Résumé législatif du Projet de loi C-26

Résumé Législatif
Projet de loi C-26 : Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel)
Andrew Kitching, Division du droit et du gouvernement
Sheena Starky, Division de l'économie
Philippe Bergevin, Division de l'économie
Publication no 39-1-LS-541-F
PDF 94, (10 Pages) PDF
2006-11-22
Révisée le : 2007-09-28

Table des matières


Le 6 octobre 2006, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable Vic Toews, a déposé à la Chambre des communes le projet de loi C-26 : Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel).  Ce projet de loi modifie l’article 347 du Code criminel(1) (le Code), article qui criminalise la perception d’intérêts à des taux usuraires.

L’essor récent des sociétés de prêt sur salaire donne à penser que certains Canadiens sont disposés à contracter des prêts sur salaire à des taux d’intérêt supérieurs à ceux qui sont permis par le Code.  Le projet de loi vise à exempter de sanctions pénales les prêteurs sur salaire, afin d’aider les provinces à réglementer le secteur.  L’exemption s’applique donc aux sociétés de prêt sur salaire titulaires d’une licence émise par une province qui a adopté des mesures législatives afin de protéger les consommateurs et de fixer un plafond au coût total des prêts.

Contexte

Un prêt sur salaire est un prêt à court terme d’un montant relativement modeste consenti par un prêteur non traditionnel.  Selon les statistiques fournies par le secteur des prêts sur salaire au Canada, ces prêts sont en moyenne d’un montant de 280 $ et d’une durée de dix jours(2).  Pour avoir droit d’emprunter sur son salaire, il faut en général présenter une pièce d’identité, détenir un compte de chèque personnel et présenter un talon de chèque de paye ou une autre preuve de revenu régulier.  Généralement, le crédit octroyé est un pourcentage du salaire net de l’emprunteur jusqu’à sa prochaine paye (généralement versée au plus tard dans les deux semaines qui suivent).  L’emprunteur fournit au prêteur un chèque postdaté ou autorise le retrait direct d’un montant équivalant à l’emprunt, auquel s’ajoutent les intérêts et frais exigés.

Au Canada, l’article 347 du Code dispose que la perception d’intérêts annuels de plus de 60 p. 100 constitue un acte criminel.  En calculant le taux d’intérêt sur prêt sur salaire selon les définitions et les méthodes prévues dans le Code, il semblerait que certaines sociétés de prêt sur salaire perçoivent des taux d’intérêt qui dépassent 1 200 p. 100 par an(3).

Le partage des compétences en matière de prêt sur salaire entre le fédéral et les provinces signifie que le secteur demeure essentiellement non réglementé(4).  Les provinces ne peuvent réglementer les taux de prêt, parce que toute tentative de leur part en ce sens serait contraire à l’article 347 et pourrait être déclarée ultra vires.  De plus, cet article n’a jamais été utilisé dans un contexte pénal pour restreindre les activités des prêteurs sur salaire et il exige le consentement du procureur général d’une province pour toute poursuite sous son régime.  Les gouvernements provinciaux n’ont pas encore poursuivi de prêteur sur salaire, craignant peut-être que les consommateurs, ne pouvant compter sur les services d’entreprises de prêt sur salaire, recourent à des voies illégales comme les services d’usuriers.

Si le secteur des prêts sur salaire n’est pas réglementé, son avenir risque en fin de compte d’être déterminé par un certain nombre de recours collectifs dont sont actuellement saisis les tribunaux canadiens.  Les plaignants s’estiment lésés pour avoir dû verser des frais supérieurs au taux permis par le Code et veulent recouvrer des centaines de millions de dollars en intérêts.  Si ces recours collectifs portent fruit, ils pourraient acculer le secteur du prêt sur salaire à la faillite.

Pour résoudre les difficultés sur le plan des compétences, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux négocient actuellement un régime de réglementation visant les activités des prêteurs sur salaire.  Le Groupe de travail sur le marché parallèle du crédit à la consommation du Comité des mesures et des normes en matière de consommation a été constitué par Industrie Canada et les provinces pour trouver des moyens d’assurer aux consommateurs des niveaux de protection uniformes dans tout le pays.  En décembre 2004, le Comité a publié un document de consultation proposant un cadre de protection des consommateurs et diverses mesures(5).  Des consultations avec les groupes intéressés ont eu lieu par la suite.

Au moyen du projet de loi C-26, le législateur opte pour la réglementation provinciale du marché plutôt que pour l’interdiction totale du prêt sur salaire.

Description et analyse

L’article premier du projet de loi actualise le libellé de l’article 347 du Code en remplaçant « nonobstant » par « malgré », conformément aux règles modernes de rédaction législative, et « vingt-cinq mille dollars » par « 25 000 $ ».

L’article 2 modifie le Code en y ajoutant le paragraphe 347.1(1).  Ce nouveau paragraphe reprend la définition d’« intérêt » donnée au paragraphe 347(2)(6) et définit « prêt sur salaire » : « Opération par laquelle une somme d’argent est prêtée en échange d’un chèque postdaté, d’une autorisation de prélèvement automatique ou de paiement futur de même nature et à l’égard de laquelle ne sont fournis aucun cautionnement ni autre sûreté sur des biens ou autorisation pour découvert de compte; sont toutefois exclus les prêts sur gage ou sur marge, les lignes de crédit et les cartes de crédit. »

Le même article ajoute aussi au Code le nouveau paragraphe 347.1(2), qui dispose qu’une personne qui consent un prêt sur salaire ne peut faire l’objet de poursuites au criminel si les conditions suivantes sont réunies :

  • le prêt est d’au plus 1 500 $ et la durée de la convention est d’au plus 62 jours;
  • la personne est titulaire d’une licence provinciale lui permettant de conclure cette convention;
  • la province a été désignée par le gouverneur en conseil (Cabinet) en vertu du nouveau paragraphe 347.1(3).

Le nouveau paragraphe 347.1(2) ne s’applique pas aux institutions financières réglementées par le fédéral telles que les banques.

Le nouveau paragraphe 347.1(3) prévoit que les dispositions énoncées plus haut s’appliqueront dans les provinces désignées par le gouverneur en conseil, à la demande de la province.  La désignation aura lieu à condition que la province ait adopté des mesures législatives qui « protègent les bénéficiaires de prêts sur salaire et qui fixent un plafond au coût total des prêts ».  Le nouveau paragraphe 347.1(4) permet au gouverneur en conseil de révoquer par décret la désignation à la demande de la province ou lorsque les mesures législatives mentionnées plus haut ne sont plus en vigueur.

Commentaire

L’essor récent du secteur des prêts sur salaire a attiré l’attention sur ce secteur et sur la pratique consistant à percevoir des taux d’intérêt élevés(7).  Les détracteurs du secteur ont réclamé des poursuites contre les prêteurs sur salaire en vertu des dispositions actuelles du Code criminel, et ce, malgré le fait qu’il en résulterait une diminution des profits du secteur ou même sa disparition.

Les défenseurs du secteur avancent que l’essor des sociétés de prêt sur salaire indique de façon évidente que le secteur répond à un besoin par ailleurs insatisfait de crédit à court terme et de dépannage.  À leur avis, le gouvernement fédéral, au lieu d’interdire totalement le prêt sur salaire, devrait permettre aux provinces de réglementer le secteur afin de mettre un frein à certaines des pratiques les plus abusives du secteur telles que la divulgation insuffisante des modalités contractuelles, les pratiques de recouvrement inéquitables et agressives, et le renouvellement des prêts.  Le secteur des prêts sur salaire a proposé d’adopter des mesures d’autoréglementation pour résoudre certaines difficultés relatives aux méthodes de prêt(8).

Depuis le dépôt du projet de loi, d’aucuns ont laissé entendre que le fédéral a tout simplement transféré le problème des prêts sur salaire aux provinces, qui réussiront ou non à les réglementer convenablement(9).  Ce transfert risque d’avoir pour conséquence l’adoption d’un ensemble disparate de lois et de règlements et un manque d’uniformité dans leur application(10).

D’autres croient qu’il faut apporter à l’article 347, des modifications plus poussées que celles prévues par le projet de loi.  La Cour suprême, par exemple, a déclaré que l’article 347 « est une disposition très problématique »(11).  Par ailleurs, certains craignent que les dispositions du projet de loi suscitent une incertitude juridique pour ce qui est de la négociation de transactions financières plus importantes, comme les prêts relais et les débentures convertibles(12).

Enfin, un certain nombre de groupes intéressés ont formulé des recommandations qui, à leur avis, réduiraient le besoin de sociétés de prêts sur salaire, notamment (13) :

  • que le gouvernement mette sur pied des programmes visant à accroître les connaissances de base en matière de finances;
  • que l’on favorise la compétition des banques conventionnelles et des autres institutions financières, afin de mieux gérer les prix sur le marché substitut du crédit à la consommation;
  • que l’on réforme la procédure de fermeture des banques en région rurale et dans les quartiers où les gens ont de faibles revenus, de manière à rendre ces fermetures plus onéreuses;
  • que le gouvernement appuie la création d’opérations bancaires communautaires dans les quartiers où les gens ont de faibles revenus.

Au cours de l’étude du projet de loi C-26, des membres du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ont dit partager certaines des préoccupations soulevées par les parties intéressées.  Le Comité a fait rapport du projet de loi sans amendement, mais a exprimé des réserves à l’égard du projet de loi tel qu’il est libellé. Il a repris certaines des inquiétudes manifestées, en disant craindre que le projet de loi n’aboutisse à un ensemble hétéroclite de lois et de règlements provinciaux qui n’assureraient pas un minimum de protection aux consommateurs.  Il a donc exhorté les provinces à adopter au moins les mesures suivantes afin de protéger les consommateurs de services de prêt sur salaire :

  • limitation de la reconduction des prêts et du crédit adossé;
  • participation obligatoire des prêteurs sur salaire à un mécanisme indépendant de règlement des plaintes;
  • mise en place de mécanismes pour garantir la communication intégrale et fidèle des modalités de contrat;
  • adoption de pratiques acceptables de recouvrement des créances;
  • reconnaissance à l’emprunteur du droit de renoncer à un prêt et d’obtenir un plein remboursement, au plus tard à la fin du jour ouvrable suivant celui où le prêt a été consenti.

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a également exhorté les banques à charte à autoriser le prêt à court terme de modestes sommes, pour que les consommateurs aient un plus grand choix.


*   Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur.  Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.

Notes

  1. L.R., 1985, ch. C-46.
  2. Bob Whitelaw, « $280 till payday:  The short-term loan industry says it provides a service the (average) Canadian needs, wants and appreciates », Vancouver Sun, 8 juin 2005, p. A21.  Bob Whitelaw était président et chef de la direction de l’Association canadienne des prêteurs sur salaire (ACPS).
  3. Pour mieux comprendre le secteur des prêts sur salaire, voir Andrew Kitching et Sheena Starky, Les sociétés de prêt sur salaire au Canada : Déterminer l’intérêt public, PRB 05-81F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 26 janvier 2006.
  4. Les institutions financières sont sous réglementation fédérale, provinciale ou territoriale, selon l’administration sous laquelle elles ont été constituées en personne morale.  Le fédéral a toute compétence sur les taux d’intérêt, mais la réglementation du fonctionnement courant des prêteurs sur salaire et l’octroi à ceux-ci de permis relèvent le plus souvent des provinces, dans le cadre de leur pouvoir en matière de droit de propriété et de droits civils; voir Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, Toronto, Carswell, 1997.  Les gouvernements territoriaux ont le pouvoir de réglementer les prêteurs sur salaire parce qu’il leur est délégué par le fédéral.
  5. Groupe de travail sur le marché parallèle du crédit à la consommation du Comité des mesures en matière de consommation, Documents de consultation sur les options stratégiques pour régler les préoccupations relatives au marché parallèle du crédit à la consommation, automne 2002. voir aussi Document de consultation des intervenants relativement à une proposition de cadre de protection des consommateurs dans le marché parallèle du crédit à la consommation, décembre 2004.
  6. Le projet de loi définit « intérêt » de la même façon que le par. 347(2) du Code.  La définition actuelle pose toutefois problème, parce que les prêteurs sur salaire ont tenté de contourner les dispositions du par. 347(2) en faisant passer des intérêts pour diverses taxes et redevances, notamment des frais d’assurance.  Selon un certain modèle de gestion, les prêteurs sur salaire supportent tous les frais de fonctionnement et exigent des clients des frais fixes et une sorte de prime d’assurance pour chaque prêt.  La prime, qui couvre le coût de l’octroi du prêt ainsi que le risque de défaut, est assumée par une société d’assurance qui peut appartenir au prêteur sur salaire.  Si la raison des « frais d’assurances » était acceptée par un tribunal canadien, il n’est pas sûr que l’exemption proposée dans le projet de loi s’appliquerait.  Il pourrait en résulter une contestation de compétence compliquée concernant les plafonds imposés par les provinces au coût d’emprunt.
  7. Voir, par exemple, le projet de loi S-19 : Loi modifiant le Code criminel, 1re session, 38e législature, présenté au Sénat le 4 novembre 2004 par l’honorable Madeleine Plamondon.  Ce projet de loi aurait fait passer le taux d’intérêt maximal prévu par l’art. 347 du Code de 60 p. 100 à 35 p. 100 au-dessus du taux du financement à un jour fixé par la Banque du Canada.  La définition d’« intérêt » au par. 347(2) du Code aurait aussi été modifiée afin d’englober les frais d’assurance, éliminant ainsi ce que certains considèrent comme une lacune actuelle dont se prévalent des entreprises de prêt sur salaire qui fonctionnent selon le modèle de l’assureur.
  8. ACSP, « L’Association de l’industrie du prêt sur salaire dévoile un nouveau code de déontologie des meilleures pratiques de gestion visant à mieux protéger les consommateurs », communiqué, 22 juin 2005; Code de déontologie des meilleures pratiques de gestion.
  9. Jacob Ziegel, « Pass the buck:  Ottawa has paramount jurisdiction over interest rate regulation », Financial Post, 10 novembre 2006.
  10. Ibid.
  11. Garland c. Consumer Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 112, par. 52.
  12. Des juristes et des théoriciens de la finance d’entreprise ont déclaré que toute modification apportée à l’art. 347 devrait inclure une exception pour les transactions financières telles que les prêts relais et les débentures convertibles.  Ces modifications devraient soit exempter ces deux instruments financiers, soit simplement rendre la loi inapplicable aux prêts commerciaux excédant 250 000 $.  Voir, par exemple, Jacob S. Ziegel, « Section 347 of the Criminal Code », Canadian Business Law Journal, vol. 23, 1994, p. 321, et Mary Anne Waldron, « White Collar Usury:  Another Look at the Conventional Wisdom », Canadian Bar Review, vol. 73, 1994, p. 3.
  13. Certains organismes publics, chercheurs universitaires et groupes d’intérêt public ont étudié le marché parallèle du crédit de la consommation au Canada et formulé des recommandations.  Voir, par exemple, Sue Lott et Michael Grant, « Fringe Lending and Alternative Banking:  the Consumer Experience », Centre pour la défense de l’intérêt public, novembre 2002; John Lawford, « Pragmatic Solutions to Payday Lending:  Regulating Fringe Lending and Alternative Banking »,Centre pour la défense de l’intérêt public, novembre 2003; Jerry Buckland et Martin Thibault, « The Rise of Fringe Financial Services in Winnipeg’s North End:  Client Experiences, Firm Legitimacy and Community-Based Alternatives », Institute of Urban Studies, Winnipeg, août 2003; Iain Ramsay, « Access to Credit in the Alternative Consumer Credit Market », document produit pour le Bureau de la consommation, Industrie Canada et le ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique, février 2000.

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