Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les multinationales ont recours à des pratiques de plus en plus agressives pour payer moins d’impôts et certaines d’entre elles créent des filiales ou sociétés de façade à l’étranger. Ce phénomène a récemment été accentué par la croissance rapide de l’économie numérique.
En 2015, l’OCDE estimait que les pertes de recettes générées par ces pratiques pourraient s’élever jusqu’à 240 milliards de dollars américains annuellement à l’échelle mondiale, soit 10 % des recettes totales de l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Le directeur parlementaire du budget estime que le Canada pourrait encaisser des revenus fiscaux de 540 millions de dollars en 2021 et doubler ce montant dès 2028 s’il imposait une taxe de 3 % sur certains revenus que les multinationales du numérique génèrent au Canada.
Devant une économie qui se numérise rapidement, les gouvernements, dont celui du Canada, craignent que leurs règles fiscales désuètes mènent à des pertes de recettes fiscales grandissantes. Ces pertes pourraient les empêcher d’offrir des services à leurs citoyens en plus de créer un régime fiscal inéquitable pour les entreprises qui doivent s’acquitter de leurs impôts dans le pays où elles génèrent leurs revenus. Pour plusieurs, les règles fiscales devraient être modifiées sans tarder, car elles reposent sur des principes établis il y a près d’un siècle, à une époque où le commerce nécessitait une présence physique.
En réponse à ces préoccupations et à la demande du G20, l’OCDE a élaboré, en juillet 2013, le Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices dans lequel étaient énoncées 15 actions pour réformer les « règles fiscales internationales » afin d’endiguer l’évitement fiscal par les entreprises multinationales.
En octobre 2019, constatant qu’un nombre grandissant de pays ne veulent plus attendre la conclusion d’une entente internationale et prennent des mesures unilatérales afin de taxer certaines multinationales, y compris celles de l’économie numérique, le Secrétaire général de l’OCDE a proposé une approche unifiée pour taxer les multinationales. Il souhaitait ainsi relancer les négociations entre les pays en vue de conclure une entente internationale d’ici la fin de 2020.
Au Canada, le gouvernement fédéral devra décider s’il met rapidement en place sa propre taxe pour les multinationales du numérique, souvent appelées les « GAFA » en référence à Google, Apple, Facebook et Amazon, ou s’il attend la conclusion de l’entente internationale prévue en 2020 – voire plus tard si l’on se fie aux retards constatés dans le cadre de négociations multilatérales antérieures.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
[a]u cours de la dernière décennie, les entreprises multinationales ont eu recours à des pratiques de plus en plus agressives en vue de payer moins d’impôts. Certaines d’entre elles, situées dans des pays à fiscalité élevée, créent de nombreuses filiales ou sociétés de façade à l’étranger, en tirant systématiquement parti des allègements fiscaux qui y sont offerts 1.
Ce phénomène a récemment été accentué par la croissance rapide de l’économie numérique.
En 2015, l’OCDE estimait que les pertes de recettes générées par ces pratiques pourraient s’élever à jusqu’à 240 milliards de dollars américains annuellement à l’échelle mondiale, soit 10 % des recettes totales de l’impôt sur les bénéfices des sociétés 2. Le directeur parlementaire du budget estime que le Canada pourrait encaisser des revenus fiscaux de 540 millions de dollars en 2021 et doubler ce montant dès 2028 s’il imposait une taxe de 3 % sur certains revenus que les multinationales du numérique génèrent au Canada 3. À l’échelle internationale, des préoccupations croissantes s’expriment à l’endroit des multinationales de l’économie numérique qui vendent des milliards de dollars de biens et de services tout en échappant à l’imposition dans les États où se trouvent leurs clients et leurs utilisateurs. Pour plusieurs, les règles fiscales sont désuètes et devraient être modifiées sans tarder, car elles reposent sur des principes établis il y a près d’un siècle, à une époque où le commerce nécessitait une présence physique 4.
En réponse à ces préoccupations et à la demande du G20, l’OCDE a élaboré en juillet 2013 le Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices 5 (BEPS, pour « Base Erosion and Profit Shifting » selon l’acronyme anglais de l’OCDE) dans lequel étaient énoncées 15 actions pour réformer les « règles fiscales internationales » afin d’endiguer l’évitement fiscal par les entreprises multinationales. Les rapports finaux concernant ces actions ont été rendus publics le 5 octobre 2015 6. Depuis, des progrès ont été réalisés à plusieurs égards. Cependant, malgré les efforts de l’OCDE et du G20, la communauté internationale ne parvient pas à s’entendre quant à la manière de taxer les multinationales du numérique.
En octobre 2019, constatant qu’un nombre croissant de pays ne veulent plus attendre la conclusion d’une entente internationale et prennent des mesures unilatérales afin de taxer certaines multinationales, y compris celles de l’économie numérique, le secrétaire général de l’OCDE a proposé une approche unifiée pour taxer les multinationales afin de relancer les négociations entre les pays en vue d’une entente internationale d’ici la fin de 2020 7.
Cette publication brosse un portrait général de la législation canadienne applicable en matière d’imposition des sociétés afin d’expliquer pourquoi certaines sociétés multinationales du numérique, souvent appelées les « GAFA » en référence à Google, Apple, Facebook et Amazon, peuvent légalement éviter de verser les impôts canadiens. On y analyse ensuite certaines mesures proposées par l’OCDE dans le cadre du Plan d’action BEPS. Finalement, on y résume les mesures unilatérales que l’Union européenne, la France et le Royaume-Uni ont récemment élaborées pour taxer les multinationales du numérique.
Au Canada, les sociétés sont assujetties à l’impôt sur le revenu différemment selon leur résidence fiscale. Les sociétés résidant au Canada doivent payer l’impôt canadien sur leur revenu mondial, tandis que les sociétés étrangères sont redevables de l’impôt canadien uniquement sur le revenu tiré d’une entreprise au Canada 8. Comme il est expliqué dans la prochaine section, il est facile pour les multinationales de l’économie numérique de se soustraire à l’impôt canadien, et ce, tout en respectant la législation actuellement en vigueur qui, selon plusieurs observateurs, est inadaptée à l’économie moderne.
Selon le paragraphe 250(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), une société est généralement réputée résidente fiscale du Canada si elle y a été constituée 9. Une société peut également être résidente fiscale du Canada en vertu du principe de common law qui établit qu’une société réside dans le pays où elle exerce sa gestion centrale et son contrôle 10. En règle générale, la gestion centrale et le contrôle d’une société sont exercés là où les membres du conseil d’administration se rencontrent et tiennent leurs réunions. Pour les autorités fiscales canadiennes, une société étrangère ne doit donc pas avoir été constituée au Canada ni y exercer sa gestion centrale et son contrôle.
Notons que les conventions fiscales bilatérales, y compris celles dont le Canada est partie, définissent généralement la résidence des sociétés aux fins de leur application respective. Les conventions fiscales ayant priorité sur la législation interne, il convient de se reporter à chacune des conventions qui s’appliquent pour déterminer le statut de résidence d’une société. Par exemple, conformément au paragraphe 250(5) de la LIR, lorsqu’une société qui serait par ailleurs aussi résidente du Canada est, conformément à l’article IV de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis, résidente des États Unis parce qu’elle y a été constituée, cette société est réputée résider aux États Unis aux fins de l’imposition de taxes 11.
L’alinéa 2(3)b) de la LIR prévoit qu’une société étrangère qui exploite une entreprise au Canada au sens de l’article 253 de la même loi est assujettie à l’impôt canadien sur le revenu qu’elle a gagné au Canada par l’intermédiaire de cette entreprise. Cette règle de base de l’assujettissement à l’impôt sur le revenu des sociétés respecte un principe de fiscalité internationale reconnu, celui du droit d’un pays d’imposer le revenu tiré des activités exercées à l’intérieur de ses frontières 12.
En vertu de l’article 253 de la LIR, une société non résidente sera réputée exploiter une entreprise au Canada si, notamment :
a) elle produit, cultive, extrait, crée, manufacture, fabrique, améliore, empaquette, conserve ou construit, en totalité ou en partie, quoi que ce soit au Canada […];
b) elle sollicite des commandes ou offre en vente quoi que ce soit au Canada par l’entremise d’un mandataire ou préposé, que le contrat ou l’opération ait dû être parachevé au Canada ou à l’étranger ou en partie au Canada et en partie à l’étranger.
Les sociétés étrangères qui utilisent un site Web transactionnel pour offrir leurs produits ou services à des clients potentiels au Canada n’ont pas besoin d’un mandataire ou d’un préposé. Par conséquent, l’alinéa 253b) de la LIR ne peut trouver application lorsqu’il est question de ces sociétés 13.
Enfin, même si le gouvernement fédéral modifiait l’article 253 de la LIR de façon à assujettir à l’impôt sur le revenu les sociétés étrangères qui effectuent du commerce en ligne, cette modification ne s’appliquerait pas aux sociétés étrangères résidentes d’un pays avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale bilatérale, comme il est expliqué dans la prochaine section 14.
Même lorsqu’il est établi qu’une société étrangère exploite une entreprise au Canada en vertu de la législation interne, cette société peut généralement être exemptée de l’impôt canadien et uniquement payer l’impôt de son pays de résidence si elle respecte deux conditions. Premièrement, elle est résidente d’un pays avec lequel le Canada a signé une convention fiscale; deuxièmement, elle n’exploite pas d’entreprise au Canada par le biais d’un établissement stable au sens de la convention fiscale en question.
À titre d’exemple, l’article VII de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune 15 (la Convention) stipule notamment que :
[l]es bénéfices d’un résident d’un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que le résident n’exerce son activité dans l’autre État contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. Si le résident exerce ou a exercé son activité d’une telle façon, les bénéfices du résident sont imposables dans l’autre État, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable [SOULIGNÉ PAR L’AUTEUR].
Selon l’article V de la Convention, l’expression « établissement stable » désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle un résident d’un État contractant exerce tout ou une partie de son activité. Cette expression comprend notamment :
L’alinéa 6a) de l’article V de la Convention précise que l’usage d’installations aux fins de stockage, d’exposition ou de livraison de marchandises par une société non résidente ne constitue pas un établissement stable. De même, l’Agence du revenu du Canada (ARC) est d’avis qu’un site Web ne constitue pas un établissement stable en raison de son caractère intangible. Toutefois, un serveur qui héberge un site Web pourrait constituer un établissement stable selon l’ARC 16.
Le système actuel de conventions fiscales bilatérales, qui comprend plus de 3 500 conventions 17, repose sur des principes établis dans les années 1920 et se concentre sur l’élimination de la double imposition susceptible de se produire dans les échanges et les investissements transnationaux. Autrement dit, il vise à éviter que deux États imposent la même entreprise relativement à un même revenu. Selon les experts, les conventions fiscales bilatérales réussissent bien à empêcher la double imposition. Toutefois, dans une économie de plus en plus mondialisée et numérisée, le système actuel de conventions fiscales bilatérales peut également favoriser l’absence d’imposition qui résulte d’interactions entre plus de deux pays 18.
La décision de mars 2019 de la Cour administrative d’appel de Paris dans l’affaire visant Google Ireland Limited illustre bien cette situation 19. Dans cette affaire, les autorités fiscales françaises réclamaient 1,1 milliard d’euros à la société Google Ireland Limited en cotisations d’impôt sur des revenus provenant de la vente de publicité en France par l’intermédiaire de la société à responsabilité limitée unipersonnelle Google France. Dans sa décision, la Cour administrative d’appel de Paris a statué que Google Ireland Limited n’était pas assujettie à l’impôt en France, car elle y faisait des affaires sans utiliser un établissement stable en vertu de l’article 4 de la convention fiscale France-Irlande. Google France ne constituait pas un établissement stable, notamment parce qu’elle n’avait pas le pouvoir de conclure des contrats au nom de Google Ireland Limited. Sur le même sujet, dans un article publié en 2017, les auteurs Gérard Haas et Florian Perretin constatent l’efficacité de la technique utilisée par les GAFA, laquelle consiste à vider de leur substance les succursales établies dans un État afin qu’elles ne puissent pas être qualifiées d’établissements stables par les autorités fiscales du pays dans lequel elles exercent des activités 20.
En réponse à cette situation, le rapport final concernant l’une des actions du Plan d’action BEPS OCDE/G20, intitulé « L’élaboration d’un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales bilatérales », conclut qu’un instrument multilatéral permettant aux États de modifier rapidement leurs conventions fiscales bilatérales en vue de mettre en œuvre les mesures élaborées dans le cadre du Plan d’action BEPS est souhaitable et possible 21. En novembre 2016, une centaine de pays ainsi que sept organisations internationales ou régionales ont conclu des négociations sur la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, plus communément appelée l’instrument multilatéral (IM).
Le 7 juin 2017, 76 pays, dont le Canada, se sont réunis à Paris pour la signature officielle de l’IM. Selon l’OCDE, l’IM contribuera à lutter contre les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices de différentes façons :
L’utilisation abusive des conventions fiscales est à l’origine de nombreuses pratiques [d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices (BEPS)]. L’IM transpose les mesures BEPS relatives aux conventions fiscales dans les conventions fiscales bilatérales existantes afin de lutter contre ce phénomène. Il le fait en modifiant les conventions fiscales de façon synchronisée et efficace et en mettant en œuvre les mesures relatives aux conventions fiscales élaborées au cours du Projet BEPS visant à empêcher l’utilisation abusive des conventions [fiscales], améliorer le règlement des différends, prévenir l’évitement artificiel du statut d’établissement stable et neutraliser les effets des dispositifs hybrides 22.
Le Parlement du Canada a adopté le projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, qui a reçu la sanction royale le 21 juin 2019 23. L’IM, qui est entré en vigueur au Canada le 1er décembre 2019, aura une incidence sur certaines des conventions du Canada à partir de 2020 en fonction du moment où les pays cosignataires de ces conventions avec le Canada approuveront individuellement l’IM et déposeront leurs instruments de ratification auprès de l’OCDE. Le 29 août 2019, le Canada a déposé la liste de ses réserves au sujet de certains articles de l’IM 24. Notons que seuls les articles à propos desquels le Canada et ses cosignataires n’émettent aucune réserve s’appliqueront à la convention fiscale en question. À ce jour, 94 pays sont signataires de l’IM 25. Soulignons que les États Unis ne figurent pas au nombre de ces signataires.
L’IM peut produire les mêmes effets qu’une renégociation simultanée de milliers de conventions fiscales bilatérales 26, ce qui risquerait de prendre des années selon la méthode conventionnelle de négociations bilatérales. Il ne fait aucun doute que cet évènement représente une étape importante dans l’évolution du régime fiscal international, mais il reste à voir si l’IM atteindra tous ses objectifs. Son adoption par 94 pays, auxquels pourraient s’en ajouter d’autres, est certes une importante réalisation, mais sa portée est limitée par l’absence des États-Unis – la première puissance économique mondiale – ainsi que par le fait que d’autres membres de l’OCDE, dont le Canada, n’ont accepté qu’un ensemble limité de dispositions pour l’instant.
Enfin, l’IM peut être un outil important dans la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, mais ce n’est pas une panacée. La conclusion d’une entente internationale plus exhaustive sur la taxation des multinationales, notamment celles du numérique, à laquelle les États Unis seraient partie, est l’objectif ultime du Plan d’action BEPS. Cependant, les négociations se sont avérées difficiles et stagnaient jusqu’à tout récemment.
Le 31 mai 2019, les pays et territoires membres du Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 27 ont adopté un programme de travail pour définir la marche à suivre en vue d’aboutir à la conclusion d’une entente internationale sur la perception d’impôts auprès des multinationales du numérique 28. En juin 2019, les ministres des Finances des pays membres du G7 ont adopté ce programme de travail. Il s’agissait de la première fois que tous les pays membres du G7, y compris les États Unis, s’entendaient sur le principe de la taxation des activités des multinationales du numérique, même en l’absence de « présence physique » sur un territoire donné. Ce programme de travail repose sur deux principaux piliers :
Le 9 octobre 2019, afin de relancer des négociations difficiles entre les pays et d’atteindre l’objectif d’une entente internationale d’ici la fin de 2020, l’OCDE a publié un document de consultation publique reflétant les derniers développements des travaux de l’OCDE sur les défis de nature fiscale qui découlent de la numérisation de l’économie, ainsi qu’une proposition d’approche unifiée 29.
Le 31 janvier 2020, les pays et territoires membres du Cadre inclusif sur le BEPS ont réaffirmé leur engagement à trouver une solution à long terme aux défis de nature fiscale que soulève la numérisation de l’économie, et annoncé la poursuite des négociations en vue d’un accord d’ici la fin de 2020 30.
Constatant que la communauté internationale tarde à se mettre d’accord sur la manière de taxer les multinationales, particulièrement celles du numérique, certains pays et organisations internationales ont mis de l’avant leurs propres mesures pour imposer les multinationales du numérique.
En mars 2018, la Commission européenne, l’organe exécutif de l’Union européenne (UE), a annoncé deux propositions législatives largement inspirées des travaux de l’OCDE. Ces propositions visent à s’assurer que les multinationales du numérique paient leur juste part d’impôt.
La première proposition concerne l’élargissement de la définition du terme « établissement stable » pour y inclure les situations où une entreprise est engagée dans une activité économique considérable grâce à une « présence numérique ». Cela permettrait aux États membres de l’UE de taxer les bénéfices générés à l’intérieur de leurs frontières même si une entreprise n’y est pas physiquement présente. Selon cette proposition, on considérerait qu’une plateforme numérique a mis en place un établissement stable virtuel dans un État membre de l’UE si elle satisfait l’un des critères suivants :
La deuxième proposition concerne l’imposition d’une taxe provisoire sur certains revenus générés par des activités où les utilisateurs jouent un rôle majeur dans la création de valeur, soit les revenus :
Les recettes fiscales seraient perçues par les États membres de l’UE où se trouvent les utilisateurs, et la taxe ne s’appliquerait qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est d’au moins 750 millions d’euros mondialement et 50 millions d’euros dans l’UE. Selon les estimations de la Commission européenne, les États membres pourraient ainsi récolter des recettes annuelles de 5 milliards d’euros si la taxe était appliquée à un taux de 3 % 33.
Le 12 mars 2019, le projet d’une taxe européenne visant les multinationales du numérique a reçu l’appui de 24 des 28 pays de l’UE, mais puisque l’unanimité était nécessaire pour l’adoption du projet, ce dernier a été suspendu. L’Irlande, la Suède, le Danemark et la Finlande se sont opposés au projet. Toutefois, selon le Commissaire européen aux affaires économiques,
[e]n 2020, si nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord international, nous devons continuer à avancer. La Commission européenne n’a pas l’intention de retirer son projet de la table, ce n’est pas la fin, il n’est pas mort 34.
Le 11 juillet 2019, le Sénat français a adopté une loi instaurant une taxe sur les revenus des multinationales du numérique de 3 % sur le chiffre d’affaires réalisé en France. Seules les entreprises dont les revenus annuels dépassent 750 millions d’euros dans le monde et 25 millions d’euros en France sont touchées par la mesure. Cette taxe s’applique notamment sur les revenus tirés de la publicité ciblée en ligne, de la vente de données à des fins publicitaires et de la mise en relation des internautes par les plateformes numériques. Elle ne s’applique toutefois pas aux ventes directes aux consommateurs réalisées en ligne. Selon le document de politique, cette mesure serait temporaire et la France la supprimerait à la faveur d’une entente internationale.
En réponse à la taxe sur les services numériques de la France, le Bureau du représentant américain au commerce a lancé une enquête au titre de l’article 301 de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur des États-Unis pour déterminer si cette taxe constituait une pratique commerciale déloyale. Le 26 août 2019, dans la foulée du Sommet du G7 à Biarritz, en France, des médias ont rapporté que les représentants français et américains étaient parvenus à une entente concernant la nouvelle taxe française sur les services fournis par les grandes entreprises du numérique. Selon les modalités de cette entente, la France rembourserait aux entreprises la différence entre sa taxe sur les services numériques et tout autre impôt ou taxe qui découlerait d’une éventuelle entente internationale 35. Selon les estimations du gouvernement français, cette taxe générerait des recettes annuelles de 400 millions d’euros la première année et de 650 millions d’euros en 2022 36.
Le 1er octobre 2019, à la suite de l’imposition de la taxe sur les services numériques en France, la société américaine Amazon a augmenté de 15 à 15,45 %, soit de 3 %, la commission qu’elle perçoit auprès des entreprises françaises qui vendent des produits par l’intermédiaire de sa plateforme en France. Amazon s’attendait à ce que plusieurs de ces entreprises augmentent le prix de leurs produits vendus en ligne en raison de cette taxe. Cette hausse de prix aurait pu cependant réduire les écarts de prix qui existent généralement entre les produits vendus en ligne par les multinationales du numérique et les produits vendus par les détaillants qui ont un établissement stable en France et qui, par conséquent, doivent y payer des impôts.
Toutefois, à la suite du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, en janvier 2020, la France, sous pression de représailles de la part des États-Unis, a choisi de reporter temporairement l’application de cette taxe. En contrepartie, les Américains ont suspendu les sanctions commerciales qu’ils menaçaient d’appliquer sur des produits français, comme le vin 37.
Le 29 octobre 2018, le Royaume-Uni a proposé une taxe sur les services numériques dans le cadre de sa proposition budgétaire de 2018 38. Cette taxe serait prélevée à partir du 1er avril 2020 et correspondrait à un pourcentage de 2 % des revenus de certaines entreprises numériques qui tirent profit de leurs interactions avec des utilisateurs britanniques. Les revenus assujettis à cette taxe comprendraient les recettes provenant des moteurs de recherche, des plateformes de médias sociaux et des places de marché en ligne que les Britanniques utilisent. Le terme « utilisateur » est défini au sens large et peut comprendre des interactions telles que le versement d’un paiement ou la simple navigation sur le site, ce qui génère des « clics ».
La taxe ne s’appliquerait qu’aux entreprises dont les revenus annuels attribuables à la participation d’utilisateurs britanniques dépassent 25 millions de livres sterling et dont certaines activités (moteurs de recherche, plateformes de médias sociaux et places de marché en ligne) génèrent des revenus annuels mondiaux d’au moins 500 millions de livres sterling. La mesure prévoit également une exemption pour les entreprises déficitaires ainsi qu’un taux d’imposition réduit pour les entreprises dont les marges bénéficiaires sont très faibles. Les détails de cette taxe seront précisés dans un projet de loi qui devrait être déposé au Parlement britannique en avril 2020. Comme le gouvernement français, le gouvernement britannique s’est engagé à supprimer sa propre taxe sur les services numériques une fois qu’une entente internationale appropriée aura été mise en place.
Le gouvernement britannique estime que la taxe sur les services numérique pourrait générer des revenus annuels de 275 millions de livres sterling en 2020, pour ensuite atteindre 440 millions de livres sterling en 2024 39.
Les efforts déployés lors de la rencontre des ministres des Finances des pays du G7 à Chantilly, en France, en juillet 2019, du Sommet du G7 à Biarritz, en France, qui a pris fin en août 2019, et du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, en janvier 2020, font en sorte qu’il est possible de croire que l’ensemble des pays et territoires membres du Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 semblent plus près que jamais auparavant de conclure une entente internationale pour instaurer une taxe internationale sur les revenus des multinationales, y compris celles du numérique.
Dans sa plateforme électorale pour l’élection fédérale de 2019, le Parti libéral du Canada, qui forme un gouvernement minoritaire depuis l’élection, s’est engagé à veiller « à ce que les géants du Web paient de l’impôt sur les recettes qu’ils génèrent au Canada 40 ». En 2020, le gouvernement fédéral devra décider s’il met rapidement en place sa propre taxe sur les services des multinationales du numérique ou s’il attend la conclusion d’entente internationale prévue en 2020, ou plus tard en raison des retards constatés dans le cadre de négociations multilatérales antérieures.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
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