Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-6, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, a déjà été présenté au Sénat au cours de la 1re session de la 41e législature sous la forme du projet de loi S-10, qui est mort au Feuilleton lorsque le Parlement a été prorogé le 13 septembre 20131. À l’époque, le projet de loi S-10 avait été adopté au Sénat, lu une deuxième fois à la Chambre des communes et renvoyé au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Conformément à un ordre de la Chambre adopté le 21 octobre 2013 accordant au gouvernement de rétablir dans la nouvelle session les projets de loi à la dernière étape qu’ils avaient complétée lors de la session précédente, le projet de loi C-6, lorsqu’il a été présenté, a été réputé avoir été lu une deuxième fois et renvoyé au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Le Comité a terminé son examen du projet de loi le 10 décembre 2013, l’adoptant avec un amendement.
Le projet de loi vise à mettre en œuvre les engagements du Canada pris aux termes de la Convention sur les armes à sous-munitions (la CASM ou la Convention) pour que le Canada puisse ratifier le traité2. En vertu du système constitutionnel canadien, les obligations prises aux termes de traités internationaux doivent être mises en œuvre dans des mesures législatives adoptées par le Parlement pour pouvoir être appliquées directement en vertu du droit national.
Bien qu’il n’ait pas encore ratifié la Convention, le Canada l’a signée en décembre 2008, après avoir participé aux négociations menant à sa conclusion3. Le Canada est également le premier État à avoir présenté des rapports volontaires à l’Organisation des Nations Unies (ONU) au titre de la Convention4
Les armes à sous-munitions sont des armes conçues pour libérer des sous munitions explosives (ou petites bombes explosives) qui causent des pertes en vies humaines et des dommages au moyen d’explosions, d’effets incendiaires et de fragmentation. Larguées des airs ou lancées à partir du sol, les armes à sous-munitions peuvent libérer des dizaines, voire des milliers de sous-munitions; celles-ci se répandent normalement sur une grande surface et sont utilisées contre des blindés, d’autres équipements, de même que le personnel militaire5. Les armes à sous-munitions sont équipées de détonateurs mécaniques simples qui arment les sous-munitions en fonction de leur vitesse de chute; celles-ci explosent au moment de l’impact ou quelque temps après6.
Dans son rapport volontaire de 2013, le Canada indique qu’il possède des stocks d’environ 12 600 armes à sous-munitions, mais que ces armes ont été retirées du service actif en 2007. En septembre 2013, le Canada a indiqué qu’un processus d’attribution de contrat pour la destruction de celles-ci était en cours et qu’un contrat serait vraisemblablement accordé en 2014. Une fois le processus terminé, il faudra entre 12 et 24 mois pour détruire la réserve restante de sous-munitions du Canada7. Par l’intermédiaire d’Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada (MAECD), le Canada a financé, et finance toujours, diverses initiatives pour aider d’autres pays à éliminer de leur territoire les restes explosifs de guerre comme les armes à sous-munitions. Les fonds octroyés servent également à aider les victimes et à appuyer les efforts visant à interdire les armes à sous-munitions8.
Le présent résumé législatif traite des préoccupations d’ordre humanitaire soulevées par l’utilisation des armes à sous-munitions au cours de conflits armés et établit la relation entre la Convention et certains traités connexes se rapportant aux armes prohibées. Il présente ensuite un sommaire des dispositions du projet de loi, suivi d’un examen des commentaires portant sur cette mesure législative.
À l’échelle internationale, la signification de la CASM et sa mise en œuvre font l’objet d’un débat de taille. Les contestations concernent entre autres la nature et la portée de l’interdiction relative aux armes à sous-munitions en ce qui a trait aux activités menées par les forces militaires d’États qui ont ratifié la CASM (« États parties ») lorsqu’elles mènent des opérations conjointes avec des États qui n’ont pas ratifié la CASM, interdiction appelée également « exception relative à l’interopérabilité ».
Le droit international est le produit d’accords conclus entre des États souverains. Le droit international humanitaire est la branche du droit international régissant les conflits armés9. Bien que la guerre ne soit pas interdite en vertu du droit international, les moyens et les méthodes que les parties à un conflit armé peuvent choisir pour s’affronter doivent respecter certaines limites. En effet, des restrictions d’ordre juridique s’appliquent sans égard au « bien-fondé » de la cause que défend l’un ou l’autre camp.
Dans le contexte plus particulier de la CASM, il existe une règle de droit international humanitaire qui interdit aux parties à un conflit d’infliger des blessures superflues ou des souffrances inutiles relativement à l’avantage militaire direct et concret attendu de l’attaque. Ces parties sont en outre tenues de faire une distinction entre les objectifs militaires et les biens de caractère civil. Les attaques militaires doivent être planifiées de façon à épargner les civils et les biens de caractère civil autant que possible. Il est interdit de prendre délibérément comme cibles les civils et les biens de caractère civil. Enfin, selon l’un des principes fondamentaux du droit international humanitaire, même les actes qui ne sont pas expressément interdits ne sont pas nécessairement permis10. Ces règles juridiques internationales s’appliquent aux opérations militaires canadiennes11.
Dans la terminologie du droit international humanitaire, les armes qui ne font pas de distinction entre les cibles civiles et les cibles militaires sont appelées « armes qui frappent sans discrimination ». Les armes causant des blessures superflues ou des souffrances inutiles relativement à l’avantage militaire concret et direct attendu qu’elles apportent sont qualifiées d’armes produisant « des effets disproportionnés ». L’utilisation d’armes qui frappent sans discrimination ou d’armes produisant des effets disproportionnés constitue une violation du droit international12.
Les armes à sous-munitions ont des conséquences néfastes considérables pour les populations civiles pendant les conflits armés ainsi qu’après la fin des hostilités. Elles libèrent normalement une énorme quantité de sous munitions sur de vastes étendues, menaçant ainsi de causer de façon non délibérée des blessures à des civils pendant une attaque militaire ou immédiatement après celle-ci, en particulier lorsque les civils sont situés à proximité des cibles militaires. En outre, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) indique que « [c]omme ces sous munitions sont généralement à chute libre, elles peuvent frapper largement en dehors du périmètre cible si les armes ne sont pas correctement utilisées, s’il y a du vent ou en raison d’autres facteurs13 ».
Le CICR insiste sur le fait que les armes à sous-munitions sont des armes particulièrement problématiques parce qu’« un grand nombre de sous-munitions n’éclatent pas comme prévu, si bien que de vastes zones sont contaminées par des engins explosifs meurtriers14 ».
Les États qui continuent d’utiliser des armes à sous-munitions soutiennent que ce sont des armes légitimes ayant une utilité militaire évidente. Les nouvelles armes à sous munitions peuvent avoir un taux d’échec de moins de 1 % et peuvent être utilisées de façon à causer, dans les mêmes circonstances, moins de dommages civils non intentionnels qu’une seule grosse arme15. Les détracteurs des armes à sous munitions font néanmoins valoir que même si certaines nouvelles armes à sous-munitions ont des taux d’échec moins élevés que les armes qui les ont précédées et qu’elles sont plus exactes, elles sont « par leur conception même, des armes qui frappent sans discrimination sur de vastes étendues, ce qui fait qu’il est difficile de viser avec exactitude une cible16 ». Étant donné que des milliers, voire des millions de sous-munitions peuvent être libérées au moment d’une attaque, même les dispositifs ayant un faible taux d’échec créent des débris explosifs sur de vastes étendues.
En raison de leurs caractéristiques uniques, les armes à sous-munitions continuent de tuer et de blesser des milliers de civils des années après la cessation des hostilités actives17.
L’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement a constaté que le taux d’échec élevé des armes à sous-munitions peut « empêcher ou entraver le retour sans danger des réfugiés et des personnes déplacées et nuire aux efforts d’aide humanitaire, d’édification de la paix et de développement18 ». Les armes à sous-munitions non explosées posent également des risques pour le personnel de déminage et les organismes d’aide; il est en outre coûteux de les enlever de façon sécuritaire. Il a été démontré que les pertes de vie civiles et les mutilations infligées aux civils entraînent des répercussions socio-économiques et psychologiques à long terme pour les personnes visées, leur famille et leur collectivité19.
Quelques pays seulement utilisent des armes à sous-munitions20, mais de nombreux autres possèdent des stocks de ces armes. Pour certains pays, il peut s’agir de stocks d’armes qu’ils ont acquis dans le passé, avant qu’un consensus ne se soit dégagé dans la communauté internationale selon lequel de telles armes ont des effets disproportionnés et frappent sans discrimination. D’autres pays rejettent la thèse selon laquelle les armes à sous-munitions ont des effets disproportionnés et frappent sans discrimination et croient qu’ils ont le droit d’utiliser ces armes s’ils le souhaitent. Selon le CICR :
[m]ême si une fraction seulement des armes à sous-munitions existant aujourd’hui dans les stocks devait être employée ou transférée vers d’autres pays ou vers des groupes armés non étatiques, les conséquences risqueraient d’être bien plus lourdes que dans le cas des mines antipersonnel21.
La CASM a été adoptée lors d’une conférence diplomatique tenue à Dublin, en Irlande, en 2008. Entrée en vigueur le 1er août 2010, elle est le fruit de deux années de négociations internationales. Quatre-vingt quatre États sont parties à la CASM22. Vingt-quatre autres États, dont le Canada, ont signé la Convention, mais n’ont pas encore consenti officiellement à y adhérer. Ces États n’ont pas l’obligation juridique d’agir conformément au traité, bien qu’ils ne puissent pas agir d’une façon qui le prive de son objet et de son but23.
La Russie, la Chine et les États-Unis, entre autres pays, ne sont pas parties à la CASM. Les États-Unis ont estimé que « leurs intérêts en matière de sécurité nationale ne peuvent pas être complètement protégés aux termes de la CASM24 ». Les États-Unis appuient, par conséquent, un cadre moins restrictif pour la régle-mentation des armes à sous-munitions en vertu de la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, telle qu’elle a été modifiée le 21 décembre 2001, également appelée Convention sur certaines armes classiques (pour plus de détails sur ce traité, voir la section 1.5.1)25. Les États-Unis auraient également exprimé des craintes au sujet des répercussions négatives que pourraient avoir certaines interdictions prévues par la CASM sur les opérations militaires conjointes avec leurs alliés26.
Le préambule de la CASM expose les préoccupations qui sont à l’origine de la négociation et de la signature du traité, telles que les dommages inacceptables causés aux civils par les armes à sous-munitions, les dangers posés par les stocks nationaux de telles armes et l’obligation de venir en aide aux victimes. Le préambule insiste aussi sur la nécessité générale de renforcer la protection des civils lors d’un conflit armé et de faciliter la reconstruction à l’issue de celui-ci. Il rappelle que la CASM se fonde sur le droit international humanitaire, dont les règles fondamentales s’appliquent à toutes les parties lors d’un conflit armé, y compris les acteurs non étatiques tels que les groupes rebelles armés, les entreprises et les individus. Bien que le préambule n’ait pas force exécutoire, il fait partie intégrante du traité et peut être utilisé aux fins d’interprétation de la terminologie utilisée dans le projet de loi27.
« [E]n aucune circonstance » les États parties ne peuvent, directement ou indirectement, employer, mettre au point, produire, acquérir, stocker, conserver ou transférer à quiconque des armes à sous-munitions28. L’interdiction d’actions directes et indirectes reflète l’intention d’étendre les interdictions prévues dans la Convention sur une vaste gamme d’activités, ainsi que la tentative d’empêcher les États parties d’interpréter le traité d’une manière qui leur permette de se dérober à leurs obligations29. En outre, il est interdit aux États parties d’encourager, d’inciter ou d’aider quiconque à s’engager dans de telles activités30. Dans leurs rapports avec les autres États, les États parties doivent encourager les États non parties à accepter la Convention, mentionner aux États non parties leurs obligations, promouvoir les normes de la Convention et mettre tout en œuvre pour décourager les autres États d’utiliser des armes à sous-munitions31.
Le paragraphe 21(3) de la CASM comporte ce que l’on nomme l’exception d’interopérabilité, soit l’exception à l’interdiction d’utiliser des armes à sous-munitions et d’exercer certaines autres activités interdites. Les exceptions précises en vertu de cette disposition ont pour but de permettre la coopération militaire pouvant comprendre des activités interdites entre les États parties et les États non parties, sous réserve de certaines autres obligations positives32. L’exception relative à l’interopérabilité ne permet pas aux États parties de concevoir, de produire ou d’acquérir de quelque autre manière des armes à sous-munitions, de stocker ou de transférer eux-mêmes des armes à sous-munitions, d’utiliser eux-mêmes des armes à sous munitions ou de demander expressément l’emploi d’armes à sous-munitions dans le cas où le choix des munitions employées est sous leur contrôle exclusif.
La CASM exige que les États parties qui possèdent des armes à sous-munitions séparent ces armes des munitions conservées en vue d’un emploi opérationnel et détruisent leurs stocks dans un délai de huit ans33. Les États parties qui disposent de restes d’armes à sous munitions n’ayant pas explosé qui sont soit sur leur territoire, soit sous leur contrôle doivent délimiter les zones où se trouvent ces restes et enlever et détruire tout reste d’armes à sous-munitions qui s’y trouvent dans les 10 ans suivant l’entrée en vigueur de la Convention pour cet État, ou, si la contamination par les armes à sous-munitions s’est produite après l’entrée en vigueur de la Convention pour un État, dans les 10 ans suivant la fin des hostilités au cours desquelles ces armes ont été utilisées34. Des dispositions détaillées de la CASM obligent les États parties à offrir de l’aide aux victimes d’armes à sous-munitions en prenant en considération l’âge et les sexospécificités, que ce soit par des soins médicaux, une réadaptation et un soutien psychologique, conformément au droit international en matière de droits de la personne et au droit international humanitaire applicables35. Les États parties en mesure de remplir leurs obligations doivent aider les autres pays à faire de même36.
La Convention comporte également des mesures en vue de favoriser la transparence et exige que les États soumettent des rapports indiquant les mesures qu’ils ont prises pour se conformer à leurs obligations en vertu de la Convention ainsi que le type et le nombre d’armes à sous-munitions qu’ils ont en leur possession et les progrès réalisés dans la destruction des stocks de telles armes37. Les articles de la Convention ne peuvent faire l’objet de réserves. (Une réserve ajoutée à un traité est une déclaration unilatérale faite par un État quand il signe ou ratifie un traité, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État38.)
La Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, telle qu’elle a été modifiée le 21 décembre 2001 (Convention sur certaines armes classiques), a été négociée en 1980 dans le but de protéger les troupes militaires et les non combattants contre les blessures inhumaines. Les protocoles de la Convention sur certaines armes classiques ont imposé des restrictions à l’utilisation des fragments non détectables, des mines, des pièges et des armes incendiaires. Depuis la négociation de cette convention et de ses trois premiers protocoles en 1980, d’autres dispositions interdisant l’utilisation des armes à laser et les restes explosifs de guerre ont été établies. L’ajout d’un protocole nécessite le consentement de tous les États parties39. À l’heure actuelle, 117 États sont parties à la Convention sur certaines armes classiques, dont le Canada, les États-Unis, la Chine et la Russie40.
Lors de la troisième Conférence d’examen des hautes parties contractantes à la Convention tenue en 2006 dans le but d’examiner l’état et le fonctionnement de la Convention sur certaines armes classiques et de ses protocoles41, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a lancé un appel à la destruction des armes à sous-munitions, « des armes inexactes et non fiables » et à l’imposition d’un « gel » quant à leur utilisation dans des régions peuplées42. Les États parties ont cependant été incapables de parvenir à un consensus sur la réglementation des armes à sous-munitions en vertu d’un nouveau protocole à la Convention sur certaines armes classiques43.
En vertu de la Convention sur certaines armes classiques, le Protocole sur les mines terrestres, pièges et autres dispositifs modifié (Protocole II), réglemente le type, la détection et le lancement des mines terrestres antipersonnel, mais n’interdit pas leur emploi. Préoccupé par les blessures excessives causées aux civils par les mines terrestres antipersonnel et par le fait que la Convention sur certaines armes classiques ait échoué à leur interdire complètement, le Canada a annoncé, en janvier 1996, un moratoire sur l’emploi, la production, le commerce ou l’exportation des mines antipersonnel44. En octobre 1996, à l’issue d’une réunion de gouvernements d’États et de groupes de la société civile partageant des vues semblables sur le sujet, le Canada a mis au défi les États de conclure dans un délai d’un an un traité international interdisant les mines antipersonnel45. Désignées sous le nom de Processus d’Ottawa, les négociations ont abouti à l’adoption de la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel) à Oslo, en septembre 1997. Signé par 122 États à Ottawa le 3 décembre 1997, ce traité est aussi connu sous le nom de Convention d’Ottawa ou Traité d’Ottawa. En vertu de ce traité, les 161 États parties s’engagent à ne jamais utiliser, mettre au point, produire, acquérir, stocker, conserver ou transférer des mines antipersonnel, à détruire les stocks de telles armes, à déminer les régions minées sur leur territoire dans un délai de 10 ans, à fournir de l’aide aux victimes de ces mines et à adopter des mesures nationales de mise en œuvre46. Comme c’est le cas pour la CASM, la Chine, la Russie et les États-Unis ne sont pas parties au Traité d’interdiction des mines antipersonnel.
Le Traité sur le commerce des armes (TCA) régit le commerce international des armes classiques afin d’empêcher et d’éradiquer le commerce illicite de telles armes et de prévenir leur détournement. Il a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 2 avril 2013 et présenté aux fins de signature le 3 juin 2013. Toutefois, il n’est pas encore entré en vigueur. Le Canada ne l’a ni signé ni ratifié.
Le TCA s’applique aux armes légères et de petit calibre, aux chars de combat, aux véhicules de combat blindés, aux systèmes d’artillerie de gros calibre, aux avions de combat, aux hélicoptères d’attaque, aux navires de guerre, aux missiles et aux lance-missiles. Il s’applique également à l’exportation des pièces et éléments constituants de ces armes classiques et de même que des munitions classiques. Le Traité oblige les États parties à réglementer le commerce international des armes classiques aux termes de leur législation nationale, à établir des régimes de contrôle des importations et des exportations, à régir le transbordement et à prendre des mesures pour empêcher le détournement des expéditions d’armes classiques. Il ne s’applique pas au mouvement international des armes classiques effectué par ou pour les États, et il ne régit pas le commerce des armes classiques à l’intérieur des frontières d’un pays47.
Le TCA interdit le commerce international des armes qui seraient utilisées pour commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949, des attaques contre des civils ou des biens de caractère civil ou tout autre crime de guerre applicable. Il interdit également le commerce international qui contrevient aux régimes de sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU, aux traités de désarmement et de contrôle des armes applicables et de tout autre traité international qu’un État aurait ratifié. Le Traité vise à réduire le risque que des armes soient utilisées pour compromettre la paix et la sécurité internationales, ou pour commettre ou faciliter l’exécution de graves violations des droits universels de la personne ou du droit international humanitaire, d’attentats terroristes ou d’actes criminels transnationaux aux termes de traités internationaux48.
Le projet de loi C 6 précise qu’il a pour objet la mise en œuvre des engagements du Canada pris aux termes de la CASM de 2008. La Convention figure à l’annexe du projet de loi.
L’article 9 de la CASM exige des États parties qu’ils prennent les mesures législatives et réglementaires appropriées à la mise en œuvre de la Convention, y compris l’imposition de sanctions pénales relativement à « toute activité » interdite en vertu de la CASM qui « serait menée par des personnes, ou sur un territoire, sous sa juridiction ou son contrôle », y compris, par exemple, toute activité menée par des groupes armés non étatiques. Les mesures réglementaires peuvent comprendre les changements à apporter à des règlements, politiques ou procédures, et notamment les changements à apporter aux manuels de doctrine militaire49. L’article 9 exige également des États parties qu’ils prennent les mesures législatives, réglementaires ou autres, qui sont appropriées à la mise en œuvre des obligations positives prévues dans la Convention, comme celles concernant la coopération et l’aide internationales50.
L’obligation faite aux États parties de prendre, au titre de l’article 9 de la CASM, des mesures législatives ou réglementaires pour la mise en œuvre des obligations positives et des interdictions prévues dans la Convention est plutôt inhabituelle dans les traités portant sur les armes. À titre d’exemple, une disposition semblable de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel ne fait qu’obliger les États parties à imposer des sanctions pour prévenir et réprimer les activités qui contreviendraient à ce traité51.
L’article 2 définit un certain nombre de termes figurant dans le projet de loi. Il incorpore notamment dans le droit canadien la définition d’« arme à sous-munitions » se trouvant dans la Convention. Une arme à sous-munitions s’entend d’une munition classique conçue pour libérer des sous-munitions explosives. Une « sous munition explosive » désigne toute munition classique pesant moins de 20 kilogrammes qui est dispersée à partir d’une autre munition classique52. Une « petite bombe explosive » s’entend d’une munition classique pesant moins de 20 kilogrammes qui n’est pas autopropulsée et qui est libérée à partir d’un conteneur fixé à un aéronef53. Les sous-munitions explosives et les petites bombes explosives doivent être conçues pour fonctionner en faisant détoner une charge explosive avant l’impact, au moment de l’impact, ou après celui ci.
Chacune de ces définitions s’accompagne d’exceptions applicables à certains types de dispositifs. Les définitions d’arme à sous-munitions, de petite bombe explosive ou de sous-munition explosive en vertu du projet de loi sont assorties des mêmes exceptions. Premièrement, les munitions directement lancées ne sont pas visées. Deuxièmement, le poids maximal fixé pour les sous-munitions ou les petites bombes explosives soustrait à l’application du projet de loi les bombes multiples lancées à partir d’un râtelier à bombes installé sur un aéronef54. Troisièmement, les définitions excluent les armes biologiques, radiologiques, chimiques ou nucléaires ainsi que les armes à toxines. Ces types d’armes sont sujets à des restrictions ou des interdictions en vertu de traités internationaux distincts55. Quatrièmement, les mines antipersonnel interdites en vertu de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel sont également exclues. Cinquièmement, aux fins de ce projet de loi, certaines munitions ne sont pas considérées comme étant des armes à sous-munitions, des sous munitions explosives ou des petites bombes explosives, notamment les munitions conçues pour disperser des fusées éclairantes, de la fumée, des pièces pyrotechniques ou des leurres; les munitions conçues seulement pour la défense aérienne; ou les sous-munitions sans charge explosive56. Ces types de dispositif ne sont pas conçus pour causer des blessures ou pour détruire des biens; par conséquent, ils ne soulèvent pas les mêmes préoccupations d’ordre humanitaire que celles qui sont à l’origine de l’interdiction frappant les armes à sous-munitions57.
Enfin, parce que l’interdiction visant les armes à sous-munitions, les sous munitions explosives et les petites bombes explosives se fonde sur les blessures inutiles, les souffrances superflues et les dommages indiscriminés causés par ces dispositifs, la définition d’armes à sous-munitions figurant dans le projet de loi exclut les dispositifs conçus pour libérer des sous-munitions à partir d’un conteneur d’une façon qui réduit au minimum les dommages causés aux personnes civiles et aux biens civils58. Par conséquent, la définition ne s’applique pas aux munitions qui libèrent moins de 10 sous-munitions explosives pesant moins de quatre kilogrammes, conçues pour détecter et attaquer une cible constituée d’un objet unique et équipées d’un mécanisme électronique d’autodestruction et d’un dispositif électronique d’autodésactivation. De même, les sous-munitions et les petites bombes auxquelles ces caractéristiques s’appliquent ne satisfont pas à la définition de sous-munition explosive ou de petite bombe explosive aux termes du projet de loi.
La limite relative au nombre de sous-munitions pouvant être dispersées vise à restreindre la zone dans laquelle tombent les sous-munitions (zone de saturation). L’exigence voulant que les sous-munitions soient guidées fait en sorte qu’il est plus probable qu’elles atteignent la cible (qui devrait être militaire) au lieu de causer des dommages par erreur à une cible non militaire. Les capacités de désactivation et d’autodestruction réduisent les risques que les sous-munitions qui ne détonent pas comme elles sont conçues pour le faire demeurent dans le sol où elles constituent une menace pour la population civile.
Les dispositions de la CASM et du projet de loi s’appliquent de façon égale aux armes à sous-munitions, aux sous-munitions explosives et aux petites bombes explosives (ci-après « armes à sous-munitions »).
Selon le CICR, ces définitions, qui reprennent la définition des armes à sous-munitions de la CASM, « interdi[sen]t réellement toutes les armes à sous-munitions qui ont été utilisées dans des conflits depuis 60 ans » et qui causent des problèmes humanitaires qui dépassent clairement l’utilité militaire de ces armes59. L’organisation internationale de défense des droits de la personne, Human Rights Watch, indique qu’au mois de novembre 2010, seulement trois armes comportant des sous-munitions explosives ayant été produites auraient été permises en vertu de la CASM60.
Aux termes de la définition de « personne » à l’article 2, les restrictions et les sanctions prévues par le projet de loi s’appliquent aux particuliers, aux sociétés et aux autres types d’organisations commerciales, aux organismes publics, aux municipalités, aux syndicats et à toute autre association organisée de personnes qui a été formée en vue d’atteindre un but commun et qui se présente au public comme une association de personnes61.
Le terme « utilisation » est défini dans le projet de loi, mais pas dans la CASM. Au sens du projet de loi, « utilisation » désigne :
[l]e fait de faire exploser une arme à sous-munitions, une sous-munition explosive ou une petite bombe explosive, de la laisser tomber, de la lancer, de la projeter, de la disperser, de la libérer ou de la déclencher de toute autre façon à des fins de détonation » (art. 2).
Cette définition est inspirée du libellé utilisé pour décrire le fonctionnement des armes à sous munitions à l’article 2 de la Convention.
L’article 6 interdit l’utilisation, la mise au point, la fabrication, l’acquisition, la possession, le déplacement, l’importation ou l’exportation d’armes à sous-munitions. Conformément aux obligations du Canada en vertu de la CASM, les interdictions s’appliquent à toutes les situations et ne se limitent pas aux situations de conflit armé62.
Les termes « mettre au point », « fabriquer », « acquérir » et « posséder » utilisés à l’alinéa 6b) du projet de loi ne sont pas définis. Pour interpréter ces termes, un tribunal tiendrait probablement compte de l’objet du projet de loi, qui consiste à mettre en œuvre les engagements du Canada pris aux termes de la CASM (art. 4), ainsi que du sens que d’autres lois donnent aux termes susmentionnés. La présente section explore le sens de ces termes dans d’autres lois canadiennes, le cas échéant, de même que l’interprétation que font les experts des interdictions prévues par la Convention, afin de donner une certaine orientation relativement à l’interprétation de ces interdictions dans le droit canadien.
Il est interdit, aux termes de l’alinéa 6b), de mettre au point, de fabriquer, d’acquérir ou de posséder des armes à sous-munitions.
L’interdiction de fabriquer ou de mettre au point des armes à sous-munitions empêcherait probablement la production de pièces d’armes à sous-munitions au Canada. Des observateurs ont également déclaré que l’octroi de licences aux sociétés étrangères visant la mise au point ou la fabrication d’armes à sous-munitions pour les vendre à une armée nationale semblait interdit en vertu de la CASM63. Dans le même ordre d’idées, on a fait valoir que les États parties ne pouvaient pas mettre au point ni produire des pièces constitutives à utilisations multiples (c.-à-d. des pièces qui pourraient être utilisées dans des armes à sous-munitions ou dans d’autres armes) pour que ces pièces soient utilisées pour fabriquer des armes à sous-munitions. Toutefois, la mise au point et la production de pièces à utilisations multiples qui ne sont pas conçues pour être utilisées dans la fabrication d’armes à sous-munitions ne seraient pas interdites par la Convention. Des observateurs ont fait valoir que l’imposition de mesures de contrôle de l’exportation pourrait être une façon efficace pour les États de respecter leurs obligations relativement aux pièces à utilisations multiples produites sur leur territoire64.
L’interdiction que prévoit la Convention relativement à l’acquisition d’armes à sous munitions vise, du point de vue de quelques observateurs, à englober « toutes formes » d’acquisition, notamment l’emprunt, l’achat et le vol65. Les tribunaux canadiens interpréteraient le terme « acquérir » en tenant probablement compte du libellé de l’article, y compris les termes utilisés pour définir les autres actions interdites, de la signification courante de ce terme de même que la signification intentionnelle que lui donne le droit international66.
L’alinéa 6b) du projet de loi interdit la « possession » d’armes à sous-munitions, tandis que l’alinéa 1b) de la CASM interdit de « stocker » et de « conserver » directement ou indirectement des armes à sous-munitions67.
Dans le droit pénal du Canada, les infractions de « possession » exigent habituellement des éléments de connaissance et de contrôle. Ainsi, pour posséder un objet interdit, une personne doit être au courant de la nature de l’objet en question et exercer un certain contrôle sur cet objet. La possession inclut en général la possession réelle et personnelle d’un objet, ainsi que le fait d’avoir cet objet en la possession d’une autre personne tout en conservant un certain élément de contrôle sur l’objet68.
Le paragraphe 6c) interdit de déplacer une arme à sous-munitions d’un État ou d’un territoire étranger à un autre avec l’intention d’en transférer le droit de propriété et le contrôle. L’élément physique qui constitue l’infraction consiste à déplacer une arme à sous-munitions d’un territoire étranger à un autre. En outre, l’accusé doit avoir l’intention de transférer le droit de propriété et le contrôle de cette arme. Par conséquent, l’interdiction visant le déplacement des armes à sous munitions ne s’applique pas à leur déplacement concret à l’intérieur du Canada ou à l’intérieur d’un État étranger, ni ne comprend le transfert de leur propriété ou de leur contrôle à l’intérieur du Canada ou à l’intérieur d’un État étranger.
L’interdiction prévue par le projet de loi de déplacer des armes à sous-munitions d’un État ou d’un territoire étranger à un autre État ou territoire étranger avec l’intention d’en transférer la propriété et le contrôle diffère de l’interdiction de transfert direct ou indirect prévue par la CASM69. Au sens de la Convention, « transfert » désigne :
outre le retrait matériel d’armes à sous munitions du territoire d’un État ou leur introduction matérielle dans celui d’un autre État, le transfert du droit de propriété et du contrôle sur ces armes à sous-munitions, mais pas le transfert à partir d’un territoire contenant des restes d’armes à sous-munitions70.
Des observateurs ont indiqué que le libellé de la définition de « transfert » de la CASM n’était pas tout à fait clair71. L’interdiction peut être lue de deux façons. Selon la première interprétation, la CASM interdit l’une ou l’autre des actions suivantes : le déplacement transfrontalier d’armes à sous-munitions et le transfert du titre et du contrôle des armes à sous-munitions. Cette interprétation interdirait, par exemple, la livraison d’armes à sous-munitions à une base militaire située sur le territoire d’un État partie, ainsi que le transit d’armes à sous-munitions à travers son territoire, ses eaux territoriales ou son espace aérien (il est permis de croire que ce serait sous réserve de l’exception relative à l’interopérabilité au titre du par. 21(3)). D’après l’autre interprétation, la définition de « transfert » requerrait un déplacement transfrontalier matériel conjugué à un transfert du titre et du contrôle. Selon cette interprétation, l’interdiction du transfert prévue par la Convention s’appliquerait principalement aux ventes d’armes et à l’aide étrangère72.
Le projet de loi adopte la deuxième interprétation de l’interdiction de transfert en vertu de la CASM. L’infraction relative au déplacement prévue à l’alinéa 6c) ne criminalise pas le transit d’armes à sous-munitions à travers le territoire canadien. Un tel transit est expressément autorisé dans le cadre d’une coopération militaire ou d’opérations militaires combinées en vertu du paragraphe 11(2)73.
Selon la documentation préparatoire de la CASM, la définition de transfert prévue dans la Convention a été établie de façon à reprendre la définition du Traité d’interdiction des mines antipersonnel et le Protocole II modifié à la Convention sur certaines armes classiques74. Le projet de loi met en œuvre cette interdiction dans le droit canadien en utilisant une approche différente de celle qui a été adoptée dans la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les mines antipersonnel du Canada, qui interdit le transfert direct ou indirect de mines antipersonnel et qui reproduit intégralement la définition de transfert au sens de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel75. L’interdiction relative au déplacement d’armes à sous munitions du projet de loi diffère elle aussi de la définition de « cession » aux termes du Code criminel, où « cession » désigne, dans le contexte des interdictions sur la cession d’armes interdites ou à autorisation restreinte, « la vente, la fourniture, l’échange, le don, le prêt, l’envoi, la location, le transport, l’expédition, la distribution ou la livraison76 ».
Le projet de loi ne définit pas « importation » et « exportation », des actions qui, en vertu de l’alinéa 6d), sont interdites relativement aux armes à sous-munitions. Pour interpréter ces termes, il est probable que le tribunal examine leur sens courant, ainsi que la jurisprudence et d’autres lois. Par exemple, la Loi sur les douanes définit l’importation et l’exportation comme l’importation au Canada et l’exportation du Canada77. Dans le contexte des limites imposées aux importations et aux exportations d’armes prohibées ou à autorisation restreinte, le Code criminel précise qu’exporter comprend : « Exporter hors du Canada, notamment exporter des marchandises importées au Canada et expédiées en transit à travers celui-ci78 ». Dans le même ordre d’idée, la définition d’importer en vertu du Code criminel comprend ce qui suit : « Importer au Canada, notamment importer des marchandises expédiées en transit à travers le Canada et exportées hors de celui ci79 ».
Les interdictions figurant à l’article 6 ne s’appliquent pas aux armes à sous-munitions qui ont été désactivées en application de l’article 10.
Au lieu de s’en remettre au Code criminel en ce qui concerne les diverses façons dont une infraction criminelle peut être commise, le projet de loi interdit expressément de tenter de commettre toute infraction visée à l’article 6 (al. 6e) à g)) et au paragraphe 17(3) ou d’aider ou d’encourager une personne à commettre une telle infraction ou de lui conseiller de le faire ainsi que de comploter avec une autre personne pour qu’elle commette une telle infraction.
Il s’agit là de concepts distincts dans le droit criminel canadien.
De plus, recevoir, aider ou assister une personne qui a commis un acte interdit dans le but de l’aider à s’échapper (al. 6h) et par. 17(3)) constitue également une infraction en vertu de l’article 6 du projet de loi. Ce langage correspond à la définition de complice après le fait au sens du Code criminel83.
Le droit canadien ne sanctionne habituellement le fait de comploter avec une autre personne, d’aider, d’encourager ou de tenter de commettre une infraction à l’extérieur du Canada que si l’acte principal commis est aussi une infraction criminelle en vertu des lois du pays étranger où elle a été commise. L’incorporation dans le projet de loi de ces modes de perpétration d’actes criminels commis au Canada vise à faire en sorte que ces actes constituent des infractions criminelles même si l’acte principal sanctionné n’est pas une infraction criminelle en vertu des lois du pays où il a été commis84.
Puisqu’il est interdit d’aider, d’encourager à élaborer ou à fabriquer des armes à sous-munitions et de conseiller de le faire, M. Christopher Ram, avocat général au ministère de la Justice Canada, a expliqué la chose suivante :
Si quelqu’un investit dans une entreprise en sachant qu’elle fabrique des armes à sous-munitions et que cette personne le fait dans l’intention d’aider l’entreprise à en fabriquer, ce sera un acte criminel. Si cette personne ou cette entreprise le fait en sol canadien, elles sont assujetties aux lois canadiennes. [Si u]ne personne investit au Canada dans une entreprise qui se trouve à l’étranger, même si ce n’est pas un crime dans ce pays de fabriquer des armes à sous-munitions, [elle] commet au Canada l’infraction [criminelle] consommée d’aider et d’encourager [la production d’armes à sous-munitions], mais il faut qu’il y ait une intention [aux termes du droit criminel canadien] d’aider et d’encourager, parce qu’il existe une vaste gamme d’actions qui peuvent ou non constituer des investissements. Si ce n’est pas assez clair, ce ne sera pas un acte criminel85
Par conséquent, l’investissement dans la fabrication d’armes à sous-munitions pourrait constituer un acte criminel en vertu du projet de loi si l’investissement est fait dans l’intention d’aider à produire des armes à sous-munitions. Par exemple, un investissement dans une société qui produit uniquement des armes à sous-munitions pourrait faire partie de cette catégorie (certains observateurs parlent ici d’« investissement direct »). D’un autre côté, à défaut d’intention d’aider à produire des armes à sous munitions, le seul ‘investissement dans des sociétés qui produisent des armes à sous-munitions parmi divers autres produits ne sera pas interdit (les observateurs parlent parfois ici d’« investissement indirect »).
Les infractions commises n’importe où dans le monde par des membres des Forces canadiennes et d’autres personnes assujetties au code de discipline militaire sous le régime de la Loi sur la défense nationale sont punissables en vertu du projet de loi86. Le projet de loi ne prévoit cependant pas d’application extraterritoriale de ses dispositions pour les actes commis à l’étranger par des ressortissants canadiens ou des résidents permanents du Canada87. Toute infraction commise aux termes du projet de loi pourra continuer de relever de la compétence des tribunaux canadiens si, pour citer la Cour suprême du Canada, il existe « un lien réel et important entre l’infraction et notre pays88 ».
Les infractions prévues à l’article 6 du projet de loi font l’objet d’un ensemble d’exceptions en vertu des articles 7 à 11.
Le projet de loi prévoit des exemptions à l’égard des infractions visées à l’article 6 pour ce qui est de la mise au point de contre-mesures et de techniques en vue de détecter, enlever et détruire les armes à sous munitions et de la formation visant l’acquisition de ces techniques (art. 7)89. Ces exemptions peuvent être accordées par le ministre fédéral désigné par décret (art. 5).
Aux fins de la destruction d’une arme à sous-munitions, le projet de loi permet au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères d’accorder une exemption permettant l’acquisition, la possession, l’importation, l’exportation ou le déplacement de cette arme d’un territoire étranger à un autre, avec l’intention de transférer le droit de propriété et le contrôle sur celle-ci (art. 8). Ces exemptions peuvent être accordées à des personnes physiques ou morales ou à d’autres organisations. Dans tous les cas, le ministre compétent peut imposer des conditions à l’égard de l’exemption et peut révoquer celle-ci pourvu qu’un avis suffisant soit donné aux personnes visées (art. 7, 8 et 9).
Le projet de loi crée une exception permettant aux personnes qui, dans le cadre de leurs fonctions ou de leur emploi, sont appelées à déplacer une arme à sous munitions d’un territoire étranger à un autre avec l’intention d’en transférer le titre de propriété ou le contrôle, dans le but de la détruire ou de la désactiver. L’exception s’applique également à la plupart des membres des Forces canadiennes, des agents de la paix, des employés des gouvernements provinciaux ou fédéral ou des personnes qui, agissant au nom d’un État étranger avec la permission du gouvernement fédéral, participent à une enquête ou à des procédures au titre d’une loi fédérale (art. 12).
Ces exemptions et exceptions correspondent à l’exception figurant au paragraphe 3(6) de la Convention, lequel permet la conservation et l’acquisition d’un nombre limité d’armes à sous-munitions aux fins de formation, de destruction et de mise au point de contre mesures.
L’article 11 du projet de loi prévoit des exceptions aux infractions figurant à l’article 6 qui ne s’appliquent que dans le cadre de la coopération militaire ou d’opérations militaires conjointes mettant en cause le Canada et un État non partie à la Convention comme les États-Unis (interopérabilité).
La coopération militaire en vertu de l’article 11 peut être formelle ou informelle et, bien qu’elle fasse normalement intervenir des membres des Forces canadiennes, elle pourrait également faire intervenir des civils. À titre d’exemple, la coopération peut comporter des visites par des navires ou des aéronefs militaires étrangers.
L’article 11 du projet de loi s’appuie sur les paragraphes 21(3) et (4) de la Convention, qui permettent des exceptions relativement à la coopération et aux opérations militaires des États non parties qui pourraient être engagés dans des activités interdites.
Le paragraphe 11(1) prévoit des exceptions à l’égard des infractions prévues à l’article 6 qui ne s’appliquent qu’à certaines personnes, notamment :
Les exceptions s’appliquent également à la majorité des fonctionnaires fédéraux, y compris la plupart des employés civils du ministère de la Défense nationale et le personnel civil de la Gendarmerie royale du Canada, de même que la plupart des employés du ministère de la Sécurité publique Canada, du MAECD et de l’Agence des services frontaliers du Canada’92.
Dans le contexte des opérations militaires conjointes ou de la coopération militaire, l’exception relative à l’interopérabilité prévue au paragraphe 11(1) permet à ces personnes, selon le cas :
À titre d’exemple, le paragraphe 11(1) dégage de toute responsabilité criminelle les Canadiens occupant un poste de commandement au sein d’une force multinationale ou de forces armées d’un autre État qui autoriseraient une attaque militaire par les forces armées d’un État non partie susceptibles d’utiliser une arme à sous-munitions. Cette même disposition permet également aux membres des Forces canadiennes de demander de l’aide auprès des forces armées d’un autre État dans le cadre d’une opération militaire dans le cas où les Canadiens savent que l’autre État pourrait, pour fournir cette aide, utiliser des armes à sous-munitions ou qu’il est susceptible de le faire. En outre, le paragraphe 11(1) autorise les membres des Forces canadiennes à ordonner ou à demander explicitement l’utilisation d’armes à sous-munitions sous le contrôle d’un État non partie93. La CASM n’interdit pas clairement de telles demandes, mais leur compatibilité avec l’objet de la Convention ou avec l’obligation de décourager l’utilisation d’armes à sous-munitions lors d’opérations conjointes a été remise en question par quelques observateurs94.
En décembre 2013, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes a voté pour amender le projet de loi. Il a supprimé l’exception prévue à l’alinéa 11(1)c) qui aurait permis aux membres des Forces canadiennes et à d’autres personnes identifiées au paragraphe 11(1) d’utiliser des armes à sous-munitions dans le cadre d’un détachement, d’un échange ou d’une affection auprès des forces armées d’un État étranger. Le Comité a conservé dans le même alinéa, une exception qui permet à ces personnes d’acquérir, de posséder ou de déplacer des armes à sous-munitions dans le cadre d’un détachement, d’un échange ou d’une affectation95 ».
Les paragraphes 11(2) et (3) du projet de loi créent une série d’exceptions à l’égard des interdictions prévues à l’article 6. Ces exceptions s’appliquent à toute personne ou organisation96. Par conséquent, ces paragraphes étendent les exceptions relatives à l’interopérabilité aux fonctionnaires et aux officiers militaires des États étrangers, y compris les États non parties à la Convention, ainsi qu’aux particuliers97.
Le paragraphe 11(2) prévoit une exception précise permettant à toute personne ou organisation de transporter une arme à sous-munitions, ou d’entreprendre des activités liées au transport d’une telle arme, qui appartient ou est sous le contrôle d’un État non partie à la Convention, dans le cadre de la coopération militaire ou d’opérations militaires conjointes98.
Dans le contexte d’opérations conjointes ou de coopération militaire, cette exception permet le déplacement par des États non parties d’armes à sous-munitions sur le territoire canadien. Elle permet également à un aéronef étranger transportant des armes à sous munitions de survoler le Canada et d’y atterrir, et aux navires transportant des armes à sous munitions de traverser les eaux canadiennes et de mouiller dans des ports canadiens. Étant donné que le Canada contrôle les activités menées par des États étrangers sur son territoire, et en direction de son territoire, ce transit ne peut s’effectuer légalement qu’avec le consentement du Canada. Le transport d’armes à sous-munitions est aussi permis à bord de véhicules, d’aéronefs et de navires canadiens privés dans le contexte de la coopération militaire ou d’opérations militaires conjointes en vertu de ce paragraphe.
Le Canada a annoncé que, dans le cadre de sa politique, les Forces armées canadiennes interdiront le transport d’armes à sous-munitions à bord de véhicules, de navires et d’aéronefs canadiens ou à bord de transporteurs sous contrôle canadien. La politique devrait être officialisée sous forme de directives militaires juridiquement contraignantes99.
Toujours dans le contexte de l’interopérabilité, le paragraphe 11(3) crée une exception que peut invoquer toute personne ou organisation et qui n’interdit pas à cette personne ou organisation d’aider ou d’encourager une personne à utiliser, à mettre au point, à fabriquer, à acquérir, à posséder, à importer, à exporter ou à déplacer une arme à sous-munitions d’un État étranger à un autre, avec l’intention de transférer la propriété et le contrôle de cette arme. Entre autres exemples d’activités qui pourraient être permises en vertu du paragraphe 11(3), notons la communication de renseignements portant sur les cibles militaires, le soutien logistique (p. ex. l’avitaillement en carburant) ainsi que les activités conjointes de planification d’une mission et d’exercices militaires avec des États non parties qui utilisent ou déplacent des armes à sous munitions.
Le paragraphe 11(3) autorise également des personnes qui ne sont ni des agents ni des employés d’États étrangers à participer à de telles activités.
Les exceptions au titre de l’article 11 ne s’appliquent qu’aux infractions figurant à l’article 6. Certaines infractions prévues par le Code criminel continuent de s’appliquer, y compris les infractions liées au terrorisme, les crimes internationaux en vertu de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, les infractions prévues par la Loi sur la défense nationale et les infractions constituant des violations graves des Conventions de Genève de 1949, punissables en vertu de la Loi sur les conventions de Genève100.
Le projet de loi comporte une exception permettant aux policiers militaires et aux policiers civils, aux spécialistes juridico-légaux et à certains employés gouverne-mentaux de mener des activités liées aux armes à sous-munitions dans le cadre d’enquêtes ou de procédures juridiques, ou dans le but de détruire ou de désactiver ces dispositifs.
Les violations des interdictions prévues à l’article 6 du projet de loi sont des infractions hybrides. Cela signifie qu’elles peuvent être jugées par mise en accusation ou par procédure sommaire. La sanction maximale pour une condam-nation par mise en accusation est une peine d’emprisonnement de cinq ans et une amende de 500 000 $. Par voie de procédure sommaire, le contrevenant est passible d’une peine maximale de 18 mois d’emprisonnement et d’une amende maximale de 5 000 $ (par. 17(1))101. Le projet de loi porte à deux ans le délai de prescription habituel de six mois pour les infractions punissables par voie sommaire (art. 19)102.
Le projet de loi permet également au gouverneur en conseil de prendre des règlements, et notamment de créer des infractions réglementaires punissables par procédure sommaire (par. 17(2) et art. 23).
Le projet de loi ne comporte pas de disposition relative à une infraction continue, qui rendrait une personne condamnée pour une infraction en vertu du projet de loi passible d’une infraction distincte pour chaque jour où l’infraction est commise ou continue d’être commise103.
Les poursuites intentées en vertu du projet de loi devant des tribunaux civils doivent être autorisées personnellement et par écrit par le procureur général du Canada104. Le consentement du procureur général n’est pas exigé pour les poursuites militaires intentées en vertu du code de discipline militaire sous le régime de la Loi sur la défense nationale.
Le projet de loi permet aux juges militaires et civils d’ordonner la confiscation d’armes à sous-munitions (art. 20). Si un accusé est reconnu coupable d’une infraction punissable par voie de procédure sommaire ou par mise en accusation en vertu du projet de loi, ou d’une infraction en vertu d’un règlement pris en vertu du projet de loi, un juge militaire ou un juge civil peut aussi ordonner la confiscation de tout bien meuble au moyen duquel ou à l’égard duquel l’infraction a été commise (art. 21)105.
Les membres des Forces canadiennes et les agents de la paix (p. ex. les policiers) qui ont en leur possession des armes à sous-munitions doivent garder ces armes en lieu sûr (art. 13). D’autres dispositions du projet de loi autorisent la délégation d’attributions du ministre (art. 15) et exigent que toute modification à la CASM soit intégrée dans le projet de loi (art. 16). Le projet de loi ne contient pas de dispositions de coordination ni de modifications corrélatives.
Les dispositions du projet de loi entrent en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret (art. 24).
Les commentaires nationaux et internationaux sur le projet de loi proposé pour mettre en œuvre la CASM proviennent en grande partie d’organismes de pression non gouvernementaux et de quelques personnes ayant soulevé des préoccupations. Les critiques du projet de loi portent principalement sur la vaste portée des exemptions relatives à l’interopérabilité prévues à l’article 11106. L’ancien négociateur en chef du Canada pour la CASM, Earl Turcotte, a affirmé que même si la capacité des Forces canadiennes de coopérer lors d’opérations internationales est « absolument essentielle », les exceptions « générales » prévues à l’article 11 sont beaucoup trop vastes107. D’autres observateurs ont indiqué que le projet de loi devrait interdire de façon explicite aux pays étrangers d’effectuer le transport ou de constituer des stocks d’armes à sous-munitions sur le territoire canadien, et imposer des restrictions explicites sur l’investissement dans la production de ces armes. Les observateurs ont également affirmé que le projet de loi devrait contenir des dispositions en vertu desquelles le Canada serait tenu de faire la promotion de la CASM dans le cadre de ses relations internationales et d’indiquer à ses alliés militaires quelles sont les obligations du Canada lors d’opérations conjointes en vertu de la CASM. Selon les mêmes observateurs, le projet de loi devrait également inclure des dispositions exigeant de façon évidente que le Canada détruise tous les stocks d’armes à sous-munitions108.
En réaction à ces critiques, le gouvernement du Canada a réitéré sa position selon laquelle :
le projet de loi répond pleinement aux obligations humanitaires du Canada en vertu de la Convention et veille à ce que rien n’empêche les Forces canadiennes de travailler avec nos alliés et de faire ce qu’on leur demande109.
Lors de sa comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international au cours de l’étude de l’ancien projet de loi S 10, le ministre Baird a expliqué que les exemptions relatives à l’interopérabilité prévues dans le projet de loi :
ne s’appliquent que lorsque les Forces canadiennes coopèrent avec d’autres qui peuvent encore posséder et utiliser légalement des armes à sous-munitions. Ces actes ne relèvent pas du contrôle exclusif du Canada. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un soldat ou d’un officier en détachement auprès d’une force militaire d’un État non partie au Traité. Ces exceptions sont conformes à la Convention de même qu’au droit canadien. Les Canadiens ne sont pas tenus criminellement responsables des actes ou des décisions d’autres personnes110.
Lorsqu’elle s’est adressée au Sénat au moment de la présentation de l’ancien projet de loi S 10, la sénatrice Suzanne Fortin-Duplessis a déclaré que ‘le projet de loi permet au Canada :
de concrétiser [son] objectif, à savoir débarrasser le monde des armes à sous-munitions, tout en veillant à ce que les Forces canadiennes puissent continuer de participer à des opérations multinationales avec des alliés importants du Canada qui ne sont pas parties à la Convention, comme les États-Unis111.
Dans son rôle de secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, M. Deepak Obhrai, lors de la deuxième lecture du projet de loi S-10 à la Chambre des communes, a déclaré que le Canada protège depuis longtemps les civils contre l’emploi d’armes classiques pouvant frapper sans discrimination. Soulignant le besoin d’équilibre, il a également souligné que :
[l]a coopération et les opérations militaires avec des États qui n’ont pas l’intention de signer la convention, comme les États Unis, sont d’une importance capitale dans le cadre des politiques en matière de sécurité et de défense du Canada.
De plus, M. Obhrai a déclaré que le fait d’interdire la possession d’armes à sous munitions dans le projet de loi aurait pour effet de criminaliser le stockage de telles armes au Canada112.
Enfin, le ministre Baird a souligné que le Canada fait déjà activement la promotion de l’universalisation et de la mise en œuvre de la Convention auprès de ses partenaires internationaux113. M. Obhrai, pour sa part, a indiqué que le gouvernement avait l’intention de continuer à « essayer de trouver des projets de lutte contre les mines antipersonnel qui donneront des résultats tangibles114 ».
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
Aux fins du présent protocole, on entend par « transfert », outre le retrait matériel des mines du territoire d’un État ou leur introduction matérielle dans celui d’un autre État, le transfert du droit de propriété et du contrôle sur ces mines, mais non la cession d’un territoire sur lequel des mines ont été mises en place.[ Retour au texte ]
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