Le 6 octobre 2006, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable Vic Toews, a déposé à la Chambre des communes le projet de loi C-26 : Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel). Ce projet de loi modifie l’article 347 du Code criminel(1) (le Code), article qui criminalise la perception d’intérêts à des taux usuraires.
L’essor récent des sociétés de prêt sur salaire donne à penser que certains Canadiens sont disposés à contracter des prêts sur salaire à des taux d’intérêt supérieurs à ceux qui sont permis par le Code. Le projet de loi vise à exempter de sanctions pénales les prêteurs sur salaire, afin d’aider les provinces à réglementer le secteur. L’exemption s’applique donc aux sociétés de prêt sur salaire titulaires d’une licence émise par une province qui a adopté des mesures législatives afin de protéger les consommateurs et de fixer un plafond au coût total des prêts.
Un prêt sur salaire est un prêt à court terme d’un montant relativement modeste consenti par un prêteur non traditionnel. Selon les statistiques fournies par le secteur des prêts sur salaire au Canada, ces prêts sont en moyenne d’un montant de 280 $ et d’une durée de dix jours(2). Pour avoir droit d’emprunter sur son salaire, il faut en général présenter une pièce d’identité, détenir un compte de chèque personnel et présenter un talon de chèque de paye ou une autre preuve de revenu régulier. Généralement, le crédit octroyé est un pourcentage du salaire net de l’emprunteur jusqu’à sa prochaine paye (généralement versée au plus tard dans les deux semaines qui suivent). L’emprunteur fournit au prêteur un chèque postdaté ou autorise le retrait direct d’un montant équivalant à l’emprunt, auquel s’ajoutent les intérêts et frais exigés.
Au Canada, l’article 347 du Code dispose que la perception d’intérêts annuels de plus de 60 p. 100 constitue un acte criminel. En calculant le taux d’intérêt sur prêt sur salaire selon les définitions et les méthodes prévues dans le Code, il semblerait que certaines sociétés de prêt sur salaire perçoivent des taux d’intérêt qui dépassent 1 200 p. 100 par an(3).
Le partage des compétences en matière de prêt sur salaire entre le fédéral et les provinces signifie que le secteur demeure essentiellement non réglementé(4). Les provinces ne peuvent réglementer les taux de prêt, parce que toute tentative de leur part en ce sens serait contraire à l’article 347 et pourrait être déclarée ultra vires. De plus, cet article n’a jamais été utilisé dans un contexte pénal pour restreindre les activités des prêteurs sur salaire et il exige le consentement du procureur général d’une province pour toute poursuite sous son régime. Les gouvernements provinciaux n’ont pas encore poursuivi de prêteur sur salaire, craignant peut-être que les consommateurs, ne pouvant compter sur les services d’entreprises de prêt sur salaire, recourent à des voies illégales comme les services d’usuriers.
Si le secteur des prêts sur salaire n’est pas réglementé, son avenir risque en fin de compte d’être déterminé par un certain nombre de recours collectifs dont sont actuellement saisis les tribunaux canadiens. Les plaignants s’estiment lésés pour avoir dû verser des frais supérieurs au taux permis par le Code et veulent recouvrer des centaines de millions de dollars en intérêts. Si ces recours collectifs portent fruit, ils pourraient acculer le secteur du prêt sur salaire à la faillite.
Pour résoudre les difficultés sur le plan des compétences, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux négocient actuellement un régime de réglementation visant les activités des prêteurs sur salaire. Le Groupe de travail sur le marché parallèle du crédit à la consommation du Comité des mesures et des normes en matière de consommation a été constitué par Industrie Canada et les provinces pour trouver des moyens d’assurer aux consommateurs des niveaux de protection uniformes dans tout le pays. En décembre 2004, le Comité a publié un document de consultation proposant un cadre de protection des consommateurs et diverses mesures(5). Des consultations avec les groupes intéressés ont eu lieu par la suite.
Au moyen du projet de loi C-26, le législateur opte pour la réglementation provinciale du marché plutôt que pour l’interdiction totale du prêt sur salaire.
L’article premier du projet de loi actualise le libellé de l’article 347 du Code en remplaçant « nonobstant » par « malgré », conformément aux règles modernes de rédaction législative, et « vingt-cinq mille dollars » par « 25 000 $ ».
L’article 2 modifie le Code en y ajoutant le paragraphe 347.1(1). Ce nouveau paragraphe reprend la définition d’« intérêt » donnée au paragraphe 347(2)(6) et définit « prêt sur salaire » : « Opération par laquelle une somme d’argent est prêtée en échange d’un chèque postdaté, d’une autorisation de prélèvement automatique ou de paiement futur de même nature et à l’égard de laquelle ne sont fournis aucun cautionnement ni autre sûreté sur des biens ou autorisation pour découvert de compte; sont toutefois exclus les prêts sur gage ou sur marge, les lignes de crédit et les cartes de crédit. »
Le même article ajoute aussi au Code le nouveau paragraphe 347.1(2), qui dispose qu’une personne qui consent un prêt sur salaire ne peut faire l’objet de poursuites au criminel si les conditions suivantes sont réunies :
Le nouveau paragraphe 347.1(2) ne s’applique pas aux institutions financières réglementées par le fédéral telles que les banques.
Le nouveau paragraphe 347.1(3) prévoit que les dispositions énoncées plus haut s’appliqueront dans les provinces désignées par le gouverneur en conseil, à la demande de la province. La désignation aura lieu à condition que la province ait adopté des mesures législatives qui « protègent les bénéficiaires de prêts sur salaire et qui fixent un plafond au coût total des prêts ». Le nouveau paragraphe 347.1(4) permet au gouverneur en conseil de révoquer par décret la désignation à la demande de la province ou lorsque les mesures législatives mentionnées plus haut ne sont plus en vigueur.
L’essor récent du secteur des prêts sur salaire a attiré l’attention sur ce secteur et sur la pratique consistant à percevoir des taux d’intérêt élevés(7). Les détracteurs du secteur ont réclamé des poursuites contre les prêteurs sur salaire en vertu des dispositions actuelles du Code criminel, et ce, malgré le fait qu’il en résulterait une diminution des profits du secteur ou même sa disparition.
Les défenseurs du secteur avancent que l’essor des sociétés de prêt sur salaire indique de façon évidente que le secteur répond à un besoin par ailleurs insatisfait de crédit à court terme et de dépannage. À leur avis, le gouvernement fédéral, au lieu d’interdire totalement le prêt sur salaire, devrait permettre aux provinces de réglementer le secteur afin de mettre un frein à certaines des pratiques les plus abusives du secteur telles que la divulgation insuffisante des modalités contractuelles, les pratiques de recouvrement inéquitables et agressives, et le renouvellement des prêts. Le secteur des prêts sur salaire a proposé d’adopter des mesures d’autoréglementation pour résoudre certaines difficultés relatives aux méthodes de prêt(8).
Depuis le dépôt du projet de loi, d’aucuns ont laissé entendre que le fédéral a tout simplement transféré le problème des prêts sur salaire aux provinces, qui réussiront ou non à les réglementer convenablement(9). Ce transfert risque d’avoir pour conséquence l’adoption d’un ensemble disparate de lois et de règlements et un manque d’uniformité dans leur application(10).
D’autres croient qu’il faut apporter à l’article 347, des modifications plus poussées que celles prévues par le projet de loi. La Cour suprême, par exemple, a déclaré que l’article 347 « est une disposition très problématique »(11). Par ailleurs, certains craignent que les dispositions du projet de loi suscitent une incertitude juridique pour ce qui est de la négociation de transactions financières plus importantes, comme les prêts relais et les débentures convertibles(12).
Enfin, un certain nombre de groupes intéressés ont formulé des recommandations qui, à leur avis, réduiraient le besoin de sociétés de prêts sur salaire, notamment (13) :
Au cours de l’étude du projet de loi C-26, des membres du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ont dit partager certaines des préoccupations soulevées par les parties intéressées. Le Comité a fait rapport du projet de loi sans amendement, mais a exprimé des réserves à l’égard du projet de loi tel qu’il est libellé. Il a repris certaines des inquiétudes manifestées, en disant craindre que le projet de loi n’aboutisse à un ensemble hétéroclite de lois et de règlements provinciaux qui n’assureraient pas un minimum de protection aux consommateurs. Il a donc exhorté les provinces à adopter au moins les mesures suivantes afin de protéger les consommateurs de services de prêt sur salaire :
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a également exhorté les banques à charte à autoriser le prêt à court terme de modestes sommes, pour que les consommateurs aient un plus grand choix.
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