Le projet de loi C-21 : Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, a fait l’objet d’une première lecture à la Chambre des communes et est réputé avoir été renvoyé au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord le 13 novembre 2007. Il est identique à l’ancien projet de loi C-44, qui a été déposé au cours de la première session de la 39e législature et qui, après une étude fouillée, est mort au Feuilleton à l’étape du comité à la prorogation du Parlement le 14 septembre 2007(1).
Comme son prédécesseur, le projet de loi C-21 abroge l’article 67 de la loi fédérale sur les droits de la personne, article qui limite l’accès aux mécanismes de recours de celle-ci, puisqu’il dispose que « [l]a présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi »(2). En décembre 2007 et janvier 2008, le Comité des affaires autochtones a tenu quatre réunions pour étudier le projet de loi C-21 article par article; il a adopté cinq importants amendements de l’opposition concernant des questions d’interprétation et de processus et a laissé intacte la disposition abrogatoire. Le 28 mai 2008, avec le consentement unanime de la Chambre, le projet de loi est réputé avoir été adopté à l’étape du rapport puis, après l’adoption d’amendements du gouvernement visant à modifier deux des propositions du Comité, est réputé avoir été lu pour la troisième fois et adopté. Les amendements proposés par le Comité et ceux présentés à l’étape du rapport sont expliqués plus loin à la rubrique « Description et analyse ». Le projet de loi a été déposé au Sénat le 29 mai et adopté sans autre modification le 17 juin 2008. La sanction royale lui a été accordée le 18 juin.
La Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), adoptée en 1977, interdit les pratiques discriminatoires fondées sur une liste exhaustive de motifs(4) dans les domaines de l’emploi, de l’hébergement et de la fourniture de biens, services ou installations normalement accessibles au public. La LCDP s’applique aux lois fédérales, aux ministères, organismes et sociétés d’État du gouvernement fédéral et aux entreprises et secteurs sous réglementation fédérale, par exemple les banques et les sociétés de communications.
Le système de protection des droits de la personne s’appuie sur le dépôt de plaintes. Les fonctions de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), qui est chargée de l’application de la LCDP, sont d’évaluer les plaintes pour déterminer si elles relèvent de sa compétence, de faire enquête et de régler les plaintes valables, entre autres par la conciliation, ou de les adresser, lorsqu’il y a lieu, à un tribunal doté de larges pouvoirs d’accorder réparation afin qu’il tranche. La Commission est aussi habilitée à produire des directives exécutoires sur la façon dont les dispositions de la LCDP doivent être appliquées dans certaines catégories de cas.
Par ailleurs, la Commission énonce certaines exceptions au principe général de non-discrimination, afin d’équilibrer le droit individuel de ne pas être l’objet de discrimination et d’autres droits importants sur le plan social. Dans le cas d’exigences professionnelles justifiées ou de motifs justifiables, une politique ou pratique d’emploi, d’hébergement ou de service n’est pas discriminatoire, s’il est prouvé qu’elle est nécessaire dans les circonstances.
L’article 67 de la LCDP (à l’origine, le par. 63(2)) se lit comme suit :
La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.
Unique exception de cette nature dans la LCDP, l’article 67 concerne principalement les Premières nations assujetties à la Loi sur les Indiens (LSI) et il protège explicitement le gouvernement fédéral et les gouvernements des collectivités des Premières nations contre les plaintes pour discrimination au motif d’actes découlant de la LSI ou posés en vertu de celle-ci. Selon Ron Basford, alors ministre de la Justice (le Ministre), cette disposition était nécessaire en 1977, compte tenu de l’engagement du gouvernement à ne pas réviser la LSIen attendant l’issue de consultations en cours avec la Fraternité nationale des Indiens(5) et d’autres organisations au sujet de la réforme générale de la LSI(6).
Comme on pouvait s’y attendre, cette disposition a suscité la controverse dès le dépôt de la LCDP. On a estimé qu’elle était particulièrement préjudiciable aux femmes des Premières nations privées de « statut » aux termes de dispositions de la LSIqui étaient alors en vigueur et largement considérées comme discriminatoires(7). Les témoins qui se sont adressés au Comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes de l’époque pendant l’examen parlementaire de la nouvelle loi (projet de loi C-25) ont déclaré que cette exception était « injuste », « répréhensible », « un affront » et « la pire indifférence à l’égard des droits de la personne »(8). L’Association du Barreau canadien a proposé que l’exception soit limitée aux dispositions prises en vertu de la LSI qui constituent une préférence ou un avantage en faveur de la population indienne, mais ne constituent une note discriminatoire à aucun autre égard(9), tandis que d’autres témoins recommandaient son élimination du projet de loi. Une proposition d’amendement en ce sens a été rejetée par le Comité(10).
Le Ministre considérait l’article 67 comme une nécessité provisoire, laissant entendre que le Parlement ne serait pas très favorable à l’idée de maintenir cette exception indéfiniment ou très longtemps(11), mais « l’exception de la Loi sur les Indiens » est restée en vigueur malgré les très attendues modifications de 1985 à la LSI qui, dans le projet de loi C-31, ont permis de supprimer les dispositions les plus manifestement discriminatoires de la LSI, et elle le demeure jusqu’à ce jour. On estime généralement que cette limitation continue de toucher avant tout les femmes des Premières nations. En particulier, les « Indiens » qui ont récupéré leur statut grâce au projet de loi C-31 dénoncent une discrimination résiduelle dans le cadre de la LSI modifiée, relativement à la transmission du statut, à l’affiliation aux collectivités des Premières nations et à des questions connexes(12).
L’exception prévue à l’article 67 n’empêche pas entièrement les membres des Premières nations de se prévaloir du régime de la LCDP. Comme l’a expliqué le ministre Basford en 1977, les Indiens jouiraient de la protection générale assurée par la LCDP au même titre que tous les autres Canadiens, sauf dans les situations spéciales relativement auxquelles leurs droits et leur statut sont régis par la LSI(13).
L’exception n’est pas non plus applicable aux collectivités des Premières nations qui ont conclu des accords d’autonomie gouvernementale ou adopté des textes législatifs et ne relèvent plus de la LSI(14). Par conséquent, les conseils des Premières nations qui exercent les pouvoirs limités prévus par la LSI sont exemptés de l’examen de la situation des droits de la personne par l’article 67, alors que les gouvernements des Premières nations qui jouissent de pouvoirs plus larges hors du cadre de la LSI n’en sont pas exemptés. La plupart des accords en question ne font aucune mention de la LCDP, mais l’Accord sur l’autonomie gouvernementale de la Première nation de Westbank, accord distinct non issu d’un traité, y renvoie en prévoyant explicitement l’application de la LCDP à Westbank et comporte une disposition d’interprétation à cet égard(15).
L’article 67 n’a pas d’effet sur les procédures judiciaires relatives aux droits à l’égalité garantis par la Charte lorsqu’un traitement discriminatoire sous le régime de la LSI est allégué. Les Premières nations et les autres peuvent se prévaloir de la Charte pour soulever des questions qui, si ce n’était de l’exception, pourraient faire l’objet de plaintes en vertu de la LCDP(16). Dans la pratique, cette solution est considérée comme onéreuse par les intéressés en raison de la complexité, du coût et de la durée de la procédure judiciaire.
Selon un principe d’interprétation législative largement reconnu, les exceptions aux lois quasi constitutionnelles sur les droits de la personne doivent être interprétées étroitement(17). Par conséquent, l’application de la LCDP par le Tribunal canadien des droits de la personne et par les tribunaux en général dépend de la question de savoir si la LSI ou tout règlement ou règlement administratif adopté en vertu de celle-ci donne au conseil de bande ou au ministère des Affaires indiennes le pouvoir explicite de prendre une mesure ou une décision contestée. Si c’est le cas, l’article 67 interdit au Tribunal de procéder à un contrôle, même dans les cas de discrimination les plus manifestes. En revanche, l’exception prévue à l’article 67 ne protège pas les mesures et décisions discriminatoires non autorisées par la LSI, ce qui fait que l’article 67 n’a pas empêché les membres de collectivités des Premières nations de recourir aux mécanismes prévus par la LCDP dans un certain nombre de cas où ce pouvoir explicite fait défaut(18). Dans les autres cas, c’est la LSI et l’exception de l’article 67 qui l’ont emporté(19).
Les observateurs spécialisés estiment que cette situation a conduit à une application incohérente et arbitraire de la LCDP aux personnes, aux collectivités et aux gouvernements des Premières nations qui sont assujettis à la LSI(20).
Les femmes des Premières nations contestent depuis longtemps l’exception prévue à l’article 67 et font pression pour obtenir l’élimination de cette disposition qui limite leur accès au système fédéral de protection des droits de la personne. Les organismes voués à la défense des droits de la personne, dont la CCDP, ont adopté une position semblable. Quant au projet de loi C-44, ce n’est pas le premier projet de loi du gouvernement qui propose l’élimination de la disposition controversée. Depuis des années, d’autres initiatives législatives et déclarations de principe ont porté sur la nécessité de supprimer l’article 67. Voici un bref exposé de certaines de ces mesures.
L’abrogation de l’article 67 faisait partie des nombreuses modifications à la LCDP que proposait le projet de loi C-108, présenté en décembre 1992. Le projet de loi n’est pas allé au-delà de la première lecture et il est mort au Feuilleton au moment de la dissolution du Parlement (34e législature), en juin 1993.
Le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, chargé de procéder à un examen approfondi de la LCDP, a reconnu l’importance des ramifications de l’article 67 pour les peuples autochtones(21). Son rapport indique que les différents groupes de la population autochtone consultés ont soulevé, en matière de droits de la personne, toutes sortes de questions relatives à l’accès limité aux programmes et services du gouvernement et des bandes. Certains participants à la procédure d’examen s’opposaient à l’application de la LCDP aux organismes régissant les affaires autochtones, mais « tous les groupes de femmes autochtones ont demandé qu’on abolisse cette exception », c’est-à-dire celle prévue par l’article 67(22).
En fin de compte, le Comité a conclu « qu’une exception générale comme celle qui est stipulée dans l’article 67 n’est pas appropriée »(23), mais il a rappelé l’importance d’une mesure d’interprétation pour « trouver un équilibre entre les intérêts individuels des Autochtones qui revendiquent l’égalité sans discrimination et les intérêts les plus importants des communautés autochtones »(24). Il a recommandé l’abrogation de l’article 67, l’application de la LCDP au gouvernement fédéral et aux gouvernements autochtones en attendant l’élaboration d’un code autochtone des droits de la personne et l’incorporation dans la LCDP d’une disposition facilitant l’interprétation des justifications actuelles(25).
L’objet premier de la controversée Loi sur la gouvernance des premières nations était d’énoncer les exigences relatives aux codes de « gouvernance » des collectivités des Premières nations, mais le projet de loi C-7 prévoyait également l’abrogation de l’article 67 et l’introduction d’une disposition d’interprétation empruntée presque textuellement au rapport publié en 2000 par le Comité de révision de la LCDP(27). On y proposait que, dans toute question pouvant faire l’objet d’une plainte contre une organisation gouvernementale autochtone, les besoins et aspirations (qui n’étaient pas définis) de la collectivité autochtone concernée « qui sont compatibles avec les principes de l’égalité entre les sexes »(28) soient pris en considération pour l’interprétation et l’application des dispositions de la LCDP.
Les témoins qui se sont adressés au Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles de l’époque ont exprimé leur appui à ces mesures, mais ils estimaient que la disposition d’interprétation proposée n’était pas claire et serait difficile à appliquer. La CCDP a alors proposé des solutions pour parvenir à plus de clarté et rappelé l’importance de consultations efficaces auprès des Premières nations et des autres parties intéressées. Elle a également remis en cause sa propre capacité et celle des collectivités des Premières nations à composer efficacement avec les répercussions de l’abrogation de l’exception prévue à l’article 67, évoquant, entre autres, l’augmentation de la charge de travail et les besoins supplémentaires en formation et en ressources des collectivités touchées. L’Association des femmes autochtones du Canada et la National Aboriginal Women’s Association ont exprimé leur inquiétude à l’égard des conséquences possibles de la disposition d’interprétation pour les droits collectifs traditionnels.
Dans son rapport spécial sur l’abrogation de l’article 67, la CCDP voulait « encourager le redressement d’une lacune inacceptable qui mine depuis longtemps le régime de protection des droits de la personne »(29) pour les Premières nations, estimant, compte tenu des objections et demandes d’abrogation vigoureuses exprimées à l’égard de cette disposition depuis son adoption, que « n’eût été de l’article 67, la Commission aurait été saisie d’un nombre important de plaintes depuis 1977 »(30). Dans ce même rapport, elle rappelle que cette exception contredit les obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne(31); elle examine aussi l’évolution juridique et constitutionnelle du Canada concernant les droits des peuples autochtones depuis 1977 et reconnaît qu’il peut y avoir contradiction entre les droits collectifs des Autochtones et les droits individuels(32).
Faisant écho aux conclusions du Comité de révision de la LCDP, Une question de droits rappelle également que, « au moment de procéder à l’abrogation de l’article 67, il importe de s’assurer que le système de règlement des plaintes relatives aux droits de la personne tiendra dûment compte du caractère particulier de la situation et des droits des Premières nations ». Il réitère également le point de vue du Comité selon lequel il y aurait lieu d’ajouter une disposition d’interprétation à la LCDP pour que « les plaintes de discrimination présentées par des individus [puissent] être examinées à la lumière des droits collectifs légitimes »(33). Compte tenu de l’importance d’une formulation adaptée de cette disposition après consultation des Premières nations, la CCDP a proposé une procédure en deux étapes, et elle recommande que :
Il convient de souligner que, selon le Rapport spécial de la CCDP, la résolution efficace des plaintes pour discrimination dans le contexte des Premières nations pourrait supposer un ajustement des mécanismes institutionnels actuels, qu’il y aurait lieu de préciser en collaboration après l’abrogation de l’article 67. En outre, « la nécessité de réagir à l’échelle communautaire se fait d’autant plus sentir dans le cas des Premières nations, compte tenu de la diversité qui les caractérise et de leur nature spéciale », c’est-à-dire, puisque la plupart des collectivités en cause sont rurales et éloignées, compte tenu de la diversité des traditions culturelles et linguistiques et des différences de capacité administrative. La CCDP poursuivait en ces termes dans le rapport :
Il sera également essentiel de s’assurer que les Premières nations disposent des ressources humaines et financières nécessaires à l’élaboration et à la mise en œuvre de systèmes viables de protection des droits de la personne […] [E]lle nécessitera des investissements importants au chapitre du renforcement des capacités. Il importe que les Premières nations ne soient pas contraintes de puiser des ressources à même des programmes essentiels, tels les programmes de logement et d’éducation, afin de devoir satisfaire à leurs obligations en matière de droits de la personne.(35)
La Commission a aussi fait observer qu’un certain nombre de questions relatives à la LSI soulèvent des préoccupations en matière de droits de la personne. Elle a exhorté le gouvernement à entreprendre une révision de la LSI en raison de l’incompatibilité de cette dernière avec la LCDP et d’autres instruments de protection des droits de la personne, en s’attachant plus particulièrement aux répercussions du projet de loi C‑31 et aux questions connexes en matière de statut et d’affiliation(36).
Dans ce document publié en mai 2006, où elle propose un plan pluriannuel visant à faire participer pleinement les collectivités autochtones et les collectivités des Premières nations et de les consulter véritablement au sujet de l’abrogation de l’article 67(37), l’Association des femmes autochtones du Canada appuyait les recommandations de la CCDP concernant l’abrogation immédiate de l’article 67 et l’introduction d’une disposition d’interprétation, mais elle faisait remarquer ce qui suit :
En ajoutant une disposition d’interprétation à la LCDP, on n’assure pas effectivement l’accès véritable de beaucoup de membres des Premières nations aux garanties relatives aux droits de la personne […] notamment celui des membres de collectivités éloignées […] L’accès équitable à la loi sur les droits de la personne suppose beaucoup plus qu’un changement à la « lettre de la loi ». Ne pas fournir aux femmes et aux collectivités des Premières nations les moyens d’accéder au système de justice est tout aussi déplorable et injustifiable, du point de vue des droits de la personne, que les lacunes actuelles de la loi elle-même telle qu’elle s’applique aux femmes des Premières nations.(38)
En décembre 2004, le rapporteur spécial sur la situation des droits de la personne et les libertés fondamentales des peuples autochtones, rendant compte de sa mission au Canada, recommandait que l’article 67 soit abrogé et que la CCDP soit habilitée à recevoir les plaintes des Premières nations concernant la LSI(39).
En avril 2006, le Comité des droits de l’homme faisait remarquer que le fait de réaliser un équilibre entre les intérêts collectifs et les intérêts individuels dans les réserves au détriment des seules femmes n’est pas compatible avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il recommandait l’abrogation immédiate de l’article 67 et l’adoption, en consultation avec les peuples autochtones, de mesures mettant fin à la discrimination dans les affaires d’affiliation aux bandes et de biens matrimoniaux(40).
En mai 2006, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels faisait remarquer que la discrimination actuelle concernant le statut d’Indien et l’appartenance aux bandes portait atteinte aux droits des femmes des Premières nations garantis par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a, lui aussi, recommandé l’abrogation de l’article 67 et l’élimination de toute discrimination résiduelle dans la LSI(41).
L’historique du prédécesseur du projet de loi C-21, qui, comme on l’a déjà précisé, est mort au Feuilleton en septembre 2007, mérite qu’on s’y attarde. En février 2007, après la deuxième lecture, la Chambre des communes a renvoyé le projet de loi C-44 à son Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, qui s’est réuni 16 fois pour l’étudier de mars à juin 2007. Les témoins entendus par le Comité ont presque unanimement appuyé l’abrogation de l’article 67, mais presque tous les témoins autres que ceux du gouvernement – y compris les organisations et communautés nationales, régionales et locales des Premières nations, la Commission canadienne des droits de la personne, les associations des barreaux des provinces et d’autres spécialistes du domaine juridique – ont aussi exprimé diverses réserves concernant un ou plusieurs aspects du processus d’application et du fond du projet de loi. L’opposition à la mesure visait essentiellement ce qu’on considérait comme des lacunes du processus de consultation qui avait précédé l’élaboration du projet de loi. Par ailleurs, l’absence de disposition interprétative, la période de transition abrégée précédant la mise en œuvre du projet de loi et l’incertitude quant aux ressources qui seraient affectées à cette mise en œuvre ont aussi été signalées comme sources importantes de préoccupations(42).
Dans sa version initiale, le projet de loi C-21 comportait trois articles. Le Comité des affaires autochtones de la Chambre l’a amendé en modifiant deux des articles et en ajoutant trois nouveaux articles. Deux de ces trois articles ont tour à tour été modifiés par la Chambre des communes à l’étape du rapport.
L’article premier abroge l’article 67 de la LCDP, éliminant ainsi le rempart qui, depuis 1977, interdit les plaintes pour discrimination contre le gouvernement fédéral et les gouvernements des Premières nations concernant des actes et des décisions autorisés par la LSI. En supprimant l’exception prévue à l’article 67, le gouvernement a l’intention de s’assurer que les peuples autochtones aient accès à toutes les garanties de la LCDP au même titre que les autres Canadiens et de « fournir aux membres des Premières nations des mécanismes de recours »(43).
Comme l’analyse qui précède le montre bien, les autorités consultées ainsi que les témoins qui ont comparu devant le Comité des affaires autochtones de la Chambre et le Comité sénatorial des droits de la personne estiment que les répercussions de l’abrogation de cette disposition pour les Premières nations et pour le système actuel de la LCDP pourraient être importantes. S’il se concrétise, le volume prévu de plaintes jusque-là interdites pour discrimination – contre le gouvernement fédéral relativement aux dispositions de la LSI(44) et contre des mesures et décisions prises par les conseils communautaires et des gouvernements des Premières nations en vertu de la LSI – pourrait peser lourdement sur les ressources humaines et financières de beaucoup de gouvernements locaux et celles de la CCDP.
Un grand nombre de représentants des Premières nations et d’autres groupes qui ont témoigné devant le Comité de la Chambre étaient d’avis qu’il faudrait modifier le projet de loi pour tenir compte du contexte applicable aux Premières nations.
On a suggéré tout particulièrement d’ajouter une disposition interprétative visant à réaliser un équilibre entre les droits et intérêts individuels et les intérêts collectifs dans les cas où une plainte est déposée en vertu de la LCDP contre un gouvernement ou une autorité des Premières nations(45). Plusieurs témoins souhaitaient aussi ajouter au projet de loi une disposition de non-dérogation afin d’éviter que l’abrogation de l’article 67 ait pour effet d’abroger ou d’enfreindre les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones qui sont protégés par la Constitution.
En conséquence, une majorité de membres du Comité a adopté les amendements de l’opposition suivants :
1.1 L’abrogation de l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne peut être interprétée de manière à porter atteinte aux droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples des Premières Nations du Canada, notamment :
- aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763;
- aux droits ou libertés existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis;
- aux droits ou libertés reconnus par le droit coutumier et les traditions des peuples des Premières Nations du Canada.
1.2 Dans le cas d’une plainte déposée au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l’encontre du gouvernement d’une première nation, y compris un conseil de bande, un conseil tribal ou une autorité gouvernementale qui offre ou administre des programmes et des services sous le régime de la Loi sur les Indiens, la présente loi doit être interprétée et appliquée de manière à tenir compte des traditions juridiques et des règles de droit coutumier des Premières Nations et, en particulier, à assurer un équilibre entre les droits et intérêts individuels et les droits et intérêts collectifs.
Il convient de souligner qu’à l’exception de l’alinéa c), le libellé original du nouvel article 1.1 adaptait la disposition de non-dérogation que renferme l’article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés au contexte des Premières nations et de l’abrogation de l’article 67. Les membres du parti au pouvoir ont mis en doute la nécessité d’une disposition de non-dérogation, craignant en particulier l’effet possible du libellé non éprouvé de l’alinéa c) sur la capacité de la CCDP de régler les plaintes des Premières nations. La CCDP partage cette préoccupation. Dans un rapport spécial de suivi à son rapport de 2005, publié avant la fin de l’étude article par article, elle faisait une mise en garde à propos de l’ajout d’une disposition de non-dérogation dans la loi elle-même et soulignait en particulier que le nouvel alinéa 1.1 c) pouvait avoir « pour conséquence involontaire de soustraire les Premières nations […] aux demandes de traitement équitable, et ainsi permettre à l’article 67 de renaître sous une autre forme »(46)
Le 16 mai 2008, au moment du débat à l’étape du rapport, la mise en garde de la CCDP a été citée comme étant conforme à l’opinion du gouvernement au sujet « de la portée et du caractère sans précédent » du nouvel article 1.1. En conséquence, malgré les préoccupations constantes concernant la pertinence d’une telle disposition à la lumière des garanties constitutionnelles, le gouvernement a proposé de remplacer l’article 1.1 par la formule de non-dérogation la plus souvent employée dans certaines lois fédérales depuis 1998, dont le libellé est le suivant :
Il est entendu que l’abrogation de l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne porte pas atteinte à la protection des droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, la CCDP ne s’est pas opposée à ce qu’on ajoute la disposition de non-dérogation révisée du gouvernement. Les porte-paroles de l’APN n’étaient pas en faveur de la révision, qui, de leur point de vue, offrait une moindre protection aux droits ancestraux et issus de traités des Autochtones. Ils ont demandé aux sénateurs soit de rétablir l’amendement original, soit d’adopter la formule de non-dérogation employée dans les dispositions fédérales d’avant 1998 et s’inspirant de l’article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés(47).
Le nouvel article 1.2 présente une liste non exhaustive d’organismes à inclure dans le terme « gouvernement d’une première nation » aux fins du dépôt d’une plainte au titre de la LCDP et prescrit l’obligation de « tenir compte des traditions juridiques et des règles de droit coutumier des Premières Nations » dans ce contexte. Les préoccupations du gouvernement concernant la portée de l’article et la possibilité que celui-ci ait pour effet de soustraire les pratiques discriminatoires à l’endroit des femmes à l’application de la loi a donné lieu à un deuxième amendement à l’étape du rapport. Cet amendement stipule explicitement que l’interprétation de la LCDP relativement à une plainte déposée à l’encontre du « gouvernement d’une première nation » doit prendre en compte le principe de l’égalité des sexes, c.-à-d. que la LCDP doit être interprétée de manière à tenir compte des traditions juridiques et des règles de droit des Premières nations et à assurer un équilibre entre les droits et intérêts individuels et les droits et intérêts collectifs « dans la mesure où ces traditions et règles sont compatibles avec le principe de l’égalité entre les sexes ». Cet ajout va dans le même sens que le libellé proposé dans le projet de loi C-7 : Loi sur la gouvernance des Premières nations, qui est mort au Feuilleton en 2003(48), et tient compte de la préoccupation exprimée par le Comité de révision en 2000 à l’effet qu’une disposition d’interprétation ne doit pas avoir pour effet de justifier la discrimination fondée sur le sexe(49).
Les porte-paroles de l’APN ont exprimé leurs réserves au Comité sénatorial quant à l’intention sous-jacente et à l’effet incertain de la disposition d’interprétation révisée. Il reste à voir quelles politiques ou mesures réglementaires la CCDP adoptera en collaboration avec les représentants des Premières nations – son intention maintes fois exprimée – pour concrétiser la disposition interprétative maintenant prévue par la loi.
L’article 3, une disposition transitoire, donne un peu de temps aux gouvernements des Premières nations pour se préparer à l’abrogation de l’article 67. Dans sa version initiale, l’article 3 précisait que les actes ou omissions « de toute autorité autochtone » qui sont accomplis dans l’exercice des attributions prévues par la LSI ou sous son régime ne peuvent servir de fondement à une plainte déposée au titre de la LCDP s’ils sont accomplis dans les six mois suivant la date où le projet de loi C-21 a reçu la sanction royale. Le projet de loi ne permet pas au gouvernement fédéral de retarder l’application de la LCDP pour les questions liées à la LSI. La disposition atténuait au moins en partie les répercussions immédiates de l’abrogation de l’article 67 sur les collectivités des Premières nations, mais la période de transition établie était nettement inférieure aux 18 à 30 mois proposés par la CCDP et aux 36 mois préconisés par l’Assemblée des Premières Nations (APN), l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) et d’autres.
Presque tous les témoins qui se sont présentés devant le Comité des affaires autochtones ont fait valoir qu’il faudrait absolument une période de transition plus longue que celle de six mois prévue dans le projet de loi C-21 pour permettre aux collectivités d’acquérir la capacité de traiter les questions de droits de la personne et d’établir des mécanismes de recours valables. Les propositions variaient entre 18 et 36 mois. Une majorité de membres du Comité a donc amendé l’article 3 en remplaçant la période initiale de six mois par une période de 36 mois et en remplaçant « autorité autochtone » par le terme inclusif « gouvernement d’une première nation » figurant dans le nouvel article 1.2.
Dans sa version initiale, le projet de loi C-21 prévoyait qu’un comité parlementaire entreprendrait un examen approfondi des effets de l’abrogation de l’article 67 dans les cinq ans suivant la date de sanction du projet de loi et présenterait son rapport soit au Sénat, soit à la Chambre des communes, soit aux deux au cours de l’année suivante ou dans le délai supérieur autorisé par le Parlement. Cette disposition semblait indiquer que le gouvernement était conscient des effets éventuels du retrait de l’exception prévue dans la LCDP à l’égard de la LSI.
Le Comité des affaires autochtones de la Chambre a amendé l’article 2 afin qu’un examen des effets de l’abrogation soit effectué dans un même délai de cinq ans, mais conjointement par le gouvernement et les Premières nations, et à ce qu’un rapport aux deux chambres du Parlement soit présenté dans l’année qui suit le début de cet examen.
Les témoins qui se sont présentés devant le Comité des affaires autochtones, dont la CCDP, l’APN, l’AFAC et bien d’autres, ont insisté sur l’importance cruciale de ressources financières et humaines suffisantes pour réagir aux effets de l’abrogation de l’article 67 et se sont dits préoccupés par l’absence d’engagements gouvernementaux concernant l’affectation de ressources.
Par conséquent, une majorité de membres du Comité a approuvé l’amendement qui suit :
4. Le gouvernement du Canada, de concert avec les organismes compétents représentant les peuples des Premières Nations du Canada, entreprend au cours de la période visée à l’article 3 une étude visant à définir l’ampleur des préparatifs, des capacités et des ressources fiscales et humaines nécessaires pour que les collectivités et les organismes des Premières Nations se conforment à la
Loi canadienne sur les droits de la personne. Le gouvernement du Canada présente un rapport des conclusions de l’étude aux deux chambres du Parlement avant la fin de cette période.
Les représentants de la CCDP et de l’AFAC ayant témoigné devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne ont de nouveau souligné à quel point il était essentiel d’affecter suffisamment de ressources pour assurer une mise en œuvre efficace des effets de l’abrogation. Selon le porte-parole du CPA, « tout le monde s’entend » sur ce point.
L’abrogation de l’article 67 proposée par le gouvernement dans l’ancien projet de loi C-44 a déclenché une réaction immédiate au sein des organisations des Premières nations dont les mandants sont les plus directement touchés par cette abrogation. Les paragraphes qui suivent donnent un aperçu des premières réactions au projet de loi C-44 et passent brièvement en revue les réactions à son dépôt sous le numéro C-21 et à ses progrès dans le processus parlementaire, ainsi qu’au rapport de suivi de la CCDP de 2005.
Dans un communiqué conjoint diffusé après le dépôt du projet de loi C-44, l’Assemblée des Premières Nations (APN) et l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) ont appuyé l’abrogation en principe, mais seulement si elle faisait suite à une procédure de consultation des Autochtones. Faute de consultation préalable, le projet de loi aurait été, selon le chef national de l’APN, « tout simplement inefficace et entraînera[it] de nouveaux coûts pour les gouvernements des Premières nations, déjà sous-financés », outre qu’il s’écartait de la recommandation de la CCDP prévoyant une période de transition de 18 à 30 mois. La présidente de l’AFAC s’inquiétait du fait qu’une abrogation sans consultation préalable risquait de mener au désastre, et elle critiquait le fait que le gouvernement n’ait pas répondu au plan proposé par l’Association en 2006 en prévision de l’abrogation de l’article 67. Les deux organisations demandaient une procédure transparente d’évaluation des répercussions de l’abrogation de la disposition et l’élaboration en collaboration d’un plan d’exécution(50).
Dans une réponse plus complète au projet de loi, l’AFAC critiquait également l’absence d’une disposition d’interprétation, jugée « essentielle », pour « protéger d’importants droits collectifs tout en tenant compte des droits individuels », considérait que la période de transition de six mois était insuffisante pour préparer les collectivités à l’application de la LCDP et invitait « le gouvernement à ralentir pour faire en sorte que les choses se fassent correctement », puisque « cette mesure risque, en réalité, de faire plus de tort que de bien aux femmes autochtones »(51).
Les organisations des Premières nations ne sont pas toutes opposées à ces mesures législatives. Le chef national du Congrès des Peuples Autochtones (CPA) a appuyé le projet de loi, qu’il considérait comme une étape vers l’abrogation de la LSI, et contesté la nécessité de procéder à d’autres consultations en matière de droits de la personne(52). Le Grand Chef de la nation Nishnawbe Aski aurait, lui aussi, déclaré qu’il soutenait le projet de loi, qu’il considérait comme un moyen d’obtenir « l’accès aux droits universels »(53).
Dans toutes les régions, les commentaires éditoriaux appuyaient le projet de loi, généralement sans réserve. L’abrogation de l’article 67 était décrite, par diverses parties, comme une réforme nécessaire, une mesure longtemps attendue de reconnaissance de l’égalité des droits des Premières nations, un moyen d’examiner les activités des chefs et des sconseils, une limitation nécessaire de leur pouvoir sur les membres des Premières nations et un moyen d’accès aux mécanismes de protection des droits de la personne en tant que première étape vers la responsabilisation. Certains estimaient que les droits individuels sont des droits légitimes qui ne sauraient être éclipsés indéfiniment par les intérêts de groupe. Les objections formulées par l’APN, l’AFAC et d’autres concernant le manque de consultations préalables étaient considérées en général comme sans fondement, tout comme l’idée que le projet de loi favoriserait l’assimilation. L’intention du gouvernement de présenter à nouveau un projet de loi visant l’abrogation de l’article 67, annoncée dans le discours du Trône du 17 octobre 2007, a suscité peu de commentaires dans les médias.
Certains pensaient également que le gouvernement devrait envisager d’aider les collectivités des Premières nations à faire face aux conséquences concrètes de l’abrogation de l’exception relative à la LSI(54) et que l’objectif positif du projet de loi pourrait être gâché par une attitude paternaliste, reflétée par l’absence de consultations préalables et par une période de transition abrégée(55).
Le dépôt d’un projet de loi identique à l’ancien projet de loi C-44 a amené l’AFAC et l’APN à réitérer leurs réserves et le CPA à renouveler son soutien à l’égard de l’initiative fédérale.
L’AFAC a demandé à nouveau que l’adoption du projet de loi C-21 soit retardée pour permettre la tenue de vastes consultations, réitérant son inquiétude au sujet des préjudices que l’accélération du processus pourrait faire subir aux femmes des Premières nations. Sa présidente a dit n’être pas convaincue que le mécanisme des droits de la personne est capable de faire face aux plaintes sur des questions comme l’affiliation et le logement. À son avis, « la plupart des communautés des Premières Nations n’ont aucune relation avec la Commission des droits de la personne et une telle forme d’imposition “d’égalité formelle” peut sembler davantage comme du colonialisme. Il est important autant pour la CDP que les communautés des Premières Nations de compter sur des ressources afin de développer une relation qui reconnaît et respecte les droits de la personne »(56).
L’APN a renouvelé son appel en faveur d’« une période de transition raisonnable » dans la mise en œuvre du projet de loi et a recommandé de modifier le projet de loi pour y inclure des dispositions interprétatives et de non-dérogation. Le chef national a souligné la nécessité d’« investir du temps et des ressources pour déterminer […] les répercussions du projet de loi sur les communautés des Premières nations » et a dit souhaiter que le ministre s’engage « à travailler conjointement avec les Premières nations pour déterminer la préparation, les capacités ainsi que les ressources humaines et financières nécessaires à l’application de la loi »(57).
Le Conseil des femmes de l’APN a également insisté sur la nécessité d’avoir plus de ressources au niveau local. À son avis, « [l]e gouvernement fédéral est responsable de la situation déplorable de l’eau et du logement dans laquelle de nombreuses Premières nations vivent. Tandis que le projet de loi C-21 représente une importante occasion de régler cette crise, les gouvernements des Premières nations se trouvent en première ligne et doivent également disposer de l’aide nécessaire pour traiter ces types de plaintes »(58). L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador s’est dite déçue du dépôt du projet de loi et a réitéré sa position en faveur de « consultations convenables » et d’un « financement adéquat aux Premières Nations pour que nous puissions bien évaluer ses effets et développer des moyens convenables pour limiter tout préjudice à nos droits collectifs »(59).
Le chef national du CPA a averti que les détracteurs du projet de loi « tireront parti de la situation [minoritaire du gouvernement] pour retarder les progrès et refuser aux peuples autochtones du Canada les droits humains fondamentaux dont jouissent tous les autres Canadiens »(60). D’après le CPA, ses propres consultations auprès de la population autochtone hors réserve ont montré que les femmes des Premières nations victimes d’atteintes aux droits de la personne estiment qu’« il est pressant de résoudre le problème par l’abrogation de l’article 67 ». Le chef national a fait valoir que « quiconque laisse entendre qu’on n’a pas eu la possibilité de définir comment le projet de loi peut être mis en œuvre […] ne s’en tient pas aux faits […] Absolument rien ne prouve que l’octroi aux Autochtones de l’accès aux mêmes mécanismes de recours que ceux dont bénéficient tous les autres Canadiens porte atteinte, même de loin, aux droits ancestraux et issus de traités ». Il a lancé un appel en faveur de l’adoption immédiate du projet de loi(61).
Selon ce qu’a exprimé Robert Nault, ancien ministre des Affaires indiennes, en janvier 2008, le maintien de l’exception concernant la Loi sur les Indiens « évite au gouvernement fédéral et aux gouvernements des Premières nations d’apporter des changements fondamentaux pour assurer l’égalité », y compris des changements dans les modalités d’inscription de la LSI et dans le financement fédéral insuffisant de services comme l’éducation. Abolir l’exception, selon lui, c’est mettre en valeur « la relation entre les peuples des Premières Nations et les gouvernements qui sont à leur service ». L’ancien ministre a exhorté tous les partis politiques à donner leur soutien de principe au projet de loi(62).
Ainsi qu’il a été précédemment indiqué, le Comité des affaires autochtones de la Chambre des communes a pris en compte au moins certaines des préoccupations soulevées par l’AFAC, l’APN, dont le Conseil des femmes, et l’APNQL dans les amendements qu’il a apportés au projet de loi après avoir entendu les propositions des témoins, en particulier celles de l’APN.
Le projet de loi n’ayant nullement progressé dans les quatre mois suivant le rapport de février 2008 du Comité de la Chambre, la presse a publié des commentaires éditoriaux déplorant dans une grande mesure l’insistance de l’opposition à faire adopter des amendements inacceptables aux yeux du gouvernement, ce qui risquait de compromettre le projet de loi et de retarder davantage l’instauration d’une pleine protection des droits de la personne pour les Premières nations(63). D’autres commentateurs se sont montrés favorables aux amendements, en faisant valoir que, bien que l’application de la LCDP aux Premières nations soit souhaitable, ce qui primait du point de vue des Premières nations, c’était de veiller à ce que le respect des droits individuels ne mine pas la reconnaissance et la protection des droits collectifs des Premières nations(64). Autre son de cloche : si les parlementaires n’arrivaient pas à s’entendre sur le projet de loi C-21, c’était en grande partie en raison de l’opposition contre l’objectif probable du gouvernement d’affaiblir, progressivement, la « société parallèle » des réserves autochtones. Cette polarisation, laissait-on entendre, illustrait la nécessité de tenir un débat en bonne et due forme(65). Le soutien consenti ultérieurement par les partis d’opposition aux amendements de compromis proposés par le gouvernement à l’étape du rapport a été bien accueilli dans la presse et qualifié de « petit miracle » de collaboration(66).
Le président national du CPA s’est félicité de l’adoption du projet de loi, qu’il voit comme une étape vers la réforme de la gouvernance autochtone, et a fait valoir que l’élargissement de la protection des droits de la personne « conduira à terme au démantèlement de la Loi sur les Indiens »(67).
Article 291 de l’Accord sur l’autonomie gouvernementale de la Première nation de Westbank entre Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la Première nation de Westbank.
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