Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-3 : Loi favorisant l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens en donnant suite à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire McIvor v. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs) (titre abrégé : « Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens ») a été déposé à la Chambre des communes par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l’honorable Chuck Strahl, le 11 mars 2010. Le projet de loi modifie la Loi sur les Indiens afin de la rendre conforme à l’arrêt McIvor de 2009 de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, cette dernière ayant jugé que certains aspects des dispositions actuelles relatives à l’enregistrement faisaient une distinction fondée sur le sexe qui contrevenait à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Le projet de loi C-3 a été renvoyé au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord le 29 mars 2010. Celui-ci en a fait l’étude article par article, puis en a fait rapport à la Chambre le 29 avril 2010 après y avoir apporté des amendements de fond et de forme. Entre autres, l’article 2 a été amendé pour préciser que toute personne née après le 17 avril 1985 et qui est un descendant direct d’une personne inscrite ou ayant le droit de l’être aux termes de la Loi sur les Indiens a elle aussi le droit d’être inscrite. L’amendement en question avait été jugé irrecevable par le président du Comité du fait qu’il outrepassait la portée du projet de loi tel qu’il avait franchi la deuxième lecture à la Chambre, mais une majorité des membres du Comité a contesté et finalement annulé la décision du président. Le 11 mai 2010, le président de la Chambre des communes a statué que l’amendement de l’article 2 outrepassait la portée du projet de loi et qu’il était en conséquence irrecevable. Par ailleurs, l’article 9 du projet de loi, qui limitait la responsabilité de la Couronne et des conseils de bande, a été supprimé. Le projet de loi a été amendé aussi par l’ajout d’une disposition portant que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien doit faire rapport au Parlement de la mise en application du projet de loi dans les deux ans de l’entrée en vigueur de celui-ci.
La Loi sur les Indiens (LI)1 a été, et demeure à ce jour, la principale manifestation de l’exercice de la compétence que le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens ». La LI a toujours prévu des critères définissant le « statut » d’Indien pour déterminer le droit à une gamme de droits prévus par la loi et l’admissibilité à des programmes et services fédéraux. Les dispositions relatives au statut sont depuis longtemps une source de mécontentement pour les Premières nations, qui revendiquent un droit inhérent de déterminer leur propre citoyenneté2.
La présente section trace les grandes lignes de l’évolution des aspects du statut d’Indien et des faits connexes qui sont directement touchés par les modifications précises que propose le projet de loi C-3, au cours de trois périodes : depuis avant la Confédération jusqu’en 1982; de 1982 à 2007; et de l’arrêt McIvor de 2007 jusqu’à ce jour.
Avant l’avènement de la Charte, les mesures législatives ont restreint l’accès des femmes des Premières nations au statut d’Indienne. En 1850, la première définition législative des « Sauvages » [sic] était inclusive; elle ne faisait pas de distinction entre les hommes et les femmes4. Une loi de 1869 a instauré la première disposition en vertu de laquelle le mariage d’une Indienne à un non-Indien entraînait une perte de statut pour la femme et ses enfants5. Un Indien qui épousait une non-Indienne ne perdait pas son statut. Malgré les objections de groupes autochtones, cette exclusion a été maintenue dans l’Acte des Sauvages de 1876, qui était une refonte des lois antérieures relatives aux Indiens. La loi de 1876 privilégiait aussi expressément la lignée masculine, en incluant dans la définition de « Sauvage » [sic] « toute femme », indienne ou non, qui était mariée à « [t]out individu du sexe masculin et de sang sauvage, réputé appartenir à une bande particulière6 ».
La Loi sur les Indiens de 19517 a abrogé la loi précédente et apporté d’importantes modifications au régime antérieur, notamment en instaurant un « registre des Indiens » centralisé. Sous son régime, le droit à l’inscription demeurait lié à l’appartenance à une bande, perpétuait la transmission du statut par le père et était accordé, comme par le passé, aux épouses et aux veuves d’Indiens inscrits, qu’elles soient elles-mêmes Indiennes ou non (art. 11). La LI de 1951 continuait de faire perdre leur statut aux Indiennes qui épousaient des non-Indiens (al. 12(1)b))8 et aux personnes émancipées, une catégorie qui pouvait aussi inclure les femmes qui épousaient des non-Indiens (sous al. 12(1)a)(iii))9. En outre, la LI de 1951 a instauré la règle « mère grand-mère », suivant laquelle une personne inscrite à la naissance perdait son statut et son appartenance à sa bande à l’âge de 21 ans si ses parents s’étaient mariés après l’entrée en vigueur de la LI en septembre 1951 et si sa mère et sa grand-mère paternelle avaient acquis leur statut seulement par mariage (sous-al. 12(1)a)(iv))10.
Au cours de cette période de politisation croissante des Premières nations, l’opposition grandissante à la perte de statut des femmes des Premières nations en vertu de l’alinéa 12(1)b) a pris différentes formes. Dans l’arène judiciaire, des femmes des Premières nations qui avaient perdu leur statut par suite de leur mariage ont contesté la disposition dans différentes causes au motif qu’elle était discriminatoire en vertu de la Déclaration canadienne des droits. Dans l’arrêt Lavell de 1973, une Cour suprême du Canada divisée a jugé que la disposition n’entraînait pas d’inégalité en vertu de la loi : le Parlement avait le pouvoir de définir les exigences requises pour être un Indien, et toutes les Indiennes qui épousaient un non Indien étaient traitées également12.
Les appels à une réforme législative émanant de groupes de femmes des Premières nations nouvellement créés, d’organismes de droits de la personne13 et d’autres organismes14 se sont intensifiés tout au long des années 1970. Dans la foulée de l’arrêt Lavell, Indian Rights for Indian Women et l’Association des femmes autochtones du Canada ont milité très activement et fait pression sur les parlementaires et le gouvernement pour que ceux-ci prennent des mesures correctrices immédiates et à plus long terme15. Le gouvernement a reconnu la nécessité d’éliminer la discrimination fondée sur le sexe dans la LI, mais il a estimé que les modifications devraient être apportées dans le cadre d’une révision plus générale après consultation des Premières nations.
En 1981, un jugement en matière de droits de la personne qui a contribué à motiver une réforme concernait le cas de Sandra Lovelace, dont la perte de statut en vertu de l’alinéa 12(1)b) l’avait empêchée de réintégrer sa collectivité d’origine à titre de membre de la bande quand son mariage avait pris fin. Le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a statué que les effets persistants de la perte de statut contrevenaient à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques16. Cette décision a mis le Canada dans l’embarras.
L’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits de la personne en avril 1982 a obligé le gouvernement à prendre les mesures voulues pour abroger les dispositions discriminatoires de la LI avant avril 1985, date à laquelle allaient entrer en vigueur les dispositions de la Charte relatives au droit à l’égalité18. Les initiatives pertinentes prises dans l’intervalle comprennent l’étude et le rapport de 1982 du Sous-comité de la Chambre sur les femmes indiennes et la Loi sur les Indiens19 et le dépôt du projet de loi C-47 : Loi modifiant la Loi sur les Indiens. Le rapport recommandait que le statut ne soit ni perdu ni obtenu par mariage20, que les enfants de la première génération issus de mariages mixtes aient droit au statut, que soient rétablis le statut des femmes qui l’avaient perdu en vertu de l’alinéa 12(1)b) et celui de leurs enfants de la première génération, et que les droits acquis soient préservés21. Le projet de loi C-47 reflétait ces recommandations, et il aurait aussi imposé une règle plus stricte de descendance à 50 % (règle de transmission) pour les enfants des personnes dont le statut avait été rétabli, plutôt que la règle de 25 % applicable aux enfants de ceux qui avaient déjà un statut, afin de réduire le nombre éventuel de personnes qui recouvreraient leur statut et de limiter les coûts22. Ce projet de loi est mort au Feuilleton en 198423.
Promulgué en juin 1985 – avec effet rétroactif au 17 avril 1985 –, le projet de loi C-31 : Loi modifiant la Loi sur les Indiens visait à supprimer toute discrimination dans la LI, à rétablir les droits de ceux qui les avaient perdus et à reconnaître le contrôle par les Premières nations de l’appartenance aux bandes24. Le projet de loi faisait écho à différents éléments du rapport de 1982 du sous-comité et du projet de loi C-4725. En particulier, les paragraphes 6(1) et 6(2) de la LI26, qui régissent le droit à l’inscription depuis 198527, disposaient que :
Les modifications qu’a apportées le projet de loi C-31 « ont donné lieu à toute une série de catégories complexes d’Indiens et de restrictions concernant le statut, ce qui a engendré de nombreux griefs30 ». Une des principales cibles des critiques des distinctions entre l’inscription en vertu du paragraphe 6(1) ou du paragraphe 6(2) a été la règle de « l’exclusion après la deuxième génération », qui entraîne une perte de statut après deux générations successives de parenté mixte indienne-non indienne. Bien que la règle soit non sexiste pour les enfants nés après 1985, elle a créé un désavantage relatif pour les descendants de femmes des Premières nations qui avaient épousé un non-Indien et recouvré leur statut en vertu du paragraphe 6(1), parce que leurs enfants, nés avant 1985 et inscrits en vertu du paragraphe 6(2), ne pouvaient pas transmettre leur statut à leur tour s’ils se mariaient avec des non-Indiens (descendance à 50 %)31. Par contre, les descendants d’Indiens qui ont épousé des femmes non indiennes avant 1985 ont été inscrits en vertu du paragraphe 6(1) et, bien qu’ils aient le même degré d’ascendance indienne que les personnes inscrites en vertu du paragraphe 6(2), ils ont pu transmettre leur statut même après avoir épousé des personnes non indiennes. Ces enfants, inscrits en vertu du paragraphe 6(2), pouvaient transmettre un statut à leur tour pendant au moins une génération (descendance à 25 %)32. L’annexe C présente un tableau illustrant les effets différentiels que continuent d’avoir les inscriptions en vertu des paragraphes 6(1) ou 6(2).
Le projet de loi C-31 a dissocié pour la première fois le statut et l’appartenance à la bande et a autorisé les bandes à contrôler leurs effectifs et à adopter leurs propres règles d’appartenance (art. 10). Pour celles qui n’exerçaient pas cette option, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a tenu des « listes de bande » (art. 11). Sous le régime complexe prévu par le projet de loi, certains inscrits ont obtenu l’appartenance à la bande de plein droit, tandis que d’autres ont seulement obtenu une appartenance conditionnelle. Le premier groupe comprenait les femmes qui avaient perdu leur statut épousant un non-Indien et qui avaient recouvré leur statut en vertu de l’alinéa 6(1)c). Le deuxième groupe comprenait leurs enfants, qui avaient acquis leur statut en vertu du paragraphe 6(2).
Les études critiques des modifications apportées par le projet de loi C-31 et de leur incidence menées depuis 1988 par des organismes des Premières nations, des parlementaires, des organismes gouvernementaux et des droits de la personne et d’autres organismes et commissions33 ont généralement reconnu que les dispositions du projet de loi qui établissaient une hiérarchie en matière de statut entraînaient une discrimination sexuelle résiduelle et créaient des divisions arbitraires au sein des familles et des collectivités des Premières nations34. Plusieurs ont demandé l’élimination de la discrimination persistante contre les femmes des Premières nations sur le plan de la transmission du statut et l’abolition de la règle de l’exclusion après la deuxième génération. En 2005, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations a réitéré la revendication de contrôle de la citoyenneté par les Premières nations, affirmant : « [l]e projet de loi n’a réglé aucun des problèmes qu’il était censé régler [...] D’importantes formes de discrimination fondée sur le sexe subsistent, la Couronne conserve le contrôle sur le statut indien, et la population autochtone décline comme conséquence directe du projet de loi C-31.35 »
Le Ministère estime que, depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C-31, plus de 117 000 personnes qui avaient perdu leur statut en vertu de dispositions discriminatoires relatives au statut et leurs descendants ont recouvré ou acquis le statut d’Indien, et que 18 % de ce nombre vivent dans une réserve36. Les projections préparées pour le Ministre laissent entendre que :
[a]près deux générations, les règles de transmission du statut [art. 6] énoncées dans le projet de loi C-31 (conjuguées aux mariages mixtes) devraient entraîner une rapide diminution de l’effectif admissible à l’inscription. Au bout de trois générations, l’effectif n’ayant pas droit à l’inscription devrait surpasser celui ayant droit à l’inscription. Enfin, les résultats des projections montrent que vers la fin de la cinquième génération, plus aucun enfant ne naîtra en ayant droit à l’inscription37.
Les projections récentes du Ministère jusqu’en 2029 montrent des déclins de la population ayant droit au statut liés aux projections des inscriptions en vertu du projet de loi C-31.
On prévoit des hausses notables de la population de descendants non admissibles au statut d’Indiens inscrits, tant dans les réserves que hors réserve. Dans les réserves, le nombre de descendants non admissibles devrait passer de 4 300 en 2004 à 93 800 en 2029. Hors réserve, le nombre de descendants non admissibles devrait passer de 61 500 à 144 800.
[...] la part de la population des réserves ayant droit au statut d’Indiens inscrits devrait connaître un déclin d’environ 11 points de pourcentage pendant la période visée, et qu’elle passera ainsi de 89 % (2004) à 78 % (2029). La part de la population non inscrite devrait passer de 11 % (2004) à 22 % (2029). La presque totalité de cette hausse est attribuable au fait que des descendants ne seront pas admissibles selon les règles établies par suite des modifications apportées à la Loi sur les Indiens de 198538.
De 1985 à 2007, Sharon McIvor, qui avait épousé un non-Indien avant 1985, a cherché à être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)c) de la LI et à faire inscrire son fils Jacob Grismer, né avant 1985, en vertu du paragraphe 6(2). Le gouvernement fédéral a finalement convenu qu’elle et son fils avaient droit au statut demandé39. Les enfants de M. Grismer, un inscrit en vertu du paragraphe 6(2) qui avait épousé une non-Indienne, n’étaient pas inscrits. En 1994, madame McIvor et son fils ont entrepris de contester les dispositions de la LI relatives à l’inscription qui résultaient du projet de loi C-31 au motif que ces dispositions faisaient de la discrimination fondée sur le sexe et l’état matrimonial en violation des articles 15 et 28 de la Charte canadienne des droits de la personne, en ce qu’elles continuaient de favoriser la lignée masculine dans la transmission du statut aux descendants nés avant 198540. En juin 2007, la Cour suprême de la Colombie-Britannique leur a donné raison, et elle a déclaré inopérant l’article 6 « dans la mesure où il autorise une différence de traitement entre les hommes indiens et les femmes indiennes nés avant le 17 avril 1985, et les descendants matrilinéaires et patrilinéaires nés avant le 17 avril 1985, dans l’attribution de statut41 ».
Le gouvernement fédéral a interjeté appel de ce jugement et, en avril 2009, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique en a considérablement modifié la portée42. Elle a jugé que les distinctions contestées dans la capacité de transmettre le statut, bien que discriminatoires selon le sexe, étaient justifiées dans une large mesure. La seule exception concernait ceux qui, avant 1985, avaient été sujets à la perte de leur statut à l’âge de 21 ans en vertu de la règle « mère grand-mère » : après le projet de loi C-31, ces personnes ont recouvré leur statut à vie en application de l’alinéa 6(1)c), et elles ont pu transmettre leur statut à leurs enfants, un « statut bonifié » qui désavantageait encore plus le fils de madame McIvor43. En conséquence, la Cour a conclu que les alinéas 6(1)a) et 6(1)c) violaient la Charte « dans la mesure où ils accordent aux individus auxquels s’est appliquée la règle “mère grand-mère” plus de droits qu’ils n’en auraient eus » [traduction] en vertu de la LI de 1951, et la Cour a suspendu sa déclaration d’invalidité pendant un an pour permettre au Parlement de modifier la LI.
En juin 2009, le gouvernement a annoncé qu’il se conformerait au jugement de la Cour d’appel. En novembre, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation de pourvoi de madame McIvor44.
En août 2009, le Ministère a publié un document d’information esquissant la démarche qu’il préconisait pour modifier la LI à la lumière de l’arrêt McIvor45, et, jusqu’au 13 novembre, il a tenu une série de rencontres avec des organisations nationales et régionales des Premières nations et d’autres organisations autochtones pour recueillir leurs observations à ce sujet. Le document d’information reconnaissait la difficulté qu’il y a à forger un consensus favorable aux modifications des dispositions controversées de la LI relatives à l’inscription, et il proposait des modifications visant à éliminer le cas précis de discrimination qu’avait condamné la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Ces modifications conféreraient le statut en vertu du paragraphe 6(2) à tous les petits-enfants des femmes qui avaient perdu leur statut en épousant des non-Indiens (p. ex. madame McIvor) et dont les enfants de ce mariage (p. ex. Jacob Grismer) avaient eu les petits-enfants avec une personne non indienne après septembre 1951, moment de l’entrée en vigueur de la règle « mère grand-mère »; ce résultat serait obtenu en modifiant le paragraphe 6(1) de manière à inclure les personnes se trouvant dans la même situation que Jacob Grismer46. Le document d’information laissait entendre qu’une telle modification créerait au total de 20 000 à 40 000 nouveaux inscrits, la plupart vivant hors réserve47, et que le défaut de modifier la LI au plus tard le 6 avril 2010, date de l’expiration de la période de suspension prononcée aux termes de l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, serait une source d’incertitude pour les collectivités des Premières nations dans cette province48.
La réaction d’octobre 2009 de madame McIvor aux modifications que le gouvernement préconisait d’apporter à la LI étaient critiques à plusieurs égards, notamment pour ce qui est de la restriction proposée du statut en vertu du paragraphe 6(2) aux petits-enfants nouvellement inscrits et au seuil d’exclusion proposé, suivant lequel la modification s’appliquerait seulement si les petits-enfants étaient nés après septembre 1951, ce qui faisait craindre l’apparition de nouvelles inégalités entre frères et sœurs49. Les organisations nationales et régionales des Premières nations et d’autres organisations autochtones se sont dites déçues de la décision de la Cour suprême du Canada de ne pas entendre l’appel de madame McIvor. La plupart déploraient le fait que le gouvernement n’ait pas procédé à une consultation complète au sujet des modifications qu’il préconisait, et ils critiquaient la teneur de ces modifications. Celles-ci ont été perçues comme un correctif inadéquat d’une discrimination historique inhérente au régime d’inscription de la LI, qui soulevait plusieurs questions sur les plans de la mise en œuvre et des ressources, et surtout, comme un empiètement persistant sur la compétence des Premières nations en matière de citoyenneté, que le gouvernement continuait de ne pas reconnaître50.
Enfin, il convient de noter que les dispositions de la LI relatives à l’inscription font actuellement l’objet de plusieurs autres contestations fondées sur la Charte51.
Le projet de loi C-3 déposé à la Chambre des communes compte dix articles. L’analyse qui suit porte sur certains aspects choisis du projet de loi. Étant donné la nature de ce dernier, l’analyse aura nécessairement un caractère quelque peu technique.
Par souci de clarté, il convient de rappeler certains éléments de l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique qui ont mené à l’élaboration du projet de loi. Cet arrêt concernait le cas de Sharon McIvor, qui avait perdu son statut lorsqu’elle avait épousé un homme n’appartenant pas à une Première nation et l’avait recouvré en 1985 en vertu de l’alinéa 6(1)c) de la LI dans son libellé postérieur à l’adoption du projet de loi C-31. Son fils, Jacob Grismer, ayant seulement un parent de Première nation, avait acquis son statut en vertu du paragraphe 6(2), mais ne pouvait pas transmettre ce statut à ses enfants parce que lui-même avait épousé une femme n’appartenant pas à une Première nation. Par contraste, les personnes de la ligne paternelle visées par la règle « mère grand-mère » de 1951, qui entraînait la perte de statut à l’âge de 21 ans, avaient recouvré leur statut à vie en vertu de l’alinéa 6(1)c) et pouvaient transmettre leur statut à leurs enfants, qu’ils épousent une personne appartenant ou non à une Première nation. La Cour a jugé que cela causait aux personnes se trouvant dans la situation de Jacob Grismer un désavantage qui constituait une violation injustifiée de l’article 15 de la Charte, et elle a prononcé une déclaration suspendue d’invalidité des alinéas 6(1)a) et 6(1)c) de la LI pour permettre au Parlement de modifier la LI avant le 6 avril 2010.
Le projet de loi C-3 reconduit les alinéas 6(1)a) et 6(1)c) de la LI, soit les parties de la disposition relative à l’inscription qui, en vertu de l’arrêt McIvor, deviendraient inopérantes le 6 avril 2010 (par. 2(2) et 2(3) du projet de loi). Cette mesure vise à assurer la validité et la continuité du droit à l’inscription en vertu de ces alinéas en Colombie-Britannique après l’entrée en vigueur du projet de loi.
L’article 2 du projet de loi a été amendé par le Comité pour préciser que toute personne née après le 17 avril 1985 et qui est un descendant direct d’une personne inscrite ou ayant le droit de l’être aux termes de la Loi sur les Indiens a elle aussi le droit d’être inscrite. Cet amendement a été déclaré irrecevable une première fois, par le président du Comité, puis une seconde fois, par le Président de la Chambre, et ne figure donc pas dans le projet de loi.
Le paragraphe 2(3) du projet de loi comporte la principale mesure législative prise par le gouvernement pour donner suite à l’arrêt McIvor; aux termes de cette disposition, le projet de loi propose une solution législative taillée sur mesure pour corriger le cas précis de discrimination dénoncé par la Cour. L’ajout d’un nouveau droit à l’inscription en vertu du nouvel alinéa 6(1)c.1) prévoit un statut équivalant à celui des personnes dont le statut a été rétabli par suite de l’abrogation de la règle « mère grand-mère », de sorte que les personnes visées pourront transmettre le statut en vertu du paragraphe 6(2) à leurs enfants. La nouvelle disposition énonce quatre critères cumulatifs auxquels il faut satisfaire pour avoir droit à l’inscription conformément à la solution préconisée dans le document d’information du Ministère et décrite plus haut; une personne aura droit à l’inscription sur demande si elle remplit chacune des conditions suivantes énoncées aux nouveaux sous-alinéas 6(1)c.1)(i) à (iv).
La mère de la personne a perdu son statut par suite d’un mariage en raison des dispositions de la LI relatives au mariage à un non-Indien en vigueur entre 1951 et 198552 ou en raison de dispositions antérieures de la LI portant sur le même sujet.
Comme le laisse entendre le libellé, cette condition ne se limite pas à la période de 1951 à 1985, au cours de laquelle la règle « mère grand-mère » a été en vigueur, mais s’étend aux mères qui ont perdu leur statut à quelque époque que ce soit avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-31 le 17 avril 1985. Selon toute vraisemblance, la plupart des mères visées au sous alinéa 6(1)c.1)(i) auront perdu leur statut par mariage après 195153.
Le père de la personne n’a pas – ou n’avait pas, s’il est décédé – le droit d’être inscrit en vertu de la LI en vigueur depuis la création du registre des Indiens en vertu de la LI de 1951, ou n’était pas un Indien au sens de la LI avant 1951.
L’arrêt McIvor traite de la discrimination découlant du projet de loi C-31 à l’endroit des personnes nées de mères qui avaient perdu leur statut par suite de leur mariage à des pères non indiens. En vertu du nouvel alinéa 6(1)c.1), ce père peut être une personne dont le mariage avec la mère a fait perdre son statut à cette dernière, mais il ne l’est pas nécessairement. Autrement dit, la personne qui a droit à l’inscription en vertu de la nouvelle disposition peut tout aussi bien être issue d’une union subséquente, conjugale ou de fait, entre la mère et un père non indien, sous réserve de l’exception prévue au nouveau sous alinéa 6(1)c.1)(iii).
La personne est née après un mariage visé au nouveau sous-alinéa 6(1)c.i)(i) et avant le 17 avril 1985, date de l’entrée en vigueur du projet de loi C-31; les personnes nées après cette date ont droit à l’inscription seulement si leurs parents se sont mariés avant cette date.
En vertu du nouveau sous alinéa 6(1)c.1)(iii), le droit à l’inscription suppose dans tous les cas que la personne soit née après le mariage qui a fait perdre son statut à la mère. Aux fins du droit à l’inscription en vertu de cette disposition, les personnes nées avant le 17 avril 1985, date de l’entrée en vigueur du projet de loi C-31, peuvent être issues de mariages ou d’unions de fait. Les personnes nées après cette date peuvent aussi avoir droit à l’inscription en vertu du nouvel alinéa 6(1)c.1), pourvu qu’elles soient nées de mariages contractés avant le 17 avril 1985. Cette exigence vise à assurer que le projet de loi C-3, en établissant un nouveau droit à l’inscription en vertu du paragraphe 6(1), n’entraîne pas aussi une inégalité pour les descendants de la lignée paternelle. Ce que l’on veut éviter, c’est que la reconnaissance du statut en vertu du paragraphe 6(1) à une personne née après avril 1985 d’un mariage contracté après 1985 entre une femme d’une Première nation et un homme n’appartenant pas à une Première nation ne désavantage une personne née après avril 1985 d’un mariage contracté après 1985 entre un homme d’une Première nation et son épouse n’appartenant pas à une Première nation, cette personne n’ayant seulement droit qu’à un statut en vertu du paragraphe 6(2), selon les dispositions relatives à l’inscription postérieures à l’adoption du projet de loi C-31.
Les personnes nées après le 17 avril 1985 d’unions de fait entre une femme d’une Première nation et un homme n’appartenant pas à une Première nation ne sont pas visées par le nouvel alinéa 6(1)c.1) même si elles remplissent toutes les autres conditions, mais demeurent admissibles à l’inscription en vertu du paragraphe 6(2).
La personne a eu ou a adopté un enfant après le 4 septembre 1951, à l’époque où la règle « mère grand-mère » de la LI de 1951 était en vigueur, avec une personne qui n’avait pas le droit d’être inscrite.
Enfin, le droit à l’inscription en vertu de la nouvelle disposition exige que la personne ait eu au moins un enfant après septembre 1951 avec une personne n’appartenant pas à une Première nation. S’il est satisfait à cette exigence, tous les autres enfants de la personne auront aussi droit à l’inscription, peu importe leur date de naissance. Dans la plupart des cas, les enfants auront droit au statut en vertu du paragraphe 6(2)54. Par contraste, les frères et sœurs de la personne qui remplissent toutes les autres conditions prévues au nouvel alinéa 6(1)c.1) mais dont les enfants sont tous nés avant septembre 1951 n’auront pas droit à l’inscription en vertu de cette disposition.
Le Ministère estime maintenant qu’environ 45 000 personnes, soit 6 % de la population actuelle des personnes de Premières nations inscrites, acquerront le droit à l’inscription comme conséquence immédiate du paragraphe 2(3) du projet de loi, et que la majorité d’entre elles vivent hors réserve55.
Selon le libellé actuel du paragraphe 6(3) de la LI, pour ce qui est d’établir le droit à l’inscription en vertu de l’alinéa 6(1)f) et du paragraphe 6(2), les personnes ayant droit à l’inscription en vertu de l’article 6 mais décédées avant son entrée en vigueur en avril 1985 sont réputées avoir le droit d’être inscrites. Quant au paragraphe 2(4) du projet de loi, il modifie le paragraphe 6(3) pour faire en sorte que les personnes visées au nouvel alinéa 6(1)c.1) mais décédées avant son entrée en vigueur soient aussi réputées avoir le droit d’être inscrites.
L’article 11 de la LI énonce les conditions qui doivent être remplies pour qu’une personne puisse être inscrite sur les listes de bande tenues par le Ministère pour le compte des collectivités des Premières nations qui n’ont pas pris en charge le contrôle de l’appartenance à leurs effectifs en vertu de l’article 10 de la LI. Le nouveau paragraphe 11(3.1) dispose qu’une personne ayant droit au statut en vertu de l’alinéa 6(1)c.1) et dont la mère a cessé d’appartenir à la bande après avoir épousé un non-Indien a le droit d’être inscrite sur la liste tenue par le Ministère pour la bande.
Selon le Ministère, plus de 230 collectivités des Premières nations contrôlent actuellement l’appartenance à leurs effectifs au moyen de différentes règles56. Le droit à l’appartenance à ces bandes pour les personnes visées par le nouvel alinéa 6(1)c.1) et leurs enfants ayant un statut en vertu du paragraphe 6(2) sera déterminé par les règles d’appartenance de la bande concernée.
Un nouvel article, l’article 3.1, a été ajouté au projet de loi à l’étape de l’étude en comité pour exiger que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien fasse rapport au Parlement de la mise en application du projet de loi dans les deux ans de son entrée en vigueur.
Le projet de loi comporte plusieurs dispositions destinées à apporter certaines précisions (« Il est entendu que [...] »). Ces mesures se rapportent pour la plupart à la déclaration d’invalidité des alinéas 6(1)a) et 6(1)c) prononcée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et qui doit entrer en vigueur le 6 avril 2010, et elles visent à éliminer toute incertitude touchant la continuité d’application des dispositions concernant le droit à l’inscription et les droits acquis à l’appartenance à une bande, sous réserve des règles d’appartenance.
En conséquence, les personnes qui étaient inscrites ou qui avaient le droit de l’être en vertu des alinéas 6(1)a) et 6(1)c) immédiatement avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-3 demeurent inscrites (art. 5 du projet de loi)57, et le registraire est tenu de reconnaître les droits existants à l’inscription en vertu de ces alinéas pour déterminer le droit à l’inscription en vertu de l’alinéa 6(1)f) et du paragraphe 6(2) de la LI (art. 6 du projet de loi). Les personnes qui avaient droit à l’inscription en vertu des alinéas 6(1)a) et 6(1)c) immédiatement avant l’entrée en vigueur du projet de loi et qui avaient le droit d’être inscrites sur une liste de bande tenue par une bande conservent ce droit, sous réserve des règles d’appartenance de la bande (art. 7 du projet de loi). De même, les personnes ayant droit à l’enregistrement en vertu du nouvel alinéa 6(1)c.1) qui avaient le droit d’être inscrites sur une liste de bande tenue par une bande conservent ce droit, sous réserve des règles d’appartenance établies après l’entrée en vigueur du projet de loi (art. 8 du projet de loi).
En plus d’assurer la continuité d’application des dispositions relatives à l’inscription et à l’appartenance, le projet de loi dispose que personne n’a de recours contre l’État, ses préposés ou des conseils de bande en ce qui concerne les actes accomplis dans l’exercice de leurs attributions, du seul fait qu’une personne dont le parent a droit à l’inscription en vertu du nouvel alinéa 6(1)c.1) n’était pas inscrite au registre ou sur la liste de bande avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-3 (art. 9 du projet de loi). Autrement dit, aucune des personnes qui ont acquis le droit à l’inscription en vertu des nouvelles dispositions législatives ne peut réclamer de dommages-intérêts du seul fait qu’elle n’était pas inscrite immédiatement avant l’entrée en vigueur de ces dispositions.
Si le projet de loi n’est pas promulgué à l’expiration de la déclaration suspendue d’invalidité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique le 6 avril 2010, l’article 10 du projet de loi autorise le gouverneur en conseil à mettre le projet de loi en vigueur rétroactivement, mais au plus tôt au 5 avril 2010.
Au moment où le présent résumé législatif a été rédigé, le gouvernement avait demandé à la Cour une prolongation de la suspension.
a) une personne qui
(i) a reçu ou à qui il a été attribué, des terres ou certificats d’argent de métis,
(ii) est un descendant d’une personne décrite au sous-alinéa (i),
(iii) est émancipée, ou
(iv) est née d’un mariage contracté après l’entrée en vigueur de la présente loi et a atteint l’âge de vingt et un ans, dont la mère et la grand-mère paternelle ne sont pas des personnes décrites à l’alinéa a), b) ou d) ou admises à être inscrites en vertu de l’alinéa e) de l’article onze, [souligné par les auteures]
sauf si, étant une femme, cette personne est l’épouse ou la veuve de quelqu’un décrit à l’article onze, et
b) une femme qui a épousé une personne non indienne. [souligné par les auteures]
a) elle était inscrite ou avait le droit de l’être le 16 avril 1985; [souligné parles auteures]
b) elle est membre d’un groupe de personnes déclaré par le gouverneur en conseil après le 16 avril 1985 être une bande pour l’application de la présente loi;
c) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande, en vertu du sous alinéa 12(1)a)(iv), de l’alinéa 12(1)b) ou du paragraphe 12(2) ou en vertu du sous alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(2), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d’une de ces dispositions; [souligné par les auteures]
d) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande, en vertu du sous alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(1), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d’une de ces dispositions;
e) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande :
(i) soit en vertu de l’article 13, dans sa version antérieure au 4 septembre 1951, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui de cet article,
(ii) soit en vertu de l’article 111, dans sa version antérieure au 1er juillet 1920, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui de cet article;
f) ses parents ont tous deux le droit d’être inscrits en vertu du présent article ou, s’ils sont décédés, avaient ce droit à la date de leur décès.
(2) Sous réserve de l’article 7, une personne a le droit d’être inscrite si l’un de ses parents a le droit d’être inscrit en vertu du paragraphe (1) ou, s’il est décédé, avait ce droit à la date de son décès. [souligné par les auteures]
(3) Pour l’application de l’alinéa (1)f) et du paragraphe (2) :
a) la personne qui est décédée avant le 17 avril 1985 mais qui avait le droit d’être inscrite à la date de son décès est réputée avoir le droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa (1)a);
b) la personne visée aux alinéas (1)c), d), e) ou f) ou au paragraphe (2) et qui est décédée avant le 17 avril 1985 est réputée avoir le droit d’être inscrite en vertu de ces dispositions.
Source : Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 4 : Perspectives et réalités, p. 46.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
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