Résumé législatif du projet de loi C‑337 : Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel (agression sexuelle)

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi C‑337 : Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel (agression sexuelle)
Lyne Casavant, Division des affaires juridiques et sociales
Laura Munn-Rivard, Division des affaires juridiques et sociales
Brendan Naef, Division des affaires juridiques et sociales
Erin Shaw, Division des affaires juridiques et sociales
Alexandra Smith, Division des affaires juridiques et sociales
Publication no 42-1-C337-F
PDF 510, (10 Pages) PDF
2018-11-14

1 Contexte

Le projet de loi C‑337, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel (agression sexuelle) 1, a été déposé à la Chambre des communes le 23 février 2017 par l’honorable Rona Ambrose. Le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes l’a ensuite étudié avant de recommander, dans son rapport, l’amendement de trois articles et l’abrogation d’un autre .2. La Chambre des communes a adopté le projet de loi avec les amendements du Comité le 15 mai 2017. Après avoir franchi l’étape de la première lecture au Sénat le 16 mai 2017, le projet de loi C‑337 a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 31 mai 2018.

Le projet de loi C‑337, dont le titre abrégé est « Loi sur la responsabilité judiciaire par la formation en matière de droit relatif aux agressions sexuelles », comporte trois grands objets :

  • Il ajoute une nouvelle condition d’admissibilité pour les avocats qui souhaitent devenir juge d’une cour supérieure d’une province, à savoir qu’ils doivent avoir suivi, à la satisfaction du commissaire à la magistrature fédérale, un cours de perfectionnement à jour et complet sur le droit relatif aux agressions sexuelles ainsi que sur le contexte social.
  • Il impose au Conseil canadien de la magistrature (CCM) de remettre au Parlement, par l’intermédiaire du ministre de la Justice, un rapport annuel sur les colloques qu’il a organisés sur le droit relatif aux agressions sexuelles, ainsi que sur le taux de participation à ces colloques.
  • Il exige, dans les affaires d’agression sexuelle, de porter les motifs de la décision dans le procès‑verbal des débats ou, à défaut, de les donner par écrit.

1.1 Le traitement judiciaire d’affaires d’agression sexuelle fait la manchette

Dans son témoignage devant le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, l’honorable Rona Ambrose a expliqué qu’elle avait décidé de déposer ce projet de loi après avoir remarqué « un nombre troublant d’affaires d’agressions sexuelles qui ont ébranlé la confiance du public envers notre système de justice 3 ». Il s’agissait d’affaires dans le cadre desquelles les juges avaient fait des déclarations devant les tribunaux ou dans leurs décisions à l’issue de procès pour agression sexuelle et qui, selon certains, s’appuyaient sur des stéréotypes discrédités au sujet des victimes d’agression sexuelle. Dans un cas, le juge a démissionné après que le CCM a recommandé sa révocation après qu’il a tenu des propos ou posé des questions « démontrant de l’aversion pour les lois visant à protéger les témoins vulnérables, à promouvoir l’égalité homme‑femme et à assurer l’intégrité des procès pour agression sexuelle 4 ».

Dans une affaire datant de 2016, un nouveau procès a été ordonné en appel après que le juge a été déclaré coupable d’avoir invoqué, dans ses motifs d’acquittement, des mythes sur le comportement « attendu » d’une victime d’agression sexuelle 5. En 2017, un autre juge a été vertement critiqué pour son langage insultant à l’égard d’une femme qui était en état d’ébriété au moment de l’agression sexuelle alléguée 6.

La sénatrice Raynell Andreychuk, qui parraine le projet de loi C‑337 au Sénat, a expliqué que ces cas s’ajoutent aux facteurs qui dissuadent les victimes de signaler une agression sexuelle. Elle a souligné que le projet de loi C‑337 vise à prévenir d’autres décisions judiciaires fondées sur des stéréotypes concernant les victimes d’agression sexuelle et à rétablir la confiance de ces dernières à l’égard du processus judiciaire 7.

1.2 Le signalement des agressions sexuelles au Canada

L’agression sexuelle est le crime le moins signalé au Canada. Selon les données de l’Enquête sociale générale de 2014 sur la victimisation, de Statistique Canada, seulement 5 % des agressions sexuelles ont été signalées à la police en 2014 8. Selon les recherches, parmi les raisons de la sous-déclaration, il y a « la honte, la culpabilité et la stigmatisation associées à la victimisation sexuelle », « la normalisation des comportements sexuels inappropriés ou non désirés », et « la perception voulant que la violence sexuelle ne justifie pas un signalement 9 ». Bon nombre de victimes ne signalent pas l’agression parce qu’elles ne pensent pas « que le recours au système de justice donner[a] un résultat positif 10 ».

En 2014, l’agression sexuelle était le seul crime violent pour lequel le taux de victimisation est demeuré relativement stable depuis 1999, alors que les taux enregistrés en 2014 pour les autres crimes violents étaient considérablement inférieurs à ceux notés en 1999 11.

1.3 Un aperçu de l’appareil judiciaire canadien

L’appareil judiciaire canadien est composé de tribunaux de compétence provinciale ou fédérale; la Cour suprême du Canada étant l’ultime cour d’appel pour tous les tribunaux canadiens. Selon le ministère de la Justice :

Les provinces et les territoires sont responsables de répondre à tous les besoins des tribunaux relevant de leur secteur de compétence, c’est‑à‑dire de construire et d’entretenir les palais de justice, de fournir le personnel […] ainsi que [de rémunérer les] juges des tribunaux provinciaux et territoriaux. Pour sa part, le gouvernement fédéral nomme et rémunère les juges des cours supérieures de chaque province, de même que les juges des tribunaux fédéraux. Il est également responsable de l’administration de la Cour suprême du Canada et des tribunaux créés en vertu d’une loi fédérale 12.

Les juges fédéraux et les juges des cours supérieures provinciales sont régis par la Loi sur les juges, laquelle énonce les exigences relatives à des questions comme l’âge de la retraite des juges, l’admissibilité à la nomination et le versement des traitements. La nomination des juges des cours provinciales relève des provinces. Par ailleurs, ce sont les cours provinciales qui entendent la majorité des affaires criminelles au Canada.

Outre les tribunaux, certains organismes jouent un rôle important dans l’administration de la justice au Canada :

  • Le Commissariat à la magistrature fédérale (CMF) : L’objectif du CMF est de protéger l’indépendance de la magistrature et de procurer aux juges de nomination fédérale des services administratifs indépendants du ministère de la Justice. Le CMF relève directement du ministre de la Justice. Il a notamment pour rôle et responsabilité de veiller à l’administration de la partie I de la Loi sur les juges, qui porte, entre autres, sur les conditions de nomination. Le CMF fournit des services à tous les juges de nomination fédérale (environ 1 200 juges) 13.
  • Le Conseil canadien de la magistrature (CCM) : Le CCM est un organisme fédéral créé en vertu de la Loi sur les juges, qui a pour principale tâche d’établir des politiques et de fournir des outils pour assurer l’efficacité, l’uniformité et la responsabilité du système judiciaire. Le CCM supervise le travail des juges de nomination fédérale. Il est composé de 39 membres et présidé par le juge en chef de la Cour suprême du Canada, le très honorable Richard Wagner. Le CCM est formé des juges en chef, des juges en chef adjoints et de certains juges provinciaux des cours supérieures provinciales et fédérales de l’ensemble du pays. Le CCM a le pouvoir, en vertu de la Loi sur les juges, d’enquêter sur les plaintes formulées par le public et les renvois du ministre de la Justice ou par le procureur général d’une province quant à la conduite (et non aux décisions) des juges de nomination fédérale. Le CCM peut, après enquête, recommander certaines actions, y compris la révocation d’un juge 14.
  • L’Institut national de la magistrature (INM) : L’INM est une institution indépendante sans but lucratif déterminée à renforcer la justice en jouant un rôle de chef de file en matière de formation de la magistrature au Canada et sur la scène internationale. L’INM offre des programmes et, seul ou en partenariat avec des tribunaux et d’autres organismes, « participe à la prestation de la majorité des activités de formation suivies par les juges au Canada 15 ».

2 Description et analyse

Composé d’un préambule et de cinq articles, le projet de loi C‑337 modifie la Loi sur les juges et le Code criminel.

2.1 Le préambule

Dans le préambule sont décrits les motifs à l’origine du projet de loi. On insiste sur l’effet qu’un procès pour agression sexuelle peut avoir sur la vie des personnes touchées, notamment le risque qu’un tel procès revictimise les survivants d’actes de violence sexuelle, et on met en garde contre les interprétations problématiques du droit dans un procès pour agression sexuelle. On y souligne que, à l’heure actuelle, l’avocat prétendant à la magistrature n’est pas tenu d’avoir suivi une formation sur le droit relatif aux agressions sexuelles et on y déclare que le Parlement reconnaît l’importance de la participation de la magistrature à des cours de perfectionnement juridique.

Il est également souligné, dans le préambule, que le Parlement veut être informé de la participation des juges aux formations sur le droit relatif aux agressions sexuelles et on affirme l’importance de motiver par écrit les décisions rendues lors des procès pour agression sexuelle.

Enfin, on confirme, dans le préambule, la nécessité que les survivants d’actes de violence sexuelle fassent confiance au système de justice pénale, ainsi que la responsabilité du Parlement de veiller à ce que les institutions démocratiques du Canada reflètent « les valeurs et les principes » de la population canadienne, tout en reconnaissant l’importance qui doit être accordée à la liberté et à l’indépendance des juges. En reconnaissant la nécessité à la fois d’un système de justice pénale équitable et d’une magistrature libre et indépendante, on reconnaît, dans le préambule, les précautions que le Parlement doit prendre lorsqu’il légifère en matière de nominations judiciaires.

2.2 La Loi sur les juges (art. 2 à 4 du projet de loi)

Le paragraphe 2(2) du projet de loi modifie les conditions de nomination pour les nominations judiciaires énoncées dans la Loi sur les juges. Conformément au nouveau sous‑alinéa 3b)(i) de la Loi sur les juges, pour être nommé juge d’une cour supérieure provinciale, le candidat doit avoir suivi un cours de perfectionnement à jour et complet sur le droit relatif aux agressions sexuelles, à la satisfaction du commissaire à la magistrature fédérale. Cette nouvelle disposition prévoit que le cours doit avoir été élaboré en consultation avec des survivants d’agression sexuelle ainsi que des groupes et des organismes qui les aident. Il est également prévu que le cours aborde notamment les questions concernant la preuve, le consentement et la procédure à suivre lors des procès pour agression sexuelle, de même que les mythes et les stéréotypes associés aux plaignants dans les affaires d’agression sexuelle.

Conformément au nouveau sous‑alinéa 3b)(ii), le candidat doit également recevoir une formation complète sur le contexte social. Ce critère a été ajouté à la suite d’un amendement proposé par le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes après que des témoins ont informé le Comité qu’un simple cours sur le droit relatif aux agressions sexuelles n’était pas suffisant 16. Dans le cadre de la formation sur le contexte social, le juge est appelé à tenir compte du contexte des affaires dont il sera saisi et ne pas être influencé par des attitudes fondées sur des stéréotypes, des mythes ou des préjugés 17.

L’article 3 du projet de loi modifie l’alinéa 60(2)b) de la Loi sur les juges qui permet au CCM d’organiser des colloques en vue du perfectionnement des juges. L’alinéa modifié prévoit que les colloques de perfectionnement doivent comprendre des cours sur des sujets liés au droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social. Tout comme pour les modifications apportées à l’article sur les conditions de nomination susmentionnées, les cours sur le droit relatif aux agressions sexuelles et le contexte social doivent être élaborés en consultation avec des survivants d’agression sexuelle ainsi que des groupes et des organismes qui leur viennent en aide.

L’article 4 du projet de loi ajoute le nouvel article 62.1 à la Loi sur les juges de manière à exiger du CCM qu’il produise un rapport annuel. Ce rapport doit être soumis au ministre de la Justice et fournir de l’information sur les colloques susmentionnés qui ont été offerts durant dans l’année civile précédente, y compris, entre autres détails, une description du contenu du colloque, sa durée, le nombre de juges qui y ont assisté et leur juridiction, ainsi que le nombre d’affaires d’agression sexuelle dont ont été saisis les juges qui n’ont jamais participé à un tel colloque.

2.3 Le Code criminel et la consignation des motifs (art. 5 du projet de loi)

L’article 5 du projet de loi modifie le Code criminel en ajoutant le nouvel article 278.92. Cet article s’applique uniquement aux procès devant un juge sans jury. Le nouveau paragraphe 278.92(1) exige du juge qu’il motive ses décisions concernant certaines infractions sexuelles pour lesquelles l’accusé est acquitté, absolu, déclaré coupable, déclaré criminellement non responsable ou déclaré inapte à subir son procès. Les infractions visées par le nouvel article 278.92 sont celles prévues aux articles et paragraphes suivants :

  • article 151 (contacts sexuels);
  • article 152 (incitation à des contacts sexuels);
  • article 153 (exploitation sexuelle);
  • article 153.1 (personne en situation d’autorité);
  • article 155 (inceste);
  • paragraphe 160(2) (usage de la force);
  • paragraphe 160(3) (bestialité en présence d’un enfant ou incitation de celui-ci);
  • article 170 (père, mère ou tuteur qui sert d’entremetteur);
  • article 171 (maître de la maison qui permet des actes sexuels interdits);
  • article 172 (corruption d’enfants);
  • article 173 (actions indécentes);
  • article 271 (agression sexuelle);
  • article 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);
  • article 273 (agression sexuelle grave).

Le nouveau paragraphe 278.92(2) prévoit que les motifs de la décision sont à porter dans le procès‑verbal des débats ou, à défaut, à donner par écrit 18.


Notes

*  Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur.Retour au texte ]

  1. Projet de loi C‑337, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel (agression sexuelle), 1re session, 42e législature. [ Retour au texte ]
  2. Chambre des communes, Comité permanent de la condition féminine (FEWO), Projet de loi C‑337, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel (agression sexuelle), neuvième rapport, 1re session, 42e législature, 12 mai 2017. [ Retour au texte ]
  3. FEWO, Témoignages, 1re session, 42e législature, 4 avril 2017, 0850 (l’honorable Rona Ambrose, députée de Sturgeon River–Parkland). [ Retour au texte ]
  4. Conseil canadien de la magistrature (CCM), Enquête du Conseil canadien de la magistrature sur la conduite de l’honorable Robin Camp : Rapport à la ministre de la Justice pdf (147 Ko, 19 pages), 8 mars 2017, paragr. 10. [ Retour au texte ]
  5. R. v. A.R.D., 2017  ABCA 237 (CanLII); R. c. A.R.J.D., 2018 CSC 6 (CanLII). [ Retour au texte ]
  6. R. v. Al‑Rawi, 2018 NSCA 10 (CanLII); Frank P. Hoskins, R. Daren Baxter et Katherine Fierlbeck, In the Matter of Complaints Against Judge Gregory Lenehan, made pursuant to the Provincial Court Act, R.S.N.S. 1989, c. 238: Decision of the Review Committee pdf (727 Ko, 47 pages), 29 mars 2018 [disponible en anglais seulement]. [ Retour au texte ]
  7. Sénat, Débats pdf (657 Ko, 48 pages), 1re session, 42e législature, vol. 150, no 128, 6 juin 2017, p. 3264. [ Retour au texte ]
  8. Samuel Perreault, « La victimisation criminelle au Canada, 2014 » pdf (1,021 Ko, 45 pages), Juristat, Statistique Canada, no 85-002-X au catalogue, 23 novembre 2015, p. 25. [ Retour au texte ]
  9. Shana Conroy et Adam Cotter, « Les agressions sexuelles autodéclarées au Canada, 2014 » pdf (715 Ko, 36 pages), Juristat, Statistique Canada, no 85-002-X au catalogue, 11 juillet 2017, p. 4. [ Retour au texte ]
  10. Cristine Rotenberg, « De l’arrestation à la déclaration de culpabilité : décisions rendues par les tribunaux dans les affaires d’agression sexuelle déclarées par la police au Canada, 2009 à 2014  » pdf (1,85 Mo, 65 pages), Juristat, Statistique Canada, no 85-002-X au catalogue, 26 octobre 2016, p. 4. [ Retour au texte ]
  11. Perreault (2015), p. 6. [ Retour au texte ]
  12. Ministère de la Justice, « Comment fonctionne l’appareil judiciaire du Canada? », L’appareil judiciaire du Canada. [ Retour au texte ]
  13. Commissariat à la magistrature fédérale Canada, Bienvenue sur le site web du Commissariat à la magistrature fédérale Canada. [ Retour au texte ]
  14. CCM, Mandat et pouvoirs; CCM, Accueil. [ Retour au texte ]
  15. Institut national de la magistrature (INM), À propos de l’INM. [ Retour au texte ]
  16. FEWO (2017), neuvième rapport. [ Retour au texte ]
  17. Pour une description du contexte social, voir FEWO, Témoignages, 1re session, 42e législature, 11 avril 2017, 0855 (l’honorable Adèle Kent, directrice générale, Institut national de la magistrature). [ Retour au texte ]
  18. Dans bien des cas, la décision du juge est écrite, mais certaines décisions sont rendues oralement. Les décisions ainsi rendues sont généralement transcrites, mais les pratiques diffèrent d’un tribunal à l’autre. Law Connection, The Role of Judges – Backgrounder [disponible en anglais seulement]. [ Retour au texte ]

 


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