Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-56 : Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (titre subsidiaire : « Loi sur la prévention du trafic, de la maltraitance et de l’exploitation des immigrants vulnérables ») a été déposé à la Chambre des communes le 19 novembre 2010 afin d’accorder aux agents d’immigration le pouvoir discrétionnaire de refuser d’autoriser un étranger à exercer un emploi au Canada s’ils estiment que cet étranger risque d’être victime d’abus ou d’exploitation. Le projet de loi est mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement le 26 mars 2011.
Des versions antérieures de ce projet de loi avaient été déposées à trois occasions.
L’actuel projet de loi C-56 comporte un titre subsidiaire que n’avait pas le projet de loi C-45, mais, en substance, est identique aux versions précédentes 1.
Au Canada, le Code criminel (le Code) 2 ainsi que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) 3 contiennent des articles visant à combattre et à prévenir la traite des personnes.
Les articles 279.01 à 279.04 du Code énoncent trois interdictions relatives à la traite des personnes.
Un certain nombre de dispositions génériques du Code servent également à lutter contre la traite des personnes en visant des formes d’exploitation et d’abus qui sont propres à ce trafic. Il s’agit notamment des infractions relatives aux documents frauduleux, des infractions liées à la prostitution, de l’infliction de lésions corporelles, de l’enlèvement, de la séquestration, de l’intimidation, du complot et de la participation à la criminalité organisée.
La LIPR vise elle aussi le trafic transfrontalier des personnes.
Le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a fait connaître en mai 2006 une nouvelle politique permettant d’accorder des permis de séjour temporaires aux victimes du trafic des personnes. Cette politique a été actualisée en juin 2007 5. À l’intérieur du cadre législatif actuel, les agents d’immigration peuvent désormais délivrer des permis de séjour temporaires d’une durée maximale de 180 jours aux victimes du trafic des personnes. Les bénéficiaires de ces permis sont exemptés des frais de traitement habituellement exigés, peuvent demander un permis de travail et être admissibles au Programme fédéral de santé intérimaire.
Cette solution vise les objectifs suivants :
Il n’y a pas d’obligation, de la part de la victime, de collaborer à une enquête en échange d’un permis de séjour temporaire.
La victime de la traite peut également obtenir un permis valide pour une période plus longue ou un autre permis de séjour temporaire lorsqu’un agent d’immigration a examiné les facteurs pertinents pour déterminer, par exemple, si la personne a la possibilité de retourner et de refaire sa vie - dans des conditions raisonnablement sécuritaires - dans son pays d’origine ou dans le pays où elle avait sa dernière résidence permanente, ou si sa présence est nécessaire pour aider les autorités dans une enquête ou une poursuite et si elle est disposée à fournir une telle aide. Après une certaine période, la victime de la traite des personnes pourrait obtenir le statut de résident permanent.
Un rôle important dans la politique canadienne en matière de trafic des personnes est joué par le Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes, coprésidé par des représentants des ministères de la Justice et de la Sécurité publique et comptant en tout 17 ministères et organismes fédéraux. Ce groupe de travail a pour mission de coordonner les efforts fédéraux de lutte contre le trafic des personnes et d’élaborer une stratégie fédérale conforme aux engagements internationaux du Canada. Ainsi, il examine les mesures législatives, les politiques et les programmes actuels qui pourraient avoir des répercussions sur la traite des personnes, dans le but de dégager les meilleures pratiques à adopter et les aspects à améliorer 6.
Depuis septembre 2005, la Gendarmerie royale du Canada est à la tête du Centre national de coordination contre la traite des personnes. Logé à la Sous-direction des questions d’immigration et de passeport, ce centre a pour but d’aider les enquêteurs sur le terrain et de préparer des campagnes d’information et de sensibilisation. Le centre a publié en mars 2010 une étude menée de 2005 à 2009 dont le rapport s’intitule La traite des personnes au Canada. Une des premières remarques du rapport est que la traite de personnes est un secteur du crime organisé en plein essor partout dans le monde 7.
Le Parlement, par l’entremise de deux comités, s’est penché sur la question de la traite des personnes au Canada.
En décembre 2006, le Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a publié son rapport intitulé Le défi du changement : Étude des lois pénales en matière de prostitution au Canada 8. Dans cette vaste étude des lois canadiennes sur la prostitution, le Sous-comité insiste sur le fait qu’il faut poursuivre efficacement les trafiquants, fournir à cette fin suffisamment de ressources et de formation aux agents de la force publique et assurer aux victimes une aide et des services appropriés.
En février 2007, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes a publié un rapport intitulé De l’indignation à l’action pour contrer la traite à des fins d’exploitation sexuelle au Canada 9. Dans ce rapport, il a mis au premier plan l’approche dite des « trois P », fondée sur la protection des victimes, la poursuite des clients et des trafiquants, et la prévention. Les recommandations du Comité mettaient l’accent sur les mesures de prévention, et notamment sur l’élaboration d’une stratégie de lutte contre la pauvreté (en portant une attention particulière aux Autochtones), l’élimination des obstacles à l’immigration et la sensibilisation de la population au danger de devenir victime de la traite.
Le Comité insiste également sur l’importance de mieux protéger les victimes en leur offrant des services et des programmes de soutien (notamment des maisons d’hébergement temporaire sûres et l’accès à des services d’aide psychosociale et juridique) et en modifiant les lignes directrices relatives au permis de séjour temporaire de manière à permettre aux victimes de présenter une demande de permis de travail.
Pour coordonner les efforts du Canada, le Comité propose la création d’un bureau canadien de lutte contre la traite des personnes, qui permettrait aux intervenants de mettre en commun leurs connaissances et leurs pratiques exemplaires de manière à prévenir la traite de personnes, à protéger les victimes et à poursuivre avec succès ceux qui exploitent ces dernières. Le Comité propose également la création d’un poste de rapporteur national qui aurait pour mandat de recueillir et d’analyser des données sur la traite des personnes et de déposer un rapport annuel au Parlement.
Lorsqu’elle a annoncé - de concert avec Joy Smith, députée de Kildonan-St. Paul - le dépôt du projet de loi C-56 au nom du ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, l’honorable Rona Ambrose, ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et ministre de la Condition féminine, a dit que le projet de loi devrait aider à prévenir certaines situations où des femmes pourraient être exploitées ou devenir victimes de la traite de personnes :
Ce projet de loi mettra en œuvre des changements législatifs importants visant à fermer la porte à la victimisation dangereuse des femmes et des jeunes filles. Nous exhortons le Parlement à nous soutenir dans cette grave affaire et à appuyer le projet de loi. En tant que Canadiens, nous croyons que les femmes dans toutes les communautés doivent être traitées avec tout le respect et toute la dignité qu’elles méritent, et nous nous opposons aux situations dans lesquelles les femmes et les filles font face à des actes de violence, d’abus ou d’exploitation 10.
Parmi ces situations, il faut mentionner celle des danseuses exotiques étrangères, qui peuvent faire une demande de permis de travail temporaire afin de pallier une pénurie temporaire sur le marché du travail canadien 11. Les modalités de délivrance du visa de danseuses exotiques exigent des propriétaires des clubs de striptease qu’ils obtiennent la validation de l’offre d’emploi 12. En 2009, pour tout le Canada, ce groupe professionnel se situait au huitième rang pour les offres validées, soit 1 836, et chaque validation d’offre d’emploi peut regrouper plus d’un poste par offre 13. De plus, à partir du 11 janvier 2011, chaque contrat conclu entre un employeur et une danseuse exotique qui vient travailler temporairement au Canada doit contenir deux nouvelles clauses qui confirment que les coûts de transports et le coût d’une assurance maladie incombent aux employeurs 14.
Si par le passé les danseuses exotiques étrangères qui arrivaient au Canada venaient d’habitude des États-Unis, vers la fin des années 1990 elles étaient très souvent originaires de l’Europe de l’Est. C’est alors qu’on a commencé à craindre qu’elles fassent l’objet d’une traite. C’est pourquoi les agents d’immigration qui travaillent dans les missions à l’étranger exigent des danseuses exotiques qui font une demande de visa qu’elles présentent un contrat de travail valable; ils s’assurent ensuite que l’employeur est légitime. Ces agents ont reçu une formation leur permettant de reconnaître et de refuser les victimes potentielles de la traite des personnes. Ils examinent aussi chaque cas du point de vue de la santé et de la sécurité et s’assurent que des dispositions ont été prises pour que la personne retourne dans son pays à l’expiration du visa, comme tout autre travailleur temporaire 15.
Entre 2004 et 2007, le nombre de permis accordés au Canada à des danseuses exotiques étrangères semble avoir diminué de façon marquée. D’après des renseignements obtenus du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, 342 permis et prolongations de permis de travail ont été accordés à des danseuses exotiques étrangères en 2004; ce nombre est passé à 17 en 2006 16 et, ce qui confirme la tendance, à six en 2010 17.
L’article premier énonce le titre subsidiaire du projet de loi : « Loi sur la prévention du trafic, de la maltraitance et de l’exploitation des immigrants vulnérables ».
Les articles 3 et 4 du projet de loi modifient la LIPR de manière à permettre à l’agent d’immigration de refuser d’autoriser un étranger à exercer un emploi au Canada s’il estime que l’étranger est vulnérable à l’exploitation.
L’article 3 du projet de loi ajoute à la LIPR une nouvelle disposition, le paragraphe 30(1.1), qui prévoit que l’agent « peut » autoriser l’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires à exercer un emploi au Canada ou à y étudier. Cela donne à l’agent d’immigration le pouvoir discrétionnaire de refuser l’autorisation d’exercer un emploi ou d’étudier au Canada, même si le demandeur satisfait aux conditions réglementaires.
L’article 3 ajoute également les paragraphes 30(1.2) à 30(1.7) à la LIPR.
Le paragraphe 30(1.2) dispose que l’agent refuse d’autoriser l’étranger à exercer un emploi s’il estime que l’intérêt public, établi dans les instructions du Ministre, justifie ce refus. Ce pouvoir discrétionnaire est quelque peu limité par le paragraphe 30(1.3), qui prévoit que tout refus d’autoriser l’étranger à exercer un emploi au Canada doit être confirmé par un autre agent.
Au paragraphe 30(1.4), il est précisé que les instructions du Ministre établissent ce qui constitue l’intérêt public et qu’elles visent à protéger l’étranger qui risque de subir un traitement dégradant ou attentatoire à la dignité humaine, et notamment d’être exploité sexuellement.
Selon les paragraphes 30(1.5) à 30(1.7), les instructions ministérielles seront publiées dans la Gazette du Canada. Elles prendront effet à la date de leur publication (ou à toute date ultérieure qui y sera précisée). Une fois en vigueur, elles s’appliqueront également à toute demande de permis de travail présentée avant cette date et à l’égard de laquelle une décision finale n’aura pas été rendue. Ces instructions deviendront caduques lorsqu’un avis de révocation sera publié dans la Gazette du Canada.
L’article 4 du projet de loi modifie le paragraphe 94(2) de la LIPR pour obliger le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme à rendre compte de ces instructions dans son rapport annuel au Parlement.
Il importe de souligner qu’il s’agit là du seul endroit dans la LIPR où l’on trouve cette précision concernant les instructions du Ministre. En effet, si la LIPR prévoit que le Ministre donnera des instructions sur diverses questions, seul l’article en question énonce des exigences précises et détaillées concernant leur publication et leur inclusion dans le rapport annuel. Cette modification accroît la responsabilisation qui accompagne l’application des instructions et tout éventuel refus d’accorder un permis de travail temporaire en raison d’un risque d’exploitation.
L’article 2 du projet de loi modifie les objectifs en matière d’immigration de la LIPR en ajoutant le qualificatif « publiques » au libellé relatif à la protection de la santé et de la sécurité de l’actuel alinéa 3(1)h) de la LIPR. Ainsi, en matière d’immigration, la LIPR modifiée vise à protéger la santé et la sécurité publiques et à garantir la sécurité de la société canadienne.
Les articles 31 et 33 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés 18 utilisaient déjà cette terminologie pour expliquer les éventuels dangers, d’une part, pour la santé publique parce que l’étranger souffrirait d’une maladie contagieuse et, d’autre part, pour la sécurité publique parce que l’état de santé de l’étranger le rendrait susceptible, entre autres, de faire preuve d’un comportement violent.
Il convient de remarquer que le projet de loi ne modifie que le paragraphe 3(1), qui concerne les objectifs de la LIPR en matière d’immigration; le paragraphe 3(2), qui précise les objectifs relatifs aux réfugiés et qui déclare qu’il s’agit de « protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité », demeure inchangé.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
Quiconque recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne, ou exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation commet une infraction passible, sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation :
- d’un emprisonnement à perpétuité, s’il enlève la personne, se livre à des voies de fait graves ou une agression sexuelle grave sur elle ou cause sa mort lors de la perpétration de l’infraction;
- d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, dans les autres cas. [ Retour au texte ]
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