La présente publication a été préparée dans le cadre d'une série visant à appuyer les parlementaires au commencement de la 43e législature.
La Loi canadienne sur la santé (LCS) établit les critères et les conditions que les régimes d'assurance maladie des provinces et des territoires doivent respecter pour recevoir la pleine contribution pécuniaire qui peut leur être octroyée au titre du Transfert canadien en matière de santé.
La LCS exige que les services médicaux, hospitaliers ou de chirurgie dentaire « médicalement nécessaires » soient assurés par le régime de la province ou du territoire où ils sont offerts. Ainsi, certains services de santé que bon nombre de Canadiens jugent essentiels à leur bonne santé (comme les médicaments sur ordonnance et divers services de santé mentale) n'ont pas à être assurés par les provinces et les territoires au titre de la LCS.
Les provinces et les territoires sont libres d'assurer d'autres services de santé en plus de ceux prescrits par la LCS, ce qui signifie que le panier de services assurés varie entre les provinces et les territoires du Canada.
Au fil des ans, diverses améliorations à la LCS ont été proposées par le milieu de la santé lui-même, le milieu universitaire et les parlementaires.
La présente étude générale décrit la LCS, résume certains enjeux liés au respect de la Loi par les provinces et les territoires, et fait un survol des mesures parlementaires qui ont été prises relativement à la LCS.
La Loi canadienne sur la santé (LCS) prévoit que
[l]a politique canadienne de la santé a pour premier objectif de protéger, de favoriser et d'améliorer le bien-être physique et mental des habitants du Canada et de faciliter un accès satisfaisant aux services de santé, sans obstacles d'ordre financier ou autre 1.
Cette loi et le Transfert canadien en matière de santé (TCS) 2, qui en appuie les principes, sont les instruments dont se sert le gouvernement fédéral pour influer sur les services de santé, qui relèvent d'abord et avant tout de la compétence des provinces et des territoires. La LCS exige que les régimes d'assurance maladie respectent certains critères et certaines conditions pour que les gouvernements provinciaux ou territoriaux qui les gèrent puissent avoir droit à la pleine contribution pécuniaire prévue au titre du TCS.
Les Canadiens ont parfois des idées fausses sur la portée de la LCS et ses répercussions éventuelles sur leur accès aux services de santé. Elle n'exige pas, par exemple, que tous les services de santé soient couverts par les régimes provinciaux et territoriaux d'assurance maladie. Elle précise plutôt que lesdits régimes doivent couvrir les services hospitaliers, médicaux et de chirurgie dentaire « médicalement nécessaires » 3. Par conséquent, certains services jugés par beaucoup de Canadiens comme faisant partie intégrante du système de santé, comme les soins à domicile, l'aide psychologique et le remboursement des médicaments sur ordonnance, ne font pas partie des services qui doivent être couverts par les régimes provinciaux et territoriaux aux termes de la LCS.
Pour mieux cerner le rôle de la LCS dans le système de santé, la présente étude générale présente brièvement les éléments suivants :
Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 5 attribuent l'autorité législative exclusive sur certaines questions au Parlement du Canada ou aux assemblées législatives des provinces. Même si certains sujets liés à la santé y sont abordés (par exemple, les hôpitaux autres que les hôpitaux de marine relèvent des provinces), le mot « santé » n'y figure pas. Par conséquent, les questions et les mesures se rapportant à la santé peuvent être considérées comme relevant soit du Parlement, soit des assemblées législatives, selon leur objectif et leur effet.
En règle générale, les provinces sont responsables des services de santé eux-mêmes, des règles régissant l'exercice de la médecine, de la formation des professionnels de la santé, de la réglementation de la profession médicale, de l'assurance hospitalisation, de l'assurance maladie ainsi que de la santé et de la sécurité au travail. Les pouvoirs en la matière sont prévus aux paragraphes 92(7) (hôpitaux), 92(13) (propriété et droits civils) et 92(16) (autres matières d'une nature purement locale ou privée) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Le Parlement a pu intervenir dans le domaine de la santé grâce aux pouvoirs qui lui sont conférés en matière de droit criminel (par. 91(27)), au pouvoir fédéral de dépenser, qui découle de son autorité sur la dette et la propriété publiques (par. 91(1A)), et au pouvoir fédéral de prélever des deniers par tous les modes ou systèmes de taxation (par. 91(3)).
La LCS est un exemple d'application du pouvoir fédéral de dépenser. Pour que les provinces et territoires puissent toucher la pleine contribution pécuniaire prévue aux termes du TCS, leurs régimes d'assurance maladie doivent respecter une série de critères et de conditions.
La LCS est entrée en vigueur en 1984, en bonne partie par suite de l'Examen des services de santé qui a eu lieu en 1979 et 1980. Elle s'inscrit dans la lignée de la Loi sur l'assurance-hospitalisation et les services diagnostiques (1957) et de la Loi sur les soins médicaux (1966). La première portait exclusivement sur le partage des coûts liés aux services hospitaliers et diagnostiques, tandis que la seconde englobait aussi les services offerts par les médecins à l'extérieur des hôpitaux 6.
Différence importante avec les lois précédentes, la LCS introduit l'interdiction pour les médecins de facturer des frais à leurs patients en plus de ce qu'ils facturent à la province ou au territoire pour les services assurés. C'est ce que la LCS appelle la surfacturation et les frais modérateurs (voir la section 2.2 ci-dessous).
La LCS comprend un certain nombre de termes à connaître pour bien comprendre son champ d'application. Ces termes sont présentés ci-dessous dans le tableau 1.
Terme | Définition |
---|---|
assuré | Habitant d'une province ou d'un territoire, à l'exception des habitants qui s'y trouvent depuis une période de temps inférieure au délai minimal de résidence ou de carence, des membres des Forces canadiennes ou « des personnes purgeant une peine d'emprisonnement dans un pénitencier, au sens de la Partie I de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ». |
services de chirurgie dentaire | « Actes de chirurgie dentaire nécessaires sur le plan médical ou dentaire, accomplis par un dentiste dans un hôpital, et qui ne peuvent être accomplis convenablement qu'en un tel établissement. » |
services de santé assurés | « Services hospitaliers, médicaux ou de chirurgie dentaire fournis aux assurés, à l'exception des services de santé auxquels une personne a droit ou est admissible en vertu d'une autre loi fédérale ou d'une loi provinciale relative aux accidents du travail. » |
services hospitaliers | « Services fournis dans un hôpital aux malades hospitalisés ou externes, si ces services sont médicalement nécessaires pour le maintien de la santé, la prévention des maladies ou le diagnostic ou le traitement des blessures, maladies ou invalidités ». La Loi énumère un certain nombre de services précis visés par cette définition. |
services médicaux | « Services médicalement nécessaires fournis par un médecin. » |
Source : Tableau préparé par l'auteure à partir de renseignements tirés de la Loi canadienne sur la santé (178 Ko, 18 pages), L.R.C. 1985, ch. C-6, art. 2.
L'interprétation à donner aux services « médicalement nécessaires » fait l'objet d'un débat depuis plusieurs années. La LCS ne définit pas ce terme et laisse le soin aux provinces et aux territoires de les interpréter et de déterminer en quoi consistent les services médicalement nécessaires 7. La liste des services assurés varie donc entre les provinces et les territoires du Canada.
La LCS établit cinq critères et deux conditions à respecter pour qu'une province ou un territoire reçoive la pleine contribution pécuniaire prévue aux termes du TCS.
Le tableau 2 présente un résumé des cinq critères énoncés dans la Loi.
Critère | Résumé |
---|---|
Gestion publique | Le régime provincial d'assurance maladie doit être géré sans but lucratif par une autorité publique nommée ou désignée par le gouvernement de la province. Ce critère s'applique seulement à la gestion du régime; il n'interdit donc pas que les soins de santé soient offerts par des entités privées, à la condition qu'aucuns frais ne soient facturés aux assurés pour ces services (al. 8(1)a) de la Loi canadienne sur la santé [LCS]). |
Intégralité a | Tous les « services de santé assurés » (au sens de la LCS) doivent être couverts par le régime d'assurance maladie de la province ou du territoire concerné (art. 9). |
Universalité | Tous les « assurés » (au sens de la LCS) de la province ou du territoire ont droit aux services de santé assurés selon des modalités uniformes (art. 10). |
Transférabilité | Le délai minimal de résidence pour avoir droit aux services assurés ne peut pas être supérieur à trois mois (al. 11(1)a)) et les services de santé assurés fournis à des assurés à l'extérieur de la province ou du territoire (sous-al. 11(1)b)(i)) ou du pays (sous‑al. 11(1)b)(ii)) sont remboursés à certaines conditions. |
Accessibilité | Les provinces et les territoires doivent offrir un accès satisfaisant aux services de santé assurés et selon des modalités uniformes ne constituant pas un obstacle, financier ou autre (al. 12(1)a)). |
Note :
Source : Tableau préparé par l'auteure à partir de renseignements tirés de la Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, ch. C-6; et de Gouvernement du Canada, « Les critères : 1. Gestion publique (art. 8) », Loi canadienne sur la santé : Rapport annuel 2017-2018.
Pour être admissibles au TCS, les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent, en plus de respecter les cinq critères établis, remplir deux conditions définies à l'article 13 de la LCS. Premièrement, les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent fournir au ministre fédéral de la Santé (ministre fédéral) les renseignements prévus par la réglementation. Deuxièmement, les provinces et les territoires doivent mentionner la contribution du TCS dans les publicités et les documents publics qui portent sur les services de santé assurés et les services complémentaires de santé.
Les articles 18 et 19 de la LCS prévoient que le régime provincial ou territorial d'assurance maladie ne doit pas permettre le versement de montants qui ont fait l'objet de surfacturation ou de frais modérateurs par des médecins ou des établissements de soins. L'article 2 de la LCS définit ainsi la surfacturation : « Facturation de la prestation à un assuré par un médecin ou un dentiste d'un service de santé assuré, en excédent par rapport au montant payé ou à payer pour la prestation de ce service au titre du régime provincial d'assurance [maladie] ». Les « frais modérateurs » sont définis de la façon suivante :
Frais d'un service de santé assuré autorisés ou permis par un régime provincial d'assurance [maladie], mais non payables, soit directement soit indirectement, au titre d'un régime provincial d'assurance [maladie], à l'exception des frais imposés par surfacturation.
Les montants facturés aux patients sous forme de surfacturation ou de frais modérateurs doivent être déduits de la contribution pécuniaire versée au titre du TCS (art. 20 de la Loi). Les renseignements que les provinces et les territoires doivent fournir sur la surfacturation et les frais modérateurs ainsi que les modalités relatives au moment et à la manière de les transmettre sont énoncés dans le Règlement concernant les renseignements sur la surfacturation et les frais modérateurs 8. Il arrive parfois que les provinces et les territoires ne prennent connaissance de cas de surfacturation et de frais modérateurs que lorsque des gens déposent une plainte après s'être fait facturer de tels frais.
Si le ministre fédéral est d'avis que le régime d'assurance maladie d'une province ou d'un territoire ne remplit pas l'un des critères, ou que la province ou le territoire ne respecte pas les conditions nécessaires pour recevoir le TCS, il peut renvoyer l'affaire au gouverneur en conseil (art. 14 de la LCS). Les mesures que peut prendre le gouverneur en conseil sont définies à l'article 15 de la LCS :
15 (1) Si l'affaire lui est renvoyée en vertu de l'article 14 et qu'il estime que le régime d'assurance [maladie] de la province ne satisfait pas ou plus aux conditions visées aux articles 8 à 12 ou que la province ne s'est pas conformée aux conditions visées à l'article 13, le gouverneur en conseil peut, par décret :
- soit ordonner, pour chaque manquement, que la contribution pécuniaire d'un exercice à la province soit réduite du montant qu'il estime indiqué, compte tenu de la gravité du manquement;
- soit, s'il l'estime indiqué, ordonner la retenue de la totalité de la contribution pécuniaire d'un exercice à la province.
Comme il a déjà été mentionné, l'article 20 de la LCS prévoit qu'un montant, déterminé par le ministre fédéral, égal au total de la surfacturation effectuée ou des frais modérateurs facturés dans une province donnée soit obligatoirement déduit de la contribution pécuniaire versée au titre du TCS à cette province.
La LCS exige que le ministre fédéral présente au Parlement un rapport annuel sur le respect par les provinces et les territoires des critères et des conditions établis. Les manquements éventuels sont examinés par l'Unité de l'interprétation des programmes et de la conformité de la Division de la Loi canadienne sur la santé, au sein de Santé Canada. Dans le cadre du processus d'examen, l'Unité communique avec la province ou le territoire en cause et, au besoin, lui demande de faire enquête. Le ministre fédéral n'intervient que si la Division de la Loi canadienne sur la santé ne parvient pas à régler le problème. L'ensemble des provinces et territoires, à l'exception du Québec, ont convenu d'un processus de prévention et de règlement des différends 9. Il semble toutefois qu'on n'y ait jamais eu recours 10.
Voici quelques problèmes liés au respect de la LCS qui se sont produits au cours des dix dernières années :
Le tableau 3 présente les provinces ayant obtenu des déductions ou estimé des rapprochements de 2005 à 2017, ainsi que les montants des déductions ou des rapprochements 12.
Année | Colombie-Britannique | Québec | Nouvelle-Écosse | Terre-Neuve-et-Labrador | Total |
---|---|---|---|---|---|
2005-2006 | 29 019 | – | (8 121) | – | 20 898 |
2006-2007 | 114 850 | – | 9 460 | – | 124 310 |
2007-2008 | 42 113 | – | – | – | 42 113 |
2008-2009 | 66 195 | – | – | – | 66 195 |
2009-2010 | 73 925 | – | – | – | 73 925 |
2010-2011 | 75 136 | – | – | 3 577 | 78 713 |
2011-2012 | 33 219 | – | – | 58 679 | 91 898 |
2012–2013 | 280 019 | – | – | 50 758 | 330 777 |
2013-2014 | 224 568 | – | – | (10 765) | 213 803 |
2014-2015 | 241 637 | – | – | – | 241 637 |
2015-2016 | 204 145 | – | – | – | 204 145 |
2016-2017 | 184 508 | 9 907 229a | – | – | 10 091 737 |
2017-2018 | 15 861 818 | 9 907 229a | – | – | 25 769 047 |
Note :
Source : Tableau préparé par l'auteure à partir de données tirées de Santé Canada, « Déductions et rapprochements appliqués aux contributions pécuniaires au titre du TCPS [Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux]/TCS [Transfert canadien en matière de santé] conformément à la Loi canadienne sur la santé (en dollars) – 1992‑1993 à 2017-2018 », Loi canadienne sur la santé : Rapport annuel 2017-2018.
Les montants déduits du TCS du Québec sont liés à la surfacturation et aux frais modérateurs. Comme la province a pris des mesures correctives à l'égard de ces frais, les montants ont été remboursés subséquemment. Les montants déduits du TCS de la Colombie‑Britannique se rapportent à la surfacturation et aux frais modérateurs de la clinique de chirurgie Cambie. Ces montants pourront faire l'objet d'un remboursement si la province met en œuvre un plan d'action pour éliminer la surfacturation et les frais modérateurs en question 13.
En août 2018, le ministre fédéral a informé les provinces et les territoires de trois initiatives relatives à la LCS : mise en place de la Politique des services diagnostiques, d'une politique de remboursement et de nouvelles exigences pour le renforcement de la déclaration des renseignements 14.
La Politique des services diagnostiques confirme que les services diagnostiques médicalement nécessaires, comme l'imagerie par résonance magnétique et la tomographie assistée par ordinateur, sont des services assurés. Cette politique se veut une réponse au fait que certains gouvernements ont permis aux résidents d'obtenir un accès plus rapide aux services diagnostiques s'ils payent pour ces services de leur poche. Dans les provinces et les territoires qui ont permis l'imposition de frais de ce genre, un montant équivalent à ces frais sera déduit du paiement effectué au titre du TCS. Cette politique entrera en vigueur le 1er avril 2020. À compter de décembre 2022, les provinces et les territoires devront déclarer tous les frais imposés aux patients pour des services diagnostiques.
La nouvelle politique de remboursement concerne les frais imposés aux patients qui ont entraîné des déductions applicables aux paiements effectués au titre du TCS. Les provinces et les territoires qui éliminent les frais imposés aux patients à l'origine de ces déductions et qui remplissent certaines conditions pourront se faire rembourser.
Les exigences en matière de déclaration comprendront désormais la publication, dans le rapport annuel sur l'application de la LCS, des déclarations sur la surfacturation et les frais modérateurs des provinces et des territoires 15.
Au Nouveau-Brunswick, les avortements pratiqués en dehors du milieu hospitalier (c.-à-d. en clinique privée) ne figurent pas sur la liste des services de santé assurés. Cette situation a été soulevée pour la première fois dans le rapport annuel sur la Loi canadienne sur la santé 2014-2015 16, où l'on a souligné qu'elle suscitait des préoccupations au regard des critères d'accessibilité et d'intégralité. En effet, les femmes à faible revenu sont particulièrement désavantagées par le fait de devoir débourser des frais de déplacement et s'absenter du travail pour se rendre à un hôpital afin d'obtenir des services d'avortement.
Jusqu'à il y a quelques années, les rapports annuels sur la LCS soulevaient également des inquiétudes quant au fait que l'Île-du-Prince-Édouard n'offrait pas de services d'avortement sur son territoire. Cette province n'assurait pas non plus les services d'avortement pratiqués hors du milieu hospitalier. Or, des services d'avortement sont maintenant offerts à l'Île-du-Prince-Édouard grâce au Programme de mieux-être féminin et aux services de santé sexuelle. Le rapport annuel sur la Loi canadienne sur la santé 2016-2017 17 indique que l'Île-du-Prince-Édouard se conforme désormais à la LCS. En outre, des médias ont laissé entendre que l'Ontario enfreint possiblement la LCS, car des cliniques privées y pratiquent des avortements chirurgicaux en imposant des frais aux patientes en plus des frais facturés à la province 18.
Le terme « clinique privée » peut désigner les établissements qui fournissent des services de santé en dehors du cadre des régimes d'assurance maladie provinciaux et territoriaux; autrement dit, les médecins y facturent leurs honoraires directement aux patients plutôt qu'à la province ou au territoire. Certaines provinces remboursent les patients de ces médecins, appelés « médecins non participants », jusqu'à concurrence du montant que le médecin pourrait facturer à sa province. Le terme « clinique privée » peut également désigner les établissements qui fournissent des services de santé facturés à la province ou au territoire, mais qui réclament aussi des frais directement aux patients sous forme de frais d'établissement.
Au fil des ans, certains observateurs se sont inquiétés que l'existence des cliniques privées allait à l'encontre de l'esprit et de l'intention de la LCS, car elles permettent aux personnes qui ont les moyens de payer pour obtenir des services de santé d'y accéder plus rapidement que celles qui ne peuvent pas se le permettre. En 1994, des réunions fédérales-provinciales-territoriales ont été tenues au sujet des cliniques privées qui fournissaient « des services médicalement nécessaires financés en partie par le système public et en partie par les patients ». La Politique fédérale sur les cliniques privées, publiée en 1995 à la suite de ces réunions, précise que lorsqu'un régime d'assurance maladie provincial ou territorial paie les honoraires d'un médecin pour un service médicalement nécessaire fourni dans une clinique privée, il doit également payer les frais d'établissement ou, sinon, s'attendre à une déduction des paiements de transfert fédéraux 19.
Les régimes d'assurance maladie provinciaux et territoriaux doivent respecter les critères et les conditions énoncés dans la LCS, et ne doivent pas permettre la surfacturation ou les frais modérateurs. Toutefois, la LCS n'exige pas qu'une province ou qu'un territoire interdise la prestation de services médicalement nécessaires en dehors du régime d'assurance maladie provincial ou territorial. Cela dit, les régimes d'assurance maladie provinciaux et territoriaux comportent, à des degrés divers, des dispositions qui sont perçues comme des façons de décourager la prestation de services médicalement nécessaires en dehors des systèmes d'assurance maladie provinciaux et territoriaux. Ce type de disposition est actuellement contesté devant les tribunaux de la Colombie-Britannique dans l'affaire Cambie Surgeries, dont il est question dans la section 4 de la présente étude.
Comme il est mentionné dans le tableau 2 du présent document, la LCS prévoit une exigence de transférabilité qui se rapporte aux services de soins de santé obtenus à l'extérieur de la province ou du territoire de résidence, ou encore à l'extérieur du pays. Le critère de transférabilité, énoncé à l'article 11 de la LCS, exige, entre autres, que le régime d'assurance maladie d'une province :
11(1)b) prévoie et que ses modalités d'application assurent le paiement des montants pour le coût des services de santé assurés fournis à des assurés temporairement absents de la province :
- si ces services sont fournis au Canada, selon le taux approuvé par le régime d'assurance [maladie] de la province où ils sont fournis, sauf accord de répartition différente du coût entre les provinces concernées,
- s'ils sont fournis à l'étranger, selon le montant qu'aurait versé la province pour des services semblables fournis dans la province, compte tenu, s'il s'agit de services hospitaliers, de l'importance de l'hôpital, de la qualité des services et des autres facteurs utiles[.]
Le 1er janvier 2020, la plupart des dispositions de l'Ontario relatives à la couverture des services de soins de santé à l'étranger seront abrogées 20. Ainsi, pour les résidents de l'Ontario, les soins de santé à l'étranger ne seront couverts que dans certaines circonstances bien précises.
Lorsque l'Ontario a proposé de modifier la couverture de son assurance maladie à l'étranger, la ministre fédérale de l'époque, l'honorable Ginette Petitpas Taylor aurait indiqué au ministre de la santé de l'Ontario que sa province serait la première, parmi les provinces et les territoires canadiens, à ne pas couvrir les soins de santé d'urgence à l'étranger, et que les modifications prévues par l'Ontario allaient à l'encontre de la LCS 21.
Selon le rapport annuel sur la Loi canadienne sur la santé 2017-2018, en ce qui concerne le critère de transférabilité et la couverture à l'étranger, « les services assurés [pour les assurés] doivent être pay[é]s au tarif de la province de résidence 22 ».
Ce rapport soulignait également que,
exception faite de l'Île-du-Prince-Édouard et des trois territoires, les tarifs journaliers fixés pour les services hospitaliers fournis à l'étranger semblent inférieurs à ceux établis pour ces services lorsqu'ils sont fournis dans la province d'origine, ce qui est pourtant une exigence du critère de transférabilité de la LCS.
Au début des années 2000, un médecin québécois (Jacques Chaoulli) et un patient (George Zeliotis) ont contesté les dispositions du droit québécois qui interdisaient aux résidents de la province d'obtenir une assurance maladie privée couvrant des services déjà couverts par le régime d'assurance maladie provincial 23. Une telle assurance servirait à payer un service obtenu auprès d'un médecin qui exerce en dehors du régime d'assurance maladie provincial, ce qui permettrait aux patients d'obtenir des services de santé plus rapidement que dans le cadre du régime d'assurance maladie provincial.
Dans l'affaire Chaoulli c. Québec (Procureur général), les plaignants ont fait valoir que l'interdiction de souscrire une assurance privée contrevenait à certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés 24 et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec 25. En fin de compte, la Cour suprême du Canada a déterminé que cette interdiction allait à l'encontre de la Charte québécoise 26. Comme cette décision n'est pas fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, elle n'a aucune portée à l'extérieur du Québec.
Une affaire similaire se trouve devant les tribunaux de la Colombie-Britannique depuis une dizaine d'années. Dans l'affaire Cambie Surgeries, les plaignants contestent les dispositions de la Medicare Protection Act 27 de la Colombie‑Britannique qui :
Les plaignants ont fait valoir que ces dispositions vont à l'encontre de l'article 7 (vie, liberté et sécurité de la personne) et de l'article 15 (droits à l'égalité) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'argument fondé sur l'article 7 porte sur les temps d'attente en Colombie-Britannique et soutient que « le gouvernement de la Colombie‑Britannique ne peut pas à la fois omettre de fournir à la population des services médicalement nécessaires en temps utile, et interdire aux patients de protéger leur santé en obtenant ces services en dehors du système public 28 ». En ce qui concerne l'argument fondé sur l'article 15, les plaignants ont soutenu que les dispositions en cause :
imposent un fardeau inéquitable relié aux motifs de discrimination reconnus par la loi, plus précisément l'âge, le handicap et le type de handicap. En effet, la Medicare Protection Act interdit à de nombreux résidents de la Colombie‑Britannique d'avoir accès à des traitements privés, mais exempte de cette restriction préjudiciable d'autres personnes, comme celles qui ont été blessées au travail 29.
Le procureur général de la Colombie-Britannique a défendu ces dispositions en faisant valoir, entre autres, que le fait d'autoriser une assurance maladie privée duplicative « créerait un système de soins de santé injuste à deux vitesses, dans lequel ceux qui ont les moyens de payer […] auront un meilleur accès aux soins que ceux qui sont contraints de s'en remettre au système public ». Il a aussi soutenu que le fait d'autoriser une assurance maladie privée duplicative aggraverait probablement les délais d'attente actuels pour les interventions chirurgicales couvertes par le régime d'assurance provincial 30.
Bien que l'affaire Cambie Surgeries ne conteste pas directement la LCS, le procureur général du Canada est intervenu pour appuyer la constitutionnalité des dispositions de la Medicare Protection Act, car elles « reflètent les principes de la Loi canadienne sur la santé 31 ». Comme l'a affirmé le procureur général du Canada dans ses observations écrites finales :
en supprimant les dispositions de la Medicare Protection Act relatives à la surfacturation, la Colombie-Britannique irait à l'encontre des dispositions de la Loi canadienne sur la santé sur la surfacturation et les frais modérateurs, ce qui aurait des répercussions financières sur les paiements au titre du TCS perçus par la Colombie-Britannique. De plus, le fait d'autoriser la surfacturation et les frais modérateurs et de permettre à l'assurance privée de couvrir ces coûts pourrait aussi contrevenir aux dispositions de la Loi canadienne sur la santé en matière d'accessibilité et d'universalité 32.
Les plaidoiries finales de ce procès ont été entendues en novembre 2019 33.
Au fil des ans, la LCS a fait l'objet de critiques à plusieurs égards. Certains observateurs ont souligné que la LCS ne s'attardait pas suffisamment aux besoins des patients 34. D'autres détracteurs affirment également que l'application des dispositions de la LCS est défaillante 35, bien que les politiques mises en place en 2018 par la ministre fédérale de l'époque donnent à penser que le gouvernement fédéral pourrait insister davantage sur le respect de la Loi. Le fait que la LCS exige uniquement que les régimes provinciaux et territoriaux assurent les services hospitaliers, médicaux et de chirurgie dentaire a également été décrit comme un problème 36. Si, par le passé, les services de soins de courte durée fournis dans les hôpitaux ou par des médecins constituaient l'essentiel des soins de santé, de nos jours, l'éventail des soins nécessaires au maintien d'une bonne santé comprend aussi les divers services de santé mentale 37, les soins dentaires et les médicaments sur ordonnance, qui sont payés par les patients eux-mêmes 38. Évidemment, le fait que la LCS ne mentionne pas ces soins de santé n'empêche pas une province ou un territoire de les inclure dans son panier de services assurés 39.
Une des réformes proposées vise à ce que la LCS exige des provinces et des territoires qu'ils disposent d'un « processus équitable, transparent et fondé sur des données probantes » pour déterminer les services de santé qui seront assurés 40. Parallèlement, certains observateurs ont suggéré de modifier le critère de gestion publique afin que les provinces et les territoires puissent déterminer les exigences de leurs régimes respectifs 41. Comme il est mentionné dans la section 2.2 de la présente étude, le fait que le terme « médicalement nécessaire » ne soit pas défini a également fait l'objet de débats au fil des ans 42; toutefois, il ne semble pas y avoir de consensus sur la nécessité d'inclure la définition de ce terme dans les futures modifications apportées à la LCS.
En 2018, dans le cadre de son étude sur un éventuel programme national d'assurance‑médicaments, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a recommandé que la LCS soit modifiée afin d'inclure dans la définition de « services de santé assurés » les médicaments délivrés sur ordonnance en dehors des hôpitaux 43.
En mai 2019, la députée K. Kellie Leitch a présenté le projet de loi C-450, Loi modifiant la Loi canadienne sur la santé 44. Ce projet de loi d'initiative parlementaire aurait ajouté une « condition de responsabilité » à la LCS. Il aurait notamment exigé que les lois provinciales et territoriales prévoient des mesures garantissant la prestation de services de santé assurés dans des délais raisonnables, et aurait autorisé un assuré à recevoir des services assurés à l'extérieur du régime provincial s'il « ne [pouvait] y avoir accès de manière satisfaisante à l'intérieur du régime ». Le projet de loi est mort au Feuilleton avant sa deuxième lecture.
Un autre projet de loi d'initiative parlementaire visait à modifier la LCS afin que l'analyse appliquée du comportement et l'intervention comportementale intensive, destinées aux personnes atteintes d'autisme, soient comprises parmi les services médicalement nécessaires. Le projet de loi a été présenté pour la première fois au cours de la première session de la 38e législature par le député Peter Stoffer 45, et a été présenté de nouveau au cours des législatures suivantes par M. Stoffer, puis par le député Glenn Thibeault 46. Au cours de la 39e législature, le député Shawn Murphy a présenté un projet de loi similaire, qui aurait aussi exigé que le ministre fédéral convoque une conférence afin d'élaborer une stratégie nationale pour le traitement de l'autisme 47.
La lettre de mandat qui a été adressée à la ministre fédérale au début de la 43e législature lui demande d'envisager d'apporter des modifications à la LCS en vue de répondre aux priorités suivantes :
Si ces modifications sont adoptées, le gouvernement fédéral pourrait également en profiter pour répondre à certaines autres préoccupations liées à la LCS qui ont été soulevées au fil des ans.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
Le régime législatif constitué en l'espèce de la LCS et de la [Medicare Protection Act] n'a pas pour objectif de répondre à tous les besoins médicaux. Il garantit seulement le financement intégral des services essentiels, qui s'entendent des services fournis par un médecin. Par ailleurs, les provinces peuvent, dans les limites de leur pouvoir discrétionnaire, offrir certains services non essentiels. Il s'agit par définition d'un régime partiel de soins de santé.[ Retour au texte ]
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