Le présent document donne une vue d'ensemble des différents facteurs et acteurs qui façonnent la politique d'immigration du Canada, met en lumière le cadre législatif, le rôle et la responsabilité des différents ordres de gouvernements, et présente quelques-uns des organes et des instruments incontournables dans le domaine.
En 2021, le Canada a accueilli 406 000 résidents permanents et le pays prévoit d'augmenter progressivement ses niveaux d'accueil pour atteindre 500 000 nouvelles admissions par an d'ici 2025. Ces niveaux seront ensuite maintenus en 2026. Cette augmentation vise à soutenir diverses priorités nationales telles que la résolution de la pénurie de main-d'œuvre, le respect des engagements humanitaires en réponse aux crises mondiales et le regroupement familial. Ces priorités renvoient aux objectifs de la politique d'immigration canadienne énoncés dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Ils comprennent, entre autres, le développement économique, l'octroi de l'asile aux personnes persécutées et la promotion de l'intégration des résidents permanents.
La politique d'immigration canadienne est mise en œuvre par le gouvernement fédéral en collaboration avec les provinces et les territoires avec lesquels il partage la compétence en matière d'immigration. Cependant, ce partage n'est pas uniforme, car les rôles et responsabilités diffèrent d'une province ou d'un territoire à l'autre; il permet toutefois à tous de jouer un rôle plus actif dans la sélection des immigrants de la catégorie de l'immigration économique afin de mieux répondre aux besoins spécifiques de leur marché du travail.
En ce qui a trait à la compétence fédérale, la LIPR est la principale loi régissant l'immigration, tandis que le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés constitue un important instrument de politique qui précise les procédures et les processus d'immigration. De plus, le gouvernement fédéral peut émettre des instructions ministérielles pour gérer de manière plus flexible et efficace le traitement des demandes d'immigration, ainsi que pour instaurer des programmes pilotes. Il peut aussi établir des lignes directrices opérationnelles qui permettent de veiller à l'application uniforme de la politique d'immigration, bien qu'elles n'aient pas force de loi. Ces lignes sont distribuées sous forme d'instructions, de bulletins ou de guides opérationnels.
La Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada exerce également une fonction essentielle. Il s'agit d'un tribunal administratif divisé en quatre sections dotées de divers mandats, dont le traitement des demandes d'asile faites au Canada et le contrôle des motifs de détention. Quant à elles, les cours de justice rendent régulièrement des décisions qui influencent la mise en œuvre de la politique d'immigration.
Depuis 2018, le Canada a accueilli plus de 320 000 résidents permanents chaque année, à l'exception de l'année 2020 1. Cependant, en 2021, un nombre record – dans l'histoire du pays – de résidents permanents ont été admis en une seule année, soit plus de 406 000 2. De plus, un nombre accru de personnes viennent au Canada pour visiter le pays, y étudier ou y travailler temporairement. Les objectifs de la politique canadienne en matière d'immigration sont clairement énoncés dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR). On compte notamment les objectifs suivants :
Afin d'atteindre ces objectifs, le gouvernement établit des politiques et des programmes, notamment dans les domaines suivants :
En outre, de concert avec les provinces et les territoires – avec qui il partage la compétence en matière d'immigration – le gouvernement fédéral fixe, dans le Plan pluriannuel des niveaux d'immigration 5, le nombre d'immigrants qui seront acceptés chaque année dans chacune des catégories. Ce plan prévoit précisément le nombre maximum et minimum d'immigrants et de réfugiés pour chaque catégorie d'immigration permanente et chaque programme pilote instauré. Il est revu annuellement par le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté afin de rajuster les niveaux prévus, au besoin. Il s'agit d'un document de politique important qui précise la manière dont les ressources d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) 6 seront affectées et dévoile la vision qu'a le gouvernement du rôle de l'immigration au sein de la société canadienne.
Le présent document se veut un survol des principaux instruments utilisés dans l'élaboration des politiques d'immigration au Canada. Il décrit, entre autres choses, le cadre législatif fédéral et le partage de la compétence en matière d'immigration entre les différents ordres de gouvernement. Il donne également un aperçu de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) et du rôle des tribunaux en ce qui a trait à l'immigration.
En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, l'immigration est une compétence partagée entre le fédéral et les provinces 7. Pour ce qui est des territoires, qui ne font pas partie du partage des compétences prévu à cette loi, une compétence en matière d'immigration similaire à celle des provinces leur a été déléguée par voie législative 8.
Du fait de ce caractère partagé de la compétence en matière d'immigration, la collaboration entre les différents ordres de gouvernement s'avère indispensable au bon fonctionnement du système d'immigration dans son ensemble. Des accords en matière d'immigration ont conséquemment été adoptés entre le gouvernement fédéral et l'ensemble des provinces et territoires 9, à l'exception du Nunavut 10.
Dans les provinces autres que le Québec, le gouvernement fédéral est responsable
de formuler les exigences en matière d'admission, de fixer les niveaux nationaux d'immigration, de définir les catégories d'immigration, de prendre des décisions concernant les demandes d'asile présentées au Canada, de réunir les familles et d'établir les critères d'admissibilité pour les programmes d'établissement 11.
Au sein du gouvernement fédéral, l'application de la LIPR relève du ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté ainsi que du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Par défaut, le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est responsable d'administrer la LIPR dans les secteurs où aucun responsable n'est désigné 12.
Pour sa part, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est responsable des volets suivants :
Certains aspects de la LIPR relèvent à la fois du ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté et de celui de la Sécurité publique et de la Protection civile 14.
Le ministère de l'Emploi et du Développement social ainsi que le ministre de la Justice jouent également un rôle limité en matière d'immigration. Les responsabilités du ministère de l'Emploi et du Développement social consistent à évaluer les répercussions de l'immigration sur le marché du travail, tandis que celles du ministre de la Justice concernent les avocats spéciaux qui protègent les intérêts des non‑citoyens visés par un certificat de sécurité.
La LIPR est la principale loi régissant la politique d'immigration. Elle détermine de manière générale qui peut être admis au Canada et pour quelles raisons, définit les recours qui s'offrent aux personnes qui ne sont pas autorisées à rester au pays et prévoit comment doit s'effectuer le renvoi de ces personnes, le cas échéant. La LIPR établit trois grandes catégories au titre desquelles une personne peut acquérir le statut de résident permanent : regroupement familial, immigration économique et immigration pour des motifs d'ordre humanitaire. En outre, elle définit les exigences concernant les visiteurs et prévoit l'octroi de permis d'études et de permis de travail temporaire.
À titre de loi-cadre, la LIPR ne contient aucun détail quant aux procédures et programmes liés à l'immigration; il s'agit plutôt d'une loi habilitante qui prévoit la prise de règlements pour préciser ces procédures et programmes. Cela signifie que le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (RIPR) constitue un important instrument de politique. Par l'intermédiaire de la LIPR, le Parlement a confié au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements relatifs à l'immigration 15.
L'une des dernières modifications majeures à la LIPR consiste en une mise à jour des instructions relatives à l'exécution du programme Entrée express 16, comme il est précisé dans le projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d'autres mesures (sanctionnée le 23 juin 2022) 17. Plus particulièrement, l'article 11.2 de LIPR a été modifié afin de permettre la sélection de demandes de résidence permanente « en fonction d'attributs clés qui appuient les priorités économiques, comme une expérience de travail précise ou la connaissance du français 18 ». Ce nouveau processus de sélection axée sur les catégories (ensembles) s'ajoute aux rondes générales d'invitations et aux rondes propres au programme Entrée express 19.
Quelques exemples permettent d'illustrer l'importance du RIPR comme instrument de politique. Les articles 78 à 83 du RIPR établissent la grille de sélection des travailleurs qualifiés du volet fédéral – qui constituent une sous-catégorie de l'immigration économique – et précisent la manière dont les points doivent être attribués aux demandeurs en fonction de leurs études, de leurs compétences linguistiques, de leur expérience, de leur âge, de l'existence d'un emploi réservé ou encore de leur capacité d'adaptation 20. Pour sa part, l'article 12.1 du RIPR dresse la liste des demandes au titre de la LIPR pour lesquelles il est nécessaire de fournir des renseignements biométriques (photographie et empreintes digitales), tandis que l'article 12.3 définit la procédure à suivre pour collecter ces renseignements 21.
La prise de règlements est un processus au cadre juridique rigoureux qui nécessite l'enregistrement et la publication des règlements dans la Gazette du Canada 22. De plus, la Directive du Cabinet sur la réglementation prévoit, entre autres choses, que les organismes de réglementation doivent consulter les Canadiens et publier une analyse des répercussions potentielles de chaque initiative de réglementation 23.
Certains règlements en matière d'immigration font l'objet d'un examen parlementaire. Plus précisément, tous les règlements proposés en vertu des dispositions suivantes de la LIPR doivent être présentés au Sénat et à la Chambre des communes, puis renvoyés au comité concerné de chacune des Chambres :
Lors de l'adoption de la LIPR, le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté a obtenu le pouvoir de formuler des instructions ministérielles à l'intention des agents d'immigration. En 2008, cet outil de gestion des demandes d'immigration est devenu plus visible et plus important à la suite de modifications législatives 25.
Puisque les instructions ministérielles ne sont pas des textes réglementaires, elles ne sont pas assujetties aux mêmes exigences que les règlements en ce qui concerne la consultation et la publication. Les changements administratifs se font beaucoup plus rapidement à l'aide d'instructions ministérielles qu'à l'aide de lois ou de règlements. Par conséquent, les instructions ministérielles confèrent au ministre et à IRCC plus de flexibilité pour concrétiser les plans pluriannuels des niveaux d'immigration.
L'un des principaux objectifs des instructions ministérielles est d'améliorer l'efficacité du processus de traitement des demandes. Des instructions ministérielles ont donc été utilisées pour fixer des plafonds pour certaines catégories d'immigration, pour suspendre ou reprendre le traitement de demandes et pour retourner des demandes lorsque le plafond est atteint. Au fil du temps, de nouvelles dispositions ont été ajoutées à la LIPR pour qu'il soit possible de formuler des instructions ministérielles visant d'autres objectifs, comme la mise sur pied de programmes pilotes relatifs à de nouvelles catégories d'immigration économique.
Ainsi, plusieurs programmes pilotes ont été introduits dans les dernières années par le biais d'instructions ministérielles 26. Notons, à titre d'exemple :
La politique canadienne en matière d'immigration est mise en œuvre au moyen de centaines de milliers de décisions prises principalement par les agents d'immigration d'IRCC (au Canada et à l'étranger), les agents de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et les commissaires de la CISR. Pour veiller à l'application uniforme du cadre législatif, des lignes directrices sont établies et diffusées sous forme d'instructions, de bulletins et de guides opérationnels et, dans le cas de la CISR, sous forme de directives du président 34. Bien que ces lignes directrices n'aient pas force de loi, les tribunaux ont déterminé qu'elles sont « “une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir” conféré par l'article applicable de la LIPR 35 ».
La CISR est une institution qui joue un rôle important dans le cadre de la politique canadienne en matière d'immigration. Il s'agit d'un tribunal administratif composé de quatre sections, chacune dotée d'un mandat et d'un ensemble de règles distincts 36. Par l'intermédiaire de la CISR, le Canada s'acquitte d'engagements qu'il a pris à l'échelle internationale. En effet, une section de la CISR examine les demandes d'asile soumises au Canada et une autre, la Section d'appel des réfugiés, entend les appels concernant les décisions relatives au statut de réfugié 37. En outre, la CISR joue un rôle important dans l'exécution de la LIPR par l'intermédiaire de la Section de l'immigration, qui tient des audiences sur l'interdiction de territoire et effectue des contrôles des motifs de détention. Pour sa part, la Section d'appel de l'immigration entend les appels des décisions relatives à la catégorie du regroupement familial, aux mesures de renvoi et aux obligations en matière de résidence permanente, ainsi que les appels que le ministre interjette au sujet des décisions de la Section de l'immigration 38.
Comme les agents d'immigration exercent un pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré quant au traitement des demandes d'immigration, les tribunaux ont grandement influencé la manière dont la politique d'immigration est appliquée. Bien que de nombreuses décisions prises en vertu de la LIPR puissent être renvoyées en vue d'un contrôle judiciaire, une autorisation doit être obtenue auprès de la Cour fédérale avant que ce droit puisse être exercé 39. Le demandeur doit convaincre le tribunal que la demande soulève une question importante de portée générale 40. En outre, si la LIPR prévoit des mécanismes de contrôle des décisions, ces mécanismes doivent être épuisés avant qu'une demande de contrôle judiciaire puisse être présentée 41.
Le rôle des provinces et des territoires en matière d'immigration n'est pas uniforme et s'est transformé considérablement au fil du temps. Aujourd'hui, la plupart des provinces et des territoires considèrent l'immigration comme partie intégrante de leurs objectifs économiques et, par conséquent, s'acquittent de leurs responsabilités de manière plus proactive.
En vertu de l'Accord Canada-Québec relatif à l'immigration et à l'admission temporaire des aubains (l'Accord) de 1991, le gouvernement du Québec est responsable de la sélection de tous les immigrants de la catégorie de l'immigration économique qui veulent s'établir sur son territoire 42. En outre, selon l'Accord, le Québec sélectionne, à partir d'un bassin de candidats approuvés par IRCC, les réfugiés qui se réinstalleront dans la province et doit accueillir un pourcentage fixe du nombre total de réfugiés que le Canada accueille. Le Québec est également responsable des programmes d'établissement. Pour aider le Québec à s'acquitter de ces responsabilités, IRCC remet au gouvernement de la province un montant forfaitaire compensatoire déterminé selon une formule établie dans l'Accord.
D'autres provinces assument elles aussi davantage de responsabilités en ce qui a trait à la sélection des immigrants de la catégorie de l'immigration économique, mais leurs responsabilités ne sont pas aussi étendues que celles du Québec. Cette transition découle d'une série d'accords bilatéraux, le premier ayant été conclu en 1996 avec le Manitoba. Bien que les accords entre le gouvernement fédéral et chaque province et territoire diffèrent les uns des autres, chacun prévoit l'établissement d'un programme de candidats des provinces (PCP) qui permet la désignation des immigrants au titre de la catégorie de l'immigration économique 43. Dans le cadre de ces programmes, les provinces et les territoires conçoivent leurs propres programmes d'immigration de la catégorie économique de manière à répondre aux besoins uniques de leur marché du travail. Il incombe tout de même au gouvernement fédéral de déterminer si les personnes désignées peuvent être admises au pays ou non. Le gouvernement fédéral veille également à la conformité des PCP à la LIPR et à la politique d'immigration 44.
À l'heure actuelle, il y a environ 60 à 80 volets d'admission prévus dans le cadre des divers PCP à travers toutes les provinces. Ces volets ciblent certains groupes comme les étudiants, les gens d'affaires ou encore les travailleurs spécialisés et semi‑spécialisés 45. La proportion d'immigrants économiques qui arrivent au Canada dans le cadre des PCP est passée de 1 % en 2000 à 35 % en 2019, devenant cette année-là le programme de sélection le plus important de la catégorie de l'immigration économique 46. Certains éléments des programmes ont été reconnus officiellement dans des accords subséquents au fil de l'évolution des PCP. Le gouvernement fédéral a notamment fixé des exigences linguistiques minimales pour les candidats peu spécialisés et a pris des mesures afin de régler des problèmes touchant à l'intégrité des programmes.
Actuellement, le Québec est la seule province responsable des programmes d'établissement des immigrants sur son territoire. Pendant plus de dix ans, les gouvernements du Manitoba et de la Colombie‑Britannique ont été responsables de ces programmes sur leur territoire, mais cette compétence leur a été retirée en 2013 et en 2014 respectivement, lorsque le gouvernement fédéral a mis fin aux accords à cet effet 47. Dans toutes les provinces, sauf au Québec, IRCC finance les programmes d'établissement en versant des contributions à plus de 550 fournisseurs de services 48, dans cinq domaines distincts :
Des services de soutien sont également financés par IRCC, comme la garde d'enfants, l'aide au transport, la traduction et l'interprétation, le soutien pour les personnes handicapées et le counseling en cas de crise 50.
L'atteinte des objectifs du Canada en matière d'immigration, énoncés dans la LIPR, relève tant du gouvernement fédéral que des gouvernements provinciaux et territoriaux. En outre, chaque ordre de gouvernement établit ses propres objectifs selon sa sphère de responsabilités.
À l'échelon fédéral, la politique canadienne en matière d'immigration est caractérisée par une loi‑cadre qui établit les paramètres généraux et accorde un pouvoir discrétionnaire considérable au ministre, lui-même chargé de conseiller le gouverneur en conseil sur la réglementation et de formuler des instructions ministérielles. Un pouvoir discrétionnaire est également conféré aux agents d'immigration, aux agents des services frontaliers et aux commissaires de la CISR qui prennent des décisions concernant les demandes d'immigration. Dans ce contexte, l'examen parlementaire constitue un important moyen de rendre des comptes. Ainsi, le Parlement reçoit le Rapport annuel au Parlement sur l'immigration 51 et étudie les dispositions réglementaires et législatives déposées, tandis que les comités mènent des études sur les activités d'IRCC, de l'ASFC et de la CISR.
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