Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-65 : Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (titre abrégé : « Loi sur le respect des collectivités »)1 a été déposé à la Chambre des communes le 6 juin 2013 par l’honorable Leona Aglukkaq, alors ministre de la Santé.
Les modifications les plus notables apportées par le projet de loi C-65 visent l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS)2. L’article 56 porte sur les conditions dans lesquelles le ministre de la Santé peut envisager d’accorder une exemption à l’application de toute disposition de la LRCDAS ou de ses règlements pour des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public. Les modifications apportées à l’article 56 concernent expressément les conditions d’exemption relatives à l’exploitation des sites de consommation supervisée au Canada. Le terme « site de consommation supervisée » sera utilisé dans le présent résumé législatif lorsqu’il est question du projet de loi (ce terme est défini au nouveau par. 56.1(1) de la LRCDAS – voir la section 2.1 « Définitions (art. 5) » du présent résumé). D’autres sources citées dans le présent résumé, dont la Cour suprême du Canada, utilisent les termes « centre d’injection supervisée » ou « centre d’injection sécuritaire3 ».
Selon le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies :
Établissements spécialisés, les centres d’injection sécuritaires ou supervisés proposent aux utilisateurs de drogues injectables un endroit propre, sécuritaire et tranquille où du matériel d’injection stérile est distribué. De plus, des professionnels de la santé et des services sociaux sont sur place pour traiter les problèmes de santé, offrir des services de counseling et faciliter l’accès à la désintoxication et au traitement. La supervision est assurée par des professionnels qualifiés dans les pratiques d’injection à faible risque et la prise en charge des surdoses4.
Ailleurs, à l’étranger, certains organismes, comme l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies de l’Union européenne, donnent aux sites d’injection supervisée le nom de « salles de consommation de drogues », qui sont définies comme des établissements de santé supervisés par des professionnels où les toxicomanes peuvent consommer des drogues dans des conditions plus sécuritaires et plus hygiéniques5. Ces salles visent à apporter une solution aux problèmes de santé publique et aux problèmes communautaires associés à certains groupes de toxicomanes, en particulier ceux qui s’injectent en public ou dans d’autres conditions présentant des risques élevés6.
La création de sites supervisés pour les utilisateurs de drogues injectables découle des inquiétudes, dans les années 1980, que soulevait la propagation rapide des pathogènes à diffusion hématogène (comme le VIH et l’hépatite C) dans ce groupe de toxicomanes7. Les sites correspondent à une approche de réduction des méfaits de la toxicomanie axée sur des interventions visant à atténuer les conséquences néfastes pour la santé et sur le plan social de la toxicomanie, sans exiger de l’utilisateur qu’il arrête de se droguer. Cette approche repose sur le principe selon lequel de nombreux toxicomanes refusent de s’abstenir de consommer des drogues ou en sont incapables, et qu’il faut donc leur proposer des options qui réduisent au minimum les dommages ou les risques que pose leur consommation continue. Parmi ces risques, mentionnons les surdoses, les infections, la propagation de maladies transmissibles et les déchets contaminés. Il importe également de noter que les approches de réduction des méfaits n’excluent pas les méthodes fondées sur l’abstinence qui, elles, visent l’arrêt de la consommation de drogues. En fait, elles servent de passerelle vers les services de traitement et de réadaptation.
La LRCDAS est entrée en vigueur le 14 mai 1997. Elle remplaçait la Loi sur les stupéfiants8 et abrogeait certaines sections de la Loi sur les aliments et drogues9. La Cour suprême du Canada a statué que la LRCDAS avait un double objet : la protection de la sécurité publique et celle de la santé publique10.
La LRCDAS interdit la possession des drogues illégales énumérées dans de longues listes dans ses annexes. Aux termes de l’article 56 dans sa forme actuelle, le Ministre peut accorder une exemption d’application de tout ou partie de la LRCDAS ou de ses règlements pour des raisons médicales ou scientifiques ou dans l’intérêt public. Dans le cas d’un site de consommation supervisée, une telle exemption est nécessaire pour protéger le personnel et les autres personnes sur place de toute accusation de possession ou de trafic aux termes de la LRCDAS. Toutefois, même si l’article 56 autorise le Ministre à accorder de telles exemptions, la LRCDAS n’établit actuellement aucune exigence quant à la forme ou au contenu d’une demande d’exemption.
En septembre 2003, Insite, site d’injection supervisée situé dans le secteur est du centre-ville de Vancouver, a obtenu du Ministre une exemption conditionnelle de trois ans aux termes de l’article 56 de la LRCDAS. Insite est ainsi devenu le premier site d’injection supervisée sanctionné par la loi au Canada. Après avoir obtenu cette exemption, Insite a ouvert ses portes en 2003 grâce à un fonds de soutien du ministère des Services de santé de la Colombie-Britannique11. Insite est administré par Vancouver Coastal Health, un conseil régional de la santé, et la société de services communautaires Portland Hotel Society (PHS), société sans but lucratif qui fournit des logements supervisés et défend les intérêts des gens vivant dans le secteur est du centre-ville de Vancouver. Insite compte 12 cabines d’injection où les clients, sous la supervision d’infirmières et de personnel de la santé, s’injectent des drogues illicites qu’ils se sont procurées eux mêmes avant d’entrer dans l’établissement. Insite fournit le matériel propre nécessaire à l’injection (seringues, réchauds, filtres, eau et garrots). Le personnel infirmier est formé pour intervenir en cas de surdose et pour assurer d’autres services de santé, comme le traitement des blessures et les vaccinations. Insite compte également dans son personnel des conseillers en toxicomanie, des travailleurs en santé mentale et des pairs qui mettent les clients en liaison avec d’autres services communautaires (logement, traitement des toxicomanies et autres services de soutien). De plus, la clientèle d’Insite a accès sur place à un programme de prise en charge du sevrage, appelé Onsite, qui est un programme de désintoxication sous surveillance clinique.
Quand Insite a obtenu une exemption légale pour des raisons à la fois médicales et scientifiques, une étude devait être menée par le Centre d’excellence sur le VIH/sida de la Colombie-Britannique afin d’évaluer les services du site d’injection supervisée12. Cette étude a d’abord été financée par Santé Canada, puis par d’autres sources parce que l’évaluation a nécessité plus de temps que prévu. Le Centre d’excellence a publié ses conclusions dans le Journal de l’Association médicale canadienne, en novembre 200613.
En décembre 2006, le ministre fédéral de la Santé a demandé à un Comité consul-tatif d’experts d’évaluer l’incidence d’Insite par rapport à ses objectifs pour ce qui est d’accroître l’accès des toxicomanes aux soins de santé et au traitement de la toxicomanie, de réduire le nombre de décès par surdose, de réduire la transmission des infections virales à diffusion hématogène et d’autres infections liées à l’injection, et d’améliorer l’ordre public. L’étude portait sur Insite et sur des sites d’injection supervisée à l’étranger, notamment en Australie et en Europe14. Les conclusions du Comité consultatif d’experts, publiées en 2008, sont résumées au tableau 1.
Objectif officiel déclaré d’Insite | Conclusions du Comité consultatif d’experts |
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Accroître l’accès aux soins de santé et au traitement de la toxicomanie |
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Déterminer l’incidence sur les décès par surdose |
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Réduire la transmission des infections virales à diffusion hématogène et de celles liées à l’injection |
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Déterminer l’incidence sur l’ordre public |
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Déterminer la rentabilité et les coûts avantages |
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Source: Tableau préparé par les auteurs à l’aide des données tirées de INSITE de Vancouver et autres sites d’injection supervisés : Observations tirées de la recherche – Rapport final du Comité consultatif d’experts, Rapports et publications, Santé Canada, 31 mars 2008.
Après l’expiration de sa première exemption obtenue aux termes de l’article 56 de la LRCDAS, Insite a obtenu du gouvernement fédéral d’autres exemptions temporaires, en 2006 et 2007, afin de pouvoir mener à bien l’étude d’évaluation du centre. Toutefois, en 2008, le ministre de la Santé a décidé de ne pas renouveler l’exemption15. La société de services communautaires PHS, le procureur général de la Colombie-Britannique, le Vancouver Area Network of Drug Users et d’autres demandeurs ont donc intenté une action contre le gouvernement du Canada en faisant valoir qu’Insite n’était pas assujetti aux lois pénales fédérales interdisant la possession et le trafic de stupéfiants parce que le centre est un établissement de santé relevant de la compétence exclusive de la province ou parce que l’application du droit criminel violerait les droits des demandeurs garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), selon lequel « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale16 ».
L’affaire a été portée jusque devant la Cour suprême du Canada, qui a rendu sa décision le 30 septembre 2011 (Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society17). La Cour statue tout d’abord qu’Insite n’est pas soustrait à l’application de la LRCDAS pour des raisons de compétence provinciale, car, selon elle, l’essence même de la compétence provinciale en matière de soins de santé ne peut pas être explicitement définie en fonction de la jurisprudence actuelle, et elle ne peut pas être considérée comme étant à l’abri de toute ingérence fédérale, étant donné que le droit criminel fédéral peut s’appliquer – et s’applique de fait – aux questions de santé dans certains cas.
Ensuite, la Cour conclut que, d’après la preuve (y compris les conclusions du Comité consultatif d’experts), les services d’Insite sont nécessaires à la réduction des risques pour la santé associés à l’utilisation des drogues injectables. Par consé-quent, le fait de refuser l’accès à ces services aux termes du paragraphe 4(1) de la LRCDAS, qui porte sur les infractions liées à la possession de substances illégales aux termes de cette loi, mettrait en jeu la santé des demandeurs et constituerait donc une restriction de leurs droits garantis par l’article 7 de la Charte. Bien que, selon la Cour, le paragraphe 4(1) de la LRCDAS mette en jeu les droits que l’article 7 de la Charte garantit aux demandeurs, elle n’est pas d’avis que la LRCDAS, considérée dans sa globalité, porte atteinte à la Charte parce qu’elle autorise le Ministre à accorder des exemptions à la LRCDAS aux termes de l’article 56 pour des raisons de santé.
Toutefois, au sujet du refus du Ministre d’accorder à Insite une exemption aux termes de l’article 56, la Cour estime que la décision du Ministre porte atteinte aux droits que garantit aux demandeurs l’article 7 de la Charte, à savoir les droits relatifs à la vie, à la liberté et à la sécurité. Qui plus est, la Cour ajoute que la décision du Ministre n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, car elle fait entrave aux objectifs de la LRCDAS, y compris en matière de santé et de sécurité publiques, et crée pour les toxicomanes un risque de maladie et de mort qui l’emporte sur tout avantage possible18.
Par conséquent, la Cour a ordonné au Ministre d’accorder une exemption à Insite, mais elle laisse à sa discrétion les décisions concernant des demandes d’exemption futures pour Insite, d’autres sites d’injection supervisée ou d’autres lieux. Cependant, elle formule à son intention des conseils relativement à la façon d’accorder une exemption, y compris en précisant qu’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire conformément à la Charte et aux principes de justice fondamentale19. Il doit, en outre, dans sa décision d’accorder ou pas une exemption à un site d’injection supervisée, tenir compte de la preuve concernant l’incidence d’un tel centre sur le taux de criminalité, de la nécessité locale d’un tel lieu, de la structure réglementaire en place permettant d’encadrer le centre, des ressources disponibles pour son entretien et des expressions d’appui ou d’opposition dans la collectivité.
En réponse à l’arrêt de la Cour suprême du Canada, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-65 : Loi sur le respect des collectivités, qui vise à définir les critères dont le Ministre doit tenir compte lorsqu’il évalue la pertinence d’une exemption éventuelle aux termes de la LRCDAS20.
Comme il a été mentionné précédemment, les modifications les plus importantes que le projet de loi C-65 apporte à la LRCDAS visent l’article 56 de cette loi, qui porte sur les exemptions ministérielles. Le projet de loi modifie également les pouvoirs de réglementation définis à l’article 55 de la LRCDAS, et il confère certains pouvoirs supplémentaires aux inspecteurs relativement aux sites de consommation supervisée.
Entre autres choses, l’article 5 du projet de loi contient des définitions qui font partie intégrante de l’ensemble du projet de loi. Il en est donc question dans la présente section. Le reste de l’article 5 est analysé plus loin. Les définitions que le projet de loi ajoute au paragraphe 56.1(1) de la LRCDAS s’appliquent expressément aux sites de consommation supervisée. La LRCDAS qualifie de « substance désignée » chacune des centaines de substances répertoriées dans ses annexes I à VIII. Le projet de loi définit une « substance illicite » comme une substance désignée obtenue d’une manière qui n’est pas autorisée sous le régime de la LRCDAS. Un « site de consommation supervisée » est un endroit prévu dans les conditions fixées par le Ministre dans une exemption accordée en vertu de l’article 56 de la LRCDAS qui autorise, pour des raisons médicales, l’utilisation de substances illicites dans un environnement contrôlé.
Le projet de loi donne des définitions relatives à trois catégories de personnel des sites de consommation supervisée. La « personne responsable » est la personne désignée par le demandeur de l’exemption ministérielle pour veiller, lorsqu’elle se trouve au site de consommation supervisée, à ce que toutes les personnes ou catégories de personnes exemptées pour des raisons médicales respectent, dans le site, la LRCDAS, ses règlements et les conditions fixées dans l’exemption. Le libellé du projet de loi indique qu’il ne peut y avoir qu’une personne responsable, mais le demandeur de l’exemption peut désigner plus d’une « personne responsable suppléante » assumant les responsabilités de celle-ci en son absence. Enfin, les « principaux membres du personnel » sont les personnes désignées par le demandeur pour superviser directement la consommation des substances illicites au site de consommation.
Le projet de loi définit les « infraction[s] désignée[s] en matière criminelle » et les « infraction[s] désignée[s] en matière de drogue » pertinentes aux fins des exigences de déclaration dont il sera question plus loin dans le présent document. Les infractions désignées en matière criminelle sont définies comme suit :
Les infractions désignées en matière de drogue sont définies comme suit :
Enfin, le projet de loi définit l’« administration locale » et la « municipalité » en des termes usuels, si ce n’est que la notion d’administration locale comprend les conseils de « bande » et les gouvernements de « bande » (le terme « bande » étant défini au sens de la Loi sur les Indiens), et que la notion de « municipalité » inclut les réserves et les terres désignées (au sens de la Loi sur les Indiens), ainsi que les terres assujetties à un accord global sur l’autonomie gouvernementale.
Les pouvoirs des inspecteurs sont définis aux articles 30 à 32 de la LRCDAS. L’article 31 de cette loi autorise un inspecteur à procéder à la visite de tout lieu où il a des motifs raisonnables de croire que le titulaire d’une autorisation réglementaire l’habilitant à se livrer à des opérations concernant des substances désignées exerce son activité commerciale ou professionnelle. Les articles 2 et 3 du projet de loi modifient l’article 31 de façon à y inclure l’inspection des sites de consommation supervisée. Plus précisément, les inspecteurs peuvent procéder à la visite d’un site faisant l’objet d’une demande d’exemption ministérielle pour vérifier l’information contenue dans la demande, au besoin en exerçant les pouvoirs qui leur sont conférés à cette fin par la LRCDAS (par. 3(1)). Lorsqu’une exemption a été accordée, les inspecteurs peuvent procéder à une visite et exercer les pouvoirs qui leur ont été conférés pour vérifier que les conditions de l’exemption sont respectées (par. 3(1)).
L’article 3 du projet de loi modifie la LRCDAS en apportant des changements mineurs qui visent à simplifier le libellé de sa version anglaise (par. 3(2) et (4)). D’autres modifications élargissent les pouvoirs et les responsabilités existants des inspecteurs aux aspects de l’inspection concernant les sites de consommation supervisée et l’application des conditions de l’exemption ministérielle (par. 3(3) à (5)).
L’article 55 de la LRCDAS définit les pouvoirs de réglementation du gouverneur en conseil21. L’alinéa 55(1)n) l’habilite à prendre des règlements sur les qualifications, les pouvoirs et les fonctions des inspecteurs relativement à l’exécution de la régle-mentation. Le paragraphe 4(1) du projet de loi modifie ce pouvoir afin d’habiliter le gouverneur en conseil à prendre également des règlements concernant les fonctions des inspecteurs relatives au contrôle du respect des conditions d’une exemption ministérielle dans les sites de consommation supervisée.
L’alinéa 55(1)z) de la LRCDAS habilite le gouverneur en conseil à prendre des règlements soustrayant toute personne, catégorie de personnes ou substance désignée à l’application de la LRCDAS ou de ses règlements d’une manière semblable au pouvoir du Ministre prévu actuellement à l’article 56. Le para-graphe 4(2) limite toutefois ce pouvoir en disposant que le gouverneur en conseil ne peut pas soustraire à l’application de la LRCDAS des personnes ou des substances lorsqu’il s’agit de substances obtenues d’une manière non autorisée par la LRCDAS – c’est-à-dire de « substances illicites » au sens de l’article 56.1. Cela signifie que le gouverneur en conseil ne peut pas accorder d’exemptions aux sites de consommation supervisée, car leurs usagers apportent leurs propres drogues, habituellement obtenues de façon illégale.
Bien que le projet de loi l’empêche d’accorder des exemptions à des sites de consommation supervisée, le gouverneur en conseil peut réglementer certains aspects de l’exploitation de ces sites. Plus particulièrement, il peut, par règlement, définir des termes pour l’interprétation du nouvel article 56.1 et modifier les défini-tions créées dans le projet de loi. De plus, il peut, par règlement, fixer les renseignements à fournir dans une demande d’exemption présentée au ministre de la Santé aux termes de l’article 56.1, les circonstances dans lesquelles une exemption peut être accordée, les exigences relatives à une demande d’exemption et les conditions d’une exemption (par. 4(2)).
L’article 5 du projet de loi prévoit que les exemptions ministérielles ayant trait aux substances obtenues d’une manière non autorisée par la LRCDAS – ou « substances illicites » – doivent être accordées non pas aux termes de l’article 56, mais aux termes du nouvel article 56.1. Ce dernier comprend :
Le nouveau paragraphe 56.1(2) contient le principal pouvoir conféré en vertu du projet de loi. Il habilite le Ministre à soustraire toute personne ou catégorie de personnes ou toute substance illicite à l’application de la LRCDAS. Essentiellement, ce paragraphe donne au Ministre le pouvoir d’autoriser l’exploitation d’un site de consommation supervisée.
Le Ministre peut accorder l’exemption uniquement s’il est d’avis qu’elle est nécessaire à des fins de santé ou d’application de la loi, ou à d’autres fins prévues par la réglementation. L’exemption peut inclure toutes les conditions que le Ministre juge nécessaires. Il convient de signaler que le paragraphe n’oblige pas, en fait, le Ministre à étudier une demande, le libellé du paragraphe étant permissif plutôt que contraignant dans sa façon d’autoriser le Ministre à accorder une exemption.
Le Ministre ne peut étudier une demande que si elle est accompagnée des documents énoncés dans le nouveau paragraphe 56.1(3), créé par l’article 5 du projet de loi. Certains de ces documents sont obligatoires, tandis que d’autres ne sont demandés que si l’information est disponible. Le projet de loi ne dit pas au Ministre comment évaluer les renseignements que soumet le demandeur. Les exigences comprennent des données démographiques et scientifiques, des lettres de représentants des services de police locaux et des administrations locales et provinciales, des renseignements sur le personnel proposé, une description des procédures prévues et des rapports établis à la suite des consultations menées auprès de la collectivité.
Le demandeur doit fournir des données sur plusieurs sujets, mais dans certains cas, les données ne sont demandées que si elles sont disponibles. Certaines des données requises concernent les municipalités où il existe déjà des sites de consommation supervisée; d’autres visent plus particulièrement la municipalité où se trouvera où le site proposé. Sont notamment exigés :
Le demandeur doit fournir des lettres émanant de certains représentants identifiés des administrations locales et provinciales de la collectivité où sera installé le site. Dans chaque cas, la lettre doit exprimer l’opinion du représentant au sujet du projet et, dans certains cas, évoquer d’autres questions. Les lettres doivent provenir des personnes suivantes :
Le demandeur doit soumettre les mesures proposées pour répondre à certaines préoccupations exprimées à l’égard du site proposé, et indiquer les procédures qui seront mises en place dans le site en question. Les mesures proposées doivent comprendre les éléments suivants :
Le demandeur doit fournir des renseignements détaillés sur les membres les plus importants du personnel proposé pour le site, au sens du paragraphe 56.1(1) : la « personne responsable », toute « personne responsable suppléante » et tous les « principaux membres du personnel ». Il lui faut fournir les renseignements suivants pour chaque personne proposée pour une de ces trois catégories :
Le demandeur doit fournir les rapports suivants sur ses consultations avec plusieurs parties intéressées au sujet du site de consommation sécuritaire proposé :
Le demandeur doit également fournir tout autre renseignement que le Ministre juge pertinent et tout renseignement prévu par règlement (al. 56.1(3)z) et z.1)).
Les sites qui existent déjà peuvent redemander une exemption ministérielle aux termes du nouveau paragraphe 56.1(4), créé par l’article 5 du projet de loi. Le projet de loi ne précise pas dans quelles circonstances une demande subséquente est nécessaire. À moins d’indication contraire, les conditions d’une exemption sont entièrement à la discrétion du Ministre. Ces conditions comprendraient probablement une date d’expiration, comme l’exemption d’Insite, auquel cas la demande subséquente serait probablement présentée en prévision de l’expiration de l’exemption en place.
Les demandes subséquentes doivent comprendre tous les documents exigés en vertu du paragraphe 56.1(3). De plus, elles doivent inclure des données, s’il en existe, sur toute variation du taux de criminalité à proximité du site au cours de la période visée par la première exemption, ainsi que des données, s’il en existe, sur toute répercussion du site sur la santé individuelle ou sur la santé publique au cours de la période visée par l’exemption.
Le nouveau paragraphe 56.1(5), créé par l’article 5 du projet de loi, précise que le Ministre ne peut accorder des exemptions que dans des « circonstances exceptionnelles ». De plus, lorsqu’il décide s’il convient d’accorder une exemption, il doit tenir compte des principes suivants :
Le nouveau paragraphe 56.1(6), créé par l’article 5 du projet de loi, permet au Ministre de donner avis de toute demande d’exemption qui lui a été présentée. Si le Ministre donne un tel avis, le public dispose de 90 jours suivant la date de l’avis pour lui présenter ses observations. Ce paragraphe n’oblige pas le Ministre à donner un tel avis.
Le projet de loi C-65 entre en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret.
L’Association canadienne des policiers a exprimé publiquement son appui au projet de loi C-65 et déclaré qu’il faudrait « exiger que les demandeurs remplissent des critères rigoureux avant que la création d’un site de consommation supervisée ne soit envisagée24 ». Le président de l’Association, Tom Stamatakis, a expliqué que, selon son expérience, les sites de consommation supervisée « entraînent […] une augmentation du comportement et de l’agitation de nature criminelle à proximité des sites et que ces derniers ont une incidence considérable sur les ressources policières25 ».
Les réactions initiales d’autres intervenants au projet de loi étaient généralement négatives. L’Association médicale canadienne a déclaré que le projet de loi impose « des obstacles et des fardeaux inutiles à la création d’autres sites d’injection26 ». Dans la même déclaration, elle ajoute que le projet de loi « repose sur une idéologie visant à empêcher la prise d’initiatives d’atténuation des défis bien réels et des graves préjudices liés à la consommation de drogues27 ». D’autre part, dans sa réponse au projet de loi, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada a déclaré qu’« [u]n gouvernement réellement engagé à l’égard de la santé et de la sécurité publiques s’efforcerait d’améliorer l’accès aux services de prévention et de traitement, plutôt que de créer plus d’obstacles28 ». Le Dr Mark Tyndall, qui dirige le département des maladies infectieuses à l’Hôpital d’Ottawa, a fait valoir que les sites d’injection supervisée viennent en aide à certains des membres les plus vulnérables de la collectivité et que les politiques qu’il voit en filigrane dans le projet de loi ont, au fond, pour effet de criminaliser ce qui est un grave problème de santé29.
Le Réseau juridique canadien VIH/sida, la Coalition canadienne des politiques sur les drogues et la société juridique Pivot ont publié conjointement un communiqué dans lequel ils reprochent au projet de loi de « défier » la décision visant Insite et font valoir qu’il « fait fi du vaste corpus de données probantes indiquant que de tels services de santé sont nécessaires et efficaces [et] brime les droits humains des Canadien-nes aux prises avec une dépendance30 ». D’autres groupes de défense des personnes atteintes du VIH/sida ont exprimé des points de vue similaires31.
Dans leurs éditoriaux, plusieurs journaux canadiens ont reproché au projet de loi de ne pas tenir pleinement compte de l’arrêt de la Cour suprême du Canada ou de l’objectif des sites d’injection supervisée, qui est de sauver des vies32. En revanche, dans des éditoriaux qui ne portaient pas directement sur le projet de loi, certains autres journaux se sont déclarés opposés à la création de sites d’injection super-visée en mettant en doute le fait qu’ils atteignent leurs objectifs en matière de santé publique33.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
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