Dans le système de justice pénale du Canada, il arrive parfois que des personnes soient reconnues coupables de crimes qu’elles n’ont pas commis. Ces erreurs sont dites des « condamnations injustifiées ».
Le nombre de condamnations injustifiées au Canada est inconnu. Cette situation s’explique en partie par le fait qu’il est très difficile pour les personnes condamnées à tort d’établir leur innocence.
Habituellement, les erreurs judiciaires peuvent être corrigées au moyen d’une révision judiciaire ou d’appels interjetés auprès d’instances supérieures. Au terme de ce processus, les personnes qui estiment avoir été condamnées à tort peuvent demander au ministre fédéral de la Justice d’examiner leur condamnation. Le ministre doit évaluer tous les facteurs pertinents, notamment les nouvelles preuves dans l’affaire, pour statuer sur la probabilité d’une condamnation injustifiée.
Si le ministre détermine qu’une condamnation injustifiée a probablement eu lieu, plusieurs options s’offrent à lui, notamment renvoyer l’affaire devant une cour d’appel ou ordonner un nouveau procès.
Les condamnations injustifiées peuvent toucher certains groupes plus que d’autres. Par exemple, les femmes, les jeunes et les Autochtones subissent différentes formes de pressions pour reconnaître leur culpabilité. De plus, le processus de révision des condamnations criminelles peut prendre plusieurs années, ce qui peut le rendre moins utile aux personnes qui purgent des peines plus courtes.
Plusieurs enquêtes publiques ont porté sur des condamnations injustifiées particulières. Elles ont mis en évidence certains facteurs qui contribuent aux condamnations injustifiées, notamment les préjugés raciaux, les témoins peu fiables et une vision tunnel. Elles ont aussi débouché sur des recommandations pour améliorer le système de justice.
Une recommandation constante a été d’envisager la création d’un organe indépendant chargé d’examiner les condamnations injustifiées, calqué sur le système utilisé au Royaume Uni. Des partisans de cette idée font valoir que cela rendrait le processus de révision des condamnations criminelles plus accessible et plus transparent. Le gouvernement fédéral étudie cette option.
Pour être légitime, le système de justice pénale doit être à la fois équitable et efficace. Lorsqu’il ne satisfait pas à ces normes, le coût humain peut être substantiel et la confiance du public peut être ébranlée.
Même si l’on présume qu’elles sont rares, les condamnations injustifiées figurent parmi les formes les plus graves de défaillances du système de justice pénale. À son niveau le plus élémentaire, une condamnation injustifiée survient lorsqu’une personne innocente est reconnue coupable d’un crime.
L’expression « erreur judiciaire » est parfois utilisée pour décrire les cas dans lesquels une condamnation injustifiée a été établie ou est probable, sur la base des éléments de preuve disponibles 1. On peut dire qu’une erreur judiciaire est survenue chaque fois qu’est présentée une nouvelle preuve digne de foi qui aurait pu avoir une incidence sur le verdict 2. Autrement dit, une erreur judiciaire peut être considérée comme une condamnation injustifiée potentielle. Cette distinction peut être importante dans certains contextes, mais dans le présent document, nous utiliserons en général les expressions « condamnation injustifiée » et « erreur judiciaire » de façon interchangeable.
La nature même des condamnations injustifiées fait qu’elles risquent de ne pas être détectées et c’est pourquoi il est impossible d’en connaître le nombre précis au Canada 3. L’établissement de l’existence d’une condamnation injustifiée nécessite souvent une persistance extraordinaire et de la chance, par exemple lorsqu’une avancée technique jette un nouvel éclairage sur d’anciens éléments de preuve ou que la découverte de nouveaux éléments de preuve désigne un suspect différent.
Au cours des dernières décennies, des condamnations injustifiées et des erreurs judiciaires très médiatisées ont donné lieu à plusieurs enquêtes publiques à l’échelle provinciale. Ces affaires comprennent les condamnations injustifiées de Donald Marshall Jr., de Guy Paul Morin et de David Milgaard, ainsi que les enquêtes publiques liées aux pratiques déficientes du procureur de la Couronne du Manitoba George Dangerfield et du pédopathologiste judiciaire de l’Ontario Charles Smith. Chaque enquête a abouti à une série de recommandations pour la réforme de la justice pénale, que nous examinerons dans les sections pertinentes ci-dessous.
Une recommandation constante formulée dans ces rapports a été de réfléchir ou de procéder à la mise en place d’un organe indépendant pour réviser les condamnations injustifiées alléguées. Des événements récents révèlent que le Canada pourrait tendre dans cette direction. En décembre 2019, dans une lettre de mandat, le premier ministre du Canada a chargé le ministre de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti, d’« [é]tablir une commission indépendante d’examen des affaires pénales pour faciliter et accélérer l’examen des demandes des personnes susceptibles d’avoir été condamnées à tort 4 ».
Dans le présent document, il est question de l’histoire des condamnations injustifiées au Canada, des lois et des pratiques actuelles concernant les personnes susceptibles d’avoir été condamnées à tort, des critiques de ces systèmes et des domaines de réforme possibles.
Les condamnations injustifiées ont probablement toujours été présentes dans le système de justice pénale du Canada dans une certaine mesure. L’un des premiers exemples est la condamnation et l’exécution potentiellement injustifiées de Patrick Whelan pour le meurtre en 1868 de l’un des « Pères de la Confédération », Thomas D’Arcy McGee 5.
La longue histoire du Canada en matière de procédures visant à corriger des condamnations injustifiées est une preuve supplémentaire de l’existence de longue date de telles condamnations. Plus particulièrement en ce qui nous occupe, depuis 1892, le ministre de la Justice du Canada jouit du pouvoir explicite d’examiner les éventuelles condamnations injustifiées. Le cadre juridique en vigueur qui régit ce pouvoir ministériel est en place depuis 2002 et il en sera question plus en détail sous la rubrique « Les lois et pratiques actuelles » 6.
Le cadre juridique en vigueur et les critiques qui en ont été faites ont été largement forgés et influencés par les condamnations injustifiées très médiatisées des dernières décennies. Les descriptions qui suivent portent sur certaines erreurs judiciaires qui ont fait l’objet d’un examen approfondi au cours des décennies précédentes et qui fournissent le contexte des discussions en cours sur d’éventuelles réformes.
En 1971, Donald Marshall Jr., un adolescent micmac de 17 ans, a été accusé à tort de meurtre. Il a ensuite été condamné et incarcéré pendant plus de dix ans avant d’être libéré et disculpé. Plusieurs défaillances systémiques ont contribué à la condamnation injustifiée de Marshall, mais son histoire représente une reconnaissance claire ayant valeur de précédent de l’existence de préjugés raciaux et d’une discrimination systémique ayant contribué à une condamnation injustifiée 7.
En 1986, le gouvernement de la Nouvelle Écosse a mis sur pied une commission royale d’enquête chargée de faire toute la lumière sur les erreurs commises dans l’affaire Marshall (l’enquête Marshall) et de formuler des recommandations afin d’éviter des erreurs similaires. Dans son rapport, l’enquête Marshall a répertorié des erreurs survenues pratiquement à toutes les étapes du processus, notamment :
L’enquête Marshall a formulé 82 recommandations, dont un grand nombre ont été adoptées, comme la création du Service des poursuites publiques de la Nouvelle Écosse en 1990 10, d’une division des relations raciales au sein de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle Écosse en 1991 (l’actuelle Division des relations raciales, de l’équité et de l’inclusion) 11 et d’un forum tripartite en 1997 pour régler les questions en suspens – y compris les questions de justice – entre les Micmacs, la province de la Nouvelle Écosse et le gouvernement fédéral 12.
D’autres recommandations ont été résolues indirectement, notamment les recommandations relatives aux obligations de divulgation de la Couronne. Ces dernières ont été largement abordées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Stinchcombe 13, qui a reconnu que la Couronne est tenue en droit de divulguer à la défense tous les renseignements pertinents.
L’enquête Marshall a aussi recommandé la création d’un mécanisme de révision indépendant doté de pouvoirs d’enquête pour réviser les condamnations injustifiées alléguées 14. Cette recommandation a été reprise dans des enquêtes publiques ultérieures et sera examinée plus en détail à la fin du présent document.
En octobre 1984, une fillette de neuf ans a été assassinée à Queensville, en Ontario. Les policiers ont rapidement concentré leur enquête sur un seul voisin sans casier judiciaire, Guy Paul Morin, au départ sans autre raison évidente que le fait qu’il avait été décrit comme « un “type bizarre” et un joueur de clarinette 15 ». Cette attention singulière portée à Morin a été un facteur déterminant dans sa condamnation injustifiée pour meurtre. Morin a été acquitté en 1995 après que de nouvelles preuves génétiques ont établi son innocence.
En 1996, le gouvernement de l’Ontario a ordonné la tenue d’une enquête publique afin de cerner les erreurs ayant contribué à la condamnation injustifiée de Morin et de formuler des recommandations.
Le rapport de la Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin (la Commission Kaufman) a souligné plusieurs pratiques déficientes qui ont contribué à la condamnation injustifiée de Morin, comme la mauvaise utilisation de preuves scientifiques 16. Plus précisément, l’analyse comparative de cheveux sur laquelle la poursuite s’est appuyée n’avait que peu de valeur, mais les limites de son utilité n’ont pas été expliquées de manière adéquate ou précise lors du procès.
Plus généralement, l’affaire Morin illustre le problème de la vision tunnel. Même si ce phénomène a joué un rôle dans l’affaire Marshall et dans de nombreuses autres condamnations injustifiées, la Commission Kaufman lui a accordé une attention particulière. Dans le rapport de la Commission Kaufman, ce problème de vision tunnel est défini comme « une polarisation sur une hypothèse particulière si tenace et si excessivement étroite qu’elle fausse l’évaluation des renseignements recueillis 17 ». Cette obsession visant Morin en tant que suspect a contribué à sa condamnation injustifiée et a peut être aussi entravé l’enquête sur le véritable meurtrier, qui n’a été identifié qu’en 2020 18. La vision tunnel a été si extrême dans cette affaire que certaines parties à l’enquête et à la poursuite ont continué à croire que Morin était coupable malgré la présence de preuves génétiques établissant son innocence 19.
Parmi les 119 recommandations de la Commission Kaufman, il est demandé de mieux expliquer aux membres du jury les limites des preuves médico-légales et d’envisager (en écho à l’enquête Marshall menée dix ans plus tôt) la possibilité de former un conseil d’examen des affaires pénales indépendant pour réviser les condamnations injustifiées. Le rapport insiste aussi sur la nécessité de modifier la culture policière afin d’éviter des problèmes systémiques, comme la vision tunnel. Tout en reconnaissant que les « techniques plus anciennes et les processus de pensée sont parfois profondément ancrés et difficiles à changer 20 », la Commission Kaufman recommande dans son rapport un examen introspectif de la culture policière et une formation continue des policiers et des procureurs de la Couronne sur la reconnaissance et l’évitement de la vision tunnel.
En janvier 1969, David Milgaard, alors âgé de 16 ans, est parti de Regina pour se rendre à Vancouver avec un groupe de jeunes. En passant par Saskatoon pour aller chercher un ami, Milgaard s’est arrêté à quelques pâtés de maisons de l’endroit où une femme avait été agressée sexuellement et assassinée. Milgaard a été accusé du meurtre, en grande partie sur la base de témoignages contradictoires de ses amis, qui ont fini par modifier leur récit pour qu’il corresponde à la théorie des policiers dans l’affaire. L’inspecteur qui a recueilli ces déclarations incriminantes n’a pas rédigé de rapport, ni pris de notes, ni produit de diagrammes polygraphiques, ni fourni une liste des questions qui avaient été posées aux témoins. Milgaard a été condamné à tort et incarcéré pendant près de 23 ans avant d’être libéré en avril 1992.
Le parcours de Milgaard vers la disculpation a été long et difficile et n’a commencé à faire des progrès qu’en 1991, lorsque son avocat a eu connaissance d’un nouveau suspect dans l’affaire et que l’un des témoins originaux s’est rétracté 21. Au cœur d’une campagne médiatique menée par la mère de Milgaard, le ministre de la Justice a renvoyé l’affaire à la Cour suprême du Canada pour obtenir son opinion. Selon la Cour suprême, un arrêt des procédures pouvait être justifié, mais la décision incombait au procureur général de la Saskatchewan. La Cour a conseillé au ministre d’annuler la déclaration de culpabilité de Milgaard, d’ordonner la tenue d’un nouveau procès et d’envisager l’octroi d’un pardon conditionnel à l’égard de toute peine imposée 22. Milgaard a été libéré après que le procureur de la Couronne a décidé de suspendre l’instance.
La suspension de l’instance a eu pour effet concret que Milgaard était libre, mais pas encore totalement disculpé. Cinq ans plus tard, en 1997, la correspondance des preuves génétiques avec le nouveau suspect dans l’affaire, et non avec Milgaard, a été établie et a entraîné des excuses officielles de la part du gouvernement de la Saskatchewan 23. En 2004, le gouvernement de la Saskatchewan a officiellement reconnu l’innocence factuelle de Milgaard. Ce dernier a reçu 10 millions de dollars en indemnisation négociée et une enquête publique a été menée 24.
La Commission d’enquête sur la condamnation injustifiée de David Milgaard (l’enquête Milgaard) a répertorié plusieurs problèmes relatifs aux tactiques employées par les services de police et la poursuite, notamment l’exercice de pressions sur des jeunes vulnérables d’une manière qui a conduit à des témoignages peu fiables et trompeurs contre Milgaard. Le rapport souligne que les « jeunes témoins et les jeunes accusés devraient être traités avec beaucoup de précautions et qu’une personne supplémentaire devrait être présente lors de la prise de déposition d’un jeune et qu’un enregistrement vidéo ou audio est nécessaire 25 ».
En plus des interrogatoires douteux et de la possibilité que des témoins aient été incités à mentir, le rapport révèle que la jeunesse de Milgaard l’avait rendu vulnérable aux effets de préjugés. Le rapport souligne que les préjugés de la société envers les jeunes – et les hippies en particulier – à l’époque de l’enquête et du procès avaient créé une « réelle possibilité que [Milgaard] soit considéré comme un dégénéré » 26, y compris par le jury. Ce préjugé a peut être contribué à la condamnation injustifiée de Milgaard.
Enfin, l’enquête Milgaard a elle aussi repris les appels en faveur d’un organisme indépendant de révision des condamnations pour remplacer la révision ministérielle, en soulignant que s’il y avait eu un tel organisme pour recenser de façon proactive les condamnations injustifiées, l’affaire Milgaard aurait pu être reconnue plus tôt comme une condamnation injustifiée. Un tel organisme pourrait contribuer à garantir que la révision d’éventuelles condamnations injustifiées soit non seulement factuellement à l’abri de considérations politiques, mais également perçue comme indépendante par le grand public, les personnes condamnées et les autres intervenants clés.
Plusieurs condamnations injustifiées très médiatisées ont été liées aux pratiques déficientes de l’ancien procureur de la Couronne du Manitoba George Dangerfield. Elles comprennent les condamnations injustifiées de Thomas Sophonow, James Driskell, Kyle Unger et Frank Ostrowski. Dangerfield a été le fil conducteur dans ces affaires, mais ses pratiques déficientes sont révélatrices de problèmes plus répandus au sein du système de justice pénale.
Les affaires Sophonow et Driskell ont donné lieu à deux enquêtes publiques distinctes, respectivement l’enquête Sophonow et l’enquête Driskell. Chacune a mis en cause Dangerfield concernant l’utilisation de pratiques qui ont entraîné des condamnations injustifiées et a fait ressortir l’importance de l’éthique de la poursuite. L’enquête Driskell, en particulier, a révélé que la conduite des procureurs de la Couronne dans cette affaire, y compris celle de Dangerfield, « n’atteignait pas le niveau des normes professionnelles en vigueur 27 ». Ces manquements se rapportaient principalement à des problèmes de non-divulgation.
L’une des pratiques particulièrement préoccupantes qui sont ressorties des deux enquêtes était le recours par Dangerfield à des délateurs incarcérés. Les délateurs incarcérés sont des personnes en attente de jugement ou de condamnation qui témoignent contre un autre accusé, souvent en échange de clémence dans leur propre affaire. Le témoignage de ces personnes peut parfois servir un objectif légitime, mais il manque souvent de crédibilité en raison d’éventuelles motivations à mentir. Dans certains cas, les préoccupations ont été amplifiées par le fait que Dangerfield ne divulguait pas à la défense qu’il avait conclu des ententes de cette nature avec des témoins.
Dans l’affaire Sophonow, 11 délateurs incarcérés se sont portés volontaires pour témoigner contre Sophonow et l’avocat de celui-ci n’a pas été informé de leurs problèmes de crédibilité 28. Le rapport de l’enquête Sophonow souligne les dangers inhérents à ce type de témoin :
Ces menteurs habiles et convaincants, en quête de faveurs de la part des autorités, d’attention ou de notoriété, ne sont jamais dignes de confiance. Nous verrons la fréquence avec laquelle ils ont joué un rôle marquant dans la condamnation d’innocents et la mesure dans laquelle ils tendent à corrompre l’administration de la justice. Habituellement, leur présence en tant que témoins marque la fin de tout espoir de tenir un procès équitable 29.
Le rapport recommande que le recours aux délateurs incarcérés soit strictement limité et précise que de façon générale, « les délateurs incarcérés ne devraient pas pouvoir témoigner » 30. Depuis les recommandations de l’enquête Sophonow, plusieurs provinces ont adopté de nouvelles politiques sur le recours à des délateurs incarcérés qui ont considérablement réduit leur rôle dans le système de justice pénale du Canada 31.
Le Dr Charles Smith a travaillé comme pédopathologiste à l’Hôpital pour enfants malades de Toronto pendant plus de 20 ans. Même s’il ne détenait aucune formation officielle en pathologie médico-légale, il a été reconnu comme un expert de référence en Ontario dans les années 1980 et 1990 et a participé à plus de 40 autopsies d’enfants dont le décès était jugé suspect 32. Les graves erreurs commises par le Dr Smith comme témoin expert ont entraîné plusieurs accusations et condamnations injustifiées, souvent contre des personnes qui pleuraient la perte d’un enfant dans leur famille.
En 2008, une enquête publique a mis en évidence de nombreuses erreurs importantes que le Dr Smith avait commises en sa qualité de témoin expert. Peut être plus fondamentalement, le Dr Smith n’a pas compris que son rôle en tant que témoin expert ne consistait pas simplement à soutenir la thèse de la Couronne et à « faire en sorte qu’une affaire paraisse bien 33 ». Le Dr Smith a indiqué qu’il n’avait jamais reçu de consigne formelle sur le rôle approprié d’un témoin expert, un rôle qui requiert objectivité et impartialité 34. Cette incompréhension fondamentale de son rôle a entraîné d’autres erreurs importantes, notamment l’exagération de ses connaissances, l’utilisation d’un langage non scientifique et manquant de transparence et la présentation de « déclarations fausses et trompeuses devant le tribunal 35 ».
L’habitude du Dr Smith de désigner à tort des décès accidentels d’enfants comme des décès non accidentels – sa démarche de la « pensée fondée sur la méfiance 36 » – a remis en question de nombreuses condamnations découlant de soupçons de syndrome du bébé secoué ou de traumatismes crâniens chez les enfants qui se sont révélés le résultat de causes naturelles ou accidentelles 37. Dans bien des cas, les conclusions erronées du Dr Smith ont poussé des personnes innocentes à accepter un accord de plaidoyer afin d’éviter une peine plus lourde ou par crainte de perdre la garde de leurs autres enfants 38. Plusieurs de ces condamnations injustifiées potentielles ont été annulées, notamment dans les affaires William Mullins Johnson, Tammy Marquardt, Dinesh Kumar, Brenda Waudby et Maria Shepherd 39.
L’exemple du Dr Smith illustre de nombreux risques associés au témoignage d’experts, notamment le fait que l’expertise revendiquée peut être difficile à contester, voire à comprendre, pour des profanes. L’enquête a souligné l’importance pour les témoins experts de comprendre leur rôle dans le système de justice pénale. En particulier, afin de réduire le risque de condamnations injustifiées, les témoins experts doivent éviter de prendre pour une partie et ils doivent s’assurer que leur témoignage est compréhensible, raisonnable, équitable et non hypothétique 40.
Les affaires auxquelles le Dr Smith a été mêlé restent un exemple important des risques associés aux témoins experts. L’enquête sur ces affaires a entraîné des changements importants dans la pratique et la supervision de la pathologie médico-légale en Ontario.
En théorie, lorsqu’une personne innocente est accusée d’un crime, la preuve est insuffisante pour établir sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Toutefois, les cas évoqués ci dessus montrent qu’il existe des exceptions à cette prémisse, notamment les cas où des pressions sont exercées sur des personnes innocentes pour qu’elles plaident coupables.
Pour ces raisons, après avoir épuisé toutes les autres voies de recours en matière de révision judiciaire ou d’appel, une personne qui prétend avoir été injustement condamnée peut demander au ministre fédéral de la Justice de réviser sa condamnation. La procédure à suivre pour ces demandes de révision est définie dans la partie XXI.1 du Code criminel et est l’objet de la présente section 41.
Lorsque le ministre de la Justice reçoit une demande de révision, il est chargé de déterminer « qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite 42 ». Pour rendre sa décision, le ministre prend en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande, y compris « de nouvelles questions importantes », comme des éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles au moment du procès 43. Si le ministre décide qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, il peut renvoyer la cause devant la cour d’appel de la province en question, ou ordonner la tenue d’un nouveau procès 44. Si le ministre décide d’ordonner un nouveau procès, le procureur de la Couronne de la province concernée peut alors décider de mener le procès, de retirer les accusations, de ne pas présenter de preuve (ce qui aboutit à un verdict de non culpabilité) ou de suspendre l’instance 45.
Dans des cas exceptionnels, le ministre peut proposer que le gouverneur en conseil demande l’opinion de la Cour suprême du Canada 46. Dans le Renvoi relatif à Milgaard, la Cour suprême du Canada a donné des orientations sur ce qui constitue une erreur judiciaire. Selon la Cour suprême, la tâche de déterminer si une erreur judiciaire s’est produite nécessite le réexamen du dossier judiciaire de l’affaire et de toute nouvelle preuve pertinente à l’égard de la question de la culpabilité « qui soit raisonnablement digne de foi et dont on peut raisonnablement penser que, considérée avec la preuve présentée au procès, elle aurait pu avoir une incidence sur le verdict 47 ».
Pour prendre les décisions relatives à la révision des condamnations criminelles, le ministre de la Justice a l’appui du Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC), une entité distincte du ministère de la Justice chargée d’évaluer et d’examiner les demandes de révision et de donner des avis juridiques au ministre 48. Dans certains cas, le ministre aura aussi recours à des mandataires de l’extérieur pour l’aider à traiter la charge de travail ou éviter des conflits d’intérêts potentiels. En général, le GRCC se charge de l’évaluation préliminaire, de l’enquête et de la préparation du rapport d’enquête, tandis que le ministre se prononce personnellement sur l’issue de toutes les demandes de révision qui passent à l’étape de l’enquête 49.
Le ministre bénéficie aussi de l’appui d’un conseiller spécial en matière de condamnations injustifiées. Ce dernier examine les demandes de révision à différentes étapes du processus de révision et fournit des conseils juridiques indépendants au ministre. Depuis 2018, le mandat du conseiller spécial en matière de condamnations injustifiées comprend la capacité de faire des recommandations plus générales au ministre de la Justice en vue de régler tout problème systémique relevé lors de la révision des demandes 50.
Le cadre juridique en vigueur souligne que le processus de révision des condamnations criminelles ne se veut pas une caractéristique courante du système de justice pénale et que les recours en cas de condamnations injustifiées sont considérés comme étant extraordinaires 51. Selon le ministère de la Justice, les demandes « doivent généralement reposer sur de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été étudiées par les tribunaux ou qui ont surgi après que les voies d’appel conventionnelles aient été épuisées 52 ». Le ministère de la Justice précise les types de renseignements nouveaux et importants qui pourraient remplir ces critères :
Selon les rapports annuels, au cours des 10 dernières années, le ministre a reçu moins de 100 demandes complètes et a accordé un recours dans six cas 54.
Parmi les éléments de l’actuel système de révision des condamnations criminelles les plus couramment critiqués figurent les problèmes suivants : le manque d’accessibilité et de transparence, les répercussions disproportionnées sur certains groupes et les obstacles à l’indemnisation en cas de condamnations injustifiées.
Comme nous l’avons vu, pour bénéficier d’une révision de sa condamnation criminelle, une personne injustement condamnée doit généralement être en mesure de fournir des renseignements nouveaux et importants dans son affaire. Une personne incarcérée aura normalement besoin d’une aide extérieure, et de chance, pour découvrir de nouveaux éléments de preuve satisfaisant à cette norme.
Certaines personnes injustement condamnées reçoivent une aide financière de leur famille pour obtenir les services d’un avocat, mais la plupart des demandeurs ne bénéficient probablement pas d’un tel soutien 55. D’autres peuvent obtenir l’aide juridique d’Innocence Canada, un organisme à but non lucratif qui cherche à exonérer les personnes injustement condamnées 56. Cependant, Innocence Canada a des ressources financières limitées et souligne qu’il peut s’écouler jusqu’à deux ans avant qu’il puisse commencer à examiner un dossier 57. En bref, les obstacles financiers peuvent empêcher des personnes injustement condamnées d’avoir accès au processus de révision des condamnations.
En outre, certains affirment qu’on a placé la barre trop haut en exigeant des demandeurs qu’ils fournissent des renseignements nouveaux et importants établissant qu’une condamnation injustifiée « s’est probablement produite 58 ». Selon un chercheur, « ce n’est peut être pas le nouveau renseignement à lui seul qui exonérera une personne, mais plutôt une réinterprétation d’anciens renseignements qui ne peut être prise en compte dans ce processus 59 ». En particulier, les condamnations injustifiées qui découlent d’une erreur d’identification par un témoin oculaire, d’erreurs commises par un avocat ou de faux aveux ne satisferont généralement pas à cette norme élevée et ne dépasseront donc pas l’étape de l’évaluation préliminaire 60.
Enfin, certains experts critiquent le niveau de transparence du processus décisionnel. Comme les recommandations formulées au ministre par le GRCC sont protégées par le secret professionnel de l’avocat, les demandeurs, les groupes de défense et d’autres intervenants n’ont pas accès à l’information concernant l’étape finale de la révision de la condamnation 61. Ce manque de transparence perçu peut être aggravé par le fait que les décisions relèvent en dernier ressort d’un intervenant politique – le ministre de la Justice – ce qui peut réduire encore la confiance du demandeur dans la neutralité de la décision 62.
Des efforts ont été déployés pour renforcer la perception d’objectivité et de neutralité dans le processus de révision des condamnations, notamment par une délégation importante du rôle du ministre au GRCC et au conseiller spécial en matière de condamnations injustifiées, mais certains soutiennent que le processus demeure inaccessible, étroitement ciblé et dépourvu de transparence. Comme il est souligné dans le rapport sur l’enquête Milgaard :
Le ministre fédéral ne mène pas d’enquête proactive lorsqu’il reçoit une demande, mais s’en remet plutôt au demandeur, qui ne possède pas de compétence en matière d’enquête, pour déterminer les motifs d’une erreur judiciaire présumée. Le critère de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer une affaire au système judiciaire n’a pas changé. Enfin, la décision de savoir si une personne condamnée peut avoir accès à la Cour pour contester une condamnation appartient toujours au ministre fédéral, un politicien élu 63.
Ces préoccupations sont au cœur de l’argument en faveur de l’établissement d’une commission d’examen des affaires pénales qui serait théoriquement plus accessible, proactive, transparente et indépendante que le processus actuel.
Il existe peu de données sur l’ampleur des condamnations injustifiées au Canada, mais de nombreux experts affirment que certains groupes peuvent être surreprésentés parmi les personnes injustement condamnées ou avoir moins de chances d’obtenir une révision de leur dossier. Ces groupes comprennent les Autochtones, les Canadiens racisés, les femmes, les jeunes et les personnes ayant un handicap. Certaines personnes appartiennent à plusieurs de ces groupes et dans leur cas, ces vulnérabilités se conjuguent.
La vulnérabilité à une condamnation injustifiée découle de plusieurs facteurs. Certains groupes sont plus susceptibles d’être injustement condamnés pour les mêmes raisons qu’ils sont surreprésentés dans le système de justice pénale dans son ensemble. Par exemple, le Service des poursuites pénales du Canada reconnaît que les Autochtones « sont plus susceptibles d’être arrêtés, inculpés, détenus sans cautionnement, déclarés coupables et emprisonnés 64 ». En 2016, les adultes autochtones ne représentaient qu’environ 3 % de la population adulte au Canada, mais comptaient pour 26 % des admissions dans les services correctionnels provinciaux et territoriaux au Canada 65. En 2020, les Autochtones représentaient plus de 30 % des personnes détenues dans des établissements carcéraux fédéraux et 42 % de la population carcérale féminine au Canada .
Les raisons de cette surreprésentation sont complexes, mais elles comprennent les traumatismes intergénérationnels ainsi que le racisme et la discrimination systémiques 67. Certains des mêmes facteurs qui contribuent à une surreprésentation dans le système judiciaire en général contribuent aussi aux condamnations injustifiées. Ces facteurs comprennent « les difficultés liées à la langue et à l’interprétation, la représentation déficiente et insensible de la défense, les pressions exercées pour qu’une personne plaide coupable et les stéréotypes racistes qui associent les Autochtones à la criminalité 68 ». Le cas de Donald Marshall Jr., que nous avons vu plus haut, l’illustre bien.
Les aspects du système de justice pénale qui créent des pressions pour une reconnaissance de culpabilité peuvent avoir des effets plus importants sur certains groupes, notamment les Autochtones, les femmes, les jeunes et les personnes ayant un handicap. Par exemple, des universitaires soulignent que la police utilise parfois « le sens des responsabilités d’une mère à l’égard du bien-être de ses enfants pour obtenir des aveux d’actes criminels », notamment dans des cas où des femmes responsables de la garde d’enfants plaident coupables afin d’éviter une peine de prison qui les séparerait de leurs enfants 69. De même, il est connu que les jeunes sont plus susceptibles de subir des pressions de la part des autorités pour renoncer à leurs droits ou accepter de plaider coupables 70. Le plus frappant est peut être le fait qu’un rapport de 2013 a souligné le problème lié à « l’insuffisance de la représentation par avocat des membres des Premières Nations, surtout dans le Nord, laquelle se traduit par des plaidoyers de culpabilité presque automatiques 71 ».
De plus, le fait que les faux plaidoyers de culpabilité tendent à entraîner des peines relativement courtes peut réduire les chances de disculpation des personnes injustement condamnées. Comme nous l’avons vu, le processus de révision des condamnations criminelles peut prendre des années, ce qui peut le rendre beaucoup moins utile aux personnes qui purgent des peines de plus courte durée.
En outre, pendant le processus de révision des condamnations criminelles, l’attention accordée aux éléments de preuve nouveaux et importants, comme des éléments de preuve mettant en cause un suspect différent, met souvent l’accent sur l’innocence factuelle démontrable et exclut donc de nombreuses personnes déjà touchées de manière disproportionnée par une condamnation injustifiée. L’importance accordée à cette question tend à exclure les affaires dans lesquelles un moyen de défense disponible a été refusé ou il n’a pas été remédié à une atteinte à des droits constitutionnels dans le cadre du processus d’enquête. Par exemple, une personne qui tue un partenaire violent peut subir des pressions pour qu’elle accepte de plaider coupable à une accusation d’homicide involontaire au lieu de subir un procès pour meurtre et de plaider la légitime défense. Les juristes Debra Parkes et Emma Cunliffe sont d’avis que ces types de condamnations injustifiées touchent de manière disproportionnée les femmes, en particulier les femmes autochtones 72.
En droit international, les personnes injustement condamnées ont droit à une indemnisation dans certaines circonstances. Le paragraphe 14(6) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Canada est partie, prévoit ce qui suit :
Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie 73.
Au Canada, aucune disposition législative ne met en œuvre cette obligation. Le Canada s’appuie plutôt sur les Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort adoptées en 1988 par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la Justice. En vertu de ces lignes directrices, les personnes condamnées à tort ne peuvent prétendre à une indemnisation que si elles remplissent certaines conditions, notamment le fait d’avoir été effectivement condamnées et emprisonnées, et qu’il est établi que la personne « n’a pas commis l’infraction 74 ».
Il a été reproché à ces conditions préalables qu’elles constituent un obstacle trop important à l’indemnisation, puisqu’il appartient aux tribunaux de déterminer si une personne accusée est « coupable » ou « non coupable » en droit, et que ceux ci ne se prononcent habituellement pas sur l’innocence factuelle. Les personnes acquittées ou dont les accusations ont été retirées ou suspendues ne peuvent prétendre à une indemnisation en vertu de ce cadre.
Le rapport de l’enquête Milgaard a critiqué cette norme élevée en matière d’indemnisation, faisant valoir que la preuve de l’innocence factuelle ne devrait pas être une condition essentielle à l’indemnisation et que l’indemnisation devrait être disponible pour une gamme plus vaste d’inconduites des autorités, notamment en cas « d’erreur flagrante entraînant une condamnation injustifiée 75 ». On fait valoir dans le rapport que l’indemnisation devrait rester du ressort des gouvernements, mais que dans certains cas, elle devrait être disponible même pour les personnes qui ne sont pas factuellement innocentes, par exemple s’il y a eu des manquements évidents aux normes pertinentes de la part des policiers, de la poursuite ou des tribunaux 76.
Plusieurs gouvernements dans le monde entier disposent d’organes législatifs indépendants chargés de réviser les éventuelles condamnations injustifiées 77. Les universitaires canadiens et les enquêtes publiques dont il a été question citent fréquemment l’un de ces modèles, celui de la Commission d’examen des affaires criminelles d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord (la CCRC) 78. Un groupe de travail canadien sur le concept d’une telle commission a été formé en 2020 pour formuler des recommandations au ministre de la Justice en vue de la mise en œuvre d’une version de la CCRC au Canada 79.
Depuis 1995, la CCRC a examiné des milliers d’affaires et a renvoyé des centaines de condamnations et de peines à la Cour d’appel. Environ 70 % de ces affaires ont abouti à la modification ou à l’annulation de la peine 80.
En vertu de l’article 13 de la Criminal Appeal Act 1995 du Royaume Uni, la CCRC est autorisée à renvoyer une affaire devant les tribunaux lorsqu’il existe « une possibilité réelle » que la condamnation ne soit pas confirmée 81. Il s’agit d’un critère moins rigoureux que la norme actuelle du Canada, qui exige de conclure qu’une erreur judiciaire « s’est probablement produite ». Cette norme différente pourrait aider à expliquer le nombre beaucoup plus élevé d’affaires qui débouchent sur un dénouement favorable à la CCRC comparativement au processus de révision des condamnations criminelles au Canada.
Cependant, il existe certaines similitudes entre la CCRC et le GRCC du Canada, notamment par rapport à bon nombre de leurs pouvoirs d’enquête ainsi que l’exigence générale voulant que les révisions des condamnations soient fondées sur des éléments de preuve véritablement nouveaux ou sur d’autres questions nouvelles. La CCRC dispose de vastes pouvoirs d’enquête prévus aux articles 17 et 18 de la Criminal Appeal Act, notamment la capacité d’obtenir des renseignements auprès d’organismes publics comme la police, le Crown Prosecution Service et les services sociaux, et la possibilité de demander des ordonnances judiciaires pour obtenir des documents provenant de particuliers ou d’organisations du secteur privé 82. Au besoin, la CCRC peut aussi interroger de nouveaux témoins ou réinterroger des témoins et ordonner de nouvelles expertises, comme des rapports psychologiques ou des analyses génétiques 83.
L’idée de la mise en œuvre au Canada d’une CCRC bénéficie d’un appui important chez les experts et les intervenants, mais certains affirment qu’elle est inutile et potentiellement trop coûteuse. Par exemple, il se pourrait qu’au Canada, le nombre de condamnations injustifiées recensées soit faible simplement parce que le système de justice pénale est déjà assez efficace pour les éviter. Si cela est vrai, il serait inutile d’ajouter un niveau de révision qui pourrait remettre en question des affaires ayant déjà donné lieu à une décision équitable, ce qui risquerait de miner la confiance du public dans le système de justice pénale. Un argument connexe contre le concept d’une commission d’examen est que celle-ci minerait les valeurs de la finalité et de l’économie judiciaires 84. Ces valeurs représentent l’idée que pour préserver la confiance dans le système judiciaire, les procédures pénales ne devraient pas durer plus longtemps que nécessaire.
Surtout, la CCRC a été critiquée pour son manque de normes objectives en ce qui concerne la détermination de la portée des enquêtes, sans minimum d’enquête obligatoire ni de point final logique à la tâche ouverte de prouver l’absence d’erreur. La CCRC a aussi été aux prises avec un important arriéré d’affaires, ce qui complique l’établissement de priorités 85.
Il n’existe aucune estimation publique du coût de la mise en œuvre d’une CCRC au Canada, mais certains partisans de l’idée estiment que ce coût pourrait être assez faible. Comme l’expliquent Richard Nobles et David Schiff, le travail de la CCRC au Royaume-Uni :
représente, selon un calcul approximatif, une dépense d’environ 200 000 £ par renvoi fructueux. En contrepartie, il faudrait peut être déduire les 24 000 £ économisées annuellement en sortant de prison des personnes « innocentes ». Pour des prisonniers qui, autrement, passeraient encore huit ans et demi en prison, le service n’a relativement aucune incidence financière 86.
Comme le taux de condamnations injustifiées au Canada est inconnu, il est difficile de prédire si une version canadienne de la CCRC présenterait un portrait financier similaire. De manière plus générale, même si le Canada peut tirer des enseignements de l’expérience vécue par d’autres gouvernements et anticiper les effets possibles de ses démarches, les forces et les difficultés propres au système de justice pénale canadien influeront inévitablement sur le succès de toute réforme éventuelle.
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