Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-22 : Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet a été déposé le 6 mai 2010 à la Chambre des communes par le Ministre de la Justice, l’honorable Robert Douglas Nicholson. Il reprend les dispositions de l’ancien projet de loi C-58, qui est mort au Feuilleton à la prorogation du Parlement le 30 décembre 20091.
Dans la foulée des anciens projets de loi C-46 et C-472 sur l’accès légal et la modernisation du droit criminel canadien pour tenir compte des nouvelles technologies, le projet de loi C-22 vise à combattre la pornographie juvénile sur Internet en imposant aux fournisseurs de services Internet (FSI) et aux autres personnes qui fournissent des services Internet3 (p. ex. Facebook, Google et Hotmail) l’obligation de rapporter tout incident de pornographie juvénile, plus précisément :
Le 21 octobre 2010, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a apporté trois amendements au projet de loi :
La suppression du titre abrégé (« Loi sur la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle en ligne »).
La clarification, dans la version anglaise, du fait que la définition de « services Internet » (« Internet service ») désigne bien la fourniture de « services » d’accès à Internet, d’hébergement de contenu ou de courrier électronique – et non l’envoi comme tel de courriers électroniques, par exemple (art. 1)4.
La restriction du degré d’application d’une loi semblable d’une province ou d’un autre État (art. 9). Dans sa version initiale, l’article 9 du projet de loi prévoyait qu’une personne qui communique des renseignements en application de la loi d’une province ou d’un État étranger serait considérée comme s’étant conformée à toutes les obligations énoncées dans le projet de loi C-22 (obligations de communiquer l’adresse (art. 2), d’aviser la police (art. 3) et de préserver des données informatiques (art. 4)). Avec l’amendement, on considère que cette personne se conforme uniquement à l’article 2, c’est-à-dire à l’obligation de communiquer l’adresse. Ainsi, par exemple, si une loi provinciale ne prévoit pas d’obligation similaire à l’obligation prévue à l’article 3 du projet de loi, la personne devra tout de même aviser la police si elle possède des motifs raisonnables de croire que de la pornographie juvénile est transmise en utilisant ses services Internet.
En juin 2008, la législature du Manitoba a sanctionné une loi obligeant toute personne à signaler à Cyberaide.ca5tout matériel qui pourrait constituer de la pornographie juvénile6. L’Ontario a adopté une loi semblable en décembre 20087. Les États-Unis8et l’Australie9se sont dotés, en 2002 et 2005 respectivement, de lois imposant ce type d’obligation aux FSI. Par ailleurs, le projet de loi C-22 prévoit qu’une personne qui communique des renseignements en application de la loi d’une province ou d’un État étranger est considérée comme s’étant conformée à l’obligation de communiquer l’adresse prévue à l’article 2 du projet de loi (art. 9 du projet de loi).
L’article 163.1 du Code criminel (le Code), adopté en 1993, interdit la production10, la distribution11, la vente12 et la possession13 de « pornographie juvénile ».
La définition de « pornographie juvénile »14comprend essentiellement :
La pornographie juvénile sur Internet prend la forme d’images, d’enregistrements audio, de vidéos, de dessins ou de récits d’agressions sexuelles contre des personnes de moins de 18 ans. En 2002, le projet de loi C-15A16 a modifié le paragraphe 163.1(3) du Code – qui interdit la distribution de pornographie juvénile – en introduisant les termes « transmettre » et « rendre accessible » afin d’interdire la diffusion de pornographie juvénile en ligne. Le projet de loi a aussi ajouté les paragraphes 163.1(4.1) et (4.2) au Code,si bien que le fait d’accéder délibérément à de la pornographie juvénile (p. ex. en visitant un site Web) constitue une infraction.
Le projet de loi C-15A a également prévu un mandat spécial concernant la pornographie juvénile sur Internet. En vertu de l’article 164.1 du Code, s’il existe des motifs raisonnables de croire que de la pornographie juvénile est rendue accessible au moyen d’un ordinateur d’un FSI, un juge peut ordonner au FSI de fournir les renseignements nécessaires pour identifier et trouver la personne qui l’a affichée. De plus, le juge peut ordonner au FSI d’effacer la pornographie juvénile en question.
Concernant la peine, les infractions relatives à la pornographie juvénile sont des infractions mixtes, c’est-à-dire que le poursuivant peut tenter d’obtenir une déclaration de culpabilité soit par mise en accusation soit par procédure sommaire. Les infractions de production, de distribution et de vente sont punissables d’une peine maximale de dix ans et d’une peine minimale d’un an d’emprisonnement en cas de mise en accusation; dans le cas de la procédure sommaire, les peines maximale et minimale sont de 18 mois et de 90 jours respectivement. Les infractions de possession et de visionnement de pornographie juvénile par ordinateur sont punissables d’une peine maximale de cinq ans et d’une peine minimale de 45 jours d’emprisonnement en cas de mise en accusation; dans le cas de la procédure sommaire, les peines maximale et minimale sont de 18 mois et de 14 jours respectivement.
Selon Statistique Canada, qui relève des données sur toutes les formes de pornographie juvénile (et non uniquement sur la pornographie juvénile sur Internet), les infractions de pornographie juvénile ont connu une croissance importante au Canada, passant de 55 infractions en 1998 à 1 408 infractions en 200817.
Concernant la pornographie sur Internet, on estime actuellement à plus de cinq millions le nombre d’images d’enfants exploités sexuellement18. D’après une analyse de Cyberaide.ca portant sur la période 2002 à 2009, 57,4 % des images des sites Internet contenant des images pédopornographiques montraient des enfants de moins de 8 ans, 24,7 %, des enfants de 8 à 12 ans, et 83 %, des filles19. Plus de 35 % des images analysées montraient des agressions sexuelles graves. Ce sont les enfants de moins de 8 ans qui sont le plus souvent soumis à des agressions sexuelles (37,2 %) et à des agressions sexuelles extrêmes (68,5 %)20. Les enfants plus âgés sont généralement représentés posant nus ou dans une position obscène21.
L’étude de Cyberaide.ca révèle que les sites Internet contenant des images pédopornographiques sont hébergés dans près de 60 pays22. Tiré de cette étude, le tableau suivant démontre que le Canada est l’un des principaux pays hébergeurs de sites pédopornographiques.
Rang | Pays | Pourcentage des incidents |
---|---|---|
1 | États-Unis | 49,2 |
2 | Russie | 20,4 |
3 | Canada | 9,0 |
4 | Japon | 4,3 |
5 | Corée du Sud | 3,6 |
Source : Kelly Bunzeluk, Les images d’abus pédosexuels – Analyse des sites internet par Cyberaide.ca, ![]() |
Les fichiers de pornographie juvénile affichés sur une page Web ne sont pas tous nécessairement hébergés au même endroit. Par exemple, l’image A peut être hébergée au Canada tandis que l’image B de la même page Web peut être hébergée aux États-Unis. La page Web peut également être hébergée à un autre endroit, par exemple au Japon. Il est également possible qu’un site illégal cache l’emplacement de son hôte au moyen d’un serveur mandataire anonyme ou par détournement de serveur. Des sites identiques peuvent, par ailleurs, être hébergés simultanément à différentes adresses URL23. Dans ces cas, l’enlèvement du matériel pédopornographique devient très ardu et, même si le site est fermé, le matériel en question restera probablement accessible sur Internet24.
De plus, les sites illégaux changent régulièrement d’emplacement pour éviter d’être mis hors ligne. Sur une période de 48 heures, Cyberaide.ca a dénombré 212 adresses de protocole Internet (adresses IP)25localisées dans 16 pays différents pour un même site Internet26. Un site Internet peut changer d’emplacement en quelques minutes seulement en utilisant un réseau d’ordinateurs personnels transformés en zombies27. Ces ordinateurs zombies fournissent le contenu du site Internet ou relaient du contenu hébergé sur un autre serveur. Cyberaide.ca recommandait donc que tout FSI dont le réseau dessert de tels ordinateurs puisse suspendre le service à 28.
Une personne, par exemple un membre du public, peut aviser un FSI ou une autre personne qui fournit des services Internet qu’un site Internet, une page d’hébergement (p. ex. une page Facebook) ou un courriel semble contenir de la pornographie juvénile. Le FSI ou l’autre personne qui fournit des services Internet devra alors communiquer rapidement l’adresse du site, de la page ou du courriel en question à un organisme qui sera désigné par le gouvernement fédéral. Dans le cas de la loi manitobaine, par exemple, il s’agit de l’organisme national de signalement Cyberaide.ca.
Un FSI ou une autre personne qui fournit des services Internet peut – après en avoir été avisé par un membre du public ou un organisme, ou encore de son propre chef – avoir des motifs raisonnables de croire29que de la pornographie juvénile est rendue accessible au moyen de ses services. Il doit alors en aviser les services de police dans les meilleurs délais.
Le projet de loi ne précise pas quel type d’information exact le FSI ou l’autre personne qui fournit des services Internet devra fournir à la police. Selon toute vraisemblance, il s’agira de « données informatiques », dont le paragraphe 1(1) du projet de loi donne une définition très large : « Représentations, notamment signes, signaux ou symboles, qui sont sous une forme qui en permet le traitement par un ordinateur. » La loi américaine, par exemple, précise que le FSI ou une autre personne qui fournit des services de télécommunication devra fournir à la police le contenu des transmissions (p. ex. les fichiers de pornographie juvénile) et des informations sur l’individu ou le site Internet qui semble être à l’origine de la pornographie juvénile (p. ex. l’adresse IP, l’adresse URL, l’adresse de courrier électronique, l’adresse postale, la date et l’heure des transmissions et le lieu géographique des ordinateurs et des serveurs impliqués)30.
Le FSI ou l’autre personne qui fournit des services Internet qui a avisé les services de police devra préserver les données informatiques relatives à l’infraction de pornographie juvénile pendant une période de 21 jours. Après ce délai, il devra détruire ces données informatiques (sauf les données qu’il conserve normalement dans le cadre de son activité commerciale), à moins que la police ait obtenu une ordonnance judiciaire de préservation31.
Toute communication faite en vertu du projet de loi devra rester confidentielle. Par exemple, un FSI ne devra pas informer une personne qu’elle a été l’objet d’un avis à la police.
Le fait de visionner de la pornographie juvénile en ligne demeure une infraction criminelle32. Le projet de loi n’a donc pas pour effet d’autoriser – ni, à plus forte raison, d’obliger – quiconque à chercher de la pornographie juvénile (art. 6). Par contre, une personne qui s’est, de bonne foi, conformée aux dispositions du projet de loi ne pourra pas être poursuivie au civil si elle signale aux autorités un site où pourrait se trouver de la pornographie juvénile (art. 7). Par exemple, un FSI qui a avisé la police qu’un site Internet sur son réseau semble contenir de la pornographie juvénile sera à l’abri de poursuites judiciaires civiles.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
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