Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (suramende compensatoire), a été déposé en première lecture à la Chambre des communes par la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, l’honorable Jody Wilson‑Raybould, le 21 octobre 2016 1. Le projet de loi modifie comme suit les dispositions du Code criminel (le Code) 2 portant sur la suramende compensatoire :
La suramende compensatoire constitue un montant que le tribunal ordonne au contrevenant de verser au moment où la sentence est rendue. Ce montant s’ajoute automatiquement à toute autre peine infligée par le tribunal, que le contrevenant soit absous (aux termes de l’art. 730 du Code) ou condamné à l’égard d’une infraction prévue par le Code ou par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances 3.
Entrée en vigueur en 1989, la suramende compensatoire a été conçue pour aider à financer les services provinciaux et territoriaux d’aide aux victimes 4. Il convient de noter que la suramende compensatoire est distincte des ordonnances de dédommagement et des régimes provinciaux d’indemnité auxquels peuvent avoir droit les victimes d’actes criminels 5.
La somme perçue au moyen de la suramende compensatoire n’est pas remise directement à la victime, mais versée dans un fonds spécial administré par la province ou le territoire où elle est imposée. Ce fonds, parfois appelé « fonds d’aide aux victimes d’actes criminels », sert à offrir des services et de l’aide à l’ensemble des victimes d’actes criminels plutôt qu’à une victime en particulier. Même si elle n’entraîne pas le versement d’un paiement direct à la victime, la suramende compensatoire est considérée comme un mécanisme permettant d’établir un lien entre la responsabilité personnelle du contrevenant et la victime contre laquelle l’infraction a été commise 6.
En juin 2013, la Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l’égard des victimes 7 a fait doubler les pourcentages et les montants utilisés pour calculer la suramende compensatoire et a retiré au tribunal qui inflige la peine le pouvoir discrétionnaire de ne pas imposer la suramende dans les cas où son imposition causerait un préjudice injustifié au contrevenant.
La suramende compensatoire représente 30 % de toute amende infligée par le tribunal; si aucune amende n’est imposée, son montant est fixé à 100 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou à 200 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation (par. 737(2) du Code). Le tribunal peut, s’il estime que les circonstances le justifient et s’il est convaincu que le contrevenant a la capacité de payer, ordonner à celui-ci de verser une suramende compensatoire supérieure (par. 737(3)).
Selon le Code, la suramende compensatoire « est à payer à la date prévue par le lieutenant-gouverneur en conseil de la province où la suramende est imposée ». Si aucune date n’est fixée, le Code prévoit que la suramende doit être payée dans un délai raisonnable suivant son imposition (par. 737(4)). En Ontario, par exemple, un délai de 30 jours est prévu dans le cas d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, qui passe à 60 jours dans le cas d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation 8.
Les tribunaux se sont penchés sur la constitutionnalité de la suramende compensatoire obligatoire et le retrait du pouvoir discrétionnaire accordé aux juges en la matière. À cet égard,
un certain nombre de juges des cours provinciales en Ontario ont rendu des décisions dénonçant les changements apportés, en raison de leur impact sur les petits contrevenants récidivistes, qui sont, dans bien des cas, aux prises avec des problèmes d’abus d’alcool ou d’autres drogues ou de santé mentale 9.
Depuis le dépôt du projet de loi C-28 en octobre 2016, la Cour d’appel de l’Ontario a statué qu’une suramende compensatoire ne peut s’appliquer concurremment à l’ensemble des infractions, mais doit plutôt être imposée pour chaque chef d’accusation 10. Par ailleurs, même si le montant total des suramendes imposées peut s’avérer disproportionné pour certains contrevenants marginalisés, la Cour a jugé dans une autre décision que ce caractère disproportionné n’enfreint pas la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, ainsi que le droit de chacun à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités 11:
On peut comprendre l’agacement que ressentent les juges chargés de prononcer la peine qui regimbent devant l’apparente futilité d’infliger une suramende compensatoire à un contrevenant qui n’aura pas les moyens de la payer dans un avenir prévisible. Il n’en demeure pas moins que le régime de la suramende compensatoire ne viole pas les articles 7 et 12 de la Charte 12.
La Cour suprême du Canada est actuellement saisie de la question de la constitutionnalité de la suramende compensatoire, à la suite d’un pourvoi en appel de la décision rendue à deux contre un par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Boudreault c. R. 13, qui a confirmé la constitutionnalité de cette mesure 14.
Le cadre juridique prévu dans le Code pour assurer le paiement des amendes ou l’imposition des confiscations infligées s’applique aussi aux suramendes compensatoires 15. Ainsi, un contrevenant qui ne verse pas la suramende lui ayant été imposée peut se retrouver en défaut de paiement et, dans certains cas, se voir infliger une période d’emprisonnement (par. 734(3) et 734(4)) 16.
Toutefois, avant d’être déclaré en défaut de paiement, le contrevenant peut demander le report de l’échéance du paiement de la suramende compensatoire. De plus, avant qu’une période d’emprisonnement soit imposée, le tribunal doit être convaincu que l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie 17:
L’article 736 du Code permet au contrevenant admissible de payer une amende ou une suramende compensatoire, selon le cas, en faisant l’acquisition de crédits en échange de travaux réalisés dans le cadre d’un programme provincial ou territorial établi à cette fin. Les crédits sont habituellement accumulés en fonction du taux de salaire minimum de la province ou du territoire où ils sont acquis, et les sommes gagnées sont destinées à l’acquittement de l’amende jusqu’à ce qu’elle soit réputée payée en totalité ou en partie.
À l’heure actuelle, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest offrent un tel programme 19, mais pas la Colombie-Britannique, l’Ontario, ni Terre-Neuve-et-Labrador 20. Les critères d’admissibilité aux programmes de cette nature diffèrent selon la province ou le territoire, et, dans certains cas, la suramende compensatoire peut en être exclue 21. Par exemple, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, le contrevenant peut utiliser le mode facultatif de paiement seulement après avoir payé la portion de son amende attribuable aux frais judiciaires ou à toute suramende compensatoire 22.
L’article 2 du projet de loi C-28 modifie le paragraphe 737(1) du Code afin de prévoir que le contrevenant est tenu de verser une suramende compensatoire pour chaque infraction, en plus de toute autre peine qui lui est imposée. Il accorde cependant au tribunal le pouvoir discrétionnaire de limiter ces suramendes compensatoires dans les cas suivants :
Un « préjudice injustifié » s’entend de l’incapacité du contrevenant de payer une suramende compensatoire en raison de « sa situation financière précaire, notamment parce qu’il est sans emploi ou sans domicile, n’a pas suffisamment d’actifs ou a des obligations financières importantes à l’égard des personnes à sa charge » (nouveau par. 737(6)).
Le nouveau paragraphe 737(6.1) précise que l’incarcération du contrevenant ne constitue pas en soi un préjudice injustifié.
Par ailleurs, lorsqu’il rend une ordonnance aux termes du nouveau paragraphe 737(1.1) ou 737(5) du Code, le tribunal doit consigner ses motifs dans le dossier de l’instance (nouveau par. 737(6.2)).
Même si un contrevenant bénéficie de l’exception lui permettant de ne pas payer autant de suramendes compensatoires qu’il y a d’infractions, il demeurerait admissible à un mode facultatif de paiement d’une amende ou passible d’emprisonnement en cas de défaut de paiement, selon les circonstances de l’affaire (nouveau par. 737(9)).
Le nouveau paragraphe 737(10) énonce que l’exception prévue au nouveau paragraphe 737(1.1) (diminution du nombre de suramendes compensatoires) et l’exemption établie au nouveau paragraphe 737(5) (préjudice injustifié), ainsi que le nouveau paragraphe 737(6.2) (motifs du tribunal) s’appliquent à tout contrevenant à qui une peine est infligée à l’égard d’une infraction prévue par le Code ou par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances après l’entrée en vigueur de ces nouveaux paragraphes, même si l’infraction a été commise avant celle-ci.
À l’heure actuelle, seule une ordonnance faisant augmenter le montant d’une suramende compensatoire peut faire l’objet d’un appel aux termes des dispositions portant sur la suramende compensatoire 23.
L’article 3 du projet de loi ajoute les nouveaux paragraphes 737(1.1) et 737(5) à la définition interprétative de « sentence, peine ou condamnation » figurant à l’article 785 du Code, afin qu’il puisse être interjeté appel des ordonnances rendues en vertu de ces dispositions (c.-à-d. l’exception et l’exemption que le tribunal peut accorder).
L’article 4 du projet de loi énonce que celui-ci entre en vigueur le 30e jour suivant la date où il reçoit la sanction royale.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
L’imposition d’une période d’emprisonnement en cas de défaut de paiement vise à amener les contrevenants qui en ont les moyens à s’acquitter de l’amende infligée. Une personne ne peut être incarcérée lorsqu’elle est véritablement dans l’incapacité de payer l’amende [traduction].Voir Alan Gold, « Practice Notes », The Practitioner’s Criminal Code 2018, p. 1221. [ Retour au texte ]
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