Le projet de loi C-45 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence a été déposé à la Chambre des communes le 3 mars 2008 par le ministre de la Défense nationale (le ministre).
Le projet de loi reprend essentiellement les dispositions de l’ancien projet de loi C-7, qui avait été déposé en première lecture le 27 avril 2006 au cours de la première session de la 39e législature. De plus, le projet de loi tient compte des modifications à la Loi sur la défense nationale (LDN) apportées par l’ancien projet de loi S-3 qui est devenu une loi en mars 2007(1) et qui mettait en place une banque de données nationale pour l’enregistrement de renseignements sur les personnes déclarées coupables d’infractions militaires de nature sexuelle. Par ailleurs, contrairement à l’ancien projet de loi C-7, le projet de loi C-45 ne précise pas les responsabilités de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire. Il ne reprend pas le délai de 60 jours pour renvoyer une décision devant la Commission, qui était prévu par l’ancien projet de loi C-7(2).
De façon générale, le projet de loi C-45 donne suite à la plupart des recommandations soumises par le très honorable Antonio Lamer, ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, dans son rapport présenté en 2003 (Rapport Lamer)(3).
Essentiellement, les modifications contenues dans le projet de loi clarifient celles introduites en 1998 par le projet de loi C-25(4) et apportent des améliorations importantes au système de justice militaire. Si un plus grand rapprochement est fait avec le système prévu dans le Code criminel(5) (le Code), le projet de loi C-45 tend à respecter, également, la spécificité du régime militaire, afin d’assurer une certaine mesure de souplesse nécessaire au maintien de la discipline. Par ailleurs, le projet de loi vise à accroître l’efficacité du régime militaire ainsi que l’indépendance et l’impartialité des acteurs importants du système militaire, notamment celles des juges militaires et du directeur du service d’avocats de la défense.
Le projet de loi C-25, sanctionné en 1998, tenait compte de la plupart des recommandations contenues dans le Rapport du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et sur les services d’enquête de la police militaire, présidé par Brian Dickson (Rapport Dickson)(6). D’autres dispositions du projet de loi avaient également été rédigées en réponse à certaines recommandations formulées dans le rapport de la Commission d’enquête sur la Somalie (Rapport sur la Somalie)(7) et le Rapport au Premier ministre sur le leadership et l’administration des Forces canadiennes(8).
Le projet de loi C-25 a modifié en profondeur la Loi sur la défense nationale. Les modifications visaient à assurer l’intégrité et l’équité du régime militaire prévu par la LDN. Les principaux changements apportés par cette réforme importante ont été, notamment :
L’article 96 du projet de loi C-25 exigeait que le ministre fasse procéder, tous les cinq ans après la sanction du projet de loi, à un examen indépendant des modifications apportées à la LDN. Ainsi, le juge Lamer a commencé ce premier examen en mars 2003 et son rapport a été déposé au Parlement par le ministre de la Défense nationale de l’époque, John McCallum, le 5 novembre 2003.
Cet examen indépendant concernait uniquement les dispositions et l’application du projet de loi C-25, et n’englobait pas la LDN dans son ensemble.
Le juge Lamer faisait observer, dans la conclusion de son rapport, que « le système de justice militaire du Canada fonctionne en général très bien, sous réserve de quelques modifications »(9). Pour améliorer un système de justice militaire déjà performant et qui sert de modèle sur la scène internationale, il recommandait que certaines modifications soient apportées.
Les recommandations contenues dans le Rapport Lamer visent principalement à garantir davantage l’indépendance des principaux intervenants – notamment les juges militaires et le directeur du service d’avocats de la défense – et à améliorer le processus de règlement des griefs et des plaintes concernant la police militaire. Les modifications suggérées au Code de discipline militaire traduisent une volonté d’incorporer certaines règles du Code criminel au système de justice militaire.
Le projet de loi C-45 met en œuvre la plupart des recommandations du Rapport Lamer concernant les modifications à apporter à la LDN(10). Parmi les modifications les plus importantes, on note les suivantes :
Avant la mise en œuvre du projet de loi C-25, le bureau du juge-avocat général assurait à la fois les services de poursuite et de défense des justiciables. Le projet de loi C-25 a scindé ces fonctions en créant deux postes : le directeur des poursuites militaires (DPM) et le directeur du service d’avocats de la défense (DSAD). Le DPM est chargé principalement de déposer les mises en accusation et de mener les poursuites devant les cours martiales. Le DSAD, de son côté, est chargé principalement de fournir, de superviser et de diriger la prestation des services juridiques aux justiciables.
C’est le ministre qui nomme le DPM et le DSAD(11), et ce, à titre inamovible pour un mandat maximal et renouvelable de quatre ans. Il existe toutefois à l’heure actuelle une différence entre l’inamovibilité du DPM et celle du DSAD. En effet, pour révoquer le mandat du DPM, le ministre doit obtenir la recommandation d’un comité d’enquête. Le DSAD ne bénéficie pas de cette protection. Le paragraphe 71(1) du projet de loi corrige cette situation en accordant la même protection au DSAD(12).
Ni la LDN ni les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) ne prévoient comment la rémunération du DPM et du DSAD est établie. Pour assurer la transparence du processus, le paragraphe 2(1) du projet de loi prévoit que la solde des deux directeurs sera fixée par règlement du Conseil du Trésor(13).
L’administrateur de la cour martiale est chargé de convoquer la cour martiale, par suite de la décision du DPM, et de nommer les membres du comité de la cour martiale générale(14) ou disciplinaire(15). L’article 37 du projet de loi précise qu’il est chargé de prendre une ordonnance fixant la date, l’heure et le lieu d’un procès devant la cour martiale et enjoignant à l’accusé de comparaître(16).
Actuellement, les juges militaires doivent prêter serment avant chaque procès(17). Le nouveau paragraphe 165.21(2) de la LDN prévoit qu’ils devront désormais prêter serment au moment de leur nomination(18).
Les juges militaires sont présentement nommés à titre inamovible pour un mandat de cinq ans(19). Ce mandat est renouvelable sur recommandation d’un comité d’examen. Le comité d’examen fonde ses recommandations en prenant en compte les exigences du Cabinet du juge militaire en chef, toute exigence militaire impérieuse ayant pour effet d’employer le juge militaire en cause dans une fonction autre, et la condition physique et de santé requise du juge militaire(20). Selon le juge Lamer, les justiciables pourraient croire que le désir du juge de voir son mandat renouvelé aura une influence sur ses décisions judiciaires(21).
Pour éviter toute impression d’influence extérieure sur les décisions du juge militaire, le nouveau paragraphe 165.21(4) de la LDN prévoit qu’un juge militaire conservera son poste jusqu’à sa retraite des Forces canadiennes(22).
Si la LDN actuelle prévoit que le gouverneur en conseil doit obtenir la recommandation d’un comité d’enquête pour révoquer le mandat d’un juge militaire, la composition du Comité et les facteurs qu’il doit prendre en compte sont décrits uniquement dans les ORFC(23).
Le projet de loi a donc incorporé à la LDN l’essentiel des règles établies par les ORFC(24). Ainsi, les membres sont toujours des juges de la Cour d’appel de la cour martiale et sont nommés par le juge en chef de ce tribunal (nouveau par. 165.31(1) de la LDN). En outre, le Comité doit entreprendre une enquête sur la révocation possible d’un juge militaire à la demande du ministre (nouveau par. 165.32(1) de la LDN), et il peut enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge militaire (nouveau par. 165.32(2) de la LDN).
Par contre, il existe des différences avec le régime établi par les ORFC, notamment en ce qui concerne le nombre de membres du Comité et les motifs de révocation. Si les ORFC exigeaient que le Comité soit composé d’au moins deux juges de la Cour d’appel de la cour martiale, le nouveau paragraphe 165.31(1) de la LDN en exige un de plus. Le nouveau paragraphe 165.32(7) de la LDN reprend les quatre motifs de révocation énumérés dans les ORFC :
Il ajoute un cinquième motif, soit le fait que le juge militaire ne possède pas les aptitudes physiques et l’état de santé exigés des officiers. Ce dernier motif est actuellement pris en compte par le comité d’examen lors du renouvellement du mandat d’un juge militaire.
Les taux et conditions de versement de la solde des juges militaires sont fixés par règlement du Conseil du Trésor(25). La LDN actuelle prévoit que la rémunération des juges doit être révisée régulièrement par un comité, mais la constitution de ce comité et les facteurs à prendre à compte lors de la révision se trouvent dans les ORFC(26).
L’article 42 du projet de loi reprend les règles établies par les ORFC(27). Ainsi, le Comité est toujours composé de trois membres à temps partiel nommés par le gouverneur en conseil et proposés par les juges militaires, le ministre et les membres du Comité (nouveau par. 165.33(1) de la LDN). Pour déterminer si la rémunération des juges militaires est satisfaisante, le Comité tient compte des mêmes facteurs prévus par les ORFC, notamment la situation économique de l’administration fédérale, la sécurité financière des juges militaires et le besoin de recruter les meilleurs officiers pour la magistrature militaire (nouveau par. 165.34(2) de la LDN).
Le Comité procède à son examen tous les quatre ans (nouveau par. 165.34(3) de la LDN), et en tout temps à la demande du ministre pour la magistrature militaire (nouveau par. 165.35(1) de la LDN).
L’article 43 du projet de loi précise que les juges militaires représentés par un avocat devant le Comité auront droit d’obtenir des dépens.
Le juge militaire en chef, qui doit détenir au moins le grade de colonel (nouveau par. 165.24(2) de la LDN), peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, établir des règles relatives à la pratique et à la procédure en cour martiale. Par exemple, ces règles pourront concerner les conférences préparatoires, les ordonnances de libération ou de détention, les documents déposés en cour et le calendrier des procès (nouvel art. 165.3 de la LDN).
Le gouverneur en conseil peut nommer un juge militaire en chef adjoint qui pourra exercer les attributions du juge militaire en chef en cas d’absence ou d’empêchement du juge militaire en chef ou de vacance de son poste (nouveaux art. 165.28 et 165.29 de la LDN).
Pour qu’un plus grand nombre de juges militaires soient disponibles pour répondre à la demande croissante de services judiciaires, l’article 38 du projet de loi permet de constituer un tableau des juges militaires de la force de réserve (nouveau par. 165.22(1) de la LDN).
Le gouverneur en conseil peut inscrire au tableau tout officier de la force de réserve qui est officier depuis au moins dix ans et, selon le cas :
C’est le juge militaire en chef qui choisit un officier de la force de réserve inscrit au tableau afin qu’il exerce les fonctions de juge militaire (nouveau par. 165.222(1) de la LDN).
La Cour suprême du Canada a affirmé que le fait qu’un juge exerce ses fonctions à temps partiel ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité(28). Cependant, les activités qu’il exerce en dehors de ses fonctions judiciaires peuvent poser problème(29). L’article 38 du projet de loi précise que le juge militaire à temps partiel ne peut exercer aucune activité commerciale ou professionnelle incompatible avec ses fonctions judiciaires (nouvel art. 165.223 de la LDN). De plus, un juge militaire à temps partiel ne peut pas être juge militaire en chef, juge militaire en chef intérimaire ni juge militaire en chef adjoint (art. 40, 41 et 42 du projet de loi).
Par ailleurs, en vertu de l’article 38 du projet de loi, le nom du juge militaire de réserve sera retiré du tableau à sa retraite (nouveau par. 165.221(2) de la LDN).
L’article 39 du projet de loi confère expressément aux juges militaires une protection contre la responsabilité civile(30).
En vertu des présentes règles, dans le cas d’une cour martiale générale ou disciplinaire, c’est le comité de la cour martiale qui décide du verdict(31) et c’est le juge présidant la cour martiale qui fixe la sentence(32).
Les décisions du comité se prennent à la majorité des membres(33). Étant donné qu’une déclaration de culpabilité peut entraîner de graves conséquences, l’article 52 du projet de loi instaure la règle de l’unanimité dans les décisions du comité de la cour martiale relativement à un verdict de culpabilité, de non-culpabilité, d’inaptitude à subir un procès ou de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux(34). La règle de l’unanimité ferait en sorte de créer un climat plus propice à la discussion et dans lequel les membres prêteraient plus attention à l’opinion minoritaire(35).
L’article 53 du projet de loi précise que si les membres du comité ne peuvent s’entendre à l’unanimité sur le verdict à rendre, le juge militaire présidant la cour martiale peut libérer le comité. L’administrateur de la cour martiale convoquera alors une nouvelle cour martiale.
L’article 47 du projet de loi précise que les procédures devant un juge militaire – notamment les procédures relatives à la mise en liberté et à la détermination de la peine – ainsi que les débats en cour martiale ont lieu dans le cadre d’audiences publiques (nouveau par. 180(1) de la LDN).
Le nouveau paragraphe 180(2) de la LDN vient ajouter deux circonstances dans lesquelles la cour martiale et le juge militaire peuvent ordonner le huis clos : les affaires pouvant nuire soit à la défense ou à la sécurité nationales.
Une personne qui interjette appel d’une décision de la cour martiale à la Cour d’appel de la cour martiale ou à la Cour suprême du Canada peut demander au comité d’appel que le DSAD lui fournisse les services d’un avocat. La mention de ce comité d’appel n’apparaît pas dans la LDN, mais uniquement dans les ORFC (36).
Le nouvel article 249.211 de la LDN mentionne expressément le comité d’appel(37). Par ailleurs, les ORFC prévoient que la décision du comité, composé de deux membres, se prend à l’unanimité(38). Le juge Lamer a recommandé de modifier les ORFC, entre autres, pour que le comité se compose de trois membres et que ses décisions se prennent à la majorité(39).
Le projet de loi introduit dans la Loi sur la défense nationale de nombreuses règles inspirées du Code criminel. D’autres modifications précisent les pouvoirs et les responsabilités des intervenants du système militaire.
Conformément aux décisions R. c. Gauthier(40), de la Cour d’appel de la cour martiale, et Delude c. La Reine(41), de la Cour d’appel fédérale, selon lesquelles le pouvoir d’arrestation sans mandat conféré par l’article 156 de la LDN est inconstitutionnel, l’article 25 du projet de loi incorpore essentiellement à la LDNles motifs prévus au Code(42) pour légaliser une arrestation sans mandat(43). Ainsi, un officier, un militaire du rang ou un policier militaire (art. 26 du projet de loi) peuvent arrêter une personne sans mandat uniquement s’il s’agit d’une infraction grave(44), si cette arrestation est dans l’intérêt public (notamment afin d’identifier la personne ou de conserver des éléments de preuve) ou s’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne tentera de se soustraire à la justice si elle est remise en liberté.
À l’heure actuelle, la LDN permet à un officier de la chaîne de commandement de modifier la décision de l’officier réviseur de mettre en liberté une personne arrêtée (45). L’article 29 du projet de loi prévoit qu’un juge militaire peut réviser la décision de l’officier réviseur et de l’officier de la chaîne de commandement(46). Un juge militaire peut aussi – après un délai de 30 jours (nouveau par. 158.7(3)) – réviser la décision antérieure d’un juge militaire et rendre toute ordonnance de libération.
Un des motifs permettant au juge militaire d’ordonner le maintien d’une personne sous garde avant son procès (détention préventive) est la présence d’une « autre juste cause »(47). Étant donné que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hall(48), a décidé que ce motif, prévu également au Code (49), était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, l’article 30 du projet de loi remplace, à l’alinéa 159.2c) de la LDN, l’expression « autre juste cause » par le motif de la confiance du public envers l’administration de la justice(50). La validité de ce dernier motif a été confirmée dans l’arrêt Hall.
La LDN ne précise pas clairement à quel moment une ordonnance de détention préventive ou les conditions de remise en liberté sous caution expirent. L’article 31 du projet de loi prévoit que les circonstances mettant fin à une ordonnance de détention ou aux conditions de libération seront prévues par règlement du gouverneur en conseil(51). L’Association du Barreau canadien (ABC) suggérait qu’une ordonnance de détention ou les conditions de remise en liberté expirent dans les 14 jours suivant l’arrestation si aucune mise en accusation n’a été déposée(52).
La LDN actuelle n’exige pas qu’une accusation soit portée dans un délai raisonnable contre une personne qui est en détention préventive ou qui est libérée sous condition(53). Ainsi, l’article 32 du projet de loi prévoit que l’accusation doit être portée avec toute la célérité que les circonstances permettent(54).
L’article 36 du projet de loi précise qu’une mise en accusation demeure valide malgré une irrégularité, un vice de forme ou un défaut de l’accusation. De plus, si le DPM décide de ne pas prononcer de mise en accusation contre un accusé, il peut changer d’avis et déposer ultérieurement une accusation contre l’accusé(55). Cette situation n’était prévue par la LDN actuelle qu’à l’égard du retrait d’une mise en accusation déjà prononcée(56).
Par ailleurs, l’article 50 du projet de loi précise également que, dès la mise en accusation, le juge militaire peut décider de toute question ou objection relative à l’accusation.
L’article 54 du projet de loi, à l’instar de l’article 475 du Code, traite du cas de l’accusé qui s’esquive au cours de son procès(57). Fréquemment, une personne accusée d’une infraction d’ordre militaire omet de se présenter à son procès(58). Ainsi, le juge militaire présidant une cour martiale peut poursuivre le procès et prononcer une sentence en l’absence de l’accusé. L’accusé absent pourra toutefois être représenté par avocat.
À quelques différences près, l’article 59 du projet de loi importe la procédure établie par le Code(59) relativement à la tenue des audiences en matière de troubles mentaux. Une fois que l’accusé a été déclaré inapte à subir son procès ou non responsable pour cause de troubles mentaux, la cour martiale doit déterminer si elle le libère ou le détient dans un hôpital. Pour rendre sa décision, la cour martiale considérera, entre autres, la déclaration de toute victime (nouveau par. 202.201(15) de la LDN). La cour pourra désigner un avocat à un accusé qui n’est pas déjà représenté (nouveau par. 202.201(8) de la LDN).
Selon le Rapport Lamer, les dispositions concernant la détermination de la peine « doivent être modifiées en profondeur »(60). Par ailleurs, les pouvoirs actuels de punition ne conviendraient pas. Par conséquent, l’article 62 du projet de loi ajoute à la LDN une nouvelle section sur la détermination de la peine(61).
Les nouveaux articles 203.1 à 203.4 de la LDN traitent des objectifs et principes de détermination de la peine.
Le paragraphe 203.1(1) de la LDN précise que les objectifs essentiels de la détermination de la peine sont l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes – notamment le maintien de la discipline et du moral – et le respect de la loi afin d’assurer la protection de la société. En plus des objectifs prévus dans le Code(62) – comme la dénonciation, la dissuasion et la réinsertion sociale –, le paragraphe 203.1(2) de la LDN énonce certains objectifs propres au système de justice militaire, notamment la confiance du public dans les Forces canadiennes.
Les articles 203.2 et 203.3 de la LDN reprennent aussi les principes de détermination de la peine du Code(63) en ajoutant certains principes propres au régime militaire, comme le fait que le tribunal militaire(64) doive infliger la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral (al. 203.3d) de la LDN). L’alinéa 203.3e) de la LDN précise que le tribunal militaire doit prendre en compte les conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.
L’alinéa 203.3a)de la LDN ajoute aux circonstances aggravantes énumérées au Code(65) quelques circonstances aggravantes propres au système de justice militaire :
Le nouvel article 203.5 de la LDN précise que, lors de la détermination de la peine en cour martiale, l’existence d’un fait contesté doit être prouvée selon la prépondérance des probabilités. Par contre, la poursuite doit toujours prouver hors de tout doute raisonnable les faits aggravants et les condamnations antérieures des accusés.
Les nouveaux articles 203.6 à 203.8 de la LDN introduisent intégralement dans la LDN les règles prévues au Code relativement à la déclaration de la victime(66). La déclaration porte sur les dommages subis ou les pertes causées par la perpétration de l’infraction.
La victime doit être informée de la possibilité de faire une telle déclaration. À défaut, la cour martiale peut ajourner l’instance afin de permettre à la victime de rédiger une déclaration (par. 203.8 de la LDN).
En vertu de la définition du nouvel article 203 de la LDN, une victime est une personne qui a subi tout type de dommage par suite de l’infraction ou – si elle est incapable de faire une déclaration – un parent, un conjoint ou une personne qui en prend soin.
Le projet de loi introduit dans la LDN trois nouveaux types de peine que l’on trouve également dans le Code : l’absolution inconditionnelle, les peines discontinues et les ordonnances de dédommagement.
En examinant l’intérêt de l’accusé et l’intérêt public, le tribunal militaire peut absoudre inconditionnellement un accusé reconnu coupable d’une infraction pour laquelle il n’y a pas de peine minimale ou de peine maximale de 14 ans et plus (nouveau par. 203.9(1) de la LDN). Il s’agit des mêmes critères que ceux prévus au Code(68), lequel, par contre, permet aussi l’absolution sous conditions.
Le contrevenant absous est réputé ne pas avoir été condamné (nouveau par. 203.9(2) de la LDN). Toutefois, une ordonnance d’interdiction de posséder une arme (art. 20 du projet de loi), une ordonnance de dédommagement (nouvel art. 203.91 de la LDN) ou une ordonnance de restitution des biens à son propriétaire (art. 74 du projet de loi) pourront être imposées.
Les nouveaux articles 203.91 à 203.95 traitent de l’ordonnance de dédommagement que peut, en plus de toute autre peine, imposer la cour martiale à un contrevenant. Cette ordonnance obligera le contrevenant à payer à la victime une somme couvrant les dommages matériels, corporels et psychologiques subis par suite de l’infraction (art. 203.91 de la LDN). Par exemple, il peut s’agir de la perte de revenus ou – dans le cas où la victime demeure avec le contrevenant – des frais d’hébergement, d’alimentation et de transport. On peut même se servir de l’argent trouvé sur le contrevenant au moment de l’arrestation pour couvrir une partie de ces frais (art. 203.93 de la LDN). Ces règles proviennent des articles 738 et suivants du Code.
Le Code prévoit la possibilité d’ordonner à un contrevenant de purger sa peine d’emprisonnement de façon discontinue(69), ce qui signifie fréquemment la fin de semaine. En l’absence de cette possibilité, un réserviste devant purger une peine d’emprisonnement ou de détention pourrait perdre son emploi dans le secteur civil(70).
L’article 22 du projet de loi permet donc au tribunal militaire – qui impose une période d’emprisonnement ou de détention maximale de 14 jours(71) – d’ordonner que le contrevenant purge sa peine de façon discontinue (nouveau par. 148(1) de la LDN). Pendant les périodes où le contrevenant ne sera pas incarcéré, il devra respecter les conditions contenues dans l’ordonnance. S’il enfreint une de ces conditions, le tribunal militaire pourra modifier ou ajouter d’autres conditions, ou encore, ordonner qu’il purge sa peine de façon continue (nouveau par. 148(5) de la LDN).
Pour répondre aux impératifs de l’armée, la LDN actuelle permet au tribunal militaire et à une « autorité sursoyante » désignée par règlement du gouverneur en conseil(72) de suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention d’un contrevenant(73). La peine sera purgée plus tard.
L’article 64 du projet de loi précise que la Cour d’appel de la cour martiale possède aussi ce pouvoir (nouveau par. 215(1) de la LDN)(74). L’article 65 prévoit que l’autorité sursoyante peut uniquement suspendre une telle peine si des impératifs opérationnels ou le bien-être du contrevenant l’exigent (nouveau par. 216(2) de la LDN)(75).
De plus, le tribunal militaire, la Cour martiale (nouvel al. 215.2(2)a) de la LDN) et l’autorité sursoyante (nouveau par. 216(2.2) de la LDN) peuvent révoquer la suspension et incarcérer le contrevenant si :
L’autorité sursoyante doit toujours réviser la suspension tous les trois mois. À cette occasion, elle peut accorder une remise de peine qui, comme le prévoit l’article 66 du projet de loi, est désormais soumise aux règlements du gouverneur en conseil.
Bien que la LDN actuelle permette au tribunal militaire d’imposer une amende à un contrevenant(76), elle demeure silencieuse quant au recouvrement d’amendes impayées. L’article 19 du projet de loi vient mettre en place un mécanisme permettant l’exécution civile des amendes(77).
À l’heure actuelle, la LDN permet au commandant supérieur présidant le procès sommaire d’un élève-officier d’imposer uniquement trois types de peine : le blâme, la réprimande et une amende(78). Pour conférer plus de souplesse au commandant supérieur, le paragraphe 33(4) du projet de loi lui permet aussi d’imposer une peine mineure(79). Ce genre de peine serait efficace afin de maintenir la discipline dans un milieu d’apprentissage(80).
Par ailleurs, seuls les militaires du rang et les officiers ayant le grade de major ou un grade inférieur sont actuellement assujettis au régime des procès sommaires (81). Le paragraphe 33(1) du projet de loi soumet également les officiers détenant le grade de lieutenant-colonel aux dispositions sur les procès sommaires(82). Par contre, le commandant supérieur présidant le procès sommaire d’un lieutenant-colonel doit au moins détenir le grade de colonel et il ne peut juger un juge militaire (par. 33(2) du projet de loi).
L’article 75 du projet de loi prévoit qu’un justiciable reconnu coupable d’une infraction n’aura pas de casier judiciaire dans deux circonstances :
Dans le cadre d’un processus d’embauche, le fait de poser une question obligeant un candidat à révéler qu’il a été reconnu coupable d’une infraction ci-dessus constitue une infraction (art. 105 du projet de loi). Quiconque pose une telle question lors d’une demande d’emploi dans un ministère fédéral, une société de la Couronne fédérale, les Forces canadiennes ou une entreprise de compétence fédérale encourt une amende maximale de 500 $ et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines. L’article 113 du projet de loi prévoit que cette infraction est rétroactive.
La LDN actuelle ne prévoit pas clairement le rôle du grand prévôt. Ainsi, l’article 3 du projet de loi traite de la nomination et des fonctions du grand prévôt (91).
Le grand prévôt – qui doit avoir été policier militaire depuis au moins dix ans et détenir au moins le grade de colonel – est nommé par le CEMD pour un mandat maximal de quatre ans. Il s’agit d’un mandat renouvelable qui peut être révoqué par le CEMD par suite de la recommandation d’un comité d’enquête établi par règlement (nouvel art. 18.3 de la LDN).
Les principales fonctions du grand prévôt sont énumérées au nouvel article 18.4 de la LDN. Il est notamment responsable de l’établissement des normes de formation des candidats policiers militaires et des normes professionnelles applicables aux policiers militaires en exercice. Il doit veiller au respect de ces normes. Il procède également aux enquêtes confiées à toute unité et à celles relatives aux manquements aux normes professionnelles ou au Code de déontologie de la police militaire(92).
Le grand prévôt exerce ces fonctions sous la direction générale du vice-chef d’état-major de la défense, ce dernier pouvant établir des lignes directrices ou donner des instructions à l’égard d’une enquête en particulier (nouvel art. 18.5 de la LDN). Enfin, le grand prévôt doit présenter au CEMD un rapport annuel de ses activités et des activités de la police miliaire (nouvel art. 18.6 de la LDN)(93). Ce rapport sera transmis au ministre.
Une plainte pour inconduite est déposée aux termes du paragraphe 250.18(1) de la LDN contre un membre de la police militaire concernant sa conduite dans l’exercice de ses fonctions(94). C’est le grand prévôt qui est responsable du traitement des plaintes pour inconduite(95).
Actuellement, la LDN oblige le grand prévôt à justifier toute prolongation du traitement d’une plainte pour inconduite au-delà de six mois(96). Pour accroître l’efficacité du règlement des plaintes contre la police militaire, l’article 83 du projet de loi dispose que le grand prévôt doit régler une plainte pour inconduite dans l’année de sa réception(97). Ce délai d’un an ne s’applique toutefois pas si la plainte entraîne une enquête à l’égard d’une infraction militaire ou d’une infraction criminelle.
Le projet de loi prévoit que le dépôt, de bonne foi, d’une plainte pour inconduite (nouveau par. 250.18(3) de la LDN) ou pour ingérence (nouveau par. 250.19(3) de la LDN) ne peut entraîner de sanction contre le plaignant(98).
La procédure de règlement des griefs est constituée de deux instances. Le commandant du plaignant – ou un officier supérieur immédiat du commandant – est initialement saisi du grief. Ensuite, le plaignant peut renvoyer son grief au CEMD, qui représente l’autorité de dernière instance(99). Avant que le CEMD puisse commencer son étude, certains griefs(100) devront être renvoyés au Comité des griefs des Forces canadiennes (Comité des griefs) pour que ce dernier formule ses conclusions et recommandations(101).
Le juge Lamer a souligné que la procédure de règlement des griefs « ne fonctionne pas adéquatement »(102), particulièrement à cause des longs retards dans la résolution des griefs : « Il n’est pas rare d’entendre parler de griefs non réglés après 10 ou même 12 ans, et les griefs au niveau du CEMD pendant deux ou trois ans semblent être la norme. »(103)
La LDN exige que le Comité des griefs agisse avec célérité et sans formalisme(104). L’article 5 du projet de loi attribue la même obligation au CEMD (nouvel art. 29.11 de la LDN)(105).
Selon la LDN actuelle, le CEMD doit s’occuper lui-même des griefs qui ont été soumis au Comité des griefs(106). Il ne peut déléguer cette responsabilité. L’article 8 du projet de loi met en œuvre une des solutions proposées par le juge Lamer(107) pour accélérer le règlement des griefs en permettant au CEMD de déléguer cette responsabilité à tout officier qui relève directement de lui. Ainsi, le CEMD pourra déléguer la tâche de régler tout grief, que le grief ait été soumis au Comité des griefs ou non.
Cependant, le CEMD ne pourra pas déléguer son pouvoir de trancher les griefs dans certains cas :
Selon le juge Lamer, le CEMD devrait personnellement trancher tout grief qui pourrait avoir des répercussions sur la politique, influer sur la capacité des Forces canadiennes ou avoir une incidence financière importante(108).
L’article 5 du projet de loi prévoit que c’est le CEMD qui doit s’occuper personnellement de régler un grief déposé par un juge militaire (nouvel art. 29.101 de la LDN). Selon l’article 6 du projet de loi, avant d’étudier et de régler un tel grief, le CEMD a l’obligation de le soumettre au Comité des griefs. Le Comité des griefs lui transmettra ses conclusions et recommandations(109).
Un juge militaire ne pourra, toutefois, déposer un grief à l’égard d’une question liée à l’exercice de ses fonctions judiciaires (art. 4 du projet de loi).
L’article 10 du projet de loi prévoit expressément que le CEMD a le pouvoir de réintégrer un plaignant qui a été libéré de façon irrégulière des Forces canadiennes (110). Un tel plaignant n’est donc pas obligé de s’enrôler de nouveau et ne perd pas de crédits pour l’ancienneté.
L’article 99 du projet de loi fait passer de six mois à deux ans le délai de prescription pour intenter une action contre le gouvernement basée sur l’exécution, la négligence ou le manquement à la LDN, ses règlements ou toute fonction ou autorité militaire ou ministérielle.
Selon l’article 101 du projet de loi, le ministre devra, tous les sept ans, faire procéder à un examen de certaines dispositions de la LDN, notamment celles qui concernent la procédure de règlement des griefs, le Code de discipline militaire et les plaintes relatives à la police militaire.
Sauf certains articles spécifiques, dont les dispositions concernant les juges militaires, le projet de loi entrera en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret (art. 123 du projet de loi).
Jusqu’à présent, peu de commentaires ont été formulés dans les médias. Lors du dépôt de l’ancien projet de loi C-7, la Presse canadienne rapportait les paroles du brigadier général Ken Watkin, juge-avocat général :
Cette loi est l’aboutissement d’efforts considérables de bien des gens. On a entrepris une analyse approfondie à l’intérieur et à l’extérieur du MDN [ministère de la Défense nationale] afin de garantir que les changements proposés tiennent compte des valeurs et des normes juridiques canadiennes actuelles, tout en permettant encore de satisfaire aux exigences militaires. (111)
En ce qui concerne l’examen indépendant des modifications apportées à la Loi sur la défense nationale par le projet de loi C-25, l’Association du Barreau canadien était d’avis que le ministère de la Défense nationale n’avait pas accordé suffisamment de temps au juge Lamer pour préparer son rapport – un peu moins de six mois(112). Une étude approfondie aurait plutôt nécessité une période de neuf à 12 mois. De plus, l’Association a soutenu que l’examen indépendant devrait porter sur l’ensemble de la LDN, et non uniquement sur les dispositions de la LDN modifiées par le projet de loi(113). Et si le juge Lamer a souligné que l’examen du Bureau de l’Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes n’était pas inclus dans son mandat(114) – le Bureau n’ayant pas été créé par le projet de loi C-25 –, l’Association recommandait que les fonctions du Bureau soient expressément prévues par la LDN(115).
Enfin, le projet de loi C-45 met en œuvre la plupart des recommandations formulées par le juge Lamer. Par contre, parmi celles auxquelles il ne donne pas suite figurent des questions importantes susceptibles d’améliorer le système de justice militaire, par exemple l’établissement d’une cour martiale permanente(116), la modernisation des types de cour martiale sans distinction fondée sur le grade(117), l’imposition de délais précis relativement à la demande d’examen d’une plainte pour inconduite d’un policier militaire(118), ou encore, l’imposition d’un délai global de 12 mois pour prendre une décision relative à un grief(119).
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