Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-42 : Loi modifiant le Code criminel (mettant fin à l’octroi de sursis à l’exécution de peines visant des crimes contre les biens ainsi que d’autres crimes graves) a fait l’objet d’une première lecture à la Chambre des communes le 15 juin 2009. Le projet de loi modifie le Code criminel (1) de manière à supprimer, à l’article 742.1, la mention des infractions constituant des sévices graves à la personne et à interdire l’imposition de peines d’emprisonnement avec sursis d’exécution pour toutes les infractions passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de quatorze ans ou d’emprisonnement à perpétuité. L’interdiction d’imposer des peines d’emprisonnement avec sursis d’exécution est également valable dans le cas de certaines infractions qui entraînent une mise en accusation et une peine maximale d’emprisonnement de dix ans.
La peine d’emprisonnement avec sursis d’exécution (ci-après appelée peine d’emprisonnement avec sursis), introduite en septembre 1996, équivaut à une peine d’emprisonnement purgée dans la collectivité plutôt que dans un établissement correctionnel (2). C’est un moyen terme entre l’incarcération et les sanctions comme la probation ou l’amende. La peine d’emprisonnement avec sursis n’a pas été introduite à titre de mesure isolée : elle faisait partie du renouvellement des dispositions du Code criminel relatives aux peines. Ces dispositions définissaient l’objet et les principes fondamentaux de la détermination de la peine. Le principe premier est la proportionnalité : la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du coupable (31). Les nouvelles dispositions ont ajouté d’autres principes, dont une liste de circonstances aggravantes ou atténuantes susceptibles d’influer sur les peines (4).
La peine d’emprisonnement avec sursis vise surtout à réduire le recours à l’incarcération en offrant une autre solution aux tribunaux. Elle permet également d’intégrer plus largement les notions liées à la justice réparatrice au processus de détermination de la peine, et ce en incitant ceux qui ont causé des torts à les reconnaître et à les réparer.
À l’époque où il a été incorporé au Code criminel, la peine d’emprisonnement avec sursis était généralement considérée comme un mécanisme pour permettre aux auteurs d’infractions mineures d’éviter la prison. Beaucoup d’observateurs estimaient que le recours excessif à l’emprisonnement causait des problèmes, alors que les principes de la justice réparatrice semblaient bénéfiques. Dans la pratique, cependant, la peine d’emprisonnement avec sursis prête le flanc à la critique lorsqu’elle est imposée aux auteurs de crimes très graves (5).
En effet, certains s’inquiètent du fait que parfois la peine d’emprisonnement avec sursis est accordée aux personnes ayant commis des crimes très violents, des agressions sexuelles et autres infractions connexes, des infractions au Code de la route donnant lieu à la mort ou à des lésions graves et des vols commis dans le cadre d’un abus de confiance. Ainsi, tout en admettant qu’il soit peut-être souhaitable d’accorder aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement pour des crimes non violents et peu graves un sursis leur permettant de purger leur peine dans la collectivité (pourvu qu’elles ne posent aucun danger pour celle-ci), certains commentateurs rappellent que, dans certains cas, la nature même de l’infraction et du délinquant exige que celui-ci soit incarcéré. Ils estiment que le refus d’incarcérer les auteurs de crimes graves risque de discréditer tout le système des peines d’emprisonnement avec sursis et, par voie de conséquence, le système de justice pénale tout entier. Autrement dit, ce n’est pas le principe du sursis qui est en cause, mais plutôt son application dans des cas qui sembleraient justifier l’emprisonnement.
Les dispositions régissant les peines d’emprisonnement avec sursis sont énoncées aux articles 742 à 742.7 du Code criminel. L’imposition de cette peine est assujettie à plusieurs conditions :
1. 1. La personne ne doit pas avoir été reconnue coupable de sévices graves à la personne. Selon l’article 752 du Code criminelpar « sévices graves à la personne » on entend :
(a) les infractions – la haute trahison, la trahison, le meurtre au premier degré ou au deuxième degré exceptés – punissables, par voie de mise en accusation, d’un emprisonnement d’au moins dix ans et impliquant
(i) (i) soit l’emploi, ou une tentative d’emploi, de la violence contre une autre personne,
(ii) soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l’être, pour la vie ou la sécurité d’une autre personne ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d’infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne;
(b) la perpétration ou la tentative de perpétration de l’une des infractions visées aux articles 271 (agression sexuelle), 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles) ou 273 (agression sexuelle grave).
2. L’infraction dont la personne est reconnue coupable ne doit pas être une infraction de terrorisme punissable, par voie de mise en accusation, d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou plus.
3. L’infraction dont la personne est reconnue coupable ne doit pas être un crime commis par une organisation criminelle et punissable, par voie de mise en accusation, d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou plus.
4. Il ne doit pas y avoir de peine d’emprisonnement minimale attachée à l’infraction dont la personne est reconnue coupable.
5. Le juge chargé de déterminer la peine doit avoir décidé qu’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans s’impose.
6. Le juge chargé de déterminer la peine doit être convaincu que, si la personne purge sa peine dans la collectivité, la sécurité de celle-ci ne sera pas menacée.
7. Le juge chargé de déterminer la peine doit être convaincu que le sursis est conforme à l’objet et aux principes fondamentaux énoncés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel.
S’agissant de la dernière condition, les objectifs de la détermination de la peine sont notamment les suivants :
Comme nous l’avons vu, le principe fondamental qui sous-tend la détermination de la peine est celui de la proportionnalité : la peine imposée par le tribunal doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Il faut aussi tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes, de la similitude des peines pour des infractions semblables, de l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives et de l’obligation, avant d’imposer une peine d’emprisonnement, d’envisager les sanctions moins contraignantes dans la mesure du possible.
Outre les conditions décrites ci-dessus, la peine d’emprisonnement avec sursis doit être accompagnée d’un certain nombre d’obligations imposées au délinquant. Ainsi, selon l’article 742.3 du Code criminel, le délinquant doit :
Par ailleurs, d’autres obligations peuvent être facultativement imposées en fonction de la situation particulière du délinquant. Par exemple, on peut intimer à celui-ci de ne pas consommer de l’alcool ou des drogues, de ne pas être propriétaire, possesseur ou porteur d’une arme, d’accomplir jusqu’à 240 heures de service communautaire, de suivre un programme de traitement approuvé par la province ou d’observer d’autres conditions raisonnables que le tribunal juge souhaitables pour garantir la bonne conduite du délinquant et l’empêcher de commettre la même infraction ou une autre infraction. Le tribunal doit veiller à ce que l’on remette au délinquant une copie de l’ordonnance de sursis et qu’on lui explique les conséquences d’un manquement aux conditions ainsi que la procédure à suivre pour faire modifier les conditions facultatives.
L’article 742.6 du Code criminel énonce la procédure à suivre en cas de manquement à une ou à plusieurs des conditions de la peine d’emprisonnement avec sursis. L’allégation de manquement peut être fondée sur une preuve documentaire; dans ce cas-là, elle doit être étayée par un rapport écrit de l’agent de surveillance, où figurent, dans la mesure du possible, les déclarations signées des témoins. Le délinquant doit recevoir copie de ce rapport. Si le tribunal est convaincu, par une preuve prépondérante, qu’il y a eu manquement, sans excuse raisonnable, à une condition (la preuve de toute excuse incombe au délinquant), il peut choisir entre les options suivantes : ne pas agir; modifier les conditions facultatives; suspendre le sursis et ordonner au délinquant de purger une partie de sa peine en prison, après quoi le sursis rentrera en vigueur, avec ou sans modification des conditions facultatives; mettre fin au sursis et ordonner que le délinquant soit incarcéré jusqu’à la fin de la peine.
Au lieu d’imposer une peine d’emprisonnement avec sursis, le tribunal peut surseoir au prononcé même de la peine et délivrer une ordonnance de probation. Selon l’article 731 du Code criminel, lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut, selon l’âge et la réputation du délinquant, la nature de l’infraction et les circonstances dans lesquelles elle a été commise, surseoir au prononcé de la peine et ordonner que le délinquant soit libéré sous réserve des conditions prévues dans une ordonnance de probation. Cette possibilité ne s’offre au tribunal que dans le cas d’infractions pour lesquelles aucune peine minimale n’est prévue par la loi.
Le tribunal a le pouvoir de mettre fin au sursis octroyé au prononcé de la peine et de révoquer l’ordonnance de probation lorsque le délinquant est déclaré coupable d’une infraction pendant sa probation. Il a aussi l’option d’ordonner que le délinquant respecte les conditions de l’ordonnance, de lui infliger une amende ou de le condamner à une peine d’emprisonnement de deux ans au plus. La peine d’emprisonnement peut faire l’objet d’un sursis d’exécution, auquel cas l’ordonnance de probation entre en vigueur à l’expiration de la peine avec sursis. Le tribunal peut en outre rendre une ordonnance de probation dans laquelle il absout l’accusé (inconditionnellement ou sous certaines conditions) en vertu du paragraphe 730(1). La période maximale de probation est de trois ans (6).
Comme la peine d’emprisonnement avec sursis, l’ordonnance de probation est assortie de conditions obligatoires et facultatives. Selon l’article 732.1 du Code criminel, les conditions obligatoires sont l’obligation, pour le délinquant, de ne pas troubler l’ordre public et d’afficher une bonne conduite, de répondre aux convocations du tribunal, de prévenir le tribunal ou l’agent de probation de tout changement de nom ou d’adresse et de l’informer immédiatement de tout changement d’emploi ou d’occupation.
Parmi les conditions facultatives que le tribunal peut imposer au délinquant figurent l’obligation de se présenter à l’agent de probation lorsqu’on lui ordonne de le faire, l’abstinence de l’alcool et des drogues, l’interdiction d’être propriétaire, possesseur ou porteur d’une arme, la participation active à un programme de traitement (si le délinquant est d’accord) et le respect des autres conditions raisonnables que le tribunal juge souhaitables pour garantir la protection de la société et faciliter la réinsertion sociale du délinquant. Comme c’est le cas pour les peines avec sursis d’exécution, le tribunal est tenu de remettre au délinquant une copie de l’ordonnance de probation et de lui expliquer les conséquences d’un manquement aux conditions de l’ordonnance et la procédure à suivre pour faire modifier les conditions facultatives.
L’article 733.1 du Code criminel précise les conséquences qui attendent le délinquant qui, sans excuse raisonnable, omet ou refuse de se conformer aux conditions d’une ordonnance de probation : il est alors déclaré coupable, selon le cas, soit d’un acte criminel, ce qui le rend passible d’une peine d’emprisonnement de deux ans au plus, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, ce qui le rend passible d’un emprisonnement de 18 mois au plus et d’une amende de 2 000 $ au plus ou de l’une de ces deux peines.
Les dispositions évoquées plus haut font ressortir d’importantes différences entre la peine d’emprisonnement avec sursis, le sursis au prononcé de la peine et l’ordonnance de probation. D’abord, contrairement à ce qui se produit dans le cas du sursis au prononcé de la peine prévu à l’alinéa 731(1)a), le tribunal, dans le contexte de l’emprisonnement avec sursis, impose une peine d’incarcération, mais cette peine est purgée dans la collectivité plutôt que dans un établissement correctionnel.
Deuxièmement, le tribunal peut, dans l’ordonnance de sursis, exiger que le délinquant suive un programme de traitement conformément à l’alinéa 742.3(2)e). Le consentement du délinquant n’est pas nécessaire, contrairement à ce que prévoit l’alinéa 732.1(3)g) pour les ordonnances de probation.
Troisièmement, d’après le libellé de la disposition générale contenue à l’alinéa 732.1(3)h) qui porte sur les conditions facultatives de l’ordonnance de probation, ces conditions visent notamment à faciliter la réinsertion sociale du délinquant. Or, la disposition générale de l’alinéa 742.3(2)f) portant sur les conditions de la peine d’emprisonnement avec sursis n’accorde pas la même place à la réadaptation et à la réinsertion sociale du délinquant et rend ainsi possible l’imposition de conditions punitives telles que la détention à domicile ou un couvre-feu strict. On constate encore une fois que la peine d’emprisonnement avec sursis est plus punitive que l’ordonnance de probation.
Pour conclure, il convient de remarquer dans le cas d’une peine d’emprisonnement avec sursis, le manquement aux conditions rend le délinquant passible de sanctions qui vont de l’inaction du tribunal à l’obligation de purger le reste de la peine en détention. En revanche, le manquement aux conditions de l’ordonnance de probation est une infraction en soi et donne lieu à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement. La différence tient au fait que, dans le cas d’un manquement aux conditions de l’ordonnance de sursis, il suffit d’une preuve établie selon la prépondérance des probabilités alors que, pour l’ordonnance de probation, le manquement doit être prouvé hors de tout doute raisonnable, puisqu’il s’agit d’une nouvelle infraction.
Les critiques formulées contre les pratiques de détermination des peines au Canada ont tendance à mettre au premier plan la nature de l’infraction. Or, il faut aussi tenir compte de l’importance accordée par les tribunaux aux facteurs qui aggravent ou atténuent la responsabilité du délinquant, ainsi qu’aux circonstances entourant l’infraction. Comme nous l’avons vu, les dispositions du Code criminel qui portent sur la détermination de la peine font une large place aux sanctions « moins contraignantes » dans la mesure du possible, et prescrivent aux tribunaux de ne recourir à l’incarcération que si les peines à purger dans la collectivité ne conviennent pas. Ensemble, ces dispositions accordent aux tribunaux une certaine latitude dans l’exercice du pouvoir judiciaire. Avec le temps, les cours d’appel et la Cour suprême du Canada ont donné des instructions plus détaillées sur l’application des différents principes aux différentes catégories d’infractions et de délinquants. Rappelons que la plupart des causes analysées ci-dessous ont été jugées avant l’introduction des récentes modifications qui ont limité davantage les types d’infractions excluant la possibilité d’une peine d’emprisonnement avec sursis.
La cause la plus importante dans le domaine de l’emprisonnement avec sursis est l’arrêt R. c. Proulx de la Cour suprême (7). La Cour a examiné la question des peines d’emprisonnement avec sursis dans cette affaire de conduite dangereuse ayant causé la mort et des lésions corporelles. Avant cet arrêt, il y avait peu de principes directeurs, en dehors des critères établis par le Code criminel, pouvant orienter les juges dans la détermination de l’opportunité d’imposer des peines d’emprisonnement avec sursis. Dans son jugement, la Cour suprême, tout en cautionnant fermement ce type de sanction, a fait clairement comprendre qu’il fallait apporter un certain nombre de changements à la manière dont il était utilisé. Elle a énoncé certains principes qui peuvent être résumés comme suit :
Le principal résultat de l’arrêt Proulx est qu’il n’existe pas de présomption contre le recours à la peine d’emprisonnement avec sursis dans le cas des crimes autres que ceux pour lesquels une période d’incarcération est obligatoire.
Un autre arrêt clé de la Cour suprême concerne le rôle que la peine d’emprisonnement avec sursis devrait jouer dans le cas de délinquants autochtones. L’affaire R. c. Wells (8) concerne un Autochtone condamné à 20 mois d’incarcération pour agression sexuelle. En confirmant que cette peine était justifiée dans les circonstances, la Cour suprême a conclu que l’examen de la possibilité d’un emprisonnement avec sursis pour un délinquant autochtone devait se faire selon les étapes suivantes :
Ainsi, la possibilité d’une peine d’emprisonnement avec sursis ne peut pas être écartée par présomption; toutefois, dans les faits, malgré ce que dispose l’alinéa 718.2e), les infractions violentes et graves entraînent l’emprisonnement pour les délinquants autochtones aussi souvent que pour les délinquants non autochtones. Bien que l’avocat et le rapport présentenciel soient les principales sources d’information sur la situation du délinquant, le juge a l’obligation positive de se renseigner lui-même (9). En l’espèce, le juge a bien rempli cette obligation. L’application de l’alinéa 718.2e) du Code criminel ne signifie pas que les délinquants autochtones doivent toujours recevoir la peine qui accorde le plus de poids aux principes de la justice réparatrice et le moins de poids aux objectifs tels que la dissuasion, la dénonciation et l’isolement. L’infraction commise en l’occurrence était grave, de sorte que les principes de la dénonciation et de la dissuasion ont valu au délinquant une peine d’emprisonnement ferme.
Pour choisir entre une peine d’emprisonnement avec sursis et une peine d’emprisonnement ferme, les tribunaux peuvent également se référer à quelques autres affaires. Ainsi, dans l’affaire R. c. Knoblauch (10), la Cour a conclu qu’il n’est pas interdit d’imposer des peines d’emprisonnement avec sursis à des délinquants atteints de troubles mentaux. L’obligation du délinquant de passer la période du sursis dans un établissement de soins psychiatriques sécuritaire faisait en sorte que le risque pour la collectivité n’était pas plus élevé que le risque de récidive posé par un délinquant au pénitencier.
Dans l’affaire R. c. Fice (11), la Cour suprême a statué sur le cas d’une femme qui avait attaqué sa mère à coups de bâton de baseball et qui l’avait étranglée au moyen d’un cordon téléphonique. La Cour a conclu que la femme aurait dû être envoyée en prison au lieu d’être autorisée à purger sa peine dans la collectivité. Par ailleurs, de l’avis de la Cour, si un juge, après avoir examiné la gravité de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant, conclut qu’une peine d’incarcération dans un pénitencier est justifiée et que l’emprisonnement avec sursis n’est donc pas possible, la période de détention présentencielle ne doit pas avoir pour effet de modifier cette conclusion.
Le jugement rendu dans l’affaire R. v. F.(G.C.) (12) montre comment les cours d’appel du Canada ont mis au point des lignes directrices, à l’usage des tribunaux inférieurs, en matière de recours à la peine d’emprisonnement avec sursis. La Cour d’appel de l’Ontario a signalé avoir précisé à maintes reprises que cette peine devrait rarement être imposée dans les cas d’agressions sexuelles contre des enfants, en particulier si l’accusé se trouvait en situation de confiance. De plus, les activités sexuelles multiples qui s’étendent sur une longue période et qui deviennent de plus en plus envahissantes justifient en général une peine sévère.
L’affaire R. c. Coffin (13) est un cas où une cour d’appel a mis en valeur d’autres aspects des principes de détermination de la peine afin de pouvoir imposer une peine d’emprisonnement ferme et non une peine d’emprisonnement avec sursis. Dans cette affaire, le délinquant a reconnu sa culpabilité relativement à 15 chefs d’accusation de fraude à l’égard du gouvernement du Canada. La Cour d’appel a estimé que le juge de première instance n’avait pas accordé suffisamment d’importance à certains principes et objectifs de détermination de la peine; en particulier, selon la Cour d’appel, le juge de première instance n’avait pas suffisamment pris en compte le principe voulant que la peine soit proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant (14), le fait que l’un des objectifs importants de la détermination de la peine est la dénonciation et la dissuasion (15) et le principe selon lequel il convient d’infliger des peines semblables à celles infligées à des délinquants reconnus coupables d’infractions semblables commises dans des circonstances semblables (16). En règle générale, une peine d’emprisonnement est la norme au Canada dans le cas de fraudes d’envergure bien planifiées et s’étalant sur de longues périodes.
Statistique Canada signale que les peines d’emprisonnement avec sursis ne représentent encore qu’une petite proportion de l’ensemble des peines infligées. En outre, la fréquence des peines d’emprisonnement avec sursis est à la baisse depuis quelques années. Ainsi, en 2003-2004, les peines d’emprisonnement avec sursis intervenaient pour 5,3 p. 100 de toutes les admissions dans les établissements correctionnels pour les adultes (17), mais en 2007-2008, cette proportion est passée à 4,7 p. 100 (18). Durant cette période (2007-2008), la grande majorité (75 p. 100) des 107 790 délinquants sous surveillance dans la collectivité étaient en probation, tandis que 16 p. 100 d’entre eux étaient sous le coup d’une peine d’emprisonnement avec sursis et 9 p. 100, en liberté surveillée ou libérés d’office (19).
D’ailleurs, le taux d’incarcération au Canada a augmenté de 2 p. 100 en 2007-2008 par rapport à l’année précédente; il s’agissait de la troisième augmentation en autant d’années. La raison en était le nombre croissant d’adultes qui attendaient leur procès ou la détermination de leur peine dans des établissements correctionnels provinciaux ou territoriaux. Les augmentations récentes du taux d’incarcération font suite à une diminution assez régulière entre 1996-1997 et 2004-2005. Dans la période 2007-2008, il y avait au Canada en un jour moyen 36 330 détenus adultes et 2 018 détenus âgés de 12 à 17 ans, pour un total de 38 348 personnes, soit 117 personnes en prison pour 100 000 habitants. Le taux d’incarcération au Canada a tendance à être plus élevé que celui qu’on trouve dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest, mais il est inférieur à celui des États-Unis. Par exemple, en 2007, le taux de détention était, en Suède, de 74 personnes pour 100 000 habitants, alors qu’aux États-Unis, ce chiffre s’élevait à 762 pour les seuls adultes. (Les États-Unis ne comptent pas les jeunes dans leur taux (20).) Selon Statistique Canada, l’instauration des peines d’emprisonnement avec sursis en 1996 a offert aux tribunaux l’option de faire purger des peines dans la communauté et a ainsi permis de réduire le nombre de personnes mises en prison pour purger leur peine (21).
L’imposition de peines d’emprisonnement avec sursis devrait entraîner non seulement une réduction du taux d’incarcération, mais aussi des économies en ce qui concerne le système carcéral. En effet, le coût annuel moyen de l’incarcération d’un détenu dans un établissement provincial ou territorial (ce qui inclut la mise sous garde et d’autres formes de détention temporaire) s’élevait à 52 205 $ en 2005-2006 (22), alors que la surveillance d’un délinquant dans la collectivité (y compris les peines d’emprisonnement avec sursis, la probation, la surveillance des personnes en liberté sous caution, les amendes, et la mise en liberté sous condition) était de 2 398,05 $ en 2006-2007 (23). Malheureusement, on ne dispose pas de statistiques nationales publiques sur la proportion d’ordonnances non respectées ou sur les réactions des tribunaux aux manquements aux conditions. Un sondage antérieur a révélé que le taux de peines d’emprisonnement avec sursis purgées avec succès avait diminué entre 1997-1998 et 2000-2001, passant de 78 à 63 p. 100. Ce taux décevant était largement attribuable au fait que les délinquants ne respectaient pas le nombre croissant de conditions qui leur étaient imposées, plutôt qu’à une augmentation quelconque du taux de nouvelles infractions commises par les délinquants bénéficiant d’un sursis (24).
Une étude des tribunaux de première instance de l’Ontario et du Manitoba révèle une hausse de la proportion de délinquants placés en détention et un déclin correspondant de la proportion de délinquants autorisés à continuer de purger leur peine dans la collectivité à la suite d’un manquement injustifié aux conditions. En 1997-1998, par exemple, 65 p. 100 des délinquants du Manitoba jugés coupables d’un manquement sans excuse raisonnable aux conditions de l’ordonnance ont par la suite été placés en détention pendant un certain temps; en 2000-2001, cette proportion a atteint 74 p. 100. En Ontario, elle est passée de 42 à 50 p. 100 pendant la même période. Ces données – qui sont les statistiques les plus récentes dont nous disposons – montrent que, depuis l’arrêt Proulx de la Cour suprême, les tribunaux prennent des mesures plus rigoureuses à la suite de manquements aux conditions attachées à la peine d’emprisonnement avec sursis (25).
Étant donné que la peine d’emprisonnement avec sursis est relativement nouvelle, peu d’études scientifiques ont été menées sur ses conséquences pour le système de justice pénale. De plus, il n’y a pas suffisamment de données statistiques sur la détermination de la peine au Canada; même l’Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, menée par Statistique Canada, n’a pas fourni certaines données importantes. Il ressort d’une étude effectuée en 2004 que les peines d’emprisonnement avec sursis ont un effet important sur les taux de détentions, qui ont baissé de 13 p. 100 depuis l’instauration de cette option (26). Cela veut dire que la peine d’emprisonnement avec sursis a permis d’éviter la prison à environ 55 000 délinquants. Il y a eu, cependant, un élargissement du filet : entre septembre 1996 (introduction de l’option d’imposer une peine d’emprisonnement avec sursis) et la fin de mars 2001, environ 5 000 délinquants qui auraient reçu une sanction autre que la détention avant 1996 ont été condamnés à une peine d’emprisonnement avec sursis, qui est une forme de détention (27).
Une autre étude de Statistique Canada a révélé que les détenus adultes qui purgent leur peine sous surveillance dans la collectivité sont beaucoup moins susceptibles d’avoir de nouveau affaire aux autorités correctionnelles dans les 12 mois suivant leur libération que ceux qui sont admis dans des établissements correctionnels (28). En particulier, elle a permis de constater que pendant la période 2003-2004, dans quatre provinces, 11 p. 100 des personnes placées sous surveillance dans la collectivité avaient eu de nouveau affaire aux autorités correctionnelles dans les 12 mois suivant leur libération. Parmi les détenus incarcérés, ce chiffre s’élevait à 30 p. 100, soit plus du double du taux chez les délinquants qui étaient sous surveillance dans la collectivité. L’étude ne dit cependant rien du lien entre les antécédents criminels et les résultats des peines. Or, les antécédents criminels sont souvent considérés comme un facteur de risque de récidive. Par ailleurs, le fait même qu’un délinquant a fait l’objet d’une peine d’incarcération peut indiquer que dès le départ il posait un risque plus élevé que les délinquants placés sous surveillance dans la collectivité.
On a constaté des écarts considérables entre les taux d’incarcération des différentes provinces : dans certaines d’entre elles, le filet s’est nettement élargi; dans d’autres, c’est le contraire qui s’est produit (29). Dans plusieurs provinces, la réduction du nombre de placements en détention dépasse largement l’imposition de peines d’emprisonnement avec sursis. Il y a donc eu un changement d’orientation qui privilégie les solutions de rechange plutôt que l’emprisonnement; ce changement est peut-être le résultat des modifications législatives adoptées en 1996 (30). L’une de ces modifications est la codification du principe de la modération dans le recours aux peines d’emprisonnement.
Une étude portant sur les victimes d’actes criminels et sur leur attitude à l’égard de l’emprisonnement avec sursis a conclu que ce type de peine présenterait les avantages suivants :
L’étude a conclu que la notion de la peine purgée dans la collectivité est clairement acceptée par les victimes, sauf lorsqu’on y a recours dans le cas de crimes violents très graves (32). La gravité de ces crimes justifie la détention aux yeux des victimes. Une étude montre que les peines d’emprisonnement avec sursis ne sont imposées pour des crimes violents très graves que dans un petit pourcentage des cas. Les auteurs de l’étude estiment que, si l’on prête plus d’attention aux intérêts des victimes au moment de définir les peines d’emprisonnement avec sursis, on pourrait faire avancer la justice réparatrice par des mesures qui veillent à la réparation, à la reconnaissance des torts et à la protection des victimes d’actes criminels. Ce faisant, on pourrait aussi aider les délinquants à comprendre les torts que leur crime a causés et rendre les peines d’emprisonnement avec sursis plus crédibles comme option valable susceptible de se substituer à l’emprisonnement.
Le projet de loi C-42 compte quatre articles. Nous ne les analyserons pas toutes ici.
Sous sa nouvelle forme, l’article 742.1 du Code criminel ne mentionne plus les infractions constituant des sévices graves à la personne; il met l’accent plutôt sur la durée maximale des peines d’emprisonnement applicables aux infractions au Code criminel. Outre les dispositions actuelles relatives aux peines d’emprisonnement minimales, à la sécurité de la collectivité, aux infractions liées au terrorisme et aux organisations criminelles, la nouvelle rédaction de l’article prévoit ce qui suit :
La grille des infractions publiée dans l’édition 2009 du Martin’s Annual Criminal Code montre 75 infractions distinctes punissables d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans ou d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité. Elles font l’objet du nouvel alinéa 742.1c). Dans le cas de 36 d’entre elles, l’auteur de l’infraction est déjà inadmissible aux peines d’emprisonnement avec sursis. Dans la plupart des cas, c’est parce que ces infractions sont associées à des peines minimales obligatoires ou, dans le cas des agressions sexuelles, parce que l’infraction est constituée de « sévices graves à la personne » selon l’article 752 du Code criminel. Il reste donc 39 infractions touchées par cette disposition du projet de loi C-42 : nous en donnons la liste en annexe. Il s’agit d’un large éventail de crimes, allant du complot en vue de commettre un meurtre à la possession de monnaie contrefaite. Le seuil de 14 ans d’emprisonnement ne fait donc pas la distinction entre les crimes violents et les crimes non violents ou entre les crimes contre la personne et les crimes contre les biens.
Le projet de loi C-42 supprime de l’article 742.1 du Code criminel la mention des infractions constituées de « sévices graves contre la personne », qui ne seront donc plus prises en considération comme un facteur excluant la peine d’emprisonnement avec sursis. Or, c’est cette disposition qui garantit que les auteurs d’agressions sexuelles ne peuvent être admissibles à des peines d’emprisonnement avec sursis. En effet, la peine d’emprisonnement maximale applicable à l’agression sexuelle est de 10 ans et les auteurs d’un tel crime seraient, faute de disposition spéciale, admissibles aux peines d’emprisonnement avec sursis. C’est probablement pourquoi le projet de loi incorpore spécialement l’infraction d’agression sexuelle dans le nouvel alinéa 742.1f) du Code criminel. Cela explique aussi peut-être pourquoi le projet de loi incorpore également le harcèlement criminel à la liste des infractions du nouvel alinéa 742.1f). En effet, parmi les « sévices graves à la personne » figure la conduite « ayant infligé, ou susceptible d’infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne ». La catégorie des dommages psychologiques est remplacée dans le nouvel alinéa 742.1e) par « lésions corporelles ». Or, le harcèlement criminel peut parfois causer uniquement des dommages psychologiques, et le délinquant pourrait ainsi bénéficier d’une peine d’emprisonnement avec sursis à moins que ce crime soit incorporé à la liste spéciale des infractions énumérées à l’alinéa 742.1f). Par ailleurs, le fait de proférer des menaces, infraction prévue à l’article 264.1 du Code criminel, peut lui aussi provoquer des dommages psychologiques graves, mais l’auteur d’une telle infraction sera admissible à une peine d’emprisonnement avec sursis même si le projet de loi C-42 est adopté.
L’article 3 du projet de loi C-42 vise la coordination avec le projet de loi C-26 : Loi modifiant le Code criminel (vol d’automobile et trafic de biens criminellement obtenus) (34). L’article 2 du projet de loi C-26 ajoute au Code criminel l’article 333.1 qui définit la nouvelle infraction de vol de véhicule automobile. Il s’agit d’une infraction hybride, dont le coupable sera poursuivi par voie de mise en accusation et passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans au plus. Si le projet de loi C-26 est adopté, la nouvelle infraction de vol de véhicule automobile sera ajoutée à la liste des infractions énumérées à l’alinéa 742.1f) et les personnes coupables de cette infraction ne seront pas admissibles aux peines d’emprisonnement avec sursis.
Le projet de loi C-42 a fait l’objet d’un vif débat, tout comme son prédécesseur, le projet de loi C-9 concernant l’emploi des peines d’emprisonnement avec sursis et leur place dans le système de détermination de la peine, qui a obtenu la sanction royale le 31 mai 2007. Nous tenterons ici d’exposer les points de vue exprimés, notamment dans la presse, sur ces questions.
Selon un éditorial, le gouvernement aurait raison de supprimer le pouvoir discrétionnaire des juges en matière de détermination des peines parce que ceux-ci en abuseraient. Les législateurs n’auraient d’autre solution que de supprimer ce pouvoir (35). L’affaire citée dans cet éditorial concernait l’ébouillantage d’une jeune personne et a été réglée selon une recommandation commune de la défense et de la poursuite; or, l’auteur de l’éditorial a estimé que le juge avait discrédité l’administration de la justice en acceptant d’imposer une peine d’emprisonnement avec sursis. D’après l’éditorialiste, il aurait fallu dénoncer vigoureusement la conduite du coupable et imposer une peine susceptible de dissuader d’autres délinquants éventuels à titre spécifique et à titre général. L’imposition d’une peine d’emprisonnement avec sursis dans cette affaire aurait, toujours selon le même éditorialiste, contribué à éroder considérablement la confiance de la population dans le système de justice (36).
Selon un éditorial antérieur, les juges qui imposent des peines d’emprisonnement avec sursis à des délinquants coupables de crimes graves (meurtre ou conduite avec facultés affaiblies causant la mort) auraient tort. L’auteur faisait valoir qu’il est inadmissible que les gens condamnés pour ce type d’infraction n’aillent pas en prison (37). Les juges devraient jouir d’une certaine latitude pour trouver la peine qui convient à la situation, mais la détention à domicile dans le cas de crimes graves et violents devrait être hors de question. C’est pourquoi la loi devrait établir un seuil minimal de punition pour ces crimes. Selon ce journaliste, les gouvernements devraient commencer à faire comprendre aux tribunaux que l’expérimentation des peines clémentes pour les crimes violents est un échec et qu’elle doit prendre fin.
Ces opinions semblent traduire le sentiment général qui règne dans la population. Ainsi, un sondage récemment effectué par Angus Reid révèle que les Canadiens, dans leur majorité, sont favorables à l’abandon des peines d’emprisonnement avec sursis dans le cas de certains crimes qui ne sont pourtant pas des crimes contre la personne (38). Ces points de vue sont également partagés par Mike Sutherland, président de l’Association de police de Winnipeg : « Les policiers sur le terrain ont besoin de savoir que leur gouvernement est disposé à les écouter et à prendre les mesures nécessaires pour que nos rues soient sûres et que tous les Canadiens soient en sécurité. » (39)
Joseph Di Luca, vice-président de la Criminal Lawyers’ Association, s’est montré moins favorable au projet de loi C-42, faisant remarquer que les peines d’emprisonnement avec sursis avaient été instituées parce que « le Parlement s’était rendu compte des conséquences collatérales trop coûteuses de l’emprisonnement, qu’il s’agisse du fait de dépenser des dollars des contribuables, du contact de nouveaux délinquants avec des criminels de carrière ou du faible taux de réadaptation des prisonniers des établissements correctionnels » (40).
Mike Dunphy, directeur exécutif de la John Howard Society of Saskatchewan, a déclaré que la durée des peines d’emprisonnement avec sursis est souvent plus longue que celle des peines d’emprisonnement sans sursis et que, lorsque les détenus sont libérés sous condition avant la fin de la peine, ils vivent dans la collectivité sous des conditions moins strictes que s’ils avaient été condamnés à une détention à domicile. La libération anticipée est un problème pour la collectivité si les détenus n’ont pas eu accès à des services de réadaptation ou s’ils n’ont pas eu le temps d’en bénéficier comme il faut. D’ailleurs, les détenus auraient de meilleures chances de réussir si on les autorisait à réintégrer la société en vivant chez eux sous des conditions strictes, au lieu de les garder en prison où ils subissent l’influence de criminels (41).
L’élimination des peines d’emprisonnement avec sursis pour certaines infractions pose un autre problème : il faudra prévoir plus de places dans les prisons provinciales. Par exemple, Elizabeth Elliott, criminologue à l’Université Simon Fraser, a déclaré que les prisons de la Colombie-Britannique sont surpeuplées et qu’il faudrait en construire une autre. Le coût des nouvelles prisons est assumé par les provinces. La criminologue estime qu’il faudrait davantage de programmes de prévention communautaires visant à réduire la pauvreté, à lutter contre la négligence à l’égard des enfants et à s’attaquer aux autres causes profondes de la criminalité. Elle fait valoir que l’incarcération est une solution rationnelle et logique dans certains cas, mais qu’on s’en sert actuellement pour « bêtement punir » (42).
En 2006, le président du Conseil canadien de la sécurité a écrit à la presse pour contester l’hypothèse voulant que les longues peines d’emprisonnement soient un moyen plus efficace de dissuader les criminels que la détention à domicile (43). Si c’était le cas, a-t-il expliqué, les délinquants qui purgent leur peine en prison devraient être moins enclins à la récidive que ceux qui reçoivent des peines d’emprisonnement avec sursis, alors que dans les faits les deux groupes ont tendance à récidiver dans les mêmes proportions. Il existe même des données qui laissent supposer que les longues peines d’emprisonnement sans autre programme de rééducation peuvent en réalité accroître le risque de récidive après la libération du détenu. Dans les cas où la réadaptation du délinquant est possible, la peine d’emprisonnement avec sursis est une bonne option du point de vue de la sécurité parce qu’elle offre la possibilité de créer un environnement susceptible de provoquer une amélioration du comportement du délinquant.
Le même commentateur, aujourd’hui ex-président du Conseil canadien de la sécurité, a écrit que les peines d’emprisonnement avec sursis sont beaucoup plus prometteuses du point de vue de la réadaptation et de la justice réparatrice que les peines d’emprisonnement sans sursis. L’incarcération ne protège la population du délinquant que pendant la durée de la peine, alors que la peine d’emprisonnement avec sursis est beaucoup plus susceptible d’inciter le délinquant à ne plus être une menace pour la collectivité après sa libération (44).
Howard Sapers, enquêteur correctionnel, a écrit que le manque de programmes est si grave que cela pose une menace à la sécurité publique : « Trop de détenus passent du temps en prison sans pouvoir bénéficier des programmes correctifs dont ils ont besoin […] Il s’ensuit un climat de violence et de désespoir dans la prison et un risque accru de récidive après leur libération. » (45)
Certains détracteurs du projet de loi C-42 disent qu’une solution « taille unique » n’est ni juste ni raisonnable. Par ailleurs, les délinquants purgeant une peine d’emprisonnement avec sursis ne sont pas davantage susceptibles de récidiver que ceux qui sortent de prison (46). Tout au contraire, des études ont révélé que les délinquants qui purgent leur peine dans la collectivité ont de meilleures chances de se réadapter et de se réinsérer dans la société. Par ailleurs, les peines d’emprisonnement avec sursis sont rentables. Le coût d’emprisonnement d’une personne pendant un an est évalué, selon un récent commentateur, à plus de 70 000 $. Cela veut dire que chaque groupe de 15 personnes assujetties à une peine d’emprisonnement avec sursis fait économiser plus d’un million de dollars aux Canadiens (47).
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
Le projet d’alinéa 742.1c) ajouterait 39 infractions au Code criminel à la liste des infractions non susceptibles de faire l’objet d’une peine avec sursis. Ces infractions, énumérées ci dessous, sont celles dont la peine d’emprisonnement maximale est de 14 ans ou à perpétuité et qui peuvent actuellement faire l’objet d’une peine avec sursis.
Infraction | Disposition du Code criminel | Peine maximale |
---|---|---|
Fabrication ou utilisation d’un faux passeport | 57(1) | 14 ans |
Détournement | 76 | À perpétuité |
Atteinte à la sécurité des aéronefs ou des aéroports | 77 | À perpétuité |
Fait d'apporter, sans autorisation, des armes offensives et des substances explosives à bord d'un aéronef | 78 | 14 ans |
Manquement aux obligations qui cause l'explosion de substances explosives d'une manière qui entraîne ou est susceptible d'entraîner la mort | 80(a) | À perpétuité |
Manquement aux obligations qui cause l'explosion de substances explosives d'une manière qui entraîne ou est susceptible d'entraîner des blessures | 80(b) | 14 ans |
Fait de causer l’explosion de substances explosives dans l’intention de provoquer des blessures ou la mort | 81(1) (a & b) | À perpétuité |
Fait de placer ou de fabriquer des substances explosives | 81(1) (c & d) | 14 ans |
Fabrication ou conservation des substances explosives pour le compte d’une organisation criminelle | 82(2) | 14 ans |
Corruption de fonctionnaires de la justice | 119 | 14 ans |
Corruption de fonctionnaires | 120 | 14 ans |
Parjure | 131, 132 | 14 ans |
Fait de fournir un témoignage contradictoire dans le but d’induire en erreur | 136 | 14 ans |
Fabrication de preuve | 137 | 14 ans |
Inceste | 155 | 14 ans |
Complicité de meurtre après le fait | 240 | À perpétuité |
Vaincre la résistance à la perpétration d’une infraction | 246 | À perpétuité |
Conduite dangereuse causant la mort | 249(4) | 14 ans |
Défaut de s’arrêter sur les lieux d’un accident en sachant qu'une victime de l'accident est morte; défaut de se soucier d'une victime de l'accident en sachant qu'elle a été grièvement blessée et qu'elle risque de mourir | 252(1.3) | À perpétuité |
Abus de confiance criminel | 336 | 14 ans |
Refus d'un employé public de remettre des biens | 337 | 14 ans |
Fait d'arrêter la poste avec intention de vol | 345 | À perpétuité |
Introduction par effraction dans un dessein criminel, invasion de domicile | 348 | À perpétuité |
Rédaction non autorisée d’un document | 374 | 14 ans |
Obtenir, etc., au moyen d’un instrument fondé sur un document contrefait | 375 | 14 ans |
Fraude de plus de 5 000 $ ou relative à un testament | 380(1)(a) | 14 ans |
Intimidation d’un participant au système de justice ou d’un journaliste | 423.1 | 14 ans |
Méfait causant un danger réel pour la vie d’une personne | 430(2) | À perpétuité |
Incendie criminel : danger pour la vie humaine | 433 | À perpétuité |
Incendie criminel :dommages matériels | 434 | 14 ans |
Incendie criminel : dommages à ses propres biens et menace à la sécurité d’autrui | 434.1 | 14 ans |
Fabrication de monnaie contrefaite | 449 | 14 ans |
Possession, etc., de monnaie contrefaite | 450 | 14 ans |
Mise en circulation, etc., de monnaie contrefaite | 452 | 14 ans |
Tentatives et complicité entraînant une mise en accusation et l’emprisonnement à perpétuité | 463(a) | 14 ans |
Complot, meurtre | 465(1)(a) | À perpétuité |
Complot en vue de commettre d’autres infractions donnant lieu à des poursuites par voie de mise en accusation | 465(1)(c) | À perpétuité |
Perpétration d'infractions pour le compte d’une organisation criminelle | 467.12 | 14 ans |
Fait de charger une personne de commettre une infraction pour une organisation criminelle | 467.13 | À perpétuité |
Source: Martin’s Annual Criminal Code, Emond Montgomery Publications Limited, Toronto, 2009.
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