Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-11 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur a été présenté à la Chambre des communes par l’honorable Christian Paradis, ministre de l’Industrie, et adopté en première lecture le 29 septembre 2011, au cours de la 1re session de la 41e législature1. Il reprend le projet de loi C-32, déposé à la 3e session de la 40e législature2. Le projet de loi C-32 a franchi l’étape de la deuxième lecture et a été renvoyé à un comité législatif de la Chambre des communes, lequel a entendu des témoins jusqu’à la dissolution de la 40e législature, en mars 20113.
Après la deuxième lecture à la Chambre des communes, le projet de loi C-11 a été renvoyé à un comité créé spécialement pour en faire l’étude, le Comité législatif chargé du projet de loi C-11, le 13 février 2012. Le Comité a déposé son rapport à la Chambre le 15 mars 2012. Les amendements qu’il a apportés sont abordés à la partie 2, « Description et analyse », du présent résumé législatif.
Le projet de loi C-11 ajoute des droits et des exceptions à Loi sur le droit d’auteur 4. Comme le précise le résumé, les objectifs du projet de loi sont les suivants :
La question de savoir si le projet de loi permettra de concrétiser ses objectifs est matière à débat entre les diverses parties intéressées qui seront touchées par la réforme du droit d’auteur : auteurs, artistes, musiciens, maisons de disques, éditeurs de livres, sociétés de gestion, bibliothèques, musées, associations scolaires, créateurs de logiciels, revendeurs, consommateurs, etc.
Le droit d’auteur est la formulation juridique des droits conférés aux créateurs au titre de leurs œuvres littéraires et artistiques5. Le droit d’auteur est associé à une œuvre originale fixée dans une forme matérielle quelconque. Autrement dit, il protège l’expression d’une idée ou d’une création intellectuelle et non pas l’idée elle-même.
Au Canada, la réglementation du droit d’auteur découle de deux sources : le « copyright » anglais (en termes simples, l’aspect économique du « droit de copier ») et le « droit d’auteur » français, de portée plus large6. Ici, le droit d’auteur est un droit purement législatif fondé uniquement sur les dispositions énoncées dans la LDA. Cette loi confère à l’auteur d’une œuvre le droit d’autoriser ou d’interdire certains usages de son œuvre et de recevoir une indemnisation pour les usages autorisés. L’objet de la LDA, comme celui d’autres textes législatifs sur la propriété intellectuelle, est de protéger les titulaires de droits d’auteur tout en faisant la promotion de la créativité et de l’échange ordonné d’idées.
Le droit d’auteur confère deux types de droits. Les droits économiques permettent au titulaire de droits d’auteur de tirer des avantages financiers de l’utilisation de ses œuvres par d’autres. Les droits moraux permettent à l’auteur de protéger l’intégrité de ses œuvres contre des altérations préjudiciables et de revendiquer la création de ses œuvres en tant qu’auteur, sous son nom ou sous un pseudonyme, ou de garder l’anonymat. Le droit d’auteur et les droits moraux à l’égard des œuvres (y compris l’expression « droit d’auteur ») sont énoncés dans la partie I de la LDA.
Le droit d’auteur s’applique à toutes les œuvres originales d’ordre littéraire, dramatique, musical et artistique. Chacune de ces catégories générales recouvre un vaste éventail de créations, à savoir :
La partie II de la LDA est composée de dispositions ayant trait aux droits voisins, lesquels consistent en une protection du droit d’auteur applicable aux trois catégories d’œuvres constituant un « autre objet » :
Comme nous le verrons plus loin en détail, le projet de loi C-11 propose d’élargir la protection des droits voisins pour permettre la ratification du Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes.
La LDA et la plupart des lois étrangères sur le droit d’auteur prévoient que l’auteur ou le titulaire du droit d’auteur peut autoriser ou interdire certains actes concernant une œuvre. En général, le titulaire du droit d’auteur peut interdire ou autoriser :
L’auteur peut céder tout ou partie de ces droits économiques à une tierce partie, qui devient alors le titulaire du droit d’auteur. Les droits moraux ne peuvent pas être cédés, mais l’auteur peut y renoncer.
Le droit d’auteur n’a pas de durée illimitée. La réglementation prévoit la durée d’existence du droit d’auteur. Au Canada, comme dans beaucoup d’autres pays, la durée du droit d’auteur couvre en général la durée de vie de l’auteur plus 50 années après son décès; il existe cependant certaines exceptions courantes. Par exemple, la durée du droit d’auteur associé aux œuvres posthumes, aux œuvres anonymes et aux films est de 50 années après la publication. On constate une tendance à allonger la durée du droit d’auteur dans un certain nombre de pays. En fait, l’Union européenne, les États-Unis et plusieurs autres pays ont porté la durée de base du droit d’auteur à 70 ans après le décès de l’auteur.
La partie III de la LDA concerne les violations du droit d’auteur et des droits moraux ainsi que les exemptions et exceptions à la protection du droit d’auteur. La LDA prévoit que toute « utilisation équitable » d’une œuvre, que ce soit à des fins d’étude privée ou de recherche ou encore de critique, de compte rendu ou de communication de nouvelles, ne constitue pas une violation. Cependant, dans le cas de la critique, du compte rendu ou de la communication de nouvelles, l’utilisateur est tenu de mentionner sa source et, s’il est connu, le nom de l’auteur, de l’interprète, du fabricant de l’enregistrement sonore ou du radiodiffuseur. La frontière entre l’utilisation équitable et la violation est très étroite. Il n’existe pas de lignes directrices définissant le nombre de mots ou de passages qui peuvent être utilisés sans la permission de l’auteur. Seuls les tribunaux peuvent trancher la question de savoir s’il y a eu utilisation équitable ou violation. Outre l’utilisation équitable, la LDA prévoit des exceptions concernant différentes catégories d’utilisateurs. Dans certains cas, des établissements d’enseignement à but non lucratif peuvent faire des copies et exécuter des œuvres et d’autres objets du droit d’auteur gratuitement, en classe, sous réserve de certaines restrictions et conditions d’obtention de licence. Dans des circonstances précises, les bibliothèques, musées et services d’archives sans but lucratif peuvent copier des œuvres publiées ou inédites protégées par le droit d’auteur dans le but d’entretenir et de gérer leurs collections, pourvu que ces œuvres ne soient pas disponibles sur le marché. Les organismes qui agissent dans l’intérêt de personnes atteintes d’une « déficience perceptuelle » peuvent copier une œuvre protégée par le droit d’auteur sous d’autres formes, par exemple en Braille, en version sonore ou en version signée.
Dans CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada 9, la Cour suprême du Canada a statué que la disposition de la LDA relative à l’utilisation équitable (art. 29), comme les exceptions connexes, « correspond à un droit des utilisateurs. Pour maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs, il ne faut pas l’interpréter restrictivement10 ». Comme il n’existe pas de définition du terme « équitable », la Cour a énuméré six facteurs offrant « un cadre d’analyse utile pour statuer sur le caractère équitable d’une utilisation dans des affaires ultérieures11 » : 1) le but de l’utilisation; 2) la nature de l’utilisation; 3) l’ampleur de l’utilisation; 4) les solutions de rechange à l’utilisation; 5) la nature de l’œuvre; 6) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre12.
Comme nous le verrons plus loin en détail, le projet de loi C-11 propose d’élargir l’exception de l’« utilisation équitable » (art. 29) à l’enseignement, à la parodie et à la satire. Il prévoit également des modifications aux exceptions en vigueur pour les établissements d’enseignement, les bibliothèques, les musées, les services d’archives et les personnes atteintes d’une « déficience perceptuelle » dans le but de faciliter le recours aux technologies numériques et de faire en sorte que les dispositions soient plus neutres sur le plan de la technologie.
L’utilisation non autorisée d’un droit d’auteur en constitue une violation. La partie IV de la LDA prévoit des mesures de réparation au civil et au criminel à cet égard. Ce sont, entre autres, les dommages-intérêts et/ou le montant adjugé pour perte de profits ou de redevances, les injonctions, les amendes, et même l’emprisonnement, selon la nature de la violation.
Les traités internationaux sur le droit d’auteur13 ont joué un rôle de premier plan dans l’évolution de la législation canadienne sur le droit d’auteur. La Loi sur le droit d’auteur du Canada n’est pas applicable en dehors du territoire canadien, mais des conventions et traités internationaux élargissent les droits des créateurs canadiens aux territoires des autres pays membres et comprennent des sanctions exécutoires en cas de violation. Les traités internationaux sur le droit d’auteur sont ratifiés, puis mis en œuvre sous la forme de modifications législatives s’il y a lieu. Le Canada a ratifié un certain nombre de traités internationaux en matière de droit d’auteur ou y adhère14. À moins d’avis contraire, ces conventions sont appliquées par l’intermédiaire de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Ce sont les suivantes :
Par ailleurs, le droit d’auteur est souvent inclus dans des accords commerciaux bilatéraux.
En 1996, le Canada a participé à la Conférence diplomatique sur certaines questions de droit d’auteur et de droits voisins, qui a donné lieu à l’élaboration des deux traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ayant trait au droit d’auteur à l’ère numérique, à savoir le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur 19 (TODA) et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes 20 (TOIEP). Ces traités, connus ensemble sous le nom de « traités Internet de l’OMPI », sont entrés en vigueur en 2002. Le Canada les a signés en 1997, mais ne les a pas encore ratifiés. Le projet de réforme du droit d’auteur vise en grande partie à permettre la ratification et la mise en œuvre de ces deux traités.
Le TODA est un accord spécial découlant de la Convention de Berne, antérieurement ratifiée. Il a trait à la protection des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques, par exemple d’écrits et de programmes d’ordinateur, de bases de données originales, d’œuvres musicales, d’œuvres audiovisuelles, d’œuvres d’art et de photographies. Le TOIEP, de son côté, protège certains « droits connexes » (c.-à-d. des droits qui ont un rapport avec le droit d’auteur), à savoir ceux des interprètes et des producteurs de phonogrammes (enregistrements sonores). Il prévoit la protection des droits des interprètes et des fabricants d’enregistrements sonores de spectacles de la même façon que ceux des auteurs d’autres œuvres.
Comme l’a fait remarquer le Bureau international de l’OMPI, l’un des apports les plus importants du TODA et du TOIEP est sans doute la reconnaissance du droit des auteurs, des interprètes et des producteurs de phonogrammes d’autoriser la transmission en ligne de leurs œuvres, de leurs prestations fixées et de leurs phonogrammes, selon le cas21. Le TODA et le TOIEP disposent que les auteurs, les interprètes et les producteurs de phonogrammes doivent jouir de droits exclusifs quant à l’autorisation de transmettre leurs œuvres, leurs prestations fixées et leurs phonogrammes, respectivement, par câble ou sans fil, de telle sorte que la population puisse avoir accès à ces œuvres, prestations et phonogrammes à des moments et dans des endroits choisis individuellement par les intéressés (services interactifs ou sur demande). Le TOIEP considère ce droit comme un « droit de mettre à la disposition du public », tandis que le TODA l’inclut dans la disposition relative au droit général de communication au public.
Par ailleurs, les deux traités Internet de l’OMPI instaurent le droit exclusif pour les auteurs, interprètes et producteurs de phonogrammes d’autoriser la mise à disposition du public d’originaux et de copies d’œuvres au moyen de la vente ou d’autres types de transfert de propriété, c’est-à-dire le droit exclusif de distribution souvent appelé « droit de première distribution22 ». Rappelons que les droits de distribution s’appliquent aux biens tangibles, par exemple les copies d’un disque compact.
De plus – et c’est devenu l’un des enjeux les plus litigieux de la réforme du droit d’auteur –, les traités Internet de l’OMPI stipulent que les parties contractantes doivent adopter des lois pour éviter le contournement des mesures techniques de protection. Elles doivent également prévoir des recours pour éviter l’altération et la suppression des renseignements relatifs à la gestion des droits qui servent à identifier une œuvre et à en surveiller l’utilisation23. La protection juridique et les recours permettant d’empêcher le contournement sont ce qu’on appelle généralement les lois anti-contournement.
Le critère à trois volets est une disposition incluse dans plusieurs traités internationaux sur la propriété intellectuelle, d’abord ajoutée sous la forme du paragraphe 9(2) de la Convention de Berne en 196724. Il impose aux signataires des traités des contraintes sur la limitation et les exceptions éventuellement applicables aux droits exclusifs garantis par les lois nationales sur le droit d’auteur. Autrement dit, les trois conditions qui composent le critère doivent être remplies avant que l’on puisse justifier des exceptions au droit d’auteur (p. ex. les exceptions relatives à l’utilisation équitable). Les limitations et exceptions applicables au droit d’auteur doivent s’en tenir à « certains cas spéciaux » (premier volet), « ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre » (deuxième volet) et ne causent pas « de préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit » (troisième volet). Des variantes du critère à trois volets sont énoncées à l’article 13 de l’Accord sur les ADPIC, à l’article 10 du TODA et à l’article 16 du TOIEP25.
Durant les audiences sur le projet de loi C-32, certains témoins ont proposé au Comité d’intégrer la formulation du critère à trois volets dans la Loi sur le droit d’auteur. D’autres ont indiqué que les modifications proposées afin d’élargir les dispositions de la LDA sur l’utilisation équitable pourraient être contraires au critère à trois volet26.
En octobre 2007, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il participerait aux entretiens préalables à la signature d’un Accord commercial relatif à la contrefaçon (ACRC). L’objectif de l’ACRC est d’instaurer des normes internationales visant à faire respecter les droits de propriété intellectuelle afin de lutter plus efficacement contre les problèmes croissants de contrefaçon et de piratage. Les parties à l’ACRC – soit le Canada ainsi que l’Australie, la Corée, les États-Unis, le Japon, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse et l’Union européenne et ses membres – ont conclu leurs négociations en octobre 2010 et achevé la vérification de la teneur juridique du texte de l’ACRC en avril 2011. L’accord porte sur trois aspects : l’amélioration de la coopération internationale, l’instauration de pratiques optimales de mise en application et la mise en place d’un cadre juridique plus efficace27.
Le 30 septembre 2011, l’honorable Ed Fast, ministre du Commerce international et ministre de la porte d’entrée de l’Asie-Pacifique, a signé l’ACRC. Comme le mentionne un communiqué, pour donner suite à la signature, le gouvernement du Canada préparera et présentera la mesure législative nécessaire à la mise en œuvre de l’ACRC28, qui entrera en vigueur dès qu’il aura été ratifié par six parties.
La conclusion des négociations relatives à l’ACRC présente un intérêt pour la réforme du droit d’auteur dans la mesure où la législation canadienne en matière de droit d’auteur doit être conforme à toutes les obligations internationales auxquelles le Canada consent en matière de propriété intellectuelle. Dans son communiqué, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international fait remarquer que le projet de loi C-11 a « contribué à déterminer la position du Canada dans les négociations de l’ACRC29 ».
C’est en 1997 que la LDA a été remaniée en profondeur pour la dernière fois, lors de l’adoption d’un projet de loi qui portait lui aussi le numéro C-32. Les modifications alors apportées à la LDA comprenaient l’ajout de protections relatives aux droits voisins pour les interprètes et producteurs d’enregistrements sonores et les radiodiffuseurs, un régime de copie pour usage privé, un système de dommages-intérêts prévu par la loi et un certain nombre d’exceptions nouvelles, mais limitées30. Ces mesures ont été prises à un moment où il était difficile de prévoir l’orientation que prendraient les nouvelles technologies compte tenu de la rapidité de l’évolution technologique et numérique. Par exemple, les moyens de stockage numérique de la musique, peu coûteux, et les sites Web commerciaux de téléchargement de musique n’existaient pas encore. Pour évaluer l’efficacité des modifications apportées en 1997, l’article 92 de la LDA prévoyait un examen des modifications dans un délai de cinq ans.
En décembre 2001, une loi a été présentée dans le but de modifier, dans la LDA, le système canadien de retransmission des signaux de diffusion par ondes radioélectriques31.
En 2002, Industrie Canada et Patrimoine canadien, coresponsables de la politique sur le droit d’auteur au Canada32, ont publié un rapport sur l’examen quinquennal intitulé Stimuler la culture et l’innovation : Rapport sur les dispositions et l’application de la Loi sur le droit d’auteur 33. Le rapport circonscrit 40 enjeux susceptibles de mesures législatives, qu’il structure suivant qu’ils seront abordés à court, à moyen ou à long terme.
Le 25 mars 2004, la ministre du Patrimoine canadien et le ministre de l’Industrie ont présenté ensemble un Rapport d’étude sur la réforme du droit d’auteur 34 au Comité permanent du patrimoine canadien. Le Comité a pris connaissance du rapport et organisé une série de réunions pour examiner six questions à court terme, à savoir la copie pour usage privé et la ratification des traités Internet de l’OMPI, les œuvres photographiques, la responsabilité des fournisseurs de services Internet, l’utilisation de contenu sur Internet à des fins éducatives, l’apprentissage amélioré par la technologie et les prêts entre bibliothèques.
En mai 2004, le Comité a publié ses conclusions et neuf recommandations dans son Rapport intérimaire sur la réforme du droit d’auteur 35. Entre autres choses, il recommandait :
En mars 2005, les ministres de l’Industrie et du Patrimoine canadien ont publié ensemble la Déclaration gouvernementale sur les propositions pour la réforme du droit d’auteur 36, dans laquelle sont décrits les éléments d’un projet de loi que le gouvernement songeait à déposer au printemps 2005. Ce projet de loi (C-60) a finalement été déposé le 20 juin de la même année37, puis est mort au Feuilleton après la dissolution du Parlement le 1er décembre 2005, en raison de la tenue des élections en janvier 2006.
C’est à peu près au moment de ces élections (fin 2005, début 2006) que deux rapports sur le droit d’auteur ont été publiés par Industrie Canada. Le premier est un examen des conséquences économiques qu’aurait une réforme du régime de copie pour usage privé au Canada38. Le second est une étude des répercussions économiques sur les fournisseurs de services Internet au Canada du système d’avis en vertu duquel les fournisseurs adressent un avis aux éventuels violeurs du droit d’auteur après avoir été saisis d’une demande de la part d’un titulaire de droit d’auteur qui s’estime lésé39.
En mai 2007, Industrie Canada a publié une étude sur les effets du téléchargement de musique sur les ventes du secteur40. Or cette étude n’a pas pu établir de lien entre le téléchargement et le partage de musique en ligne et la diminution du volume de vente de CD au Canada.
En juin 2007, on a apporté des modifications au Code criminel pour pénaliser l’enregistrement de films en salle à des fins commerciales. Cette mesure visait à empêcher le piratage de films sur Internet, car celui-ci réduit sans doute les bénéfices des titulaires de droit d’auteur, qui comptent sur la présentation en temps limité et la distribution d’œuvres protégées par le droit d’auteur41.
Dans le discours du Trône à l’inauguration de la 2e session de la 39e législature en octobre 2007, le gouvernement a rappelé que l’amélioration de la protection des droits de propriété intellectuelle et la réforme du droit d’auteur seraient un enjeu important pour le Parlement. Le projet de loi C-61 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, a été inscrit au Feuilleton des avis le 7 décembre 2007, mais il n’a été déposé à la Chambre des Communes que le 12 juin 200842. L’une des raisons de ce retard est peut-être le tollé soulevé par des propositions de protection des œuvres numériques qui ressemblaient à la réglementation américaine et qui, selon certains, limiteraient indûment les droits des utilisateurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Les dispositions proposées, qui sont semblables à celles de la réglementation américaine, sont communément appelées « lois du style DMCA », en référence à la Digital Millennium Copyright Act 43, adoptée en 1998 pour modifier la U.S. Copyright Act afin de ratifier les traités Internet de l’OMPI.
Le projet de loi C-61 a fait l’objet de commentaires partagés44. Les maisons de disques et certains créateurs de contenu s’y sont dits favorables; d’autres, par contre, ont estimé que le projet de loi avait été élaboré sans suffisamment de consultations publiques et qu’il donnait l’impression d’être le produit d’un puissant lobbying de la part du secteur américain des médias visant à reproduire la DMCA. Il a également été critiqué en raison de la disposition relative à l’anti-contournement, qui interdisait de déverrouiller les serrures numériques sur les œuvres protégées par le droit d’auteur. Mais l’essentiel des préoccupations soulevées par le projet de loi était qu’il ne préservait pas suffisamment l’utilisation équitable dans l’environnement numérique, puisque tout contournement d’une serrure numérique (à quelques rares exceptions) constituerait une infraction. Le projet de loi C-61 est mort au Feuilleton après la dissolution du Parlement le 7 septembre 2008, en raison de la tenue d’élections en octobre 2008.
Dans le discours du Trône à l’inauguration de la 1re session de la 40e législature en novembre 2008, le gouvernement a réitéré sa détermination à réformer le droit d’auteur : « La créativité et l’innovation dans le secteur des arts contribuent à la fois à la vitalité culturelle du Canada et à son avenir économique. Notre gouvernement présentera des mesures législatives en vue d’actualiser la législation sur le droit d’auteur et la propriété intellectuelle45. »
Du 20 juillet au 13 septembre 2009, le gouvernement fédéral a organisé des consultations publiques sur le droit d’auteur, sous la direction des ministres de l’Industrie et du Patrimoine canadien46. Il s’agissait de tables rondes, d’assemblées publiques locales, outre des mémoires et discussions en ligne.
Le gouvernement n’a pas déposé de projet de loi au cours de l’automne et l’hiver suivant les consultations, mais il a réitéré sa détermination à réformer le droit d’auteur dans le discours du Trône ouvrant la 3e session de la 40e législature, le 3 mars 201047.
Le projet de loi C-32 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, a été déposé à la Chambre des communes le 2 juin 201048. Le débat de la deuxième lecture a eu lieu les 2, 3 et 5 novembre 2010, après quoi le projet de loi a été réputé lu une deuxième fois et renvoyé à un comité. De novembre 2010 à mars 2011, le Comité législatif chargé du projet de loi C-32 a tenu 20 audiences et entendu plus de 100 témoins représentant divers intervenants.
Au nombre des témoins, le Comité a accueilli l’ancien ministre de l’Industrie, Tony Clement, et le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, des fonctionnaires d’Industrie Canada et de Patrimoine canadien, ainsi que des professeurs de droit et des avocats spécialisés dans le domaine de la propriété intellectuelle. Le Comité a également obtenu les témoignages de représentants de collectifs d’auteurs, de fournisseurs de service Internet (FSI), d’entreprises de radiodiffusion, de l’industrie du logiciel, du milieu des affaires, de l’industrie du disque et de l’industrie du cinéma et de la télévision. Enfin, des associations d’éditeurs, d’écrivains, d’artistes, d’acteurs, de bibliothèques et de musées, de personnes handicapées et du milieu de l’éducation ont aussi témoigné.
Certains grands enjeux ont été débattus devant le Comité et analysés dans les mémoires qui lui ont été présentés. Ils seront certainement discutés de nouveau lorsque le projet de loi C-11 sera renvoyé à un comité législatif de la Chambre des communes :
Plusieurs témoins ont proposé des modifications visant à limiter la portée (et les conséquences involontaires éventuelles) de l’exception concernant le « contenu généré par l’utilisateur » ou la « fusion », ainsi que l’emploi de termes plus précis à l’article 18 (« faciliter l’accomplissement de violations ») pour faire en sorte que les titulaires de droits d’auteur puissent intenter des poursuites contre ceux qui facilitent la violation du droit d’auteur. Enfin, un certain nombre de témoins se sont inquiétés du fait que l’article 34 du projet de loi, qui éliminerait l’obligation pour les entreprises de radiodiffusion de verser une indemnité pour les enregistrements éphémères qui demeurent en leur possession pendant 30 jours ou moins, occasionnerait des pertes de revenus pour les artistes du secteur de la musique.
Le projet de loi C-32 est mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement, le 26 mai 2011 en vue de l’élection, en mai 2011, de la 41e législature. Dans le discours du Trône ouvrant la 1re session de la 41e législature, en juin 2011, le gouvernement a fait connaître son intention de procéder à la réforme du droit d’auteur : « Notre gouvernement présentera un projet de loi sur les droits d’auteur qui établira un équilibre entre les besoins des créateurs et ceux des utilisateurs, et il veillera à ce qu’il soit adopté rapidement49. » Comme il a été mentionné précédemment, le projet de loi C-11 a été déposé à la Chambre des communes le 29 septembre 2010. Ses dispositions sont les mêmes que celles du projet de loi C-32.
La section ci-dessous donne un aperçu de certaines dispositions du projet de loi C-11, suivant la structure de la LDA.
L’article 3 du projet de loi ajoute un nouveau paragraphe à l’article 2.4 de la LDA pour préciser que la « communication au public par télécommunication » d’une « œuvre ou un autre objet du droit d’auteur » comprend le fait de le mettre à la disposition du public par télécommunication une œuvre ou un autre objet du droit d’auteur de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement (voir notamment les art. 9 et 11).
L’article 6 du projet de loi abroge l’article 10 de la LDA (durée du droit d’auteur sur les photographies).
L’article 7 du projet de loi abroge le paragraphe 13(2) de la LDA (propriété du droit d’auteur sur les photographies commandées). Le projet de loi vise à faire du photographe ou du peintre le propriétaire du droit d’auteur sur les photographies ou portraits qui lui ont été commandés, de sorte que le système de droit d’auteur sur les photographies soit semblable à celui qui s’applique aux autres œuvres. À l’heure actuelle, c’est la personne qui commande une photographie ou un portrait et non pas le photographe qui est réputé être le premier propriétaire du droit d’auteur. Il a donc fallu que les photographes comptent sur des dispositions contractuelles pour obtenir le droit de reproduire leurs photographies. Le projet de loi donne à la personne qui commande la photographie ou le portrait des droits limités lui permettant de l’utiliser à des fins personnelles ou non commerciales sans l’autorisation du photographe ou de l’artiste, sous réserve de tout contrat prévoyant le contraire50.
Les articles 8 à 17 du projet de loi modifient la partie II de la LDA.
L’article 8 du projet de loi attribue un nouveau titre à la partie II de la LDA (voir ci-dessus) et y ajoute les droits moraux des exécutants sur les prestations.
Les articles 9 et 11 du projet de loi prévoient, par adjonction aux articles 15 et 18 de la LDA, un nouveau droit exclusif pour les artistes-interprètes et les producteurs d’enregistrements sonores : celui de mettre les enregistrements sonores à la disposition du public par la voie d’Internet et de les vendre ou d’en transférer la propriété sous forme d’enregistrement physique pour la première fois. Le droit de mettre à la disposition du public est prévu dans les deux traités Internet de l’OMPI signés en 1996, le TODA51 et le TOIEP52, que le Canada a l’intention de mettre en œuvre en mettant à jour la LDA. Le droit de mettre à la disposition du public est un droit exclusif des titulaires de droits, qui peuvent autoriser ou interdire la diffusion de leurs œuvres et autres produits protégés sur des réseaux interactifs comme Internet (p. ex. par l’intermédiaire d’iTunes). Essentiellement, ce droit existe déjà pour les auteurs53.
L’article 10 du projet de loi prévoit qu’un artiste-interprète jouira de droits moraux sur sa prestation pendant la même durée que le droit d’auteur relatif à la prestation, comme le prévoit l’article 5 du TOIEP54 (articles proposés 17.1 et 17.2).
L’article 12 du projet de loi modifie l’article 19 de la LDA sur la question du droit à la rémunération des artistes-interprètes et des producteurs d’enregistrements sonores. Pendant l’étude du Comité, l’article 12 a été amendé pour faire en sorte « qu’il n’y ait pas de cumul des droits accordés aux signataires du traité sur la Convention de Rome et du traité de l’OMPI 55 ».
Selon les articles 13 et 14 du projet de loi, un enregistrement sonore « mis à la disposition du public » est réputé être « publié » au sens de l’article 19 de la LDA (art. proposés 19.1 et 19.2).
Les articles 15 et 16 du projet de loi ont trait à l’élargissement, aux étrangers56, de la protection en matière de prestations et d’enregistrements sonores. Ces droits à rémunération font l’objet d’un certain nombre de dispositions détaillées, apparemment conçues pour remplir les conditions minimales énoncées dans les divers accords internationaux ratifiés par le Canada ou auxquels il adhère (Convention de Rome, TOIEP) (modifications proposées aux art. 20 et 22 de la LDA).
L’article 17 du projet de loi prévoit la durée du droit d’auteur sur les prestations des artistes-interprètes, à savoir 50 ans après la fin de l’année civile au cours de laquelle la prestation a eu lieu. Si la prestation est fixée avant la fin de la durée de la protection, elle sera protégée pendant 50 après la fixation. Si l’enregistrement sonore est publié avant la fin de la durée de la protection, la prestation sera protégée pendant 50 ans après la publication de l’enregistrement sonore ou 99 ans après la prestation, l’échéance la plus rapprochée étant retenue. Les enregistrements sonores doivent être protégés pendant 50 ans après leur première fixation ou, s’ils sont publiés, pendant 50 ans après leur publication. Le droit d’auteur associé à un signal de communication subsisterait pendant 50 après la diffusion du signal (modifications proposées à l’art. 23 de la LDA).
Les articles 18 à 41 du projet de loi modifient la partie III de la LDA.
L’article 18 du projet de loi ajoute des précisions à l’article 27 de la LDA, à savoir une disposition concernant la production d’un exemplaire à l’étranger, une disposition sur la violation secondaire associée à une leçon, et des dispositions indiquant qu’il y a violation lorsqu’est fourni, par le truchement d’Internet ou d’un autre réseau numérique, un service destiné principalement à faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur s’il y a effectivement violation du droit d’auteur par suite de l’utilisation de ce service.
Pendant son étude, le Comité a amendé l’article 18 pour modifier la nouvelle disposition sur la responsabilité de ceux qui facilitent la violation du droit d’auteur (au par. 27(2.3) de la LDA). Comme l’a fait remarquer un fonctionnaire d’Industrie Canada : « On changerait la formulation actuelle pour supprimer la notion de “destiné” et mettre l’accent sur la prestation d’un service principalement en vue de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation au droit d’auteur 57. » Cette formulation a été adoptée afin d’éviter les erreurs d’interprétation de l’intention sous-jacente à l’utilisation du terme « destiné ».
Les articles 19 et 20 accordent des droits moraux aux artistes-interprètes sur leurs prestations. Les droits moraux comprennent le droit à l’intégrité de l’œuvre et le droit d’être associé à une œuvre par son nom ou son pseudonyme ou de rester anonyme (art. proposés 28.1 et 28.2).
L’article 21 du projet de loi élargit, à l’article 29 de la LDA, la portée de l’exception relative à l’utilisation équitable pour y inclure de nouveaux objets : l’éducation, la parodie ou la satire. (Ceux-ci s’ajoutent à la recherche et à l’étude privée dans la même disposition, ainsi qu’à la critique et au compte rendu à l’article 29.1.) Comme le laissaient entendre le gouvernement et certains commentateurs, l’éducation semble renvoyer à un contexte structuré58 et comprendrait la formation dans le secteur privé; elle ne couvrirait cependant pas l’« éducation » de la population au sens général59.
L’article 22 du projet de loi ajoute quatre dispositions à la LDA, à la suite des dispositions existantes concernant l’utilisation équitable :
Le Comité a amendé l’article 22 (au sujet de l’art. 29.22 proposé de la LDA) pour préciser la portée de l’exception concernant la reproduction à des fins privées et l’écoute ou le visionnement en différé. Comme l’a mentionné une fonctionnaire d’Industrie Canada :
L’amendement porte sur la reproduction à des fins privées.
Le projet de loi permet la reproduction pour écoute ou visionnement en différé de même que le changement de support à des fins privées, mais sous certaines conditions. Certains craignent que le libellé du projet de loi donne lieu à une interprétation erronée et permette la reproduction du matériel pour l’utilisation personnelle d’autres personnes.
L’amendement vise à préciser que l’exception s’applique uniquement à l’utilisation personnelle de la personne à qui appartient la musique ou qui a enregistré l’émission, et non à l’utilisation personnelle d’une autre personne 61.
Les articles 23 à 27 du projet de loi s’appliquent aux exceptions prévues pour les établissements d’enseignement :
Les articles 28 à 30 du projet de loi s’appliquent aux bibliothèques, aux services d’archives et aux musées. L’article 28 élargit un peu l’exception énoncée à l’alinéa 30.1(1)c) de la LDA en permettant aux bibliothèques, services d’archives et musées de parer à l’obsolescence avant qu’elle se produise (p. ex. en faisant une copie d’une œuvre de la collection permanente sur un support différent, si le support de l’original devient désuet ou si la technologie nécessaire au support original n’est pas disponible ou en voie de le devenir). L’article 29 du projet de loi permet aux bibliothèques de distribuer de la documentation sous forme numérique; celles-ci doivent cependant prendre des mesures pour garantir que les clients n’en impriment qu’une seule copie, ne la communiquent pas à d’autres et feront en sorte que la copie sera détruite dans les cinq jours suivant son utilisation. La distribution numérique n’est permise que si la documentation n’est pas verrouillée par une serrure numérique. L’article 30 du projet de loi applique des conditions semblables aux œuvres inédites déposées dans des archives.
Les articles 31 et 32 du projet de loi ajoutent des exceptions dans le but de soustraire aux obligations les reproductions faites dans un simple but technique, comme c’est le cas pour les programmes d’ordinateur (art. 30.6 et suivants de la LDA). L’article 31 permet la reproduction de programmes d’ordinateur pour faciliter l’interopérabilité, le chiffrement, la recherche et la solution de problèmes de sécurité. Le Comité l’a amendé (pour modifier les art. 30.61, 30.62 et 30.63 proposés de la LDA) afin de limiter la portée des nouvelles exceptions concernant la reproduction de programmes d’ordinateur et d’éviter d’éventuelles conséquences imprévues. Comme l’a fait remarquer un fonctionnaire d’Industrie Canada :
Le projet de loi C-11 contient de nouvelles exceptions pour appuyer les activités liées à la rétroingénierie des logiciels à des fins d’interopérabilité, de recherche sur le chiffrement et de test de sécurité sur les ordinateurs, les réseaux et les systèmes. Ce genre d’activités peut demander de copier des données durant la recherche ou le développement de produits.
On s’est dit préoccupé par ces nouvelles exceptions, qui pourraient empêcher les titulaires de droits de prévenir les activités contraires à l’éthique, comme l’exploitation des vulnérabilités des réseaux informatiques et des systèmes d’appareil mobile. Si ces exceptions permettaient de telles activités, la sécurité des informations pourrait être compromise. Cet amendement contient des mesures de protection pour éviter ces conséquences imprévues 62.
L’article 32 du projet de loi permet la reproduction temporaire d’œuvres dans le seul but de faciliter une utilisation ne portant pas atteinte au droit d’auteur.
L’article 33 du projet de loi modifie légèrement le paragraphe 30.8(11) de la LDA après l’alinéa c) pour permettre au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d’exempter une entreprise de programmation de l’exigence de détenir une licence de radiodiffusion délivrée par le CRTC. On veut ainsi éviter la situation incongrue où seules les entreprises de radiodiffusion titulaires d’une licence seraient exemptées, et non celles exemptées de l’exigence d’une licence par le CRTC.
L’article 34 du projet de loi modifie la disposition de la LDA ayant trait aux enregistrements éphémères destinés à la radiodiffusion (art. 30.9 de la LDA). Plus précisément, la modification proposée élimine le paragraphe 30.9(6) de l’actuelle LDA, qui prévoit que l’exception des enregistrements éphémères ne s’applique pas s’il est possible d’obtenir une licence auprès d’une société de gestion. L’élimination de cette disposition semble indiquer l’intention d’éliminer l’obligation pour les radiodiffuseurs de payer les copies destinées à la radiodiffusion63. Là encore, la disposition ne s’applique qu’aux enregistrements éphémères, qui doivent être détruits dans tous les cas dans les 30 jours suivant la reproduction (à moins que le titulaire du droit d’auteur autorise la conservation de la reproduction).
L’article 35 du projet de loi (nouvel article 31.1 de la LDA) dégage toute personne qui fournit des « services liés à l’exploitation d’Internet ou d’un autre réseau numérique » de toute responsabilité en matière de violation du droit d’auteur si elle intervient uniquement à titre d’intermédiaire dans le cadre d’activités de communication, de stockage et d’antémémoire. Il ajoute par ailleurs une exemption pour permettre aux fournisseurs de services d’hébergement sur Internet de stocker des œuvres sans porter atteinte au droit d’auteur, à moins que l’hôte soit informé d’une décision judiciaire statuant que la documentation stockée enfreint le droit d’auteur.
Le Comité a amendé l’article 35 pour circonscrire les dispositions relatives à l’exonération de responsabilité des FSI. Comme l’a mentionné un fonctionnaire d’Industrie Canada :
Il s’agit d’une série d’amendements de forme qui touchent l’article 35, qui contient des dispositions relatives à l’exonération de responsabilité pour les fournisseurs de services Internet.
Plus précisément, il y a trois dispositions relatives à l’exonération de responsabilité : pour les simples services d’intermédiaire; pour les services de mise en antémémoire, à savoir la copie de données aux fins de l’efficience du réseau; et pour la prestation de services de stockage.
Les deux premiers amendements de forme se rattachent aux conditions touchant la mise en antémémoire du contenu. Plus précisément, il y a un changement lié à l’exigence selon laquelle le fournisseur de services Internet respecte des consignes du fournisseur de contenu en ce qui concerne le fait de mettre en antémémoire le matériel, et nous proposons de modifier l’amendement de sorte que ces exigences soient en harmonie avec les normes de l’industrie.
Un amendement semblable est appliqué en lien avec l’obligation du fournisseur de services de ne pas entraver la collecte de données de l’utilisateur.
Le troisième changement concerne une exception particulière en lien avec les entités responsables aux termes de la nouvelle disposition habilitante. On craignait que cette exception ne s’applique qu’à la première exonération de responsabilité. Nous déplaçons cette disposition pour qu’elle s’applique aux trois exonérations de responsabilité. Par conséquent, il y a une renumérotation 64.
Les articles 36 et 37 du projet de loi ajoutent des exceptions pour les personnes atteintes de déficiences perceptuelles (art. 32 et 32.01 de la LDA). L’article 37 ajoute une exception pour les organismes sans but lucratif représentant des personnes ayant une déficience de lecture des imprimés65 pour qu’ils puissent faire des copies d’œuvres sur des supports spécifiquement conçus pour ces personnes et en envoyer des exemplaires à des organismes semblables à l’étranger (pourvu que l’œuvre adaptée soit celle d’un auteur canadien ou d’un ressortissant du pays de destination).
Le Comité a amendé l’article 37 pour limiter la responsabilité des organismes sans but lucratif qui commettent une erreur de bonne foi concernant la nationalité d’un auteur. Comme l’a observé une fonctionnaire d’Industrie Canada :
On a soulevé des préoccupations selon lesquelles la nationalité d’un auteur n’est pas toujours facile à déterminer et que le libellé actuel du projet de loi pourrait exposer une organisation à des poursuites en dommages et intérêts pour une erreur commise de bonne foi.
Ainsi, l’amendement apporterait une clarification ou permettrait aux tribunaux de tenir compte des efforts de bonne foi déployés par l’organisme sans but lucratif au moment d’attribuer des dommages, et les titulaires d’un droit d’auteur pourraient ensuite demander seulement une injonction contre l’organisme sans but lucratif plutôt que des dommages et intérêts 66.
L’article 38 du projet de loi ajoute une disposition à l’article 32.2 de la LDA : il prévoit qu’une personne qui commande une photographie ou un portrait jouit de droits limités concernant leur utilisation à des fins non commerciales ou privées sans l’autorisation du photographe ou de l’artiste, sous réserve de dispositions contractuelles à l’effet contraire.
Les articles 39, 40 et 41 du projet de loi proposent des modifications transitoires à des articles de la LDA en vue de protéger les investissements faits au titre d’actes postérieurs à l’entrée en vigueur des dispositions.
Les articles 42 à 49 du projet de loi modifient la partie IV de la LDA.
Les articles 42, 43 et 44 proposent des modifications aux articles 34 et 34.1 de la LDA. L’article 42 ajoute « Violations du droit d’auteur et des droits moraux » avant l’article 34 de la LDA. L’article 43 prévoit une légère modification au paragraphe 34(2) de la LDA concernant le recours en cas de violation des droits moraux d’un auteur. L’article 44 précise que la présomption d’existence et de propriété du droit d’auteur prévue à l’article 34.1 ne s’applique qu’aux recours civils.
L’article 45 abroge les articles 36 (protection de droits distincts et répartition des dommages-intérêts et des profits) et 37 (juridiction concurrente de la Cour fédérale) de la LDA. Cependant, l’article 47 (voir ci-dessous) ne fait que déplacer ces dispositions aux nouveaux articles 41.23 et 41.24 de la LDA.
L’article 46 du projet de loi modifie les règles applicables à l’attribution de dommages-intérêts préétablis67 en vertu de l’article 38.1 de la LDA. Actuellement, les dommages-intérêts préétablis vont de 500 à 20 000 $ au maximum par œuvre dont le droit d’auteur a été violé (par. 38.1(1) actuel de la LDA). Aux termes du projet de loi, le montant des dommages-intérêts préétablis auquel le titulaire du droit d’auteur aurait droit dépend désormais du caractère commercial ou non commercial de l’utilisation interdite (al. 38.1(1)a) et b) proposés). La gamme des dommages-intérêts préétablis actuelle s’appliquerait aux cas de violation à caractère commercial seulement. Le projet de loi limite la demande de dommages-intérêts préétablis dans les cas de violation à caractère non commercial et limite ces dommages-intérêts à une fourchette de 100 à 5 000 $ pour toutes les violations, le tout réglé en un seul recours pour toutes les œuvres. Cette réduction s’appliquerait, par exemple, aux personnes qui téléchargent de la musique grâce à des services de partage de fichiers poste à poste68. Un tribunal peut décider de réduire les dommages-intérêts préétablis pour violation à caractère commercial s’il estime que le total est largement disproportionné par rapport à la violation (par. 38.1(3) proposé). Par ailleurs, la disposition ajoute une condition de proportionnalité pour les dommages attribués en cas de violation à caractère non commercial (al. 38.1(5)d) proposé)69.
Le Comité a amendé l’article 46 (aux paragraphes proposés 38.1(1.1) et suivants de la LDA) pour qu’il soit « possible d’intenter une poursuite en dommages-intérêts à l’encontre des personnes qui facilitent la violation du droit d’auteur 70 ».
L’article 47 du projet de loi prévoit de nouvelles dispositions concernant les mesures techniques de protection et l’information sur le régime des droits ainsi que sur la responsabilité des fournisseurs de services réseau (ou fournisseurs de services Internet) et d’outils de repérage (art. 41 à 41.27 proposés).
Le Comité a amendé l’article 47 (pour modifier les art. 41.26 et 41.27 proposés de la LDA) afin de préciser les responsabilités et les conditions s’appliquant aux moteurs de recherche et ainsi prévenir les violations du droit d’auteur. Comme l’a fait remarquer un fonctionnaire d’Industrie Canada :
Cette modification a trait à plusieurs dispositions du projet de loi, en premier lieu celle qui concerne le régime d’avis proposé pour les fournisseurs de services Internet. En plus de certains amendements corrélatifs qui concernent la numérotation, on propose de changer le délai que doivent respecter les fournisseurs de services Internet lorsqu’ils doivent faire suivre un avis à un abonné.
On propose de remplacer « sans délai » par « dans les meilleurs délais ». L’objectif est de s’assurer que les fournisseurs de services Internet disposent de suffisamment de temps pour se conformer à cette obligation, en particulier lorsqu’un imprévu se présente.
Il y a aussi dans cette motion toute une série d’amendements visant à modifier les conditions que doivent respecter les outils de repérage, qu’on appelle aussi « moteurs de recherche », quand il s’agit de mettre en cache - en d’autres termes, de copier - du contenu pour offrir le service de recherche. C’est un amendement très semblable à ce qui a été proposé au sujet des dispositions d’exonération offertes aux fournisseurs de services Internet qui doivent mettre du contenu en cache, et il porte sur le fait qu’il suffit de se plier aux normes et pratiques de l’industrie pour respecter cette obligation.
La troisième série de modifications proposées dans cette motion a trait elle aussi aux dispositions d’exonération visant les outils de repérage de l’information. Elles concernent les nouvelles conditions et les nouveaux facteurs qui entrent en jeu au moment de déterminer la portée des injonctions qu’il est possible de prendre contre un fournisseur d’outils de repérage et les dispositions d’exonération connexes 80.
L’article 48 du projet de loi interdit de contourner les MTP à des fins commerciales. Les sanctions prévues à cet égard sont une amende maximale d’un million de dollars ou une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement, ou les deux, dans le cas d’une reconnaissance de culpabilité sur mise en accusation, et une amende maximale de 25 000 $ ou une peine maximale de six mois d’emprisonnement, ou les deux, dans le cas d’une reconnaissance de culpabilité par procédure sommaire (nouveau par. 42(3.1) proposé).
L’article 49 du projet de loi prévoit la limitation ou la période de prescription des recours civils intentés en vertu de la LDA (nouvel art. 43.1 proposé).
L’article 50 du projet de loi prévoit une modification corollaire à l’article 58 de la LDA concernant l’exécution de la cession ou de la concession (cession ou licence de droit d’auteur) pour permettre la mise en œuvre des traités Internet de l’OMPI.
L’article 51 du projet de loi modifie l’article 62 de la LDA concernant les règlements que peut prendre le gouverneur en conseil. La disposition confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements précisant les mesures que doit prendre un établissement d’enseignement lorsqu’il fournit des leçons aux étudiants par l’intermédiaire d’Internet et lorsqu’il fait des copies numériques d’une œuvre. La disposition confère également au gouverneur en conseil le pouvoir de prescrire la marche à suivre concernant le système d’avis applicable aux fournisseurs de services Internet, aux entreprises d’hébergement Web et aux exploitants de moteurs de recherche.
L’article 52 du projet de loi modifie le paragraphe 67.1(4) de la LDA. L’article 67.1 prévoit les conditions dans lesquelles une société de gestion doit déposer un projet de tarif à la Commission du droit d’auteur. Aux termes du paragraphe 67.1(4), si la société de gestion ne dépose pas de projet de tarif, elle ne peut intenter de recours sans le consentement écrit du Ministre. À la liste des recours pour violation qui ne peuvent être intentés si un projet de tarif n’a pas été déposé, l’article 52 ajoute des renvois au nouveau droit de mettre à la disposition du public pour les prestations et les enregistrements sonores d’artistes-interprètes prévu aux nouveaux alinéas 15(1.1)d) ou 18(1.1)a) proposés.
L’article 53 du projet de loi apporte une modification corollaire au sous-alinéa 68(2)a)(i) de la LDA concernant l’examen par la Commission du droit d’auteur de critères et facteurs concernant le projet de tarif et les objections. Il ajoute un renvoi à l’article 20 modifié concernant le droit à rémunération des artistes-interprètes.
L’article 54 du projet de loi prévoit une modification corollaire au paragraphe 68.2(2) de la LDA concernant l’interdiction d’intenter des recours pour le versement de redevances contre quiconque a payé ou offert de payer les redevances en ajoutant un renvoi au droit de mettre à la disposition du public pour les artistes-interprètes et les producteurs d’enregistrements sonores aux nouveaux alinéas 15(1.1)d) et 18(1.1)a) proposés.
L’article 55 du projet de loi prévoit une modification corollaire au paragraphe 71(1) de la LDA concernant le dépôt d’un projet de tarif dans certains cas, qui supprime le renvoi au paragraphe 29.6(2), lui-même abrogé par l’article 25.
L’article 56 modifie le paragraphe 76(2) de la LDA concernant les conditions dans lesquelles une personne non membre d’une société de gestion peut récupérer des redevances. Il supprime également le pouvoir de la Commission du droit d’auteur de fixer les périodes durant lesquelles des redevances doivent être perçues pour les utilisations pédagogiques qui ne seraient plus assujetties à un droit à rémunération (en proposant l’abrogation des sous-al. 76(4)b)(i) et (ii) de la LDA).
L’article 57 du projet de loi modifie le paragraphe 78(1) de la LDA concernant la décision d’élargir la compétence de la Commission du droit d’auteur, qui serait habilitée à accorder une indemnité à l’égard d’actes antérieurs à la reconnaissance du droit d’auteur et des droits moraux, conformément aux modifications prévues à l’article 41 du projet de loi (nouveaux par. 33.1(2) et 33.2(2) proposés). Ces nouvelles dispositions ont trait à l’indemnisation des investisseurs par les titulaires de droits d’auteur pour des actes qui, si les dispositions n’étaient pas entrées en vigueur, n’auraient pas constitué une violation du droit d’auteur. Les titulaires de droits d’auteur devront ainsi indemniser les investisseurs pour se prévaloir de leurs nouveaux droits.
Le projet de loi ne propose pas de modifications à la partie VIII de la LDA.
L’article 58 du projet de loi modifie l’article 92 de la LDA pour prescrire l’examen de la LDA tous les cinq ans par un comité du Sénat ou de la Chambre des communes ou des deux plutôt qu’un examen ministériel dont le compte rendu serait renvoyé à un comité parlementaire.
Les articles 59 à 62 du projet de loi énoncent des dispositions transitoires. Les articles 59 à 61 prévoient que le droit d’auteur expiré concernant des photographies n’est pas rétabli par les dispositions du projet de loi. Ils accordent également des droits acquis aux entreprises et aux personnes réputées être les auteurs de photographies en vertu des dispositions actuelles de sorte qu’elles conserveront leurs droits après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Les droits relatifs à d’autres œuvres commandées sont également maintenus, puisque le droit d’auteur sur ces œuvres continuera d’appartenir aux personnes qui les ont commandées à moins de convention contractuelle contraire. L’article 62 précise les limitations ou périodes de prescription applicables après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
L’article 63 du projet de loi précise que les dispositions du projet de loi entreront en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret.
Lorsque le projet de loi C-32 a été déposé en juin 2010, les premières réactions ont été mitigées. Les médias se sont intéressés aux dispositions relatives aux MTP, se demandant si elles éclipsent les exceptions relatives à l’utilisation équitable prévues dans la LDA actuelle et dans le projet de loi. Les autres aspects du projet de loi qui ont fait l’objet de commentaires publics par la suite sont l’élargissement des exceptions relatives à l’utilisation équitable, l’absence de changement au régime de redevances visant la copie pour usage privé, le système d’avis touchant les FSI et la distinction entre les dommages-intérêts selon que la violation est d’ordre commercial ou non commercial81.
D’emblée, les commentateurs ont estimé que le projet de loi était « lacunaire, mais réparable82 », « un compromis raisonnable83 », « un compromis qui ne rend personne vraiment heureux84 » et un texte législatif controversé au sujet duquel toutes les parties intéressées devraient avoir le droit « d’être entendues en toute impartialité avant que l’on se précipite pour lui donner force de loi85 ».
Le dépôt du projet de loi C-11, le 29 septembre 2011 a provoqué chez les médias et les parties intéressées une réaction moins vive, quoique semblable à la réaction initiale au projet de loi C-32. Puisque le parti ministériel est majoritaire au Parlement, la plupart des commentaires sur le projet de loi portent maintenant sur la rapidité avec laquelle il sera adopté et sur la question de savoir si le gouvernement tiendra compte des amendements proposés86. Par ailleurs, au moins un article de journal a annoncé que la Cour suprême du Canada entendrait plusieurs affaires de droit d’auteur au cours de la première semaine de décembre 2011, pendant que le projet de loi franchirait les étapes du processus législatif87.
Lorsque le projet de loi C-32 a été déposé, des groupes de consommateurs, des étudiants, des bibliothèques, des écoles et des musées ont approuvé les dispositions relatives à l’utilisation équitable et les dispositions connexes du projet de loi88 (et maintenant du projet de loi C-11), quoique certains prônaient une attitude plus souple. Ces mêmes groupes ont cependant exprimé divers degrés d’inquiétude au sujet de la mesure dans laquelle les dispositions relatives aux MTP ou aux serrures numériques risquent de l’emporter sur l’usage qu’ils font de documents protégés par le droit d’auteur qui ont été licitement acquis (voir la rubrique 2.5.2 « Les mesures techniques de protection » pour une analyse de la portée des MPT). Par ailleurs, divers groupes de créateurs et sociétés de gestion89 ont fait connaître, à ce moment, leur opposition ou leur appréhension à l’égard des dispositions d’élargissement de l’utilisation équitable et des dispositions connexes, en raison des pertes de revenus qu’elles entraîneraient d’après eux. Cela touche plus particulièrement l’ajout de l’« éducation » à la disposition relative à l’utilisation équitable.
Certains groupes, comme les maisons de disques90, plaident pour que l’on combine de strictes dispositions sur les MTP aux dispositions sur l’élargissement de l’utilisation équitable et aux dispositions connexes; d’autres, par contre – certaines organisations d’artistes-interprètes musicaux et sociétés de gestion, par exemple –, préféreraient que le système de redevances visant la copie pour usage privé soit appliqué aussi aux enregistreurs audionumériques comme les iPod et les lecteurs MP3 pour compenser l’élargissement des dispositions relatives à l’utilisation équitable91.
Depuis le dépôt du projet de loi C-11, Michael Geist, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, et Barry Sookman, avocat spécialisé dans le domaine de la propriété intellectuelle, ont tous deux analysé ces questions à la lumière des témoignages livrés au Comité législatif chargé du projet de loi C-3292.
Le paragraphe 91(23) de la Loi constitutionnelle de 1867 93 confère au Parlement le droit exclusif d’adopter des lois à propos du droit d’auteur, alors que le paragraphe 92(13) de la même loi confère aux assemblées législatives provinciales le droit exclusif d’adopter des lois concernant « la propriété et les droits civils dans la province ». Certains se demandent si le Parlement a le pouvoir constitutionnel d’adopter des lois concernant la gestion des droits numériques et les mesures techniques qui protègent les œuvres. Pourquoi? Parce qu’on peut penser que les dispositions anti-contournement et le contrôle de l’accès à une œuvre sont des moyens de protéger la propriété, moyens qui supposent également des obligations contractuelles, une protection des consommateurs et du commerce électronique – toutes choses relevant de la compétence provinciale – et non pas des questions relatives au droit d’auteur, lequel relève de la compétence fédérale94.
L’usage répandu des MTP ou de l’information sur le régime des droits pourrait également avoir un effet sur le droit des Canadiens à la liberté d’expression95. Il pourrait s’ensuivre des litiges en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés si ces dispositions ont pour effet de limiter la liberté d’expression96.
En janvier 2008, avant la présentation du projet de loi C-61 en juin suivant (précédente tentative de révision du droit d’auteur par le gouvernement), Jennifer Stoddart, commissaire fédérale à la protection de la vie privée, a adressé une lettre aux ministres de l’Industrie et du Patrimoine canadien pour leur faire part de ses préoccupations concernant le fait que les mesures de gestion des droits numériques et les mesures techniques de protection des œuvres destinées à prévenir la violation du droit d’auteur risquaient d’avoir un effet négatif sur le droit des Canadiens à la protection de la vie privée97. La commissaire invoquait la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques 98 (LPRPDE), qui dispose que les entités s’adonnant à des activités commerciales peuvent recueillir, utiliser ou communiquer de l’information uniquement « à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances ». Et seuls les renseignements personnels nécessaires à cette fin peuvent être recueillis, utilisés ou communiqués. Selon la LPRPDE, sauf situations prévues expressément, il est interdit de recueillir, d’utiliser ou de divulguer des renseignements personnels sans le consentement des intéressés. Or, dans sa lettre, la commissaire disait craindre que les MTP permettent de recueillir, d’utiliser et de divulguer des renseignements personnels sans consentement99.
Dans sa lettre de 2008, la commissaire rappelait également qu’il existe des moyens de contourner les MTP et de prévenir ainsi la collecte de renseignements personnels, quoique, faisait-elle observer, les propositions antérieures de révision de la LDA comportaient des dispositions anti-contournement. Cependant, comme nous l’avons vu, le projet de loi C-11 prévoit une exception aux dispositions anti-contournement pour vérifier si une MTP permet de recueillir ou de communiquer des renseignements personnels (nouvel article 41.14 proposé). La commissaire n’a pas encore fait savoir si cette exception lui semble suffisante.
Le projet de loi C-60 (tentative de révision du droit d’auteur en 2005) abordait les MTP sous un autre angle. Le nouveau paragraphe 34.02(1) proposé disposait ce qui suit :
Le titulaire d’un droit d’auteur sur une œuvre […], est admis, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, à exercer tous les recours […] que la loi accorde ou peut accorder contre la personne qui, sans son autorisation, contourne les mesures techniques protégeant toute forme matérielle de l’œuvre, la prestation ou l’enregistrement sonore, les supprime ou les rend inefficaces en vue d’accomplir un acte qui constitue une violation du droit d’auteur ou des droits moraux ou de faire la reproduction visée au paragraphe 80(1)[souligné par les auteurs] 100.
Le projet de loi C-60, contrairement aux projets C-61, C-32 et maintenant C-11, contenait des dispositions précisant que la violation d’une serrure numérique ne constituerait une infraction à la LDA que si le déverrouillage avait pour objet de porter atteinte au droit d’auteur. Le projet de loi C-11 qui n’est pas formulé de façon à limiter le but de la violation, a une portée plus large que le projet de loi C-60.
Pour Graham Reynolds, professeur de droit à l’Université Dalhousie, la ligne de conduite adoptée dans le projet de loi C-32 et reprise dans le projet de loi C-11 « compromet l’équilibre qu’il est censé créer entre les titulaires de droit d’auteur et les autres parties. Si le projet de loi est adopté tel quel, les utilisateurs, les consommateurs, les créateurs suivants et les innovateurs de l’avenir peuvent effectivement se voir interdire l’exercice de leurs droits par le biais d’une serrure numérique, tant les droits dont ils jouissaient avant le projet de loi C-32 que les droits introduits par celui-ci. La critique, la recherche, l’éducation, la créativité et l’innovation pourraient bien en souffrir. Ce genre de modification risque d’appauvrir les valeurs qui fondent le droit à la liberté d’expression protégé par la Constitution; de plus, il pourrait ne pas tenir devant une contestation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés 101. » M. Reynolds estime qu’on peut instaurer l’équilibre qui convient en revenant à la formulation du projet de loi C-60, qui interdisait le contournement des MTP en vue de violer le droit d’auteur. Selon lui, la formulation employée dans le projet de loi C-60, qui prévoit la réserve « en vue d’accomplir un acte qui constitue une violation du droit d’auteur », est conforme aux deux traités Internet de l’OMPI signés en 1996; elle permettrait en outre aux titulaires de droit d’auteur de lutter contre des violations à l’ère numérique tout en veillant à ne pas empêcher chacune des autres parties d’exercer ses droits.
Michael Geist, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, a beaucoup écrit sur les dispositions des projets de loi C-11 et C-32 relatives aux MTP. À son avis, le contournement de ces mesures devrait être autorisé lorsque les fins sont licites102. Avec Keith Rose, il a proposé une autre formulation des dispositions relatives aux MTP qui, selon lui, sont « fidèles aux traités Internet de l’OMPI, garantissent une protection juridique pour les serrures numériques et maintiennent l’équilibre des droits103 ». Il propose deux façons de faire. La première consisterait à modifier la définition du verbe « contourner » compte tenu uniquement des buts illicites104. La deuxième consisterait à ajouter une exception explicite autorisant le contournement à des fins licites105.
De son côté, Mihály Ficsor, ex-directeur général adjoint de l’OMPI et auteur du WIPO Guide to Collective Administration of Copyright and Related Rights, estime que, pour faire exécuter les dispositions anti-contournement des traités Internet de l’OMPI, la formulation plus générale du projet de loi C-32, qui se retrouve également dans le projet de loi C-11, est nécessaire. Il n’est pas d’accord avec les propositions du professeur Geist :
J’ai remarqué que le blogueur [Michael Geist] a proposé des modifications précises aux dispositions du projet de loi relatives aux MTP. Il s’agit, entre autres, de limiter la protection des MTP au contournement destiné à enfreindre le droit d’auteur. Il propose en lieu et place une exception prévoyant l’autorisation de contourner une MTP « à toute fin licite ». Il faut comprendre d’après mon commentaire que ces propositions ne garantiraient pas une protection juridique suffisante pour les MTP et ne donneraient pas lieu à un projet de loi fidèle aux principes des traités Internet de l’OMPI 106.
Selon M. Ficsor,
les MTP efficaces que les Parties contractantes aux traités doivent protéger sont celles qui « restreignent l’accomplissement » d’actes, à l’égard de leurs œuvres, exécutions et phonogrammes protégés, notamment l’accès aux œuvres. Du point de vue de cette obligation, il ne devrait pas être nécessaire de prouver que les actes de contournement prohibés constituent des violations du droit d’auteur (copie non autorisée, communication au public ou tout autre exercice d’un droit exclusif appartenant au propriétaire du droit d’auteur) ou y contribuent tout spécialement. Si les membres de la Conférence diplomatique avaient eu l’intention de lier nécessairement l’interdiction des actes en cause à la violation du droit d’auteur, ils l’auraient formulée, comme ils l’ont fait dans le cas des actes prohibés concernant l’information sur le régime des droits [voir l’article 12 du TODA et l’article 19 du TOIEP]. Ils ne l’ont pas fait parce que les délégations ont estimé que, en exigeant la preuve d’un lien direct avec la violation du droit d’auteur, on aurait compromis le fondement même de l’obligation de ne pas contourner les MTP.
En somme, pour M. Ficsor, « ce serait mal comprendre l’objet même des dispositions pertinentes du TODA et du TOIEP que d’appliquer des interdictions juridiques en matière de contournement dans les seuls cas où il s’agirait proprement d’une violation ou d’une tentative de violation du droit d’auteur ».
Généralement parlant, les musiciens et les sociétés de gestion qui les représentent107 sont favorables à l’élargissement, aux enregistreurs audionumériques comme les iPod et les lecteurs MP3, du régime de copie pour usage privé prévu dans la partie VIII de la LDA. On présente souvent cela comme une sorte de « contrepartie » des dispositions relatives à l’utilisation équitable et des dispositions connexes contenues dans le projet de loi C-11. Les détaillants, de leur côté, sont opposés à l’élargissement de l’application des redevances relatives à la copie pour usage privé, tandis que les maisons de disques estiment que ce système a une valeur limitée et qu’il risque du même coup de légitimer le blanchiment de la musique acquise illicitement108.
Le système de redevances touchant la copie pour usage privé prévu dans la partie VIII (art. 79 à 88) de la LDA vise à indemniser les titulaires de droits des pertes économiques associées à la reproduction d’enregistrements sonores sur des « supports audio vierges ». La copie pour usage privé n’est pas un exemple d’utilisation équitable, qui est une notion juridique différente. Au cours des dix dernières années, les intéressés ne se sont pas mis d’accord sur la question de savoir si les dispositifs d’enregistrement sonore avec mémoire inamovible – comme les lecteurs MP3 – entraient dans la définition de « support audio » et devaient être assujettis au système de redevances touchant la copie pour usage privé. Or, la Cour d’appel fédérale a infirmé plusieurs décisions de la Commission du droit d’auteur, qui avait jugé que les lecteurs MP3 étaient des « supports audio ». Elle a estimé que la Commission n’était pas habilitée à imposer des redevances sur une mémoire enchâssée définitivement dans des supports d’enregistrement sonore et que les redevances établies à l’égard de ces dispositifs n’étaient pas valides109.
En mars 2010, Charlie Angus, député fédéral du Nouveau Parti démocratique, a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire visant à élargir aux dispositifs d’enregistrement sonore numérique le système de redevances touchant la copie pour usage privé110. L’ancien ministre de l’Industrie Tony Clement et le ministre du Patrimoine canadien James Moore tous deux ont rejeté le projet, estimant qu’une « taxe sur les iPod » et autres dispositifs portables ferait du tort aux consommateurs111. Jusqu’ici, le projet de loi n’a pas été déposé de nouveau à la 41e législature.
En 2005, dans un document commandé par Industrie Canada (Répercussions économiques des options de réforme du régime de copie pour usage privé), l’auteur Ronald Hirshhorn a fait remarquer ceci : « Les répercussions du système de copie pour usage privé ne seront pas les mêmes pour les diverses parties intéressées au cours des prochaines années selon que le gouvernement introduit ou non un amendement pour que les appareils d’enregistrement audionumérique soient assujettis à la Loi 112. » Hirshhorn soulève un certain nombre de questions intéressantes, notamment le lien éventuel entre l’élargissement de la redevance et le téléchargement illicite, le fait qu’un consommateur de musique pourrait se trouver à indemniser deux fois le titulaire des droits113 et l’éventualité que les redevances soient plus élevées si le répertoire des titulaires admissibles devait inclure les producteurs et les interprètes dans d’autres pays signataires du TOIEP, de sorte que les titulaires de droits canadiens toucheraient une proportion moindre des redevances114.
Comme nous l’avons vu, le système d’avis proposé exige que le FSI auquel le titulaire d’un droit d’auteur adresse un avis de violation transmette cet avis à l’abonné incriminé. Par ailleurs, le système d’avis et retrait suppose habituellement que le FSI bloquera l’accès à des documents sur réception d’un avis du titulaire du droit d’auteur alléguant une violation. L’obligation de bloquer l’accès incombe au FSI dont le système est utilisé pour héberger le document portant atteinte au droit d’auteur. Selon le droit canadien, les tribunaux sont déjà habilités à ordonner la suppression du document en question dans les cas pertinents. Le système d’avis et retrait n’exige pas d’ordonnance judiciaire. Par contre, une « échelle de mesures » supposerait que les consommateurs soient débranchés d’Internet après un certain nombre d’avis les informant qu’ils violent le droit d’auteur.
Certaines maisons de disques et organisations commerciales sont en faveur d’une forme d’échelle de mesures (p. ex. un système des trois fautes analogue à celui qu’on tente d’implanter en France et au Royaume-Uni) 115; par contre, les FSI, les établissements d’enseignement et les groupes de consommateurs préféreraient le système d’avis, qui est déjà employé volontairement. Barry Sookman, avocat spécialisé dans le domaine de la propriété intellectuelle, adopte un point de vue plus radical, estimant que le système d’avis ne convient sans doute pas et que c’est d’un système d’avis et retrait dont on a besoin « pour régler efficacement les cas d’exploitants de sites pirates qui portent atteinte au droit d’auteur à une échelle importante et pour réagir rapidement lorsque le contenu affiché a une durée de vie critique116 ».
Le système d’avis proposé dans le projet de loi C-11 faisait partie des trois derniers projets de loi présentés par le gouvernement : les C-60, C-61 et C-32. Dans la Foire aux questions relative au projet de loi C-60, Industrie Canada fait remarquer qu’un système d’avis serait conforme aux « considérations liées à la Charte des droits117 ». La question a effectivement été posée : un système d’avis et retrait pourrait inciter les FSI à supprimer du contenu sans préavis ni preuve de violation du droit d’auteur, ce qui risquerait de porter atteinte à la liberté d’expression118. Par ailleurs, dans le site Web d’Industrie Canada, on fait valoir qu’un système d’avis et retrait serait en réalité inapte à empêcher le partage de fichiers poste-à-poste, car cette mesure « convient bien aux documents et aux fichiers affichés sur un site Web. Elle est cependant mal adaptée au partage de fichiers de poste à poste (c’est-à-dire entre des utilisateurs), qui constitue la principale source de violation de droits d’auteur, car les fichiers sont enregistrés sur les ordinateurs des utilisateurs qui les partagent 119. »
Rappelons que, en 2008, la commissaire à la protection de la vie privée du Canada a soulevé des questions concernant les répercussions de la collecte de renseignements personnels par les FSI dans le cadre de ce système120. Comme elle l’a fait remarquer, « selon la LPRPDE, les organismes ne conservent de renseignements personnels que le temps nécessaire aux fins auxquelles ces renseignements ont été recueillis au départ. Établir des limites à la portée de la cueillette de renseignements et à la période de conservation est une stratégie essentielle à la réduction du risque d’atteinte à la protection des données personnelles. »
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
« contourner »
a) S’agissant de la mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la définition de ce terme, éviter, supprimer, désactiver ou entraver la mesure – notamment décoder ou déchiffrer l’œuvre protégée par la mesure –, dans le but d’enfreindre le droit d’auteur, sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur;
b) s’agissant de la mesure technique de protection au sens de l’alinéa b) de la définition de ce terme, éviter, supprimer, désactiver ou entraver la mesure, dans le but d’enfreindre le droit d’auteur. [ Retour au texte ]
But licite
(5) L’alinéa (1)a) n’est pas applicable dans le cas où une mesure technique de protection est contournée dans un but licite.
(6) Les alinéas (1)b) et c) ne sont pas applicables à la personne qui offre un service à une personne visée par le paragraphe (5) ou qui fabrique, importe ou fournit une technique, un dispositif ou un composant dans le but de faciliter le contournement d’une mesure technique de protection dans le respect de la Loi. [ Retour au texte ]
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