pour le pays. L'un d'entre eux fait suite à une plainte concernant des mesures antidumping que les États‑Unis imposent aux importations américaines de certains produits canadiens de bois d'œuvre résineux 99. Le gouvernement du Canada a aussi déposé une plainte au sujet des restrictions décrétées par la Chine à ses importations de graines de canola en provenance du Canada 100. Par ailleurs, à la demande du Brésil, un groupe spécial de l'ORD évalue si diverses mesures de soutien accordées par le gouvernement du Canada à la société Bombardier inc. sont conformes aux règles de l'OMC en matière de subventions 101.
Selon le gouvernement du Canada, la résolution de « l'impasse » dans laquelle se trouve la désignation des membres de l'Organe d'appel exigera de remédier aux préoccupations soulevées à propos du fonctionnement de l'Organe d'appel 102. L'une de ces préoccupations a trait à la question de savoir dans quelle mesure l'Organe d'appel accroît les droits et les obligations des membres de l'OMC dans ses décisions qui clarifient les accords de l'OMC. Le Canada préconise l'élaboration de mécanismes qui donneraient aux membres la possibilité de décider quels différends devraient être acheminés à l'Organe d'appel 103. La proposition canadienne prévoit plus particulièrement le recours à « d'autres mécanismes tels que la médiation pour régler les différends ou, au moins, les atténuer, et peut‑être même en excluant formellement certains types de différends ou certains problèmes de la compétence du processus juridictionnel 104 ».
Concernant l'interprétation donnée par l'Organe d'appel aux lois nationales des membres de l'OMC, le Canada convient de la nécessité de préciser « que l'objectif premier du système de règlement des différends [de l'OMC] est de régler des différends spécifiques et que seules les constatations nécessaires pour atteindre cet objectif sont requises 105 ». Le Canada et l'Union européenne font part de
leur intention de recourir à l'arbitrage au titre de l'article 25 du MRD en tant que procédure d'arbitrage d'appel provisoire […] si l'Organe d'appel n'est pas en mesure – faute d'un nombre suffisant de membres – de connaître des appels formés contre les rapports de groupes spéciaux dans tout litige futur opposant le Canada et l'Union européenne 106.
Le Canada et l'Union européenne envisagent tout particulièrement la possibilité que les appels soient examinés par trois arbitres choisis par le directeur général de l'OMC parmi les anciens membres disponibles de l'Organe d'appel 107. Ils prévoient que « cet arrangement provisoire cessera de s'appliquer dès que l'Organe d'appel comptera à nouveau le nombre requis de membres », tout en précisant que « les éventuels arbitrages en cours seront menés à bien dans le cadre de la procédure d'arbitrage d'appel provisoire, à moins que les parties n'en conviennent autrement » 108.
Le 24 janvier 2020, certains membres de l'OMC se sont engagés à adhérer à la procédure d'arbitrage d'appel provisoire 109. À ce jour, l'Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Chine, la Colombie, la Corée du Sud, le Costa Rica, le Guatemala, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle‑Zélande, le Panama, Singapour, la Suisse, l'Union européenne et l'Uruguay ont convenu « de mettre en place des mesures d'urgence qui permettraient d'interjeter appel à l'égard des rapports des groupes spéciaux de l'OMC en cas de différends entre [les participants] 110 ».
L'OMC fait face à des défis qui touchent sa gouvernance et sa capacité de négocier des accords, de surveiller le respect de ces accords et de régler les différends. Cependant, des pays de partout dans le monde continuent d'appuyer le système commercial multilatéral. Le Canada est au nombre des pays qui, soucieux d'assurer le maintien d'une OMC efficace, explorent diverses possibilités de réformes.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
Entreprises gouvernementales et non gouvernementales, y compris les offices de commercialisation, auxquelles ont été accordés des droits ou privilèges exclusifs ou spéciaux, y compris des pouvoirs légaux ou constitutionnels, dans l'exercice desquels elles influent, par leurs achats ou leurs ventes, sur le niveau ou l'orientation des importations ou des exportations.OMC, Mémorandum d'Accord sur l'interprétation de l'article XVII de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994. [ Retour au texte ]
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