Le projet de loi S‑15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial 1, a été déposé au Sénat par l’honorable sénateur Marc Gold, représentant du gouvernement au Sénat, le 21 novembre 2023. Parrainé par le sénateur Marty Klyne, il a été adopté en première lecture le même jour.
Le projet de loi crée diverses infractions au Code criminel (le Code) 2 concernant les éléphants et les grands singes 3, notamment les suivantes :
Certaines exceptions sont prévues à ces infractions, notamment si la personne possède l’animal en captivité au moment de l’entrée en vigueur de la loi.
Par ailleurs, le projet de loi S‑15, par modification de la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (LPEAVSRCII) 4, limite aux fins d’un programme de recherche scientifique ou de conservation, ou encore lorsqu’il s’agit du bien‑être de l’animal, les raisons pour lesquelles le ministre de l’Environnement (le ministre) peut délivrer un permis d’importation ou d’exportation d’un éléphant ou d’un grand singe.
Au nombre des engagements énumérés dans la lettre de mandat qu’il a reçue en décembre 2021, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique a été chargé de présenter un projet de loi « pour protéger les animaux en captivité » et de « [t]ravailler avec des partenaires pour contrer le commerce illégal des espèces sauvages et pour mettre fin au commerce de l’ivoire de l’éléphant et de la corne de rhinocéros au Canada 5 ».
Le projet de loi S‑15 ressemble, sans lui être identique, au projet de loi S‑241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux) (titre abrégé : « Loi de Jane Goodall »), lequel est lui aussi parrainé par l’honorable sénateur Marty Klyne 6. Le projet de loi S‑218, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux) 7, qui a précédé le projet de loi S‑241, avait été déposé en novembre 2020 par l’ex‑sénateur Murray Sinclair, mais n’avait pas avancé au‑delà de l’étape de la deuxième lecture au Sénat. Le projet de loi S‑241 a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 8 juin 2023. Aux termes d’une motion adoptée à l’étape de la deuxième lecture au Sénat, le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles ont aussi été autorisés à étudier la teneur du projet de loi S‑241 8. Le 12 février 2024, le Sénat a adopté une motion afin de retirer le projet de loi S‑241, de décharger le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques du projet de loi et de décharger les deux autres comités de l’étude de la teneur de ce projet de loi 9. Aucun de ces trois comités sénatoriaux n’a tenu de réunion pour étudier ce projet de loi avant son retrait.
La cruauté animale et le bien‑être des animaux sous la garde d’êtres humains – y compris les mammifères marins en captivité dans des aquariums à des fins de démonstration, de spectacle, de réadaptation ou de recherche – sont traités à la fois par le Code et par la législation provinciale. La compétence législative en matière de lutte contre la cruauté animale est donc partagée entre les assemblées législatives fédérale et provinciales. La compétence du Parlement fédéral en la matière découle de l’autorité relative à la loi criminelle qui lui est accordée au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 10. C’est en vertu de cette autorité qu’ont été adoptés les articles 444 à 447.1 du Code, lesquels énoncent que c’est commettre une infraction que de, entre autres, volontairement causer ou permettre que soit causée à un animal une douleur, souffrance ou blessure sans nécessité, ou négliger de fournir à un animal domestique ou en captivité les aliments, l’eau, l’abri et les soins convenables.
Quant à la compétence des provinces, elle découle de leur autorité de faire des lois concernant la propriété et les droits civils, conformément au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 11. La compétence des provinces couvre non seulement les animaux, considérés comme une propriété, mais aussi les chenils et les animaleries, ainsi que certaines activités agricoles. Chaque province charge un organisme de faire respecter la loi provinciale sur la cruauté et la négligence envers les animaux. Par exemple, en Colombie‑Britannique, c’est la British Columbia Society for the Prevention of Cruelty to Animals (BC SPCA) qui veille à l’exécution de la Prevention of Cruelty to Animals Act 12. En Ontario, la Loi de 2019 sur les services provinciaux visant le bien‑être des animaux 13 est appliquée par les Services relatifs au bien‑être des animaux (SBA), au sein du ministère du Solliciteur général. Lorsqu’on leur signale un animal en détresse, la BC SPCA et les SBA sont habilités par la loi à intervenir (inspection, évaluation, application des règles) pour le protéger.
Les lois provinciales visent principalement à protéger les animaux plutôt qu’à punir ceux qui les maltraitent. C’est la gravité du mauvais traitement qui détermine quel régime juridique s’applique; il incombe au procureur de décider si une poursuite au pénal est justifiée.
Enfin, hormis la question de la cruauté animale, c’est au gouvernement fédéral qu’il revient de réglementer le commerce international et interprovincial d’espèces sauvages, ce qu’il fait dans le cadre de la LPEAVSRCII.
Le projet de loi S‑15 contient 10 articles, dont les principaux sont décrits ci‑dessous.
L’article 445.2 du Code énonce actuellement les infractions relatives au traitement des cétacés (baleines, dauphins et marsouins), au nombre desquelles on trouve l’interdiction d’être propriétaire d’un cétacé. L’article 1 du projet de loi S‑15 crée dans le Code des infractions similaires pour les éléphants et les grands singes en captivité. Des exceptions aux infractions relatives aux cétacés sont prévues pour les personnes qui étaient propriétaires de cétacés à l’entrée en vigueur des interdictions, qui ont la garde d’un cétacé « afin de lui fournir des soins ou d’assurer sa réadaptation après qu’il s’est blessé ou trouvé en détresse », ou qui sont autorisées à garder un cétacé en captivité dans l’intérêt de son bien‑être. Les infractions ont été créées lorsque le projet de loi S‑203, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins), a reçu la sanction royale en 2019 14. Le projet de loi S‑203 a aussi modifié la Loi sur les pêches afin d’ajouter des dispositions concernant la protection des cétacés 15.
Relativement aux éléphants et aux grands singes, commet une infraction quiconque possède, fait se reproduire ou féconde un de ces animaux en captivité (nouveaux sous‑al. 445.3(1)a)(i) et 445.3(1)a)(ii) du Code) ou, s’il possède un de ces animaux, omet de prendre des mesures raisonnables pour empêcher sa reproduction naturelle (nouveau sous‑al. 445.3(1)a)(iii) du Code). Par ailleurs, c’est commettre une infraction que de participer à des activités où ces animaux sont donnés en spectacle (nouvel al. 445.3(1)b) du Code) 16. Ces infractions, punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, sont passibles d’une amende maximale de 200 000 $.
L’article 1 du projet de loi prévoit plusieurs exceptions, notamment si la personne est en possession de l’animal à la date d’entrée en vigueur de la loi (nouveau par. 445.3(3) du Code), si l’animal est né à l’issue d’une période de gestation qui était en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi (nouveau par. 445.3(4) du Code), ou si la possession est dans l’intérêt de l’animal, dans le cadre d’un programme de recherche scientifique ou de conservation (nouveaux al. 445.3(5)a), 445.3(5)b), 445.3(5)c) et 445.3(5)d) du Code) ou aux fins de soins vétérinaires (nouvel al. 445.3(5)e) du Code). Ces exceptions s’appliquent en vertu, selon les circonstances, soit d’un permis délivré par le ministre aux termes de la LPEAVSRCII, soit d’une licence délivrée par une autorité provinciale compétente.
Les articles 2 à 9 du projet de loi modifient la LPEAVSRCII, dont l’objet énoncé est « la protection de certaines espèces animales et végétales, notamment par la mise en œuvre de la Convention [sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction] [CITES] et la réglementation de leur commerce international et interprovincial » (art. 4 de la LPEAVSRCII). La CITES, entrée en vigueur en 1975, comprend trois annexes où sont énumérées les espèces menacées d’extinction et dont le commerce est interdit sauf exception (annexe I), les espèces qui pourraient devenir menacées d’extinction si leur commerce n’était pas soumis à une réglementation (annexe II), et les espèces qui sont protégées dans au moins un pays, lequel demande aux autres parties à la Convention de l’aider à en contrôler le commerce (annexe III) 17.
Le paragraphe 6(1) de la LPEAVSRCII interdit l’importation des animaux ou des plantes inscrits aux annexes de la CITES s’ils ont été pris contrairement aux lois d’un État étranger. De même, il interdit l’importation de tout ou partie d’un animal, d’un végétal ou d’un produit qui en provient détenu, distribué ou acheminé contrairement aux lois d’un État étranger. Aux termes des paragraphes 6(2) et 6(3) de cette même loi, il est défendu d’importer, d’exporter et d’acheminer d’une province à l’autre tout animal ou végétal inscrit aux annexes de la CITES, à moins que le ministre n’ait délivré la licence prévue au paragraphe 10(1), conformément au Règlement sur le commerce d’espèces animales et végétales sauvages 18.
En vertu du paragraphe 10(1) de la LPEAVSRCII, le ministre peut délivrer, « aux conditions qu’il estime indiquées », une licence autorisant l’importation, l’exportation ou l’acheminement d’une province à l’autre d’un animal ou d’une plante inscrit aux annexes de la CITES. Le projet de loi S‑15 restreint ce pouvoir discrétionnaire pour ce qui est des éléphants et des grands singes. Ainsi, le paragraphe 3(2) du projet de loi (qui ajoute le paragraphe 6(2.1) à la LPEAVSRCII), combiné à l’article 5 (qui crée le paragraphe 10(1.1) de la LPEAVSRCII), autorise le ministre à délivrer un permis pour l’exportation ou l’importation d’un éléphant ou d’un grand singe à condition que ce soit dans l’intérêt de son bien‑être, ou dans le cadre d’un programme de recherche scientifique ou de conservation. Le ministre peut également délivrer un permis autorisant une personne à posséder un de ces animaux dans l’intérêt du bien‑être de l’animal, ou « à posséder, à faire se reproduire ou à féconder » l’animal dans le cadre d’un programme de recherche scientifique ou de conservation (nouveau par. 10(1.2) de la LPEAVSRCII). Ces exceptions reflètent celles qui se trouvent aux nouveaux alinéas 445.3(5)a) à 445.3(5)d) du Code créés à l’article 1 du projet de loi.
Actuellement, la LPEAVSRCII permet au ministre de déléguer, notamment à un ministre ou à un gouvernement provincial, le pouvoir de délivrer des permis. L’article 5 du projet de loi clarifie que, dans le cas des éléphants et des grands singes, ce pouvoir ne peut pas être délégué aux provinces, mais seulement à un autre ministre fédéral ou à un employé du gouvernement fédéral (nouveau par. 10(5) de la LPEAVSRCII).
L’article 6 du projet de loi exige que la personne qui possède un éléphant ou un grand singe à la date d’entrée en vigueur de la loi en avise le ministre dans les six mois suivants le lendemain de la date d’entrée en vigueur de l’article 443.3 du Code (nouvel art. 11.1 de la LPEAVSRCII). De plus, dans les deux ans suivant cette date, la personne doit aussi aviser le ministre si l’éléphant ou le grand singe qu’elle possède donne naissance, si la naissance survient à l’issue d’une période de gestation qui était en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi (nouvel art. 11.2 de la LPEAVSRCII). Enfin, la personne qui possède un éléphant ou un grand singe en vertu d’une licence provinciale doit en aviser le ministre dans les 60 jours suivant la date de délivrance de la licence (nouvel art. 11.3 de la LPEAVSRCII). Dans ces trois circonstances, l’avis au ministre doit être accompagné des renseignements que ce dernier demande.
Les peines prévues par la LPEAVSRCII sont divisées en deux catégories. Les premières s’appliquent aux infractions à la Loi elle‑même, à certaines dispositions des règlements ou à une ordonnance judiciaire rendue en vertu de la Loi (art. 22). Ce sont ces peines qu’encourt la personne qui importe ou exporte sans permis un éléphant ou un grand singe. Les sanctions prévues à l’article 22 varient selon que l’infraction est commise par une personne physique, une personne morale à revenus modestes ou une autre personne, et selon qu’il y a récidive ou non. Par exemple, pour une première infraction et sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, le contrevenant est passible d’une amende d’au plus 1 000 000 $ et d’un emprisonnement maximal de cinq ans, ou de l’une de ces peines. Quant à la deuxième catégorie de peines, elle regroupe celles qui s’appliquent aux infractions à la plupart des dispositions du Règlement sur le commerce d’espèces animales et végétales sauvages (art. 22.01). L’article 9 du projet de loi S‑15 modifie l’article 22.01, précisant que la personne qui contrevient à l’obligation de donner avis au ministre (nouveaux art. 11.1, 11.2 et 11.3 de la LPEAVSRCII) ou aux conditions du permis d’importation, d’exportation ou de possession d’un éléphant ou d’un grand singe commet une infraction. Comme à l’article 22, les peines énoncées à l’article 22.01 varient selon que l’infraction est commise par une personne physique, une personne morale à revenus modestes ou une autre personne. Par exemple, pour une première infraction, le contrevenant déclaré coupable par mise en accusation est passible d’une amende d’au plus 100 000 $.
Enfin, l’article 10 du projet de loi énonce les dispositions de coordination, qui toutes concernent le projet de loi S‑6, Loi concernant la modernisation de la réglementation 19. L’article 10 indique comment le projet de loi S‑6 influera sur le projet de loi S‑15, et vice‑versa, selon que l’un ou l’autre entre en vigueur le premier.
Les projets de loi S‑15 et S‑241 visent tous deux à accroître le bien‑être animal, mais le premier est plus ciblé, puisqu’il concerne spécifiquement les éléphants et les grands singes et n’aborde qu’un nombre réduit de mécanismes juridiques. En revanche, le projet de loi S‑241 couvre un plus grand nombre d’espèces animales et traite de mécanismes supplémentaires; il touche notamment aux défenseurs des animaux et étoffe les dispositions sur les ordonnances. Une partie de ces différences découle du processus de rédaction des amendements : le projet de loi S‑241 se veut une réécriture des dispositions (sur les cétacés) du projet de loi S‑203 afin d’y inclure les éléphants et les grands singes, alors que le projet de loi S‑15 propose un libellé nouvellement écrit touchant ces deux mêmes espèces animales. Certains commentaires d’intervenants, ainsi qu’une partie des discours prononcés au Sénat lors de la deuxième lecture du projet de loi S‑15, expriment une préférence pour le projet de loi S‑241 20. Le tableau 1 présente une comparaison des deux projets de loi.
Différences | Projet de loi S‑15 | Projet de loi S‑241 |
---|---|---|
Portée du texte et espèces visées | Éléphants et grands singes | Les éléphants et les grands singes sont au nombre des « animaux désignés » énumérés dans les annexes, les dates d’entrée en vigueur des dispositions pouvant varier; les grands félins, les ours, les loups, les pinnipèdes, les primates non humains, les reptiles dangereux et d’autres animaux non domestiques sont également visés |
Confère le pouvoir d’ajouter ou de soustraire des espèces à la liste des animaux protégés par le projet de loi | Non | Oui |
Reconnaît que certains organismes, s’ils ont la licence nécessaire, peuvent fournir des soins aux grands singes et en avoir la garde à des fins scientifiques, et prévoit la désignation d’organismes animaliers particuliers | Non | Oui |
Interdit de garder en captivité, de faire se reproduire et de donner en spectacle certains animaux | Oui | Oui |
Exige du propriétaire qu’il prenne des mesures raisonnables pour empêcher la reproduction naturelle de certains animaux | Oui | Non |
Interdit de posséder le matériel reproductif de certains animaux | Non | Oui |
Prévoit des exceptions pour les animaux en captivité à l’entrée en vigueur de la loi | Oui | Oui |
Prévoit que les défenseurs des animaux peuvent représenter les intérêts des animaux devant les tribunaux | Non | Oui |
Traite des ordonnances pouvant être prises dans l’intérêt de l’animal | Non | Oui |
Par modification de la LPEAVSRCII, soumet l’importation ou l’exportation des animaux visés à l’obtention d’une licence, laquelle ne sera accordée que dans l’intérêt de l’animal ou à des fins scientifiques | Oui | Oui |
Par modification de la LPEAVSRCII, exige des personnes en possession de certains animaux d’en donner avis dans les formes prévues | Oui | Non |
Reconnaît les droits autochtones et issus des traités | Ne le mentionne pas explicitement a | Oui |
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