L’intensification des effets des changements climatiques et l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes affectent négativement les populations à travers le monde. Selon certaines prévisions, 1,2 milliard de personnes pourraient être déplacées d’ici 2050 en raison des effets des changements climatiques. En 2022, le nombre de déplacements internes en raison de catastrophes a atteint un niveau record de 32,6 millions de personnes déplacées. Dans ce contexte, la communauté internationale reconnaît de plus en plus le besoin de mettre en place des mesures pour atténuer les effets des changements climatiques et s’y adapter afin de protéger les populations.
Le régime actuel de droit international des réfugiés agit comme une barrière contre laquelle se heurtent les personnes déplacées en raison des effets liés aux changements climatiques. En effet, les personnes qui demandent l’asile en raison d’un événement lié aux changements climatiques ne sont généralement pas considérées comme des réfugiés en raison de la définition très précise donnée au terme « réfugié » dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
Toutefois, en 2020, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a souligné qu’une demande d’asile ne devrait pas être évaluée de manière étroite et que les personnes déplacées par les effets liés aux changements climatiques peuvent avoir des raisons valables de prétendre au statut de réfugié. Une importante décision juridique a aussi reconnu que les personnes déplacées en raison des effets liés aux changements climatiques pourraient potentiellement démontrer une crainte de persécution si la réponse d’un État à une catastrophe climatique est inadéquate afin d’assurer la protection des besoins essentiels à la vie des populations.
En 2023, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques a déclaré qu’un régime juridique pour protéger les personnes déplacées dans un autre pays en raison des changements climatiques devrait être mis en place urgemment. Différents États ont mis en place des politiques nationales et conclu des ententes multilatérales pour prévenir ces déplacements et y répondre. Certaines de ces initiatives ont comme objectif de reconnaître la migration comme une mesure d’adaptation aux effets des changements climatiques. Ces mesures ont généralement comme objectif d’instaurer des protections uniformes et respectueuses des droits de la personne pour les personnes déplacées.
En raison de l’augmentation du nombre de catastrophes environnementales 1 à travers le monde et de leur intensification, la migration liée aux changements climatiques est devenue un enjeu d’importance pour les gouvernements 2. En 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) 3 signalait que des changements irréversibles au niveau du climat étaient observables dans toutes les régions du monde 4. De plus, le GIEC prédit depuis 1990 que l’un des effets les plus graves des changements climatiques concernera la migration humaine 5.
Les déplacements liés aux effets des changements climatiques peuvent résulter d’événements météorologiques extrêmes soudains (ouragans, inondations, tsunamis, etc.) ou à évolution lente (désertification, hausse du niveau de la mer, sécheresse, etc.) 6. La gravité des effets des changements climatiques, y compris l’impact sur la migration qu’auront les événements météorologiques extrêmes, sera influencée par les mesures d’atténuation prises par les États pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. De fait, selon le GIEC, le scénario d’un réchauffement climatique de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels présente d’importants risques pour de nombreuses régions, et ce, même avec des mesures d’adaptation aux changements climatiques en place dès maintenant, et ces risques s’aggraveraient dans le cas d’un réchauffement de 2 °C 7.
De surcroît, il est difficile de déterminer avec précision l’ampleur des déplacements liés aux effets des changements climatiques puisqu’ils ne découlent pas uniquement de ces effets 8. Les déplacements de populations sont liés à l’interaction de considérations économiques, sociales et politiques, amplifiées par les effets des changements climatiques. Selon les prévisions de l’Institute for Economics and Peace publiées en 2020, 1,2 milliard de personnes pourraient être déplacées d’ici 2050 en raison des effets des changements climatiques et des catastrophes naturelles 9. En 2021, la Banque mondiale et le Forum économique mondial prédisaient quant à eux qu’environ 200 millions de personnes pourraient être déplacées pour ces raisons d’ici 2050 10. Le portrait imprécis de la migration climatique pose des défis pour les États et complique l’élaboration d’une réponse internationale 11.
Ce portrait est d’autant plus imprécis, que les données existantes démontrent qu’à l’heure actuelle, la migration causée par les changements climatiques s’effectue généralement à l’intérieur des frontières des pays 12. Depuis 2008, 25,3 millions de personnes en moyenne sont forcées de se déplacer dans leur propre pays chaque année en raison d’événements climatiques soudains 13.
La présente Étude de la Colline s’intéresse aux déplacements liés aux effets des changements climatiques et examine les obstacles auxquels se heurtent les personnes déplacées en raison des changements climatiques lorsqu’elles déposent une demande d’asile en vertu du droit international des réfugiés. L’Étude présente également des politiques mises en place par les États pour protéger leurs citoyens et gérer les déplacements en cas de catastrophes climatiques. Ces politiques visent à réduire les déplacements internationaux en réagissant de façon appropriée aux phénomènes météorologiques extrêmes et à atténuer les effets des déplacements internes. Enfin, l’Étude examine des mécanismes mis en œuvre par les États pour faciliter la mobilité humaine en cas de phénomènes météorologiques extrêmes.
La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés) offre une protection aux personnes forcées de fuir leur foyer parce qu’elles ont une crainte valide de persécution 14. Les personnes qui demandent l’asile en raison d’une catastrophe naturelle ne sont donc généralement pas considérées comme des réfugiés sous l’actuel régime international 15.
En 2020, le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) a conclu dans une réflexion juridique que l’évaluation d’une demande d’asile ne devrait pas être considérée de manière étroite et que les catastrophes et les effets liés aux changements climatiques peuvent offrir des raisons valables de prétendre au statut de réfugié 16. Dans ce document, différentes considérations juridiques sont présentées pour expliquer comment les critères liés à la définition du terme « réfugié » énoncés à l’article 1A(2) de la Convention sur les réfugiés peuvent être remplis en cas de déplacements liés aux effets des changements climatiques 17. Cependant, il est présentement difficile pour une personne déplacée en raison des effets des changements climatiques de démontrer, comme l’exige la Convention sur les réfugiés, une crainte fondée de persécution 18. De fait, aucun État n’a encore accordé l’asile à des personnes déplacées en raison des effets des changements climatiques dans leur pays d’origine.
En avril 2023, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques a déclaré qu’« [i]l est urgent de prévoir un régime juridique de protection des personnes déplacées d’un pays à un autre en raison des changements climatiques », et qu’« il semblerait logique d’établir un nouveau protocole à la Convention relative au statut des réfugiés » 19. Le rapporteur spécial a également recommandé que ce protocole soit administré par le UNHCR. Cependant, certains experts pensent qu’il est peu probable que les États acceptent de renégocier la Convention sur les réfugiés pour ajouter les effets des changements climatiques comme motif de préjudice, et cette solution n’est pas non plus appuyée par le UNHCR 20. En 2018, Filippo Grandi, le Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré ce qui suit :
La question des changements climatiques et de ce que l’on appelle communément les réfugiés climatiques ou les personnes forcées de se déplacer est très complexe. Nous avons été invités à prendre part au débat sur les personnes qui se déplacent pour des raisons liées au climat, et nous avons également participé aux interventions à la suite de catastrophes naturelles […] Certes, l’un des plus grands défis à l’heure actuelle est celui des flux mixtes […] Il est essentiel de faire la distinction entre réfugiés et migrants […] Il importe de préciser que les réfugiés se trouvent à l’extérieur de leur pays et ne sont pas en mesure d’y retourner pour des raisons très précises liées à des conflits ou à des persécutions. Les migrants peuvent eux aussi avoir des problèmes, mais ceux-ci sont de nature différente. Il est essentiel de faire cette distinction tout en reconnaissant que les déplacements de personnes, surtout s’ils se produisent en parallèle, peuvent avoir de nombreuses caractéristiques communes qu’il convient d’aborder de manière globale, et pas uniquement par catégorie 21.
Malgré tout, des instruments régionaux en Afrique et en Amérique latine 22 ont élargi la définition de « réfugié » pour inclure les personnes déplacées en raison de catastrophes climatiques. Ces instruments interagissent avec le régime international actuel puisqu’ils se basent sur la définition de « réfugié » codifiée dans la Convention sur les réfugiés 23, tout en élargissant la portée du terme 24. Filippo Grandi a d’ailleurs salué l’existence de ces instruments régionaux, qui complètent la vision globale de la Convention sur les réfugiés et qui aident le UNHCR à adapter sa réponse aux nouveaux défis 25. Ces instruments régionaux sont présentés plus en détail dans la section 4.2.
En novembre 2024, l’UNHCR a officiellement lancé le réseau des Réfugiés pour l’action climatique, une initiative visant à placer la voix des réfugiés et des communautés déplacées au centre de l’action climatique et des discussions internationales menant à des solutions climatiques. Ce réseau agira à titre d’organe consultatif sur les questions climatiques, participera aux principaux événements mondiaux et locaux sur les changements climatiques et veillera à ce que les voix et les perspectives des réfugiés et des personnes déplacées soient considérées dans le travail de l’UNHCR et dans le cadre des négociations internationales sur la question des changements climatiques 26.
En 2015, Ioane Teitiota, un ressortissant du Kiribati, a présenté une demande d’asile en Nouvelle-Zélande qui était fondée sur l’argument que la montée du niveau de la mer dans son pays d’origine mettait sa vie en danger. Le Kiribati est un pays formé de 33 atolls situés dans le Pacifique équatorial et dont la majorité du territoire est à basse altitude et menacée par l’élévation du niveau de la mer 27. La demande d’asile a été refusée par le gouvernement de la Nouvelle-Zélande 28. Ioane Teitiota a donc interjeté appel, au motif que ce gouvernement aurait violé son droit à la vie en le refoulant 29 au Kiribati.
Tout en reconnaissant que les changements climatiques causent l’érosion des côtes du Kiribati, accentuent l’éventualité de catastrophes environnementales, rarifient les ressources essentielles à la vie et créent de l’instabilité sociale dans la région, les tribunaux néozélandais ont tranché que le risque posé pour Ioane Teitiota n’était pas suffisant pour engager les obligations de non-refoulement du pays en vertu de la Convention sur les réfugiés. La Cour a aussi conclu que la preuve ne démontrait pas que le gouvernement du Kiribati était incapable de protéger ses citoyens des effets de la dégradation de l’environnement. Toutefois, la Cour suprême de la Nouvelle‑Zélande a noté que cela n’écartait pas la possibilité future d’octroyer l’asile dans un cas analogue 30. Le tribunal de première instance a notamment souligné que lorsque la réponse d’un État à une catastrophe climatique est inadéquate pour protéger les besoins essentiels à la vie de groupes marginalisés, en raison de considérations politiques, les personnes touchées pourraient potentiellement démontrer une crainte de persécution 31.
Ioane Teitiota a ensuite déposé une plainte devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (le Comité) en 2020 32. Dans sa décision, le Comité a précisé que les demandeurs d’asile ne devraient pas avoir le fardeau de démontrer un préjudice immédiat causé par les changements climatiques 33. Cependant, selon le Comité, la submersion éventuelle de Kiribati dans les 10 à 15 prochaines années et les conséquences socio-économiques actuelles ne constituaient pas un risque à la vie suffisamment imminent.
Bien que la plainte ait été rejetée, ce cas a établi de nouvelles normes qui pourraient favoriser le succès de futures demandes d’asile liées aux effets des changements climatiques. Dans sa décision, le Comité a indiqué que renvoyer une personne dans un pays où les changements climatiques peuvent constituer une menace à la vie pourrait causer un risque de violation de ses droits. Le Comité a par ailleurs statué que les États ont une obligation positive de protéger leurs citoyens contre les risques associés aux effets des changements climatiques et aux catastrophes naturelles 34.
Le Comité a également indiqué dans sa décision que la communauté internationale devrait venir en aide aux pays qui subissent de manière disproportionnée les effets des changements climatiques 35. Déjà, certains pays comme l’Australie ont pris des mesures pour aider des pays qui seront éventuellement submergés par la montée des eaux. Le 10 novembre 2023, l’Australie et l’État des Tuvalu ont conclu un accord qui offre aux citoyens de Tuvalu l’asile climatique à travers l’établissement d’une voie spéciale de mobilité humaine. Cet accord, le premier qui vise spécifiquement la mobilité climatique, va permettre aux citoyens de Tuvalu de se réfugier en Australie 36. Le premier ministre australien a mentionné que l’Australie était ouverte à conclure des accords semblables avec d’autres îles du Pacifique 37.
Certains pays, comme le Canada, ont accueilli des personnes déplacées par des catastrophes naturelles, parfois en décidant de ne pas les renvoyer chez elles. À la suite du tremblement de terre à Haïti en 2010 et de celui au Népal en 2015, le Canada a accueilli des personnes touchées et a temporairement permis aux citoyens de ces pays qui se trouvaient déjà au Canada d’y rester 38.
Or, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés incorpore par renvoi la définition de « réfugié » au sens de la Convention sur les réfugiés, et ainsi, ne reconnaît pas les déplacés climatiques comme étant des réfugiés, puisqu’ils ne sont pas considérés comme des victimes de persécution 39. En 1994, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, la Cour suprême du Canada a tranché que :
la « persécution » nécessaire pour justifier la protection internationale entraîne l’exclusion de suppliques comme celles des migrants économiques, c’est‑à‑dire des personnes à la recherche de meilleures conditions de vie, ou des victimes de catastrophes naturelles, même si l’État d’origine ne peut pas les aider 40.
Bien que la législation canadienne ne prévoie pas l’admission de personnes déplacées pour des raisons directement liées à une catastrophe naturelle ou aux changements climatiques, le gouvernement du Canada a indiqué en 2019 qu’il pourra prendre « au cas par cas » des décisions relatives à la réinstallation de personnes potentiellement touchées par les changements climatiques 41. Pour l’instant, il n’est pas clair si la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a utilisé son pouvoir discrétionnaire à cet effet.
À la suite de la décision rendue par le Comité des droits de la personne des Nations Unies dans le dossier Teitiota, le bureau du UNHCR au Canada a noté, en 2020, que le Canada pourrait violer ses obligations découlant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en refoulant une personne dans un pays où les changements climatiques peuvent constituer une menace à la vie 42.
Il est intéressant de noter qu’en décembre 2023, le gouvernement du Canada a annoncé son appui au Mexique pour la réalisation d’une étude portant sur le lien entre les changements climatiques et la migration, incluant l’élaboration d’une « méthodologie novatrice » pour recueillir des données qui serviront à orienter des « interventions stratégiques potentielles » de gouvernements 43. Cette étude s’inscrit dans la prise de conscience par les États que les changements climatiques entraînent de plus en plus de déplacements internes et internationaux.
Comme mentionné précédemment, 25,3 millions de personnes en moyenne sont forcées de se déplacer chaque année en raison d’événements climatiques soudains depuis 2008. Le nombre de déplacements internes en raison de catastrophes a augmenté de 45 % entre 2021 et 2022. En 2022, ce nombre a atteint le niveau record de 32,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leurs propres frontières 44. En 2023, ce nombre était de 26,4 millions, soit le troisième chiffre enregistré le plus élevé de la dernière décennie. La réduction enregistrée entre 2022 et 2023 s’explique en partie par la fin du phénomène La Niña et le début du phénomène El Niño 45. Selon le UNHCR, en 2022, 58 % des personnes forcées de se déplacer en raison de la persécution, des conflits, des violences, des violations des droits de la personne et d’événements perturbant gravement l’ordre public ont été déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Selon les données existantes, la majorité des déplacements liés aux effets des changements climatiques s’effectue présentement à l’intérieur des frontières des pays et en 2022, 90 % des personnes forcées de se déplacer pour toutes sortes de raisons se trouvaient dans des pays à revenu faible ou intermédiaire 46.
Dans ce contexte, des États cherchent à mieux étudier et à réduire les mouvements de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays 47. Différentes mesures sont mises en place par les États pour gérer les déplacements internes : aide financière, aide humanitaire, mesures d’anticipation et de réduction des risques pour améliorer la résilience des communautés et autres 48. Bien que la majorité des États développent des instruments politiques et juridiques pour réduire les déplacements liés aux effets des changements climatiques, certains États développent aussi des outils pour protéger les personnes déplacées autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières lors de phénomènes météorologiques extrêmes 49.
Cette démarche vise notamment à protéger les populations les plus vulnérables qui sont affectées de manière disproportionnée puisque les changements climatiques constituent un multiplicateur de risques 50. Ainsi, parmi les personnes déplacées, certains groupes tels que les femmes, les enfants, les personnes en situation de handicap et les peuples autochtones sont plus vulnérables face à la violence, à la discrimination et à l’exploitation 51. Plus précisément, les changements climatiques et les déplacements qui en résultent sont un phénomène genré qui consolide les inégalités structurelles préexistantes entre les genres 52. Il est important de mentionner que certaines populations affectées par les changements climatiques sont incapables de se déplacer en raison de barrières, que ce soient des barrières géographiques, physiques, économiques ou financières. Un certain nombre d’experts et d’organisations recommandent donc que les programmes et politiques migratoires et d’adaptation aux changements climatiques prennent en considération les besoins qui diffèrent selon les groupes et communautés, offrent des avantages équitables pour tout le monde et réduisent la vulnérabilité de toutes les personnes 53.
Afin de mieux répondre aux impacts grandissants des catastrophes naturelles et des conditions météorologiques extrêmes, la communauté internationale se mobilise pour mettre en place différentes initiatives visant à protéger les populations.
Le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030 (Cadre de Sendai) vise à réduire globalement le nombre d’individus affectés par les catastrophes 54. Ce cadre non contraignant, adopté à la troisième Conférence mondiale des Nations Unies sur la réduction des risques de catastrophe, reconnaît que les États ont la responsabilité principale de réduire les risques de catastrophe et sont appelés à collaborer avec le secteur privé et la société civile à cet effet 55. Le Cadre de Sendai succède au Cadre d’action de Hyogo adopté en 2005, mais insiste davantage « sur la prévention, la gestion et la réduction des risques de catastrophe 56 ». Le Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes est responsable de soutenir la mise en œuvre, le suivi et la révision du Cadre d’action de Sendai 57. Le Bureau a noté que même si le Cadre a contribué à améliorer les normes de qualité pour la collecte et l’analyse de données sur les catastrophes, les efforts déployés par les États membres en vue d’atteindre les objectifs et les résultats attendus du Cadre sont pour l’instant insuffisants 58.
L’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques (l’Agenda), appuyé en 2015 par 109 États, incluant le Canada, reconnaît notamment que les déplacements transfrontaliers sont moins susceptibles d’avoir lieu si les personnes déplacées à l’intérieur d’un pays reçoivent une protection adéquate à la suite d’une catastrophe. L’Agenda suggère donc une série de bonnes pratiques que les États peuvent adopter pour réduire les déplacements internationaux 59.
Ces instruments reconnaissent que la réduction des déplacements est étroitement liée à la réduction des risques de catastrophes et aux mesures prises pour répondre aux effets de ces dernières, et encouragent les États à adopter des pratiques fondées sur les principes du droit international en matière de droits de la personne 60. Bien que la plupart de ces obligations soient non contraignantes, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies ont tous deux statué que les États ont une obligation de protéger les droits de la personne et de préparer des plans de contingence pour protéger le droit à la vie dans le contexte de catastrophes naturelles 61.
Pour l’instant, le seul instrument de droit international qui prévoit une obligation contraignante et positive pour les États d’offrir une protection aux déplacés à l’intérieur des frontières d’un pays dans le contexte des catastrophes naturelles est la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, entrée en vigueur en 2012 et ratifiée par les membres de l’Union africaine 62.
Au Canada, la fréquence et l’intensité des catastrophes climatiques forcent des communautés à se déplacer et entraînent d’importants coûts économiques, humains et environnementaux. D’après le Bureau d’assurance du Canada, 2022 et 2023 ont été respectivement la troisième et la quatrième pire année de l’histoire en fait de sinistres assurés causés par les phénomènes météorologiques extrêmes, avec des pertes s’élevant à 3,4 et 3,1 milliards de dollars 63. Certaines études prévoient que d’ici 2030, le taux d’évacuation lié aux catastrophes naturelles au Canada sera amené à tripler 64.
De fait, les nombreux feux de forêt, les ouragans, l’élévation du niveau des mers et la fonte du pergélisol qui peut entraîner des glissements de terrain, entre autres, affectent des communautés à travers le pays et mettent en péril la santé des collectivités 65. Ainsi, durant l’été 2021, la Colombie‑Britannique a connu un « dôme de chaleur » qui a entraîné plusieurs records de chaleur, comme celui de 49,6 °C enregistré à Lytton le 29 juin 2021, et de nombreux feux de forêt, dont celui qui a détruit environ 90 % du village de Lytton 66. En 2023, le Canada a connu la saison des feux de forêt la plus destructrice jamais enregistrée et environ 200 000 personnes ont dû être évacuées 67. Outre les feux de forêt, le Canada est aussi aux prises avec de nombreuses inondations et des ouragans. La Première Nation Kashechewan, évacué chaque année en raison d’inondations, a signé un accord avec le gouvernement fédéral et le gouvernement de l’Ontario en 2019 pour relocaliser la communauté d’ici huit à dix ans 68. En septembre 2022, l’ouragan Fiona a déferlé sur les provinces de l’Atlantique et a provoqué des inondations majeures, détruit des résidences et érodé les rives. L’ouragan Fiona est la tempête la plus coûteuse jamais enregistrée au Canada atlantique 69.
Les peuples des Premières Nations, les Métis et les Inuits, ainsi que leurs territoires, sont touchés de manière disproportionnée par les changements climatiques. Les événements météorologiques extrêmes exacerbent les « défis environnementaux, sanitaires et socio-économiques existants 70 ». De plus, les changements climatiques menacent directement les liens étroits qu’entretiennent les peuples autochtones avec l’environnement et les ressources naturelles ainsi que leurs modes de vie, leurs traditions et leurs savoirs 71. C’est ainsi que les systèmes de connaissances autochtones qui sont considérés comme essentiels à l’amélioration des capacités d’adaptation et de résilience des communautés au Canada, par exemple à travers l’élaboration de solutions fondées sur la nature, sont eux-mêmes mis en danger par les effets des changements climatiques.
Pour faire face à l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes et des déplacements internes, le Canada a mis en place différentes mesures et stratégies visant à réduire les risques de catastrophes. Quelques-unes de ces mesures sont détaillées ci-dessous.
En 2007, le Canada s’est doté d’un cadre de sécurité civile qui a été mis à jour en 2017 et qui guide la collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires en matière de sécurité civile. Le cadre reconnaît qu’une collaboration fédérale-provinciale-territoriale et avec les peuples autochtones, les municipalités et les communautés est nécessaire pour assurer l’efficacité des mesures de gestion des risques et des catastrophes mises en place par les gouvernements, par exemple à travers des accords d’entraide 72. Publiée en 2019, la Stratégie de sécurité civile pour le Canada se base sur les principes du cadre de sécurité civile et du Cadre de Sendai. Cette stratégie, à travers une collaboration des différents paliers de gouvernement, vise à renforcer les efforts du Canada visant « à prévenir ou à atténuer les effets des catastrophes » et à améliorer les capacités d’intervention en cas de phénomènes météorologiques extrêmes 73.
En 2021, le gouvernement du Canada a créé un poste de ministre de la Protection civile avec un mandat mettant l’accent sur le renforcement de la gestion des urgences au Canada, incluant les phénomènes météorologiques extrêmes liés aux effets des changements climatiques, à travers des efforts de prévention et d’atténuation 74.
La Stratégie nationale d’adaptation du Canada a été officiellement lancée en juin 2023. Elle présente un cadre visant à réduire les risques liés au climat et aux phénomènes météorologiques extrêmes ainsi qu’à améliorer la résilience des infrastructures au Canada 75.
Pour l’instant, l’étendue de la protection donnée aux personnes déplacées à l’extérieur des frontières de leur pays dépend de la bonne volonté de chaque État. Les efforts des États sont présentement davantage tournés vers la mitigation des risques associés aux effets des changements climatiques plutôt que vers l’instauration d’instruments qui facilitent la mobilité humaine 76. Plusieurs chercheurs estiment que les organisations internationales et les États devraient prendre en considération les aspects humanitaires et sociaux des déplacements liés aux effets des changements climatiques dans l’élaboration de politiques 77.
Pour ces experts, il ne faudrait pas seulement concevoir la migration comme une conséquence, mais comme un moyen pour les populations de s’adapter aux changements climatiques et d’accroître leur résilience 78. Par exemple, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a indiqué que « [l]es revenus incertains et les risques d’insécurité alimentaire peuvent pousser les ménages d’agriculteurs à recourir à la migration comme stratégie d’adaptation 79 ». Ainsi, bien que de plus en plus d’États se soient dotés de politiques et de lois en matière de migration, certaines organisations plaident pour une plus grande coordination entre les efforts et les politiques des États afin de développer de meilleures mesures d’adaptation aux changements climatiques et d’instaurer des protections uniformes pour les personnes déplacées 80.
Plusieurs organisations internationales considèrent que les déplacements et la relocalisation de populations peuvent être des stratégies efficaces d’adaptation aux changements climatiques, notamment par des voies de migration légales et régulières.
En 2010, la 16e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP16) 81 a, pour la première fois, reconnu l’importance pour les États de s’adapter aux changements climatiques et de traiter la question des déplacements en adoptant une approche respectueuse des droits internationaux de la personne 82. Cela a mené à la création du Groupe consultatif sur les changements climatiques et la mobilité humaine, un groupe d’experts regroupant des représentants de multiples organisations internationales et humanitaires, qui vise à offrir une aide technique aux États en ce qui concerne les déplacements, la migration et la relocalisation planifiée 83.
Ces trois types de mouvements humains dans le contexte des changements climatiques diffèrent dans leur définition. Les déplacements sont de manière générale des mouvements forcés, la migration réfère principalement à des mouvements volontaires alors que la relocalisation planifiée décrit le processus durant lequel des individus ou des groupes sont réinstallés de manière permanente dans un nouvel emplacement, que ce soit de manière forcée ou volontaire. L’idée de mouvement volontaire ne signifie pas une décision prise en toute liberté, mais plutôt une décision prise lorsqu’un choix entre des options réalistes est possible. Au contraire, le mouvement forcé fait référence au fait qu’il n’existe plus d’options réalistes entre lesquelles choisir 84. Lors de la 21e réunion annuelle de la COP en 2015 (COP21), un Groupe de travail sur les déplacements a été créé sous le Comité exécutif duMécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques. Ce groupe de travail est chargé d’élaborer des recommandations sur les approches visant à prévenir, à minimiser et à répondre aux déplacements liés aux effets des changements climatiques 85.
En 2015, le UNHCR a publié le Guide pour la protection des personnes contre les catastrophes et les changements environnementaux grâce à des réinstallations planifiées, un document qui vise à orienter les États devant créer des plans de réinstallations planifiées pour réduire les risques de catastrophes 86. La relocalisation planifiée est une stratégie d’adaptation qui permet de déplacer des communautés qui sont dans des zones à haut risque afin de les rendre plus résilientes face aux changements climatiques. Bien que non contraignants, les principes directeurs présentés dans ce guide sont ancrés dans les instruments internationaux des droits de la personne. De plus, l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques, adopté la même année, recommande aux États d’offrir une protection juridique temporaire aux personnes déplacées ou d’éviter de refouler les personnes déplacées ayant fui leur pays en raison d’une catastrophe climatique 87.
En décembre 2018, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le Pacte mondial sur les réfugiés, un cadre non contraignant qui reconnaît que « le climat, la dégradation de l’environnement et les catastrophes naturelles interagissent de plus en plus avec les facteurs des déplacements de réfugiés 88 ». Le même mois, l’Assemblée générale des Nations Unies a également adopté le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui souligne l’importance de « lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine » et à « faire en sorte que les filières de migration régulière soient accessibles et plus souples » 89. L’adaptation y est reconnue comme une stratégie prioritaire qui doit guider l’action des États. Le Pacte suggère notamment l’adoption de dispositifs de séjour humanitaire et de protection temporaire pour les personnes qui doivent quitter leur pays d’origine en raison d’une catastrophe naturelle soudaine, ainsi que des mesures de réinstallation planifiée et d’adaptation des modalités de visas afin d’aider et d’intégrer les personnes déplacées par des catastrophes naturelles à évolution lente et les effets néfastes des changements climatiques.
L’Argentine est un exemple de pays ayant pris de telles mesures : depuis mai 2022, les citoyens de 23 pays non éligibles à la résidence peuvent obtenir des visas humanitaires s’ils sont déplacés en raison de phénomènes environnementaux 90.
Outre ces mesures d’adaptation, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) encourage aussi les États à respecter le droit à la libre circulation afin d’anticiper les effets des changements climatiques et à créer des possibilités de migration régulière, notamment par des accords de libre circulation 91. Par exemple, le protocole sur la libre circulation au sein de l’Autorité intergouvernementale pour le développement 92 en Afrique de l’Est et le protocole de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest 93 élargissent « les possibilités de séjour régulier et l’accès aux droits » pour les personnes qui fuient les catastrophes et celles qui anticipent d’éventuels phénomènes climatiques indésirables 94. Encore dans le contexte africain, la Déclaration ministérielle de Kampala sur la migration, l’environnement et le changement climatique représente une initiative importante pour solidifier la coopération continentale et appuyer la libre circulation des personnes affectées par la crise climatique par l’entremise de politiques à la fois environnementales et économiques 95.
En octobre 2022, l’OIM a recommandé d’aborder la question de l’allocation des financements à la COP27 « pour qu’une plus grande part des mesures visant à combattre les effets du changement climatique, actuellement essentiellement axées sur l’atténuation, soient consacrées à l’adaptation à long terme des communautés touchées et au renforcement de leur résilience face aux crises à venir 96 ». De fait, le Rapport 2023 sur le déficit de l’adaptation au climat publié par le Programme des Nations Unies pour l’environnement souligne que les besoins de financement pour l’adaptation des pays en développement sont 10 à 18 fois plus importants que le financement public international disponible 97.
L’idée d’un fonds de compensation des pertes et dommages liés aux effets des changements climatiques pour les pays vulnérables a été développée lors de la COP27 en 2022. La création de ce fonds a été officialisée le 30 novembre 2023 à l’ouverture de la COP28 qui s’est tenue du 30 novembre au 12 décembre 2023 98. C’est dans ce contexte que le Canada a annoncé une contribution de 16 millions de dollars à ce fonds afin de fournir des ressources cruciales aux communautés vulnérables 99. Lors de la COP29 qui s’est tenue du 11 au 22 novembre 2024, le Canada a annoncé la plateforme de financement GAIA dans le but d’accroître les fonds disponibles pour adresser les changements climatiques dans les régions vulnérables. Plus précisément, les investissements vont financer des projets pour répondre aux besoins d’adaptation et d’atténuation; 70 % des fonds vont soutenir des projets d’adaptation et les 30 % restant vont soutenir des projets d’atténuation. Par ailleurs, 25 % des fonds disponibles vont être investis dans des petits États insulaires en développement et dans les pays les moins avancés100. La COP29 s’est conclu avec un accord sur l’aide financière aux pays en développement qui prévoit au moins 300 milliards de dollars américains de financement annuel d’ici 2035 pour aider les pays en développement à s’adapter aux effets des changements climatiques. Cet accord, qui triple l’engagement actuel de 100 milliards de dollars américains annuel, est toutefois critiqué par les pays en développement et les États insulaires qui jugent ce montant trop faible 101.
Dans les dernières années, les effets des changements climatiques ont mené à l’augmentation progressive des déplacements internes et internationaux. Des mesures ont été mises en place pour atténuer les impacts des changements climatiques, surtout pour protéger les communautés les plus vulnérables, et certaines de ces mesures prennent leur fondement dans les droits de la personne et le droit des réfugiés. Des États comme le Canada se sont notamment engagés à collaborer avec leurs partenaires afin de mieux comprendre comment les populations touchées par les effets des changements climatiques peuvent s’adapter à ceux-ci, y compris par l’accès à des canaux de migration temporaire et permanente.
Voir Observatoire des situations de déplacement interne, Rapport mondial sur le déplacement interne 2019perturbation grave du fonctionnement d’une communauté ou d’une société à n’importe quel niveau par suite d’événements dangereux, dont les répercussions dépendent des conditions d’exposition, de la vulnérabilité et des capacités de la communauté ou de la société concernée, et qui peuvent provoquer des pertes humaines ou matérielles ou avoir des conséquences sur les plans économique ou environnemental.
[ Retour au texte ]Le Comité note que le tribunal de l’immigration et de la protection a observé que les dommages liés aux changements climatiques pouvaient résulter de phénomènes soudains comme de processus lents. Les premiers sont des événements ponctuels qui ont une incidence immédiate et évidente sur une période de quelques heures ou de quelques jours, tandis que les seconds ont sur les moyens de subsistance et les ressources des effets néfastes qui peuvent se révéler graduellement sur une période de plusieurs mois ou plusieurs années. Tant les phénomènes soudains (comme de violentes tempêtes ou de fortes inondations) que les processus lents (comme l’élévation du niveau de la mer, la salinisation et la dégradation des sols) peuvent déclencher des mouvements transfrontaliers de personnes cherchant à se protéger des dommages liés aux changements climatiques.
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