Dans ce résumé législatif de la Bibliothèque du Parlement, tout changement d'importance depuis la publication précédente est signalé en caractères gras.
Le projet de loi C 92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis 1, a été déposé à la Chambre des communes le 28 février 2019 par l’honorable Seamus O’Regan, alors ministre des Services aux Autochtones.
En avril et en mai 2019, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones (le Comité sénatorial) a tenu des réunions pour étudier la teneur du projet de loi. Le Comité sénatorial a déposé son rapport au Sénat le 13 mai 2019 2.
Le projet de loi a été renvoyé au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes (le Comité de la Chambre des communes) le 3 mai 2019, qui a fait rapport à la Chambre des communes le 30 mai 2019 3. Le rapport, qui était assorti d’amendements, a été adopté le 3 juin 2019. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le même jour.
Le projet de loi C-92 a été lu pour une première fois au Sénat le 4 juin 2019 puis a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones le 10 juin 2019. Le rapport du Comité sénatorial sur le projet de loi (qui renfermait des amendements) a été adopté le jour de sa présentation au Sénat (13 juin 2019) 4. Le projet de loi a été adopté par le Sénat avec des amendements le lendemain puis un message a été transmis à la Chambre des communes.
La Chambre des communes a examiné les amendements proposés par le Sénat. Elle a envoyé un message au Sénat le 19 juin 2019 pour lui signifier qu’elle acceptait certains des amendements, en amendait un et rejetait les autres. Le Sénat a accepté l’amendement proposé et n’a pas insisté pour que la Chambre des communes adopte les amendements avec lesquels elle n’était pas d’accord 5. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 21 juin 2019.
Comme l’indique son titre, le projet de loi C-92 établit un cadre juridique pour la fourniture de services à l’enfance et à la famille destinés aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis, dans tout le Canada. L’enjeu central est le nombre élevé d’enfants autochtones pris en charge par les réseaux de protection de la jeunesse des provinces et des territoires. Le nombre d’enfants autochtones vivant en foyer d’accueil est disproportionné par rapport à leur pourcentage au sein de la population. En effet, les enfants autochtones de 15 ans et moins représentent environ 7,7 % de tous les enfants au Canada. Or, 52,2 % des enfants en famille d’accueil 6 sont autochtones, ce qui signifie que plus de 14 000 enfants grandissent loin de leur famille 7.
Non seulement les enfants autochtones pris en charge par les réseaux de protection de la jeunesse sont-ils séparés de leur famille, mais ils peuvent aussi perdre leur langue et leur culture. Récemment, un tribunal ontarien a conclu, dans sa décision sur l’affaire des enfants de la « rafle des années 1960 », que la perte pour un enfant de sa langue, de sa culture et de son identité autochtones faisait beaucoup de mal dans le contexte du système provincial de protection de la jeunesse et a statué que le Canada avait l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour empêcher les enfants autochtones de perdre leur identité 8.
Pendant des décennies, le gouvernement du Canada a appliqué diverses politiques qui ont fait en sorte que des enfants autochtones étaient pris en charge et séparés de leur famille. Par exemple, des enfants autochtones ont été retirés, souvent de force, de leur famille et de leur culture pendant la période des pensionnats indiens, c’est à-dire de la fin des années 1800 jusqu’à la fermeture du dernier pensionnat, en 1996. Au cours des décennies de 1960 à 1980, pendant ce qu’on a surnommé la « rafle des années 1960 », des enfants autochtones ont été placés dans des familles d’accueil non autochtones ou ont été adoptés par de telles familles, et ce, bien souvent, sans le consentement de leur famille 9. En reconnaissance des torts causés aux enfants autochtones, le gouvernement du Canada a réglé au cours des dernières années deux poursuites judiciaires lancées par des Autochtones, l’une pour sa participation au système des pensionnats indiens, et l’autre, pour le rôle qu’il a joué dans la « rafle des années 1960 10 ». Les deux règlements prévoyaient une indemnisation pour les torts causés, notamment pour avoir provoqué la perte de l’identité, de la langue et de la culture autochtones. Les Métis n’étaient pas visés par les deux règlements.
Des études importantes ont établi une corrélation entre, d’une part, les séquelles causées par les pensionnats indiens et l’adoption d’enfants par des familles non autochtones ou le placement en famille d’accueil non autochtone et, d’autre part, la perturbation des structures sociales, notamment de la cellule familiale 11. Cette situation aurait eu pour résultat que des générations d’Autochtones ont subi des traumatismes et ont transmis ces traumatismes collectivement aux générations suivantes 12.
Les politiques antérieures du gouvernement du Canada sont liées aux « écarts […] constatés sur les plans de l’éducation, du revenu et de la santé 13 » que connaissent aujourd’hui les Autochtones. Des recherches suggèrent que la culture et la sécurité culturelle renforcent la résilience et devraient faire partie des efforts visant à éliminer les inégalités en matière de santé que vivent les peuples autochtones 14. Étant donné la grande diversité qui caractérise les Premières Nations, les Inuits et les Métis, certains estiment qu’il est important d’adopter des approches fondées sur leurs particularités pour que la fourniture de services soit culturellement adaptée aux réalités des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Le projet de loi C 92 reconnaît la diversité des peuples autochtones au Canada dès son préambule, mais les réalités et les besoins différents des enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ne sont pas reflétés d’une quelconque façon dans le cadre proposé pour les services à l’enfance et à la famille.
À l’heure actuelle, il n’existe pas de cadre législatif fédéral pour la fourniture de services à l’enfance et à la famille autochtones. Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 15 accorde au gouvernement fédéral la compétence à l’égard « [d]es Indiens, et [d]es terres réservées pour les Indiens », tandis que l’article 88 de la Loi sur les Indiens 16 s’applique aux Autochtones, les assujettissant aux lois d’application générale en vigueur dans une province. Selon la Constitution, la santé et la protection des enfants relèvent de la compétence des provinces. L’interaction entre ces deux dispositions signifie que les provinces ont compétence dans certains domaines où il n’y a pas de loi fédérale, notamment dans le cas des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations dans les réserves. Dans le contexte actuel, l’absence de lois fédérales signifie que les gouvernements provinciaux et territoriaux déterminent le niveau de services fourni et le degré d’indépendance des organismes autochtones de protection de l’enfance 17.
L’actuel cadre législatif intergouvernemental provoque de l’incertitude quant à savoir qui est responsable des services offerts aux Premières Nations dans les réserves. Il peut même retarder l’accès aux services ou y nuire. Les conflits de compétence entre les différents ordres de gouvernement pour déterminer qui est financièrement responsable d’un service public ont eu des conséquences considérables sur le bien être des enfants autochtones.
Par exemple, le Parlement a adopté en 2007 une motion intitulée le « principe de Jordan ». Cette motion a été nommée à la mémoire d’un enfant des Premières Nations, Jordan River Anderson, qui est décédé dans un hôpital, loin de son foyer dans la Nation crie de Norway House, tandis que les gouvernements fédéral et manitobain se renvoyaient la balle quant à savoir qui devait payer le coût des soins à domicile 18. Selon cette motion, c’est au gouvernement de premier contact qu’il revient de payer pour le service. La motion ordonne aussi aux gouvernements de déterminer quel ordre de gouvernement est responsable des coûts une fois que l’enfant a reçu le service 19.
Dans le cadre de son programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations 20, le ministère des Services aux Autochtones du Canada (le Ministère) verse des fonds aux Premières Nations et à leurs organismes de protection de l’enfance afin qu’ils fournissent des services dans les réserves. Pour avoir droit au financement fédéral, ces organismes doivent respecter les normes et les conditions énoncées dans les lois provinciales et territoriales 21. Au Nunavut et dans les Territoires du Nord Ouest, les services à l’enfance et à la famille sont offerts par le gouvernement territorial et leur financement provient des paiements de transfert du gouvernement fédéral 22. Le gouvernement du Nunavut est responsable de la fourniture des services aux Inuits sur son territoire, mais, à part lui, aucun organisme inuit n’offre l’éventail complet des services à l’enfance et à la famille 23. Dans certaines provinces, les Métis ont créé leurs propres organismes de services à l’enfance et à la famille.
Dans tout le Canada, une centaine d’organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations offrent des services aux enfants dans les réserves et, parfois, hors des réserves 24. En l’absence d’un organisme autochtone de services à l’enfance et à la famille, les services destinés aux Autochtones vivant hors réserve sont financés et offerts par leur province ou territoire de résidence.
Les lois provinciales et territoriales portant sur les services à l’enfance et à la famille comportent diverses dispositions relatives aux enfants et aux familles autochtones. Par exemple, la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille de l’Ontario 25 reconnaît qu’il est important que les Premières Nations, les Inuits et les Métis assurent la fourniture de leurs propres services à l’enfance et à la famille, afin de préserver l’identité culturelle des enfants et de maintenir leurs liens avec leur famille – y compris la famille élargie – et la collectivité autochtone. En Colombie Britannique, la Child, Family and Community Service Act 26 stipule, entre autres dispositions, que les Autochtones doivent participer à la planification et à la fourniture des services à l’enfance et à la famille, et que l’identité culturelle autochtone des enfants doit être préservée et doit être considérée au moment de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les défenseurs et les professionnels de la protection de l’enfance ont réclamé des mesures pour réduire le nombre d’enfants autochtones placés en foyer d’accueil, notamment en offrant aux familles autochtones ce dont elles ont besoin pour élever des enfants en santé et éviter ainsi leur prise en charge. En effet, des études ont démontré que la pauvreté, la précarité du logement et l’abus de substances sont parmi les facteurs que les travailleurs sociaux prennent en compte pour décider s’ils doivent retirer des enfants autochtones de leur famille 27. Cela signifie que le séjour de certains enfants en foyer d’accueil se prolonge en raison de conditions sur lesquelles leurs parents n’exercent aucun contrôle, comme la pauvreté ou un logement inadéquat 28.
Les lois provinciales et territoriales tendent à reconnaître qu’il ne faut retirer les enfants de leur famille qu’en dernier recours, lorsqu’aucune autre option n’est envisageable 29. Pour cette raison, on insiste habituellement davantage sur les services de prévention, services qui peuvent prendre différentes formes, notamment des services de prévention primaire qui visent l’éducation sur la santé des familles et des mesures pour prévenir la maltraitance envers les enfants; des services de prévention secondaire qui ont pour objectif d’éviter les crises; des services de prévention tertiaire destinés aux familles où des risques pour les enfants ont été recensés 30. Les mesures de prévention visant à garder la cellule familiale intacte peuvent s’accompagner de mesures complémentaires, comme des soins prénataux, l’accès aux soins de santé, des services spécialisés, des services pour adolescents, du soutien parental et des services d’urgence, pour ne citer que ces exemples.
Les défenseurs des droits de l’enfant ont souligné deux mesures clés pour réformer les services à l’enfance et à la famille autochtones : un financement équitable et la compétence des Autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille. Ces deux mesures clés sont abordées dans la prochaine section.
En 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) a statué que le sous financement par le gouvernement du Canada des services de protection à l’enfance dans les réserves et au Yukon constituait de la discrimination fondée sur la race et l’origine ethnique 31. Le TCDP a ordonné au gouvernement du Canada de réviser son programme des Services à l’enfance et à la famille autochtones et de corriger le financement inéquitable. Les problèmes découlaient, notamment, de la conception et de l’application des formules de financement du Ministère pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, de l’omission de rajuster les niveaux de financement au fil des ans, de l’omission de coordonner les programmes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations avec d’autres programmes des gouvernements fédéral et provinciaux et territoriaux, ainsi que de la définition restreinte et de la mise en œuvre inadéquate du principe de Jordan 32. Depuis sa décision rendue en 2016, le TCDP a rendu d’autres ordonnances de conformité contre le gouvernement fédéral. Sa dernière ordonnance, rendue le 6 septembre 2019, accorde des dédommagements à chaque enfant autochtone retiré de son foyer, de sa famille et de sa collectivité 33 de 2006 jusqu’à ce que certaines conditions soient respectées. Le TCDP a aussi accordé des dédommagements aux parents et aux grands-parents qui « ont vu leurs enfants inutilement pris en charge et placés à l’extérieur de leur foyer 34 ».
Le gouvernement du Canada était au courant, depuis déjà quelque temps, de la surreprésentation et du sous-financement des enfants autochtones pris en charge. De nombreux rapports lui ont proposé des recommandations pour remédier à ces lacunes 35. Il y a près de 20 ans, des chercheurs ont mis en doute la méthodologie de financement du gouvernement fédéral pour les organismes de service à l’enfance et à la famille des Premières Nations 36. En 2008, le Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) a conclu que les enfants des Premières Nations et leurs familles ont besoin de bénéficier de services qui sont comparables à ceux offerts aux autres enfants, en plus d’avoir accès à des services qui sont adaptés à leur culture 37.
À l’époque de son audit de 2008, le BVG avait signalé que la formule de financement du gouvernement fédéral ne tenait pas compte du fait que les organismes des Premières Nations devaient offrir des services en conformité avec les lois et les normes en vigueur dans les provinces 38. Le TCDP a fait écho à cette préoccupation dans sa décision rendue en 2016 39. Le BVG a aussi constaté que les budgets étaient fixes tandis que le coût des services à l’enfance et à la famille augmentait, et qu’Affaires indiennes et du Nord Canada, maintenant Services aux Autochtones Canada, réaffectait les fonds attribués à d’autres programmes clés – comme ceux touchant le logement, un facteur dont tiennent compte les autorités pour décider si elles doivent retirer des enfants autochtones de leur famille 40.
Le TCDP a déterminé non seulement que le financement du gouvernement fédéral était discriminatoire, mais aussi que la formule de financement employée incite les services de protection de la jeunesse à retirer les enfants de leur famille. Du fait que le Ministère fournit un financement inadéquat aux services de prévention, les enfants sont retirés de leur milieu familial « comme solution de premier, et non de dernier, recours 41 ». La conception, la gestion et le contrôle des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations par le Canada ont conduit à « cré[er] divers effets préjudiciables pour un grand nombre d’enfants et de familles des Premières Nations vivant dans les réserves 42 ».
En 2007, le gouvernement du Canada a commencé à réviser son programme des Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations afin d’insister sur la prévention. En 2016, le TCDP a conclu cependant que le Ministère avait transposé certaines des lacunes de son ancienne formule de financement dans sa formule révisée 43. Dix ans après le début des réformes, le financement des services de prévention représentait 12 % du budget général 44. Les auteurs d’un rapport publié en 2018 ont conclu que la formule de financement de 2007 donnait encore l’impression que les enfants devaient être pris en charge, sans quoi le financement n’était pas disponible 45.
Étant donné l’importance d’un financement adéquat et le caractère central de cet enjeu dans les décisions du TCDP, certains intervenants ont exprimé leur déception à l’égard du fait que le projet de loi C 92 ne renferme aucune disposition sur le financement 46.
Les peuples autochtones affirment sans détour n’avoir jamais abandonné leurs droits de prendre soin de leurs enfants 47. La Commission royale sur les peuples autochtones (1996) et la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) (2015) ont toutes les deux exhorté le gouvernement du Canada à entreprendre des réformes de son système de services à l’enfance et à la famille afin que des institutions autochtones puissent fournir leurs propres services de santé et services sociaux 48. Malgré ces recommandations, seuls quelques gouvernements autochtones exercent un contrôle complet en la matière.
Certains gouvernements des Premières Nations et des Inuits ont inclus des dispositions dans les traités modernes sur l’adoption de lois autochtones ou le transfert de la responsabilité en matière de services à l’enfance et à la famille. Par exemple, l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador précise que le gouvernement du Nunatsiavut peut faire des lois portant sur la mise en tutelle ou la garde d’un enfant inuit et sur les droits de visite à l’égard d’un enfant inuit 49. Pour sa part, l’Accord-cadre définitif du Conseil des Indiens du Yukon prévoit que les Premières Nations sont chargées des programmes et des services touchant le bien être de la famille et de l’enfance, y compris les adoptions fondées sur la coutume 50. Un autre exemple se trouve en Colombie-Britannique où, en 1980, la Première Nation de Splatsin (alors connue sous le nom de bande indienne de Spallumcheen) a pris des règlements administratifs et a, par la suite, conclu un accord avec le gouvernement du Canada pour faire reconnaître sa compétence en matière de services de protection de l’enfance 51. Par conséquent, la Première Nation offre ses services en conformité avec les règlements administratifs de la bande plutôt qu’avec les lois et normes provinciales 52.
Malgré tout, la plupart des services assurés par des organismes de services à l’enfance et à la famille autochtones le sont en raison d’une délégation, c’est à-dire que la province délègue ses pouvoirs à l’organisme autochtone au moyen d’un accord. Par délégation, on entend que les organismes de services à l’enfance des Premières Nations reçoivent de la province le pouvoir d’exercer des attributions précises, prévues dans l’accord, par exemple les services de protection de la jeunesse, de soutien à la famille et de tutelle. L’organisme des Premières Nations doit se conformer aux normes provinciales pour obtenir les fonds du gouvernement fédéral.
Ainsi, la Colombie-Britannique a adopté un modèle selon lequel les organismes des Premières Nations acceptent progressivement des responsabilités croissantes en matière de fourniture de services à l’enfance et à la famille. Un organisme des Premières Nations peut au départ être autorisé à gérer les dossiers, à soutenir les familles ou à conclure des ententes volontaires de soins pour les enfants. Par la suite, il peut être chargé de la tutelle des enfants. Il peut être autorisé plus tard à offrir l’éventail complet de services de protection de la jeunesse, notamment faire enquête et recevoir des signalements de cas de maltraitance ou de négligence d’enfants, décider si un enfant a besoin de protection ou demander à un tribunal de rendre des ordonnances 53.
Certaines provinces ont mis au point un modèle mixte ou intégré, c’est à-dire un système qui est dirigé conjointement par la collectivité autochtone et le gouvernement provincial. Par exemple, le Manitoba a adopté un modèle intégré de concert avec des organisations autochtones pour offrir les services à l’enfance et à la famille. Quatre régies servent des régions et des populations précises : la Régie générale, la Régie des Métis, la Régie des Premières Nations du nord du Manitoba et la Régie des Premières Nations du sud du Manitoba. Les quatre régies assurent les services partout dans la province, tant dans les réserves qu’à l’extérieur de celles-ci 54.
En janvier 2018, la ministre des Services aux Autochtones de l’époque, l’honorable Jane Philpott, a convoqué des dirigeants autochtones et des représentants des provinces et des territoires à une réunion d’urgence afin de trouver des solutions à la « crise humanitaire » des enfants autochtones pris en charge. Au cours de cette réunion, six mesures ont été cernées pour résoudre le problème de surreprésentation des enfants et des jeunes autochtones pris en charge et pour réformer le système des services à l’enfance et à la famille autochtones :
En réponse à l’ordonnance de conformité du TCDP rendue en février 2018 57, le gouvernement du Canada a commencé, dans le cadre de ses politiques actuelles, « à couvrir les coûts réels de prévention, d’admission et d’évaluation, les frais juridiques, les réparations des immeubles, les achats liés aux services aux enfants et les coûts des petits organismes », et ce, rétroactivement au 26 janvier 2016 58.
Les services à l’enfance et à la famille continuent de faire l’objet de discussions lors de négociations bilatérales entre le gouvernement du Canada et l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis.
En outre, le TCDP a ordonné au gouvernement fédéral d’appliquer complètement le principe de Jordan pour garantir l’accès égal aux services publics pour les enfants autochtones dans les réserves et à l’extérieur de celles ci. En réponse, le gouvernement du Canada a lancé l’Initiative du principe de Jordan – Principe de l’enfant d’abord. Dans le cadre de cette initiative, des fonds sont disponibles pour les services de santé, sociaux et éducatifs, de même que pour les services spécialisés destinés à tous les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves ou à l’extérieur de celles-ci.
Le gouvernement fédéral a aussi annoncé une nouvelle initiative intitulée Initiative : Les enfants inuits d’abord 59. Selon l’Inuit Tapiriit Kanatami, l’initiative éliminera les obstacles qui empêchent beaucoup d’enfants inuits de bénéficier des services, et le gouvernement fédéral travaillera avec des partenaires inuits de tout l’Inuit Nunangat 60, les provinces et les territoires pour élaborer des démarches axées sur les Inuits afin de répondre aux besoins des enfants inuits 61.
Le document d’information de Services aux Autochtones Canada sur le projet de loi C-92 indique que le gouvernement du Canada songe à créer un comité national de transition. Il précise que le comité de transition pourrait « recommander des mécanismes pour orienter les futures méthodes de financement 62 ».
Le projet de loi C-92 comporte un préambule et 35 articles. Plutôt que d’examiner chaque disposition, la description et l’analyse porteront sur les changements de fond proposés dans le projet de loi.
Le projet de loi C-92 renferme un préambule de 10 paragraphes. Les préambules peuvent servir à interpréter une loi. Entre autres choses, le préambule :
Le préambule reconnaît également
la demande constante d’obtention d’un financement des services à l’enfance et à la famille qui soit prévisible, stable, durable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l’égalité réelle afin d’atteindre des résultats qui sont positifs à long terme pour les enfants, les familles et les collectivités autochtones.
L’article 1 du projet de loi C-92 définit de nombreux termes qui y sont employés, y compris le mot « famille » :
Vise notamment toute personne que l’enfant considère être un proche parent ou qui, conformément aux coutumes, aux traditions ou aux pratiques coutumières en matière d’adoption du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones dont l’enfant fait partie, est considérée par ce groupe, cette collectivité ou ce peuple être un proche parent de l’enfant.
On y définit également « corps dirigeant autochtone » : « Conseil, gouvernement ou autre entité autorisé à agir pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. »
L’article 2 du projet de loi énonce que la loi « maintient les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; elle n’y porte pas atteinte 63 ». Il s’agit d’une disposition de non-dérogation. Diverses versions d’une telle disposition ont été ajoutées aux lois fédérales au fil des ans. En règle générale, la disposition de non-dérogation explique qu’une loi ne vise pas à porter atteinte aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités.
Le libellé de certaines dispositions de non-dérogation dans des projets de loi déposés plus tôt au cours de la session parlementaire qui font mention de l’abrogation de la protection fournie aux droits des peuples autochtones au Canada ou de la dérogation à cette protection, a été dénoncé par certains témoins autochtones au cours de l’étude de ces projets de loi en comité, car ils le jugeaient inadéquat 64.
Le libellé de la disposition de non-dérogation du projet de loi C-92 (et du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones) est semblable à celui recommandé par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles dans son rapport de 2007 intitulé Prendre au sérieux les droits confirmés à l’article 35 : Dispositions de non-dérogation visant les droits ancestraux et issus de traités 65.
En cas d’incompatibilité entre les dispositions d’un accord (notamment d’un traité ou d’un accord sur l’autonomie gouvernementale) et le projet de loi ou ses règlements, les dispositions de l’accord l’emportent sur les dispositions incompatibles du projet de loi et de ses règlements (art. 3).
L’article 4 du projet de loi est une disposition de précision qui établit que, à moins qu’il y ait conflit ou incompatibilité avec les dispositions du projet de loi, le projet de loi ne porte atteinte à l’application des dispositions d’aucune loi provinciale ni d’aucun règlement pris en vertu d’une telle loi.
À moins que les lois ou les règlements du Nunavut soient incompatibles avec les dispositions du projet de loi, le projet de loi ne porte pas atteinte à la compétence législative de la Législature du Nunavut visée à l’article 23 de la Loi sur le Nunavut (art. 5).
L’objet du projet de loi C-92 a trois volets. Premièrement, le projet de loi affirme le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale lequel comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille (al. 8a)). Deuxièmement, le projet de loi énonce les principes applicables à la fourniture de services à l’enfance et à la famille à l’égard des enfants autochtones, et ce, à l’échelle nationale (al. 8b)). Troisièmement, le projet de loi contribue « à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones » (al. 8c)). Comme l’explique le document d’information de Services aux Autochtones Canada :
Ces principes guideraient les collectivités autochtones ainsi que les provinces et les territoires dans la prestation des services à l’enfance et à la famille de façon à ne pas séparer les familles et à réduire le nombre d’enfants autochtones pris en charge 66.
Le paragraphe 9(1) du projet de loi précise que le principe de « l’intérêt de l’enfant » s’applique. Le principe de l’intérêt de l’enfant a été établi dans la jurisprudence et consacré par l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies :
Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale 67.
Le principe de l’intérêt de l’enfant est reconnu dans les lois provinciales et territoriales relatives à la garde et à la protection des enfants 68. Bon nombre d’autres aspects du projet de loi C 92, comme la préservation de l’identité culturelle des enfants autochtones, sont repris dans des lois provinciales ou territoriales relatives aux services à l’enfance et à la famille.
Dans le projet de loi C-92, la considération qui doit être accordée à l’intérêt de l’enfant autochtone est énoncée à l’article 10, dont la description figure à la section 2.4 du présent résumé législatif.
Le paragraphe 9(2) du projet de loi énumère les concepts liés à la continuité culturelle qui doivent guider l’interprétation et l’administration du projet de loi. On y mentionne que l’intérêt de l’enfant est souvent favorisé par le fait qu’il réside avec des membres de sa famille au sein de sa culture (al. 9(2)c)).
Les concepts relatifs à l’égalité réelle doivent également servir à interpréter et à administrer le projet de loi (par. 9(3)). Il s’agit notamment de la nécessité de favoriser la participation d’un enfant handicapé, autant que celle des autres enfants, aux activités de sa famille ou du groupe (al. 9(3)a)); de la nécessité pour un enfant ou un membre de sa famille de voir son point de vue et ses préférences être pris en considération, sans discrimination (al. 9(3)b) et 9(3)c)); de la nécessité de s’assurer qu’aucun conflit de compétence n’occasionne de lacune dans les services fournis à l’égard des enfants autochtones (al. 9(3)e)). Le concept relatif aux conflits de compétence répond à l’appel à l’action 3 de la CVR, c’est à-dire que tous les ordres de gouvernement procèdent à la pleine mise en œuvre du principe de Jordan 69.
Dans le contexte de la prise en charge d’un enfant, le principe de l’intérêt de l’enfant est la considération fondamentale, tandis que dans le cadre de la fourniture de services à l’enfance et à la famille, il s’agit d’une considération primordiale (par. 10(1)). Le paragraphe 10(3) du projet de loi énumère les facteurs à considérer pour déterminer l’intérêt de l’enfant autochtone, notamment :
Lorsqu’il est tenu compte des facteurs prévus au paragraphe 10(3) du projet de loi, une attention particulière doit être accordée « au bien-être et à la sécurité physiques, psychologiques et affectifs de l’enfant » ainsi qu’à l’importance pour lui d’avoir des rapports continus avec sa famille et le groupe, la collectivité ou le peuple autochtones dont il fait partie (par. 10(2)). En outre, dans la mesure du possible, les paragraphes 10(1) à 10(3) doivent être interprétés de manière compatible avec les dispositions des lois du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones dont l’enfant fait partie (par. 10(4)).
L’article 11 du projet de loi prévoit que les services à l’enfance et à la famille fournis à l’enfant autochtone doivent tenir compte de ses besoins et de sa culture (al. 11a) et 11b)), lui permettre de connaître ses origines familiales (al. 11c)), et favoriser l’égalité réelle entre lui et les autres enfants (al. 11d)).
Dans la mesure où cela est compatible avec l’intérêt de l’enfant, le parent – mère ou père –, le fournisseur de soins ainsi que le corps dirigeant autochtone sont informés au préalable de la prise d’une mesure importante à l’égard de l’enfant autochtone (par. 12(1)). L’avis ne doit contenir aucun renseignement personnel à l’égard de l’enfant, d’un membre de sa famille ou de son fournisseur de soins, outre les renseignements qui sont nécessaires pour expliquer la mesure ou qui sont exigés par l’accord de coordination du corps dirigeant autochtone (par. 12(2)).
Le parent – mère ou père – et le fournisseur de soins de l’enfant autochtone ont le droit de faire des représentations et d’avoir qualité de partie dans le cadre de toute procédure judiciaire de nature civile relative à la fourniture de services à l’enfance et à la famille à l’égard de l’enfant. Le corps dirigeant autochtone compétent a seulement le droit de faire des représentations (art. 13).
Les services favorisant des soins préventifs ont priorité sur les autres services si cela est compatible avec l’intérêt de l’enfant (par. 14(1)). Dans la mesure où la fourniture de services prénataux favorisant des soins préventifs est susceptible d’être dans l’intérêt de l’enfant autochtone, la fourniture de ces services a priorité sur la fourniture d’autres services afin de prévenir la prise en charge de l’enfant à sa naissance (par. 14(2)).
De nombreux rapports récents 70 ont révélé que la pauvreté est souvent citée pour justifier la prise en charge d’enfants. Les auteurs de ces rapports ont recommandé que les enfants autochtones ne soient pas retirés de leur milieu familial simplement parce que l’on a des inquiétudes en raison de la pauvreté de leur famille. L’article 15 du projet de loi tient compte de ces conclusions en précisant que, dans la mesure où cela est compatible avec l’intérêt de l’enfant autochtone, celui ci ne doit pas être pris en charge « seulement en raison de sa condition socioéconomique ».
Comme il a été précisé plus haut, le paragraphe 10(1) du projet de loi prévoit que l’intérêt de l’enfant est une considération fondamentale dans le cadre de décisions et de mesures relatives à la prise en charge de l’enfant. Ajouté par la Chambre des communes après que le projet de loi a été amendé par le Sénat, l’article 15.1 du projet de loi précise que, avant que l’enfant qui réside avec un parent – mère ou père – ou avec un autre membre de sa famille qui est un adulte ne puisse être pris en charge, le responsable de la fourniture des services est tenu de démontrer que des efforts raisonnables ont été faits pour que l’enfant continue de résider avec celui ci. La seule exception à cette règle générale serait que la prise en charge immédiate est compatible avec l’intérêt de l’enfant.
Le préambule du projet de loi indique que le Parlement « reconnaît l’importance de réunir avec leurs familles et leurs collectivités les enfants autochtones ». Dans la mesure où cela est compatible avec l’intérêt de l’enfant, le placement prioritaire d’un enfant autochtone se fait auprès d’un parent – mère ou père. Les prochains placements possibles, énumérés par ordre de priorité, sont les suivants :
L’ordre de priorité doit tenir compte des coutumes et des traditions des peuples autochtones, notamment en ce qui concerne l’adoption coutumière (par. 16(2.1)).
La priorité accordée au placement auprès d’un adulte appartenant au groupe, à la collectivité ou au peuple autochtones dont fait partie l’enfant ou appartenant à un groupe différent donne suite à l’appel à l’action 4(iii.) de la CVR, qui exhortait le gouvernement fédéral à « mettre en place des dispositions législatives en matière de protection des enfants autochtones qui établissent des normes nationales en ce qui a trait aux cas de garde et de prise en charge par l’État concernant des enfants autochtones », et qui prévoient des principes qui « établissent, en tant que priorité de premier plan, une exigence selon laquelle le placement temporaire ou permanent des enfants autochtones le soit dans un milieu adapté à leur culture 71 ».
Un autre facteur à prendre en compte est la possibilité de placer l’enfant avec des frères ou sœurs qui sont encore enfants ou des enfants qui sont autrement membres de sa famille, ou près de tels enfants (par. 16(2)).
Dans le cas d’un enfant qui ne réside pas avec son père ou sa mère ou avec un autre adulte membre de sa famille, il faut réévaluer régulièrement la pertinence pour l’enfant d’être placé auprès d’une telle personne (par. 16(3)). Si l’enfant ne réside pas avec son père ou sa mère ou avec un autre adulte membre de sa famille, il faut également favoriser, dans la mesure où cela est compatible avec l’intérêt de l’enfant, les liens affectifs entre l’enfant et les membres de sa famille (art. 17).
Comme on l’a vu à la section 1.4.2 du présent résumé législatif, à l’exception des dispositions sur les services à l’enfance et à la famille prévues dans des ententes sur l’autonomie gouvernementale et dans le règlement administratif pris par la Première Nation de Splatsin, la plupart des organismes de services à l’enfance et à la famille, des régies et des collectivités autochtones ne peuvent fonctionner que parce que la province leur en a délégué le pouvoir.
Or l’article 18 du projet de loi C-92 affirme que la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille est comprise dans le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale reconnu et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article 18 du projet de loi précise également que cette compétence inclut la compétence législative en matière de tels services et l’exécution et le contrôle d’application des textes législatifs pris en vertu de cette compétence législative. La disposition donne suite à l’appel à l’action 4(i.) de la CVR :
Nous demandons au gouvernement fédéral de mettre en place des dispositions législatives en matière de protection des enfants autochtones qui établissent des normes nationales en ce qui a trait aux cas de garde et de prise en charge par l’État concernant des enfants autochtones, et qui prévoient des principes qui :
i. confirment le droit des gouvernements autochtones d’établir et de maintenir en place leurs propres organismes de protection de l’enfance 72.
Il faut signaler qu’au moins une organisation autochtone prétend que le projet de loi ne reconnaît pas la pleine compétence en matière de services à l’enfance et à la famille 73.
L’article 19 du projet de loi confirme que les garanties prévues par la Charte canadienne des droits et libertés74 s’appliquent à tout corps dirigeant autochtone qui exerce la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille.
Le corps dirigeant autochtone qui a l’intention d’exercer sa compétence législative en matière de services à l’enfance et à la famille peut en donner avis au ministre des Services aux Autochtones et au gouvernement de chacune des provinces où il est situé (par. 20(1)). Le corps dirigeant autochtone exerce sa compétence dès que l’avis est donné 75.
À la demande du corps dirigeant autochtone, le ministre des Services aux Autochtones et les provinces concernées peuvent conclure avec lui un accord de coordination concernant l’exercice de cette compétence portant, notamment, sur la fourniture de services d’urgence nécessaires au bien-être des enfants autochtones (al. 20(2)a)) ou sur des arrangements fiscaux permettant d’exercer efficacement la compétence législative (al. 20(2)c)). L’alinéa original 20(2)c) a été amendé par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones en réponse aux préoccupations voulant que le projet de loi ne comporte pas de dispositions portant précisément sur le financement. L’alinéa définitif 20(2)c) prévoit désormais que les arrangements fiscaux soient
durables, fondés sur les besoins et conformes au principe de l’égalité réelle afin d’atteindre des résultats qui sont positifs à long terme pour les enfants, les familles et les collectivités autochtones et de soutenir la capacité du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones.
Selon l’article 21 du projet de loi, le texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones a force de loi, à titre de loi fédérale, pourvu que l’une ou l’autre des deux conditions énoncées au paragraphe 20(3) soit respectée, à savoir :
Lorsqu’un groupe autochtone a exercé sa compétence, mais n’a pas conclu d’accord de coordination ou n’a pas fait des efforts raisonnables à cette fin, le texte législatif autochtone n’a pas automatiquement préséance sur les lois fédérales ou provinciales 76.
En cas de conflit ou d’incompatibilité avec des lois ou des règlements fédéraux, le texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones l’emporte sur les dispositions incompatibles d’une loi fédérale ou de tout règlement pris en vertu d’une telle loi (par. 22(1)). Cette disposition est semblable aux dispositions sur les conflits et les incompatibilités prévues dans de nombreux accords d’autonomie gouvernementale. L’exception à cette disposition est que le texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones ne peut pas être contraire aux articles 10 à 15 du projet de loi C 92 (« Intérêt de l’enfant autochtone » et « Fourniture des services à l’enfance et à la famille ») ou à la Loi canadienne sur les droits de la personne 77. Le paragraphe 22(3) du projet de loi prévoit que le texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones l’emporte sur les dispositions incompatibles relatives aux services à l’enfance et à la famille de toute loi provinciale ou de tout règlement pris en vertu d’une telle loi.
Les dispositions du texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones s’appliquent à l’égard d’un enfant autochtone sauf si son application est contraire à l’intérêt de l’enfant (art. 23). En cas d’incompatibilité entre deux lois sur les services à l’enfance et à la famille autochtones, le texte législatif du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones avec lequel l’enfant entretient des liens plus étroits l’emporte (par. 24(1)). On détermine le groupe avec lequel l’enfant entretient des liens plus étroits en tenant compte de sa résidence habituelle ainsi que de son point de vue et de ses préférences, et du point de vue et des préférences de son parent – mère ou père – et de son fournisseur de soins.
L’article 25 du projet de loi énonce les exigences en matière de publication des avis de l’intention d’exercer la compétence, des demandes de conclure des accords de coordination et des avis qu’un groupe, une collectivité ou un peuple autochtones a adopté un texte législatif. Après réception de la copie d’un texte législatif, le ministre des Services aux Autochtones veille à ce que le texte soit rendu accessible au public (art. 26).
Le ministre des Services aux Autochtones peut recueillir des renseignements (art. 27) et conclure avec le gouvernement de toute province et avec tout corps dirigeant autochtone des accords portant sur la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements concernant les services à l’enfance et à la famille fournis à l’égard des enfants autochtones (art. 28). L’objectif de la collecte de renseignements est, notamment, d’appuyer l’amélioration de ces services (al. 28b)). Dans son appel à l’action 2, la CVR :
demand[e] au gouvernement fédéral, en collaboration avec les provinces et les territoires, de préparer et de publier des rapports annuels sur le nombre d’enfants autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis) qui sont pris en charge, par comparaison avec les enfants non autochtones, ainsi que sur les motifs de la prise en charge d’enfants par l’État, sur les dépenses totales engagées pour les besoins es services de prévention et de nature autre offerts par les organismes de protection de l’enfance, et sur l’efficacité des diverses interventions 78.
Le ministre des Services aux Autochtones doit effectuer l’examen des dispositions et de l’application du projet de loi C-92 tous les cinq ans, en collaboration avec les peuples autochtones, notamment avec des représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis (par. 31(1)), et peut aussi effectuer cet examen en collaboration avec les gouvernements provinciaux (par. 31(2)). Le rapport d’examen doit être déposé devant chaque Chambre du Parlement dans les 30 premiers jours de séance de celle-ci suivant l’établissement du rapport (par. 31(4)).
Le gouverneur en conseil peut prendre tout règlement régissant l’application du projet de loi C-92 ou concernant la fourniture de services à l’enfance et à la famille à l’égard des enfants autochtones si « les corps dirigeants autochtones touchés ont eu l’occasion de collaborer de façon significative à l’élaboration des orientations préalables à sa prise » (par. 32(1)).
Les dispositions du projet de loi entreront en vigueur à la date fixée par décret (art. 35).
Le gouvernement fédéral décrit le projet de loi C 92 comme étant un projet de loi qui a été élaboré conjointement avec les partenaires autochtones 79. Cependant, de nombreux témoins qui ont comparu devant le Parlement pendant l’étude du projet de loi ont déclaré que, à leur avis, les consultations qui ont eu lieu avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis et leurs organisations ne pouvaient pas être qualifiées d’élaboration conjointe. Le Comité sénatorial l’a d’ailleurs signalé dans son Dix-septième rapport (celui qui portait sur la teneur du projet de loi) 80.
© Bibliothèque du Parlement