Le projet de loi C-53 : Loi modifiant le Code criminel (vol d’automobile et trafic de biens criminellement obtenus) a été déposé par le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable Robert Nicholson, et a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 14 avril 2008.
Bien que le projet de loi s’attaque essentiellement au vol d’automobiles, il vise aussi le trafic, l’exportation et l’importation de tout bien criminellement obtenu. Le projet de loi modifie ainsi de trois façons le Code criminel (le Code) :
À propos du NIV, l’ancien projet de loi C-64(1) avait créé une infraction semblable. Le projet de loi C-64 est mort au Feuilleton lors du déclenchement des dernières élections générales.
D’après un rapport publié par Statistique Canada, le taux(2) de vols de véhicules à moteur est en décroissance depuis 1996(3), à l’exception des années 2001 et 2003 où il a augmenté(4). Les données relevées en 2006 confirment que le taux de vols de véhicules à moteur a chuté de 20 p. 100 depuis 1996(5).
Ces vols ont toutefois des effets importants sur les propriétaires de véhicules, les tiers victimes, les organisations d’application de la loi et l’industrie des assurances. Selon le Bureau d’assurance du Canada, le vol de véhicules coûterait aux assureurs et au public près d’un milliard de dollars par an(6).
En 2006, il y a eu près de 160 000 vols de véhicules à moteur signalés à la police(7), soit environ 438 par jour. Les taux ont tendance à être moins élevés dans l’Est que dans l’Ouest du pays. Ainsi, toujours selon des statistiques de 2006(8), l’Île-du-Prince-Édouard affichait le taux le moins élevé (115)(9) et le Manitoba, le taux le plus élevé (1 376)(10), soit près de trois fois la moyenne canadienne (487)(11).
Cela pourrait s’expliquer, en partie, par le fait que Winnipeg a connu le taux le plus élevé parmi les grandes régions métropolitaines (1 932)(12). Il faut d’ailleurs noter que les vols de véhicules tendent à se concentrer dans les grandes régions urbaines. En effet, selon des données de 2005, le taux de vols de véhicules à moteur des grandes régions urbaines (559) était d’environ 25 p. 100 supérieur à celui des petites régions urbaines (442) et de 80 p. 100 supérieur à celui des régions rurales (307)(13).
En plus de Winnipeg, on constate, depuis plus de dix ans, des taux très élevés à Regina et à Vancouver(14). Entre 1992 et 2002, le taux de vols de véhicules a doublé à London, presque triplé à Regina et presque quadruplé à Winnipeg(15).
Si les automobiles sont demeurées le type de véhicule le plus fréquemment volé en 2004 (56 p. 100 de tous les vols), on peut observer que les camions, y compris les mini-fourgonnettes et les véhicules utilitaires sport, sont de plus en plus populaires auprès des voleurs (34 p. 100 de tous les vols)(16).
Enfin, en volant un véhicule, un criminel peut vouloir s’en servir à différentes fins. Il peut vouloir l’utiliser comme moyen de transport ou afin de faciliter la perpétration d’un autre crime. Il peut aussi être à la recherche de sensations fortes(17), ce qui se produit fréquemment chez les jeunes contrevenants. De façon générale, le vol de véhicules est plus étroitement associé aux jeunes contrevenants que les autres infractions(18). Par ailleurs, les vols commis par des jeunes donnent souvent lieu à des accidents entraînant des blessures graves ou la mort(19). Afin d’aider à empêcher ce crime, le ministère des Transports du Canada a modifié, en février 2005, la Norme de sécurité des véhicules automobiles du Canada (NSVAC 114). Ainsi, les fabricants automobiles doivent installer, à compter de septembre 2007, des dispositifs d’immobilisation électroniques dans la majorité des nouveaux véhicules légers vendus au Canada(20).
Le projet de loi C-53 s’attaque à la problématique des vols de véhicules à moteur et vise particulièrement à aider les organisations d’application de la loi à lutter plus efficacement contre le vol organisé de véhicules, les réseaux criminels ayant souvent recours à la falsification de l’identité des véhicules et à leur exportation du Canada.
Le vol et la revente d’un véhicule, facilités par la modification du NIV, représentent une activité à relativement faible risque(21) et fort lucrative(22) qui sert couramment à financer les autres activités d’une organisation criminelle. D’après une étude menée par la Gendarmerie royale du Canada en 1998(23), les organisations criminelles seraient impliquées dans tous les aspects du vol de véhicules : la commande de véhicules précis, le recrutement de jeunes contrevenants qui s’occuperont de voler les véhicules, le démontage des véhicules pour les pièces (appelé la « cannibalisation »)(24), l’altération du NIV et de documents, et le transport des véhicules volés à l’extérieur de la province ou du pays. D’après le Bureau d’assurance du Canada, des 170 000 véhicules volés chaque année, 20 000 sont exportés du Canada(25).
Les réseaux criminels, composés de plusieurs échelons(26), possèdent donc toute l’expertise voulue pour se procurer, maquiller et revendre des véhicules volés sur une grande échelle. De fait, on estime qu’environ un vol de véhicule sur cinq serait attribuable à des réseaux criminels organisés(27).
Si le problème du vol de véhicules par des groupes organisés s’étend à tout le pays, les grandes régions urbaines du Québec et de l’Ontario sont particulièrement touchées(28). Selon des données de 2002, Montréal(29) et Halifax (respectivement 354 et 151 véhicules volés non récupérés pour 100 000 habitants) affichaient les taux les plus élevés(30).
Par ailleurs, les voitures de luxe et les camions sont plus souvent la cible des groupes organisés(31). Notons enfin que les concessionnaires d’automobiles (41 p. 100) et les résidences privées (34 p. 100) sont les lieux de prédilection où les organisations criminelles se procureront les véhicules qu’ils recherchent(32). Étant donné que les véhicules prisés sont souvent protégés par des systèmes antivol de pointe, les voleurs voudront mettre la main sur les clés en s’introduisant par effraction dans une résidence privée ou chez un concessionnaire, entraînant de la sorte une série d’infractions en chaîne.
En vertu du Règlement sur la sécurité des véhicules automobiles(33), le NIV, qui est apposé sur tout véhicule au Canada, est composé de 17 caractères alphanumériques et doit être unique afin de distinguer chaque véhicule à moteur(34). Ainsi, certains caractères désignent, selon des codes établis, le fabricant, la marque, la catégorie du véhicule, l’année de modèle, l’usine où le véhicule a été fabriqué et le numéro que le fabricant a attribué au véhicule par ordre séquentiel au cours de la production. On retrouve le NIV sur diverses parties du véhicule, comme les ailes, le capot et les portes(35).
Les méthodes utilisées pour apposer le NIV conformément aux exigences actuelles font qu’il peut être facilement transféré d’un véhicule à un autre. Pour remédier aux problèmes d’altération et de remplacement du NIV, le ministère des Transports du Canada a introduit des mesures, qui entreront en vigueur le 1er septembre 2008 et qui feront en sorte qu’on ne pourra enlever le NIV sans endommager ou abîmer la plaque, l’étiquette ou le véhicule(36).
Voici ce que notait dernièrement le Service canadien de renseignements criminels à propos des méthodes de falsification utilisant le NIV :
Les Services anti-crime des assureurs ont constaté une hausse de quatre techniques principales de fraude utilisées par le crime organisé pour voler des automobiles. L’une de ces techniques est le transfert illégal des numéros d’identification de véhicules (NIV) provenant d’épaves de véhicules à des véhicules similaires volés. Les fraudeurs utilisent également un NIV légitime pour modifier l’identité légale d’un véhicule volé de marque, de modèle et de couleur identiques, procédé qualifié de « jumelage ».(37)
À l’heure actuelle, seule la possession de biens criminellement obtenus (le recel) est prévue par le Code criminel(38). Le projet de loi ajoute ainsi deux infractions au Code : le trafic (nouvel art. 355.2) et la possession en vue du trafic (nouvel art. 355.4) de biens criminellement obtenus.
À l’instar du recel, les biens doivent provenir de la perpétration, au Canada ou à l’étranger, d’un acte criminel. En plus de l’origine criminelle, le poursuivant devra également prouver hors de tout doute raisonnable la connaissance de cette origine par l’accusé(39). Et comme dans le cas du recel et du recyclage des produits de la criminalité(40), le procureur général du Canada pourra intenter des poursuites à l’égard des deux nouvelles infractions créées par le projet de loi (art. 3 du projet de loi).
La définition de « trafic » (nouvel art. 355.1 du Code) comprend une vaste gamme d’activités, dont la vente, l’offre, la livraison, de même que l’exportation et l’importation. Les nouvelles infractions peuvent donc s’appliquer à tous les intermédiaires qui participent à la circulation des biens criminellement obtenus(41).
Le nouvel article 355.5 du Code prévoit que les deux nouvelles infractions constituent un acte criminel (si la valeur du bien dépasse 5 000 $) ou une infraction mixte, c’est-à-dire que le poursuivant a le choix de procéder par acte criminel ou par voie sommaire (si la valeur du bien est de 5 000 $ ou moins). Le tableau 1 compare les peines maximales applicable aux nouvelles infractions et celles applicables à l’infraction actuelle de recel.
Valeur
des biens |
Mode
de poursuite |
Infraction actuelle
du Code criminel |
Infractions du projet de loi
|
|
---|---|---|---|---|
Possession de biens
criminellement obtenus |
Trafic de biens
criminellement obtenus |
Possession en vue
du trafic de biens criminellement obtenus |
||
+ 5 000 $ |
Acte criminel
|
10 ans
|
14 ans
|
|
5 000 $ et - |
Acte criminel
|
2 ans
|
5 ans
|
|
Infraction sommaire
|
6 mois et/ou amende de 2 000 $
|
6 mois et/ou amende de 2 000 $
|
La Loi sur les douanes(42) autorise l’ASFC à saisir les marchandises prohibées aux fins de l’exportation et de l’importation en vertu d’une loi fédérale. Cependant, actuellement, il n’y a aucune législation fédérale qui interdit l’exportation ou l’importation de biens criminellement obtenus(43).
Le projet de loi interdit l’exportation et l’importation de biens criminellement obtenus (nouvel art. 355.3 du Code). Ainsi, les agents de l’ASFC pourront examiner, saisir et confisquer les biens criminellement obtenus importés ou destinés à l’exportation.
Par ailleurs, le Règlement sur la déclaration des marchandises exportées(44) a été modifié en 2005 afin d’exiger la déclaration des numéros d’identification du véhicule pour les moyens de transports exportés définitivement du Canada. Cette modification visait à permettre aux agents de l’ASFC d’examiner les conteneurs destinés à l’exportation afin de détecter les véhicules volés(45).
À l’heure actuelle, une personne qui modifie un NIV afin de camoufler l’identité d’un véhicule volé sera souvent accusée de recel ou d’une infraction à d’autres dispositions liées au vol. Le Code traite spécifiquement du NIV au paragraphe 354(2), qui prévoit, dans le cadre d’une accusation de recel, la présomption de vol du véhicule(46) si le NIV a été modifié. Par contre, il n’existe aucune infraction en soi visant la modification du NIV.
Le projet de loi érige en infraction le fait de modifier, enlever ou oblitérer(47) un NIV (nouveau par. 377.1(1) du Code). Le NIV est défini en des termes semblables à ceux utilisés pour l’infraction de recel (nouveau par. 377.1(2) du Code)(48). Ainsi, un outil supplémentaire est mis à la disposition des organisations d’application de loi pour leur permettre de porter des accusations dans des affaires de vol, de maquillage et de revente de véhicules
à moteur.
La nouvelle infraction, selon les termes utilisés par le projet de loi, s’applique à l’accusé qui modifie « en tout ou en partie, le numéro d’identification d’un véhicule à moteur ». Puisque les organisations criminelles démontent souvent les véhicules volés, on peut se demander s’il ne serait pas souhaitable, par prudence, d’y ajouter l’expression « ou se trouvant sur une pièce d’un tel véhicule » ou une expression semblable(49).
Par ailleurs, l’ancien projet de loi C-64 précisait que le poursuivant devait prouver que la modification du NIV avait été effectuée « dans des circonstances permettant raisonnablement de conclure qu’il a agi dans le but d’empêcher l’identification du véhicule ». La même infraction créée par le projet de loi C-53 ne comprend pas une telle expression. Toutefois, le projet de loi C-53 prévoit expressément que les comportements légitimes, comme l’entretien normal du véhicule, les travaux de réparation de la carrosserie, le recyclage ou la démolition d’automobiles, représentent des moyens de défense valables (nouveau par. 377.1(3) du Code).
En vertu du nouveau paragraphe 377.1(4) du Code, le fait de modifier, d’enlever ou d’oblitérer un NIV constitue une infraction mixte. Le paragraphe 377.1(4) prévoit une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans dans le cas d’un acte criminel. Si le poursuivant décide plutôt de procéder par voie sommaire, l’infraction est punissable d’une amende de 2 000 $ et d’un emprisonnement de six mois, ou de l’une de ces peines(50).
Il s’agit des mêmes peines que celles qui étaient prévues par l’ancien projet de loi C-64. Puisque l’infraction consistant à modifier le NIV est punissable d’une peine d’emprisonnement maximal de cinq ans, elle appartient à la catégorie d’« infraction grave ». Si une telle infraction est commise habituellement par un groupe de trois personnes ou plus, elle peut alors être considérée comme l’infraction d’une « organisation criminelle »(51), avec toutes les conséquences que cela peut entraîner en matière d’enquête policière, de poursuite judiciaire et de sentence(52).
Les compagnies d’assurance considèrent que le projet de loi C-53 sera efficace pour lutter contre le vol de véhicules à moteur au Canada(53). Plus particulièrement, le Bureau d’assurance du Canada a accueilli favorablement les dispositions octroyant un pouvoir clair aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada afin d’empêcher la circulation transfrontalière de biens criminellement obtenus(54). La situation actuelle incertaine serait exploitée par les organisations criminelles.
Pour d’autres, le projet de loi ne représente qu’une solution partielle au problème important des vols automobiles au pays(55). Puisque les mesures proposées visent avant tout les vols de véhicules commis par les organisations criminelles, elles ne s’appliquent pas dans la majorité des vols(56). En effet, quatre vols sur cinq n’impliqueraient pas les organisations criminelles(57).
Ainsi, les dispositions du projet de loi seront uniquement utiles dans les grands centres urbains où les organisations criminelles sont bien implantées, comme Montréal, Toronto ou Vancouver(58). Elles seront toutefois inutiles dans les autres coins de pays où, comme à Winnipeg selon les dires du chef de police Keith McCaskill, la majorité des vols d’automobiles sont commis par des personnes voulant faire une virée improvisée sans intention de revendre le véhicule(59). Afin de régler ce problème, le maire de Winnipeg, Sam Katz, désirait plutôt voir un durcissement des sanctions pour le vol d’automobile, tant pour les adultes que les jeunes contrevenants(60).
© Bibliothèque du Parlement