Le projet de loi S-2 : Loi modifiant la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, a été déposé au Sénat par le leader du gouvernement au Sénat, l’honorable Marjory LeBreton, C.P., et a été lu pour la première fois le 18 octobre 2007. Le projet de loi a fait l’objet d’une troisième lecture au Sénat le 21 novembre, et a été déposé à la Chambre des communes le lendemain, puis renvoyé au Comité permanent du commerce international le 26 novembre. Il a été lu pour la troisième fois à la Chambre des communes le 13 décembre et a reçu la sanction royale le 14 décembre 2007 (1).
La Loi de 1984 sur la Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts ratifie l’actuelle convention fiscale entre le Canada et les États-Unis sur les impôts prélevés sur le revenu et sur la fortune par chaque pays (Convention fiscale Canada–États-Unis) (2). Une convention fiscale vise principalement à prévenir la double imposition en répartissant le montant total de l’impôt à payer entre deux pays selon le lieu de résidence du particulier ou le lieu d’origine du revenu. Pour permettre d’atteindre d’un tel objectif, la convention prévoit des règles générales qui s’harmonisent avec les lois fiscales nationales. Le montant de l’impôt à payer dans chacun des pays n’est généralement pas le même, puisque les taux d’imposition diffèrent. La communauté fiscale internationale est de plus en plus consciente de ce qu’au moins un pays devrait pouvoir imposer un élément de revenu donné, et cela devrait être l’un des objectifs de la coordination des lois fiscales nationales au moyen des conventions fiscales (3). Ces dernières visent également à simplifier l’observation de deux systèmes fiscaux nationaux et à éviter l’évasion fiscale (4).
Deux modèles de conventions fiscales ont été élaborés pour favoriser la normalisation de conventions bilatérales, soit le modèle de convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (le « modèle de l’OCDE ») et le modèle de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions (le « modèle de l’ONU ») (5). Le modèle de l’OCDE est antérieur à celui de l’ONU et il est utilisé principalement pour les conventions bilatérales entre pays développés. Quant au modèle de l’ONU, il est utilisé pour les conventions entre pays développés et pays en développement. La Convention fiscale Canada-États-Unis, convention hybride qui ne suit pas complètement le modèle de l’OCDE ni celui de l’ONU, mais se fonde plutôt sur le « modèle des États-Unis » et en partie sur le modèle de l’OCDE (6).
La première convention fiscale complète entre le Canada et les États-Unis a été conclue en 1942 et elle élargissait un accord plus sommaire conclu en 1928 (7). La Convention de 1942 a été révisée, modernisée et remplacée par une nouvelle convention complète en 1980 (8). Depuis, la Convention a été modifiée, mise à jour et remaniée au moyen de protocoles à quatre reprises, soit en 1983, en 1984, en 1995 et en 1997.
Le projet de loi S-2 comprend le cinquième protocole modificatif (« cinquième protocole »), qu’il vise à mettre en œuvre au Canada ainsi que deux échanges de notes diplomatiques portant sur des aspects très techniques. Le cinquième protocole a été conclu à l’issue de près de dix années de négociations en vue de moderniser et d’améliorer la convention de 1980 afin d’améliorer le sort des particuliers, des familles et des entreprises des deux côtés de la frontière (9).
La ratification d’une convention fiscale constitue un moment particulier, puisqu’elle représente l’apogée des négociations entre deux pays. Par conséquent, la convention qui en résulte ne peut faire l’objet d’amendements selon la procédure normale du Parlement (10). Aux États-Unis, le cinquième protocole est actuellement étudié par le comité mixte de la fiscalité du Congrès et il devrait être ratifié à la fin de 2008 (11).
En raison du caractère unique du processus de ratification des conventions fiscales, les articles 3 et 4 du projet de loi ne font qu’ajouter les deux annexes décrites ci-dessous à la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts. L’article premier modifie la définition de « Convention » figurant dans cette loi pour y inclure les annexes supplémentaires. L’article 2 modifie les exigences actuelles relatives aux avis publiés par le ministre des Finances : désormais, en plus devoir publier dans la Gazette du Canada un avis de la date d’entrée en vigueur de la Convention, le Ministre doit également publier la date de sa dénonciation, et ce, dans les 60 jours suivant l’entrée en vigueur ou la dénonciation. De même, l’article 5 exige que, dans les 60 jours suivant l’entrée en vigueur des deux nouvelles annexes, un avis soit publié à cet effet.
Le projet de loi consiste essentiellement en deux annexes. La première est un échange de notes diplomatique entre le ministre des Affaires étrangères et du Développement international de l’époque, Maxime Bernier, et l’ambassadeur des États-Unis au Canada, Terry Breese; la deuxième comprend des articles révisés ou nouveaux sur lesquels se sont entendus James M. Flaherty, ministre des Finances, pour le gouvernement du Canada et Henry M. Paulson, Jr., Secrétaire du Trésor, pour le gouvernement des États-Unis d’Amérique. Plus précisément, la première annexe décrit la procédure de coordination et de résolution de litiges fiscaux (annexe A) et l’interprétation convenue des modifications apportées à la convention actuelle (annexe B). La deuxième comprend les modifications apportées à la convention fiscale actuelle entre le Canada et les États-Unis. Les annexes 1 et 2 forment le cinquième protocole.
Lors de la deuxième lecture au Sénat, le débat s’est limité aux renseignements généraux sur les conventions fiscales et à l’évolution du cinquième protocole. Au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, le débat a porté principalement sur l’élimination de la retenue d’impôt (12) sur les paiements transfrontaliers d’intérêts et sur le fait que cela favorisera l’investissement au Canada, puisque les entreprises canadiennes bénéficieront d’un coût d’emprunt inférieur. Un autre effet bénéfique dont il a été question était la hausse anticipée des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. En raison de ces avantages, le Sénat a adopté le projet de loi sans retard notable.
À la Chambre des communes, le débat sur le projet de loi s’est limité à la surimposition des pensionnés américains vivant au Canada comparativement à ceux vivant aux États-Unis. L’autre question relative aux pensions était l’interdiction de déduire les cotisations versées à un régime de retraite par les Canadiens travaillant aux États-Unis (13). Le cinquième protocole changera cela en permettant aux Canadiens qui travaillent aux États-Unis de déduire leurs cotisations à un régime de retraite et vice versa. La Chambre s’est également dite préoccupée par le fait que de grandes entreprises canadiennes ont recours à des paradis fiscaux afin de réduire leur impôt à payer au Canada. Puisque les États-Unis ne constituent pas un paradis fiscal, le projet de loi ne traite pas expressément de ce problème. Les libéraux ont appuyé le projet de loi, puisqu’il a été négocié lorsque leur parti était au pouvoir. Le Bloc Québécois l’a aussi appuyé et estimait que le nouveau processus d’arbitrage obligatoire aiderait les contribuables qui connaissent mal l’actuel processus d’appel de l’impôt. D’une manière générale, tous les partis ont appuyé le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre.
À l’étape du comité de la Chambre des communes, le Nouveau Parti démocratique a dit s’inquiéter de l’absence d’analyses des répercussions économiques pour établir le montant des pertes fiscales pour le Canada (14). La suite du débat ressemblait à ce qui s’est passé au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce et, dans l’ensemble, les partis ont appuyé le projet de loi.
En règle générale, les médias ont appuyé le projet de loi, puisque, selon les économistes, il réduira les barrières commerciales en éliminant la retenue d’impôt sur les paiements transfrontaliers d’intérêts (15). L’élimination de cette retenue d’impôt pourrait avoir l’avantage indirect d’accroître la concurrence et de réduire le taux d’intérêt débiteur au Canada. La convention élimine également la double imposition des sociétés par actions à responsabilité limitée (S.A.R.L.) résidentes des États-Unis. Puisque les sociétés de capital de risque américaines fonctionnent à la manière des S.A.R.L., cette modification pourrait accroître la disponibilité des fonds pour les nouvelles entreprises et technologies canadiennes (16).
Puisque le projet de loi met en œuvre le cinquième protocole et remanie des aspects très techniques de l’actuelle convention fiscale Canada-États-Unis, l’analyse suivante portera seulement sur les principales modifications apportées au traitement des revenus et des dépenses des entités canadiennes et américaines (17).
Le cinquième protocole élimine la retenue d’impôt sur les paiements transfrontaliers d’intérêts. À l’heure actuelle, la retenue d’impôt que doivent verser les entités canadiennes sur les paiements d’intérêts faits à une entité résidente américaine s’élève à 10 p. 100. La nouvelle règle qui élimine cette retenue d’impôt s’applique seulement aux entités sans lien de dépendance (c.-à-d. qu’elle ne s’applique pas aux sociétés mères et à leurs filiales). Pour les entités apparentées, la retenue d’impôt sera réduite à 7 p. 100 la première année civile suivant la ratification de la convention et à 4 p. 100 l’année suivante, pour être éliminée par la suite. L’élimination de la retenue d’impôt pour les entités sans lien de dépendance devrait permettre aux emprunteurs canadiens d’accéder plus facilement au marché de la dette américain et de réduire leurs coûts d’emprunt lorsqu’il leur est impossible de se conformer aux règles en vigueur pour le traitement préférentiel des dettes à court ou à moyen terme (18). C’est particulièrement vrai pour les dettes à court terme.
Sur le plan historique, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a refusé d’accorder les avantages prévus dans la convention fiscale aux S.A.R.L. américaines non imposées aux États-Unis. En outre, l’ARC privait du bénéfice de la convention fiscale les membres américains de S.A.R.L. Le cinquième protocole modifie les dispositions relatives à la résidence prévues au quatrième protocole pour que les membres de S.A.R.L. soient soumis à un traitement fiscal analogue à celui des S.A.R.L. Ainsi, les résidents américains membres d’une S.A.R.L. américaine qui fait affaire au Canada se verront accorder au Canada les avantages prévus par la convention.
Le cinquième protocole prévoit également de nouvelles règles privant des bénéfices de la convention certaines entités hybrides couramment utilisées dans des opérations de financement transfrontalières. Cette modification empêche une entité de profiter des avantages de la convention et des lois fiscales nationales relatives à la résidence pour réduire le montant de la retenue d’impôt sur les intérêts versés. Une règle connexe s’applique au revenu, au profit ou au gain du créancier.
La disposition de l’article XXIX A de la convention actuelle portant sur les restrictions apportées aux avantages vise à prévenir le « chalandage fiscal » (19). En effet, la disposition actuelle empêche un résident d’un État tiers d’utiliser le Canada comme intermédiaire pour bénéficier des avantages de la convention fiscale avec les États-Unis. Le cinquième protocole modifie cet article afin de priver les résidents américains des bénéfices de la convention, sauf s’ils répondent à un nouveau critère fondé sur l’exercice actif d’activités commerciales (nouvel art. XXIX A). Cette modification offrira à l’ARC une nouvelle possibilité de prévenir le recours abusif aux conventions fiscales.
Le cinquième protocole donne une nouvelle définition d’« établissement stable » pour les fournisseurs de services (art. V). Il est dorénavant plus facile d’être réputé un établissement stable aux États-Unis ou au Canada et, par conséquent, d’être assujetti à l’impôt sur le revenu dans l’un ou l’autre des deux pays (voir le par. 9 de l’art. V).
Le cinquième protocole prévoit un nouveau processus d’arbitrage obligatoire pour régler les litiges épineux entre les autorités compétences canadiennes et américaines. Le contribuable peut présenter le résultat de l’arbitrage dans toute procédure judiciaire engagée dans l’un ou l’autre des pays.
Les options d’achat d’actions et l’imposition éventuelle des employés qui changent de lieu de résidence en raison de leur emploi seront calculées proportionnellement à la période passée aux États-Unis ou au Canada (voir les notes diplomatiques à l’annexe B). Le cinquième protocole prévoit la reconnaissance mutuelle des cotisations versées à un régime de retraite (nouveau par. 8 à l’art. XVIII). Cela permettra à un contribuable d’un pays de déduire de son revenu les cotisations à un régime de retraite versées dans l’autre pays. L’employeur bénéficie également d’une déduction semblable. Cela facilitera le mouvement des travailleurs entre le Canada et les États-Unis. Le cinquième protocole prévoit une disposition visant à prévenir la double imposition des gains avant l’émigration (nouveau par. 7 de l’art. XIII). Cette nouvelle disposition permettra au contribuable de choisir d’être considéré, aux fins d’imposition dans l’autre pays, comme s’il avait acquis de nouveau le bien à la date du changement de résidence. Cela empêchera l’imposition de gains dans l’autre pays après imposition dans le pays d’origine en raison des règles fiscales qui prévoient qu’une personne a aliéné toutes ses immobilisations avant de quitter le pays.
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