Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-17 : Loi modifiant la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada (titre abrégé : « Loi sur Air Canada et les entités qui lui sont liées ») a été déposé par le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, l’honorable Denis Lebel, le 17 octobre 2011 et adopté en première lecture le même jour. Les principales composantes du projet de loi sont les suivantes :
Le projet de loi C-17 est le plus récent d’une série de projets de loi modificatifs (C-47, C-29 et C‑36) portant le même titre qui sont morts au Feuilleton à la fin de la session où ils ont été présentés (voir la rubrique 1.7 « Les versions précédentes du projet de loi » du présent résumé législatif).
La Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada 2 (LPPCAC) de 1988 établissait les conditions pour la privatisation de la société Air Canada (ci-après « Air Canada » ou la « Société »). La LPPCAC, accompagnée de mesures transitoires concernant la cession par le gouvernement, assujettissait la nouvelle société privatisée à la Loi sur les langues officielles 3 (LLO), l’obligeant ainsi à continuer de fonctionner en français et en anglais 4. Selon une autre disposition, Air Canada devait conserver son siège social à Montréal et des centres d’entretien et de révision à Winnipeg, à Montréal et à Mississauga 5.
Air Canada est assujettie à toutes les dispositions de la LLO. La LPPCAC l’oblige non seulement à fournir ses communications et ses services au public dans les deux langues officielles (partie IV de la LLO) 6, mais également à maintenir un environnement de travail bilingue (partie V de la LLO) 7. La Société est également assujettie aux dispositions garantissant des chances égales d’emploi et d’avancement et exigeant que ses effectifs reflètent la présence au Canada des deux collectivités de langue officielle (partie VI de la LLO) 8. En outre, Air Canada doit mettre en œuvre des dispositions à l’égard du développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et de la promotion de la dualité linguistique (partie VII de la LLO) 9. Enfin, le commissaire aux langues officielles est autorisé à enquêter sur les plaintes déposées contre le transporteur (partie IX de la LLO) et peut intenter contre lui un recours en cas de non-respect des dispositions de la LLO (partie X de la LLO) 10.
Air Canada a subi diverses restructurations au cours de la dernière décennie. Après l’acquisition de transporteurs régionaux à la fin des années 1990, on a assisté à la création d’Air Canada Jazz (ci-après « Jazz »). En 2000, le Parlement a modifié la LPPCAC pour faire en sorte que les entités du groupe d’Air Canada, telles que Jazz et Zip, fournissent un service dans les deux langues officielles conformément à la partie IV de la LLO, qui prévoit que le service à la clientèle doit être offert dans les deux langues officielles lorsque le nombre le justifie. Ces obligations découlent du fait que ces entités sont liées par un contrat de service à Air Canada, et qu’elles agissent par conséquent comme un tiers pour le compte de la Société 11.
En 2001, une fusion entre Air Canada et les Lignes aériennes Canadien International est survenue, ce qui a posé de nouveaux défis à la Société pour ce qui est du respect de ses obligations linguistiques. En 2003, la Société s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies 12. Pendant qu’elle se trouvait sous la protection de cette loi, de nouvelles personnes morales ont été constituées dans le cadre de l’importante restructuration qu’elle a entreprise. En septembre 2004, Air Canada s’est retirée de cette protection.
À partir de 2004, Air Canada est elle-même devenue une filiale en propriété exclusive du groupe d’une nouvelle société mère, Gestion ACE Aviation Inc. Plusieurs anciennes divisions et filiales du groupe d’Air Canada ont été converties en sociétés en commandite relevant directement ou indirectement de Gestion ACE Aviation Inc. 13. La LLO a continué de s’appliquer à Air Canada, mais Gestion ACE Aviation Inc. et les nouvelles personnes morales lui appartenant n’étaient pas assujetties aux dispositions de la LLO.
À partir de 2006, Jazz a subi une réorganisation et est devenue une société en commandite. Depuis lors, l’entreprise est détenue de manière indépendante par une fiducie de revenu distincte. Jazz assure l’exploitation de vols au nom d’Air Canada, sous la bannière « Air Canada Express » tout comme c’est le cas pour trois autres compagnies aériennes qui sont liées par contrat à Air Canada 14. Aéroplan 15 est aussi détenue de manière indépendante depuis 2008. Ces entreprises ne sont plus des filiales d’Air Canada, ni des sociétés dont les actions seraient détenues par l’actionnaire majoritaire d’Air Canada. Ces mouvements ont provoqué un vide juridique concernant les obligations des nouvelles entités aux termes de la LLO.
En août 2009, Air Canada a renouvelé son contrat de service avec Jazz pour une durée d’un peu plus de dix ans. En raison de ce contrat, Jazz est toujours tenue de communiquer avec le public et de lui fournir des services dans l’une ou l’autre langue officielle en vertu de l’article 25 de la LLO, ce qui signifie qu’elle doit offrir des services dans la langue de choix du public sur les trajets désignés bilingues. C’est aussi le cas pour les autres entreprises qui exercent leurs activités sous la bannière « Air Canada Express », mais elles ne sont pas assujetties aux autres dispositions de la LLO.
Depuis décembre 2009, AC Cargo 16 et ACGHS (« Services au sol Air Canada ») sont redevenues des divisions opérationnelles d’Air Canada et sont donc assujetties de nouveau à la LLO dans son entièreté.
Pour ce qui est d’AVEOS (« Services techniques Air Canada »), la LPPCAC et la LLO ne s’appliquaient pas du fait que cette entité constituait une société distincte au sein de la société mère 17. En mars 2012, AVEOS a annoncé la liquidation de ses actifs. La maintenance et la réparation des avions d’Air Canada sont désormais assurées par Maintenance Air Canada; ses quelque 2 300 employés sont à l’œuvre dans les installations de la Société et sont donc assujettis à la LLO 18.
Au cours des dernières années, la participation financière de Gestion ACE Aviation Inc. dans Air Canada n’a pas cessé de varier. Alors qu’à sa création en 2004, la société mère détenait 100 % des actions d’Air Canada, sa part n’était que de 11,11 % au 30 juin 2012 19. Bien que ses intérêts soient minoritaires, Gestion ACE Aviation Inc. demeure à ce jour le principal actionnaire de la Société, mais elle est en voie de liquidation 20.
Les exigences imposées à Air Canada en matière de langues officielles ont suscité beaucoup de controverse et ont été examinées maintes fois par des comités parlementaires, de 2001 à aujourd’hui.
En juin 2001, le Comité mixte permanent des langues officielles (ci-après le « Comité mixte permanent ») a déposé un rapport intérimaire sur les services bilingues offerts par Air Canada 21. Il a présenté deux recommandations au gouvernement, la première concernant le fait de mettre à la disposition de tous les voyageurs des formulaires de commentaires sur les services dans les deux langues officielles, et la seconde, le fait d’indiquer clairement la disponibilité des services bilingues en vol et au sol.
En février 2002, le Comité mixte permanent a déposé un rapport dans lequel il a formulé 16 recommandations dans le but d’empêcher Air Canada de contrevenir à la LLO 22. Les recommandations portaient sur un éventail de sujets (p. ex. offre, disponibilité et qualité des services bilingues, plan d’action linguistique, formation linguistique, recrutement des effectifs).
Le Comité mixte permanent a également demandé au gouvernement de réexaminer l’article 10 de la LPPCAC « afin que le libellé précise que la Société Air Canada et ses filiales doivent être assujetties à la Loi sur les langues officielles, dans son entièreté, au même titre qu’une institution fédérale 23 ». Le Comité mixte permanent était d’avis que « les règlements et les dispositions linguistiques visant Air Canada [devaient être] adéquates et [comporter] un régime d’exécution efficace, entre autres à l’aide de sanctions, contraventions ou autres mesures en cas de non-observance 24 ». Il a aussi demandé que la LPPCAC établisse « clairement que la Loi sur les langues officielles a préséance sur les conventions collectives 25 ». Les membres de l’Alliance canadienne qui ont participé aux travaux du Comité mixte permanent ont rendu public un rapport minoritaire, selon lequel les exigences en matière de langues officielles nuisaient à la capacité d’Air Canada de concurrencer d’autres entreprises de transport aérien; ils ont donc recommandé que toutes les mentions de la LLO soient retirées de la LPPCAC.
En 2004, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes (ci-après le « Comité permanent de la CdC ») a entendu une nouvelle fois des témoignages sur la question des langues officielles à Air Canada. L’entreprise de transport aérien a déclaré devant le Comité permanent de la CdC que les exigences en matière de langues officielles étaient problématiques à maints égards :
Conformément aux recommandations faites par le Comité mixte permanent dans son rapport de février 2002, Air Canada a donc demandé que le gouvernement du Canada :
En réponse à cette requête, quelques membres du Comité permanent de la CdC ont souligné qu’Air Canada, sachant être assujettie aux exigences en matière de langues officielles, aurait dû tenir compte des coûts connexes lors de l’acquisition des Lignes aériennes Canadien International 29. C’est par la suite, en mai 2005, que le gouvernement a procédé au dépôt du premier projet de loi modificatif (C-47) sur la participation publique au capital d’Air Canada.
En juin 2006, le Comité permanent de la CdC a déposé une étude sur l’assujettissement de Gestion ACE Aviation Inc. à la LLO 30. Le rapport contenait cinq recommandations insistant sur la nécessité de déposer un nouveau projet de loi. Ce dernier devrait, selon le Comité permanent de la CdC :
Le Comité permanent de la CdC demandait en outre à ce que le nouveau projet de loi lui soit renvoyé directement. C’est alors que le gouvernement a procédé au dépôt du projet de loi C-29, en octobre 2006, puis à celui du projet de loi C-36, en décembre 2007.
En juin 2008, le Comité sénatorial permanent des langues officielles (ci-après, le « Comité sénatorial ») a déposé un rapport sur le bilinguisme du personnel d’Air Canada 31. Les sujets qui avaient été abordés dans le rapport touchaient au recrutement de personnel bilingue, à la formation linguistique du personnel et aux ressources financières. Le rapport du Comité sénatorial contenait cinq recommandations. Le gouvernement n’a pas eu l’occasion d’y répondre avant la fin de la 39e législature.
Les représentants d’Air Canada ont de nouveau comparu devant le Comité permanent de la CdC en 2009 et 2010. Malgré le grand nombre de plaintes portées par les voyageurs insatisfaits de l’offre de services en français de la part du transporteur aérien, Air Canada a tenu à mettre en lumière un certain nombre d’initiatives qui ont été mises en œuvre pour améliorer l’offre de services dans les deux langues officielles. Les problèmes associés au grand nombre d’employés unilingues anglophones et au manque d’appui financier de la part du gouvernement fédéral pour la formation linguistique des employés, tous deux issus des fusions qui ont eu lieu durant les années 2000, ont encore une fois été soulevés.
Le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités a aussi été appelé à comparaître devant le Comité permanent de la CdC. Le Ministre a parlé des efforts déployés par la Société pour assurer le respect de ses obligations, notamment au moment de la tenue des Jeux olympiques et paralympiques de 2010 à Vancouver et à Whistler. Il a reconnu la nécessité de déposer un nouveau projet de loi en tenant compte des changements apportés à la structure du transporteur aérien.
Les membres du Comité permanent de la CdC ont rappelé l’importance pour Air Canada de mettre à jour son Plan d’action linguistique et ont rappelé à la Société les obligations qui lui incombent en vertu de la LLO. En ce qui a trait au recrutement d’employés bilingues, les membres du Comité permanent de la CdC ont suggéré que des campagnes soient entreprises au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Ontario.
En mai 2010, le Comité permanent de la CdC a déposé un rapport à la Chambre des communes invitant « le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités à déposer un projet de loi assujettissant Air Canada, ses filiales et ses partenaires à la Loi sur les langues officielles, de sorte qu’il soit étudié par le Comité dès ce printemps 32 ». Un an et demi plus tard, le gouvernement a déposé le projet de loi C-17.
La plus récente comparution d’Air Canada devant un comité parlementaire au sujet de ses obligations linguistiques a eu lieu le 28 novembre 2011 devant le Comité sénatorial. Encore une fois, les représentants de la Société ont rappelé leur engagement envers le respect des obligations qui découlent de la LLO, tout en reconnaissant que du travail reste à faire pour offrir des services bilingues de façon plus uniforme dans tout le pays 33. Les représentants d’Air Canada se sont opposés au projet de loi C-17, jugeant son adoption inutile 34 (voir la rubrique « 3 Commentaires » du présent résumé législatif).
Le Comité sénatorial a déposé en mars 2012 un rapport 35 dans lequel il présentait des observations au sujet du projet de loi C-17. Le Comité sénatorial n’a pas formulé de recommandation formelle à cet égard, mais a tout de même encouragé le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités à considérer un certain nombre d’éléments dans le cadre de l’étude du projet de loi. Le gouvernement a répondu :
Air Canada est l’une des trois institutions qui, année après année, font régulièrement l’objet de plaintes auprès du Commissariat aux langues officielles. Ce problème existe depuis l’adoption de la première Loi sur les langues officielles, en 1969. Au cours des six dernières années, ce sont les services au public qui ont fait l’objet de la grande majorité des plaintes déposées contre la Société. L’année 2010-2011 fait exception à la règle, puisque plus de 9 plaintes sur 10 ont touché à la langue de travail. Le nombre de plaintes déposées contre la Société a fortement diminué en 2011-2012.
Note :Source : Tableau préparé par les auteures en fonction des données contenues dans les rapports annuels du Commissariat aux langues officielles et d’autres données fournies par le Commissariat.Année | Nombre de plaintes recevables |
Service au public (partie IV)a |
Langue de travail (partie V) |
Participation équitable (partie VI) |
Développement et promotion (partie VII) |
Rang parmi les institutions ayant fait l’objet de plaintesb |
---|---|---|---|---|---|---|
2000-2001 | 137 | n.d.c | n.d. | n.d. | n.d. | 2 |
2001-2002 | 143 | n.d. | n.d. | n.d. | n.d. | 1 |
2002-2003 | 127 | n.d. | n.d. | n.d. | n.d. | 2 |
2003-2004 | 58 | n.d. | n.d. | n.d. | n.d. | 3 |
2004-2005 | 84 | n.d. | n.d. | n.d. | n.d. | 1 |
2005-2006 | 69 | n.d. | n.d. | n.d. | n.d. | 1 |
2006-2007 | 61 | 57 | 2 | 0 | 2 | 1 |
2007-2008 | 86 | 76 | 6 | 0 | 4 | 1 |
2008-2009 | 75 | 67 | 7 | 0 | 1 | n.d. |
2009-2010 | 71 | 61 | 10 | 0 | 0 | n.d. |
2010-2011 | 483 | 34 | 449 | 0 | 0 | n.d. |
2011-2012 | 35 | 29 | 6 | 0 | 0 | n.d. |
a. Les parties mentionnées ici sont celles de la Loi sur les langues officielles. [ Retour au texte ]
b. Ces données ne sont plus comptabilisées depuis 2008-2009 par le Commissariat. [ Retour au texte ]
c. Données non disponibles. [ Retour au texte ]
Entre 2007 et 2009, le commissaire aux langues officielles a présenté des critiques sévères au sujet du respect des obligations linguistiques qui incombent à Air Canada et aux nouvelles sociétés et a dit craindre que le vide juridique perdure. Les principales critiques touchaient au nombre de plaintes reçues, aux lacunes concernant l’attribution des postes bilingues et le recrutement de personnel bilingue, au manque de respect des obligations de la Société en matière de langue de travail et aux piètres services offerts dans les deux langues officielles par Air Canada dans certains aéroports canadiens. De l’avis du commissaire, il était nécessaire que le gouvernement modifie la LPPCAC.
Dans deux de ses derniers rapports annuels, le commissaire a présenté des recommandations demandant au ministre des Transports de déposer un projet de loi pour assurer la protection et le maintien des droits linguistiques du public voyageur et du personnel d’Air Canada. Dans le rapport annuel de 2008-2009, la recommandation du commissaire se lisait comme suit :
Le commissaire recommande au ministre des Transports de déposer sans tarder un nouveau projet de loi ayant pour objet la protection et le maintien des droits linguistiques du public voyageur et du personnel d’Air Canada, quelle que soit la nature des modifications apportées à la structure et à l’organisation de l’industrie du transport aérien 37.
Dans le second volume de son rapport annuel 2009-2010, il a présenté la recommandation suivante :
Le commissaire recommande au ministre des Transports de déposer sans tarder un nouveau projet de loi visant à protéger et maintenir les droits linguistiques du public voyageur et du personnel d’Air Canada, et à assujettir Jazz directement à l’application de la Loi sur les langues officielles 38.
Lors de sa comparution devant le Comité permanent de la CdC, le 31 mars 2010, le commissaire a soutenu que le futur projet de loi devrait :
En somme, le commissaire aux langues officielles était d’avis qu’un nouveau projet de loi devrait tenir compte des droits linguistiques du public voyageur, des droits linguistiques des employés de la Société et de la structure changeante du transporteur national. Le commissaire persiste à croire que Jazz devrait être directement assujetti à la LLO, tant pour la partie IV (communications avec le public et services) que la partie V (langue de travail).
En septembre 2011, le commissaire aux langues officielles a publié le rapport de sa vérification sur la prestation des services bilingues aux passagers d’Air Canada 42. Douze recommandations ont été présentées à l’intention d’Air Canada. La vérification visait à déterminer si Air Canada :
La vérification a montré qu’Air Canada « devra faire preuve d’un leadership solide et prendre un engagement sincère relativement à la dualité linguistique à tous les niveaux hiérarchiques 43». Le commissaire s’est dit satisfait des mesures et échéanciers proposés par Air Canada pour mettre en œuvre ses recommandations, sauf en ce qui concerne les mesures prises par la Société pour le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Dans son rapport annuel 2011-2012, le commissaire a réitéré l’importance de consulter ces communautés 44.
Le 24 et le 25 octobre 2011, le commissaire aux langues officielles a comparu devant les deux comités parlementaires sur les langues officielles. Il a brièvement commenté le projet de loi C-17, en indiquant que ce dernier constitue selon lui un pas dans la bonne direction. Le commissaire a cependant constaté l’absence de certains éléments importants, parmi lesquels la langue de travail. En effet, le projet de loi n’assujettit pas les entités désignées par décret aux obligations décrites à la partie V de la LLO. Pourtant, le Commissariat a reçu en 2010-2011 plus de 400 plaintes contre Air Canada concernant des questions liées à la langue de travail 45.
À l’été 2011, la Cour fédérale du Canada a rendu une décision dans l’affaire Thibodeau 46. Le recours avait été intenté en mars 2010 par M. et Mme Thibodeau, à la suite de nombreuses plaintes déposées auprès du Commissariat. Ces plaintes portaient sur l’absence de service en français sur certains vols d’Air Canada et de Jazz. Les plaignants ont demandé à la Cour fédérale de rendre une ordonnance pour obliger Air Canada à se conformer à la partie IV de la LLO. Le commissaire aux langues officielles est intervenu devant la Cour dans cette affaire.
Dans son jugement, rendu en juillet 2011, la Cour a conclu que la Société n’avait pas respecté ses obligations linguistiques aux termes de la LLO. La Cour a ordonné le versement de dommages-intérêts à M. et Mme Thibodeau (une somme de 12 000 $) et l’instauration d’un système de surveillance visant à identifier, documenter et quantifier d’éventuelles violations aux obligations linguistiques de la Société. Ce système, selon la Cour, doit aussi viser les activités de Jazz, notamment lorsque Jazz « n’affecte pas des agents de bord en mesure d’assurer des services en français à bord des vols à demande importante de services en français 47 ».
Air Canada a décidé de porter la décision en appel en vue d’obtenir un sursis d’exécution de certaines ordonnances rendues par le tribunal de première instance. La Cour d’appel fédérale a rendu son jugement le 25 septembre 2012 48. Elle a reconnu qu’Air Canada a manqué à ses obligations d’offrir des services en français, mais a statué que le transporteur n’a pas l’obligation d’instaurer un système de surveillance pour identifier et quantifier les violations à la LLO. La Cour d’appel a aussi réduit le montant du versement de dommages-intérêts à 3 000 $. Une demande d’autorisation d’appel a été déposée le 26 novembre 2012.
Rappelons qu’en 2005, la Cour fédérale avait rendu un autre jugement visant Air Canada 49. M. Thibodeau s’était plaint du manque de service en français à bord d’un vol d’Air Canada et avait porté plainte au Commissariat. Dans cette affaire, la Cour a confirmé la préséance des obligations linguistiques d’Air Canada sur les dispositions des conventions collectives de la Société. En d’autres mots, selon la Cour, Air Canada doit prendre des mesures pour faire en sorte que ses syndicats respectent la LLO. La Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement en 2007 50, obligeant ainsi Air Canada à verser une somme de 7 000 $ à M. Thibodeau. Cette décision est venue confirmer les droits linguistiques du public voyageur utilisant les services de la Société et l’obligation qu’a cette dernière d’offrir des services dans les deux langues officielles.
Air Canada avait conçu un Plan d’action linguistique pour la période 2001-2010, en réponse aux défis posés par la fusion avec les Lignes aériennes Canadien International au début des années 2000. Le Plan d’action a été mis à jour pour la période 2011-2014 et comporte des engagements à l’égard du leadership de la direction, du recrutement, des communications et de la formation auprès du personnel, des normes de service, de la vérification et du rendement et des communautés 51. Il a comme objectif de :
Comme il a été mentionné plus tôt, le projet de loi C-17 est le plus récent d’une série de projets de loi modificatifs portant sur la participation publique au capital d’Air Canada.
Le 2 mai 2005, le ministre des Transports de l’époque, l’honorable Jean Lapierre, a déposé le projet de loi C-47 53 afin d’étendre les obligations linguistiques d’Air Canada à ses partenaires et d’établir des dispositions sur le lieu du siège social de Gestion ACE Aviation Inc. et sur le droit des personnes qui communiquent avec elle. Le projet de loi modifiait la LPPCAC pour que les entreprises qui succèdent à Air Canada respectent certaines exigences en matière de langues officielles. Pour Jazz et les nouvelles entreprises, seules les parties IV, VIII, IX et X de la LLO se seraient appliquées. Le projet de loi maintenait le statu quo à l’égard des obligations linguistiques d’Air Canada, telles qu’elles existaient avant la restructuration du début des années 2000. Le nom de la loi régissant Air Canada aurait été remplacé par la Loi sur Air Canada et les entités de son groupe. Ce projet de loi est mort au Feuilleton à l’étape de l’étude en comité, en novembre 2005.
Un projet de loi semblable a été déposé le 18 octobre 2006, avec le numéro C-29 54 par l’honorable Lawrence Cannon, ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités. Ce projet de loi remanié tenait compte de certaines recommandations formulées par le Comité permanent de la CdC dans son rapport déposé en juin 2006, mais est mort au Feuilleton à l’étape de la deuxième lecture, en septembre 2007. Son adoption aurait eu pour conséquence d’exempter certaines entités des exigences en matière de langues officielles, de maintenir le siège social de Gestion ACE Aviation Inc. à Montréal et de garantir certains droits au public en matière de services bilingues. Le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, était d’avis qu’il y avait des lacunes techniques dans ce projet de loi, étant donné l’absence d’obligations linguistiques pour les employés de Jazz.
Par la suite, le projet de loi C-36 55 a été déposé le 10 décembre 2007 par le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités. Ce projet de loi reprenait les grandes lignes de la version déposée au cours de la session précédente, mais ne tenait pas compte des préoccupations du commissaire aux langues officielles à propos des obligations linguistiques de Jazz en matière de langue de travail. Ce projet de loi n’a pas franchi l’étape de la première lecture et il est mort au Feuilleton en septembre 2008.
Les articles 2 à 4 du projet de loi C-17 apportent des modifications à la LPPCAC en vue d’assujettir les transporteurs aériens désignés, d’inclure des dispositions dans les statuts de la société Gestion ACE Aviation Inc. et d’exempter les transporteurs avec lesquels Air Canada n’a que des accords de partage de codes.
L’article 2 du projet de loi propose l’ajout de trois nouveaux articles à la suite de l’article 10 de la LPPCAC.
À l’heure actuelle, l’article 10 de la LPPCAC prévoit que l’article 25 de la LLO, qui touche aux services offerts par les tiers, s’applique sous certaines conditions. Le nouvel article 10.01 ajoute une exception au paragraphe 10(1) de la LPPCAC en exemptant Air Canada de l’application de l’article 25 de la LLO à l’égard des services aériens fournis par les transporteurs avec lesquels elle n’a que des accords de partage de codes. Ce nouvel article vise les services aériens qui :
Le partage de codes est une pratique commerciale utilisée par les compagnies aériennes régulières, selon laquelle un partage s’effectue avec d’autres partenaires pour un même vol. En d’autres mots, une compagnie aérienne peut exploiter un vol, alors qu’une ou plusieurs autres compagnies en font la commercialisation et peuvent vendre des sièges en leur nom. Ce type de pratique permet à une compagnie aérienne d’offrir plus de destinations et plus de liaisons, mais sans garantie que les services offerts seront similaires d’une compagnie à l’autre. Air Canada a conclu des accords de partage de codes avec de nombreuses compagnies aériennes à travers le monde 56.
Le nouvel article 10.02 permet au gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre des Transports, de désigner par décret une ou plusieurs entités auxquelles les parties IV, IX et X de la LLO s’appliquent. La partie IV touche aux communications avec le public et à la prestation de services; la partie IX traite du mandat du commissaire aux langues officielles et de son pouvoir d’enquêter sur les plaintes qu’il reçoit; la partie X permet à tout plaignant qui s’estime lésé d’intenter un recours devant la Cour fédérale.
Le nouvel article 10.03 définit les termes « client », « expéditeur », « service aérien », « services connexes » et « trajet » dans le contexte des nouveaux articles 10.01, 10.02 et 10.03. Ces définitions reprennent celles données au paragraphe 10(10) de la LPPCAC, à quelques nuances près, et les appliquent aux entités désignées par décret.
La définition du terme « client » est assez générale et inclut toute personne qui utilise ou a l’intention d’utiliser un service aérien à titre de passager, d’expéditeur ou de consignataire.
Pour sa part, le terme « expéditeur » est repris tel quel de l’article 6 de la Loi sur les transports au Canada, c’est-à-dire une « personne qui expédie des marchandises par transporteur, ou en reçoit de celui-ci, ou qui a l’intention de le faire 57 ».
La définition du terme « service aérien » provient du paragraphe 55(1) de la Loi sur les transports du Canada, c’est-à-dire un « service offert, par aéronef, au public pour le transport des passagers, des marchandises, ou des deux 58 ». Un élément s’ajoute à la définition puisque le projet de loi y assimile les services connexes.
Les « services connexes » correspondent à quatre types de services : la billetterie et la réservation, les renseignements relatifs aux trajets et aux tarifs (p. ex. avis et annonces), les services offerts aux clients à l’aéroport (p. ex. contrôle des passagers, annonces, services au comptoir), de même que la procédure applicable à la réclamation des bagages ou du fret et les services à la clientèle.
Enfin, le « trajet » consiste en un trajet emprunté par un service aérien effectué par le même aéronef entre deux points, la tête de ligne et le terminus du service, et qui comprend ou non une escale. Cette définition s’apparente à celle donnée à l’article 2 du Règlement sur les langues officielles – communications avec le public et prestation des services.
Selon la LPPCAC, Air Canada doit conserver son siège social à Montréal. L’article 3 du projet de loi étend cette exigence à Gestion ACE Aviation Inc., société de portefeuille qui détient des actions d’Air Canada.
Selon l’article 10.2, les statuts de Gestion ACE Aviation Inc. sont réputés contenir des dispositions l’obligeant à garantir au public le droit de communiquer avec son siège social et d’en recevoir les services dans l’une ou l’autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour tous les autres lieux où elle offre des services où l’emploi des deux langues officielles fait l’objet d’une demande importante eu égard au public à servir. Ses statuts sont également réputés inclure des dispositions indiquant le maintien de son siège social dans la région métropolitaine de Montréal.
Selon l’article 10.3, Gestion ACE Aviation Inc. ne peut demander sa prorogation sous le régime d’une autre autorité législative, c’est-à-dire que l’entreprise doit être constituée en personne morale conformément à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Gestion ACE Aviation Inc. ne peut modifier ses statuts ou ses règlements administratifs de façon à les rendre incompatibles avec les exigences décrites plus haut concernant la langue et le siège social.
L’article 4 du projet de loi prévoit que la loi proposée entrera en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret.
Cette section résume quelques-unes des principales différences entre le projet de loi C-17 et ses prédécesseurs, dont il a été question dans les sections précédentes du présent résumé législatif.
Contrairement aux versions qui l’ont précédé, le projet de loi C-17 ne désigne pas spécifiquement les entités auxquelles la LLO doit s’appliquer. Son prédécesseur immédiat, le projet de loi C-36, prévoyait des dispositions pour assujettir Jazz et les « nouvelles entreprises » à la LLO par la voie réglementaire. De son côté, le projet de loi C-17 prévoit que l’assujettissement des transporteurs aériens se fera par décret. Bien qu’une telle pratique comporte une grande flexibilité en cas d’éventuelles désignations, elle laisse aussi un large pouvoir discrétionnaire au gouverneur en conseil et au ministre des Transports.
Comme le projet de loi mentionne les transporteurs « ayant conclu un contrat avec Air Canada », on peut se demander si des entités autres que celles exerçant leurs activités sous la bannière « Air Canada Express » pourraient être visées. À l’heure actuelle, quatre compagnies tierces opèrent des vols au nom de la Société et sont liées par contrat à cette dernière. Il s’agit de Jazz (« Jazz Air »), Air Georgian (« Air Alliance »), Exploits Valley Air Services (« EVAS ») et les Lignes aériennes Sky Regional.
Lors de leur passage devant le Comité sénatorial, les représentants d’Air Canada ont mentionné que les dispositions prévues à l’article 25 de la LLO, qui touchent aux services offerts par les tiers, étaient suffisantes 59. Selon eux, il n’y a pas lieu d’assujettir les transporteurs aériens désignés ayant conclu un contrat avec Air Canada aux parties IV, IX et X de la LLO, comme le prévoit le projet de loi C-17.
Pourtant, le commissaire aux langues officielles a souligné dans son rapport annuel 2009-2010 que son incapacité à procéder à des enquêtes directement auprès de Jazz constituait un problème. Selon ce qui est prévu actuellement, « le commissaire peut formuler des recommandations à l’égard d’Air Canada s’il y a manquement aux dispositions de la [LLO], mais Air Canada demeure responsable de s’assurer que les mesures correctives sont prises par Jazz 60 ». C’est d’ailleurs pour cette raison que le commissaire avait recommandé d’assujettir Jazz directement à l’application de la LLO. Comme l’indique le document d’information rendu public par Transports Canada, les modifications prévues dans le projet de loi C-17 « permettront au commissaire aux langues officielles d’enquêter auprès des compagnies engagées sous contrat par Air Canada en cas de plainte et de vérifier directement leur rendement en matière de langues officielles 61 ».
Il est intéressant de noter que les dispositions concernant Gestion ACE Aviation Inc. n’ont pas changé depuis le dépôt du premier projet de loi (C-47) en 2005. Aux yeux du ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, la nécessité d’assujettir Gestion ACE Aviation Inc. aux obligations en matière de communications au public et aux dispositions concernant le lieu de son siège social semble demeurer.
Selon la LPPCAC, Air Canada doit maintenir son siège social à Montréal et ses centres d’entretien et de révision à Montréal, Winnipeg et Mississauga. Les sociétés en commandite qui relèvent directement ou indirectement de Gestion ACE Aviation Inc., comme Jazz ou Aéroplan, n’y sont pas assujetties. Or, Gestion ACE Aviation Inc. ne possède plus que 11,11 % des parts d’Air Canada, selon les données du 30 juin 2012 62. De plus, Gestion ACE Aviation Inc. est en voie de liquidation. Dans ce contexte, il convient de se demander si les dispositions du projet de loi portant sur l’assujettissement de Gestion ACE Aviation Inc. ne risquent pas de devenir caduques prochainement. D’ailleurs, les représentants d’Air Canada ont souligné en comité parlementaire que les dispositions du projet de loi C-17 au sujet de Gestion ACE Aviation Inc. étaient inutiles compte tenu que la compagnie ne détient plus que des intérêts minoritaires dans Air Canada 63.
La version précédente du projet de loi (C-36) prévoyait des dispositions pour assujettir Jazz et les « nouvelles entreprises » à la partie VIII de la LLO, ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi C-17. Cela signifie que les entités désignées par décret ne seraient pas assujetties aux principes et programmes fédéraux d’application des parties IV, V et VI de la LLO établis par le Conseil du Trésor. Ce dernier ne pourrait donc pas surveiller et vérifier l’observation des principes, instructions et règlements en matière de langues officielles auprès des entités désignées, comme il le fait pour Air Canada.
Enfin, le projet de loi C-17 ne traite toujours pas de la question de la langue de travail des employés dans les entités d’Air Canada (partie V de la LLO), et ce, malgré les nombreuses critiques formulées par le commissaire aux langues officielles et les comités parlementaires à ce sujet au cours des dernières années. Devant le Comité sénatorial, les représentants d’Air Canada ont indiqué qu’il serait inapproprié d’imposer des obligations en matière de langue de travail aux entités présentement liées par contrat avec la Société. Selon eux, les coûts engendrés et les ressources nécessaires pour répondre à ces obligations seraient considérables; la Société pourrait même courir le risque de voir interrompus ses contrats avec ces entreprises 64. Le gouvernement a adopté la même position dans sa réponse au rapport du Comité sénatorial, affirmant qu’il n’entendait pas imposer de nouvelles obligations en matière de langue de travail aux transporteurs aériens qui ont conclu un contrat avec Air Canada 65.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
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