Résumé législatif du projet de loi S-206 : Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés)

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi S-206 : Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés)
Lyne Casavant, Division des affaires juridiques et sociales
Chloé Forget, Division des affaires juridiques et sociales
Publication no 44-1-S206-F
PDF 858, (8 Pages) PDF
2022-12-09

À propos de cette publication

Dans ce résumé législatif de la Bibliothèque du Parlement, tout changement d'importance depuis la publication précédente est signalé en caractères gras.


1 Contexte

Le projet de loi S-206, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés) 1, a reçu la sanction royale le 18 octobre 2022. Il avait été déposé au Sénat par l’honorable sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, parrain du projet de loi, le 24 novembre 2021.

Depuis 2018, plusieurs projets de loi identiques au projet de loi S-206 ont été déposés au Sénat et à la Chambre des communes.

Plus précisément, le 29 octobre 2018, le député Michael Cooper a déposé le projet de loi C-417, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés) 2, à la Chambre des communes. Ce projet de loi a été adopté à la Chambre des communes, mais est mort au Feuilleton au Sénat.

De même, en 2019 et en 2020, l’honorable sénateur Pierre Hugues Boisvenu a déposé au Sénat les projets de loi S-207 et S-212, mais ceux-ci sont également morts au Feuilleton 3.

Le projet de loi S-206 modifie l’article 649 du Code criminel (le Code4, qui interdit à un juré de divulguer tout renseignement relatif aux délibérations du jury et qui en fait une infraction, afin d’y établir une nouvelle exception permettant aux anciens jurés de discuter des délibérations du jury avec des professionnels de la santé, s’ils en ressentent le besoin, une fois le procès terminé.

1.1 Ancien libellé de l’article 649 du Code criminel

L’article 649 du Code interdit à un juré de discuter du contenu des délibérations du jury avec qui que ce soit. Par conséquent, un juré qui divulgue le contenu des délibérations du jury peut être reconnu coupable d’une infraction par voie de poursuite sommaire. L’ancien libellé de l’article 649 prévoyait deux exceptions à la règle du secret des délibérations aux alinéas 649a) et 649b) :

Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire tout membre d’un jury ou toute personne qui fournit une aide technique, personnelle ou autre, ou des services d’interprétation, à un membre du jury ayant une déficience physique et qui, sauf aux fins :

  1. soit d’une enquête portant sur une infraction visée au paragraphe 139(2) dont la perpétration est alléguée relativement à un juré;
  2. soit de témoigner dans des procédures engagées en matière pénale relativement à une telle infraction,

divulgue tout renseignement relatif aux délibérations du jury, alors que celui-ci ne se trouvait pas dans la salle d’audience, qui n’a pas été par la suite divulgué en plein tribunal.

L’article 649 du Code s’appuie sur le principe de common law qui veut que « le jury doit délibérer en privé, à l’abri des interventions extérieures 5 ». D’ailleurs, en vertu de la règle de common law sur le secret des délibérations du jury, « un juré ne peut témoigner sur l’effet qu’a eu quoi que ce soit sur son esprit, ses sentiments ou sa décision finale, ou sur l’esprit, les sentiments ou la décision finale des autres jurés 6 ». En effet, « les déclarations, opinions, arguments et votes des membres d’un jury dans le cours de leurs délibérations sont inadmissibles dans toute instance judiciaire 7 ». Selon la Cour suprême du Canada,

[c]onjuguée à l’art. 649 du Code, la règle de common law sur le secret des délibérations du jury permet de faire en sorte que les jurés se sentent à l’aise d’exprimer librement leurs points de vue dans la salle des jurés et que ceux d’entre eux qui ont des opinions minoritaires ne se sentent pas contraints d’y renoncer en raison des répercussions négatives que pourrait entraîner leur expression 8.

1.2 Rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne

En 2017 et 2018, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (le Comité) a mené une étude sur le counseling et les autres services de santé mentale offerts aux jurés. En mai 2018, le Comité a présenté à la Chambre son rapport intitulé Mieux soutenir les jurés au Canada, lequel comprend un chapitre sur les répercussions de la règle du secret des délibérations du jury 9.

Dans ce rapport, le Comité explique que « l’étape des délibérations est une expérience difficile qui peut s’avérer particulièrement stressante pour certains jurés 10 » et qu’une « conséquence néfaste de [l’article 649] est qu’[il] empêche les jurés de discuter de l’expérience qu’ils ont vécue pendant les délibérations avec un professionnel de la santé mentale 11 ». Plusieurs témoins entendus par le Comité avaient recommandé à ce dernier de modifier l’article 649 du Code « de manière à ce que les jurés soient autorisés à discuter des délibérations avec un professionnel de la santé mentale 12 ». Ceux-ci avaient également mentionné, au cours de l’étude, qu’il était important que le counseling ne soit autorisé qu’une fois le procès terminé afin de protéger l’intégrité des procédures.

Le Comité a donc conclu dans son rapport qu’il était essentiel, pour assurer le bien être des anciens jurés, d’établir une exception à la règle du secret des délibérations du jury afin de permettre aux jurés, une fois le procès terminé, d’en discuter, à des fins thérapeutiques, avec un professionnel de la santé désigné. Précisément, le Comité a fait la recommandation suivante au gouvernement du Canada :

Recommandation 4 – Assouplissement de la règle du secret des délibérations

Que le gouvernement du Canada modifie l’article 649 du Code criminel afin que les jurés soient autorisés à discuter des délibérations avec des professionnels de la santé mentale désignés une fois que le procès est terminé 13.

Dans sa réponse au rapport, l’ancienne ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable Jody Wilson-Raybould, avait indiqué, au nom du gouvernement du Canada, ce qui suit concernant la modification recommandée par le Comité :

La responsabilité fédérale en matière de droit pénal inclut la procédure pénale et les infractions au Code criminel. L’article 649 du Code criminel interdit aux jurés de divulguer des renseignements sur ce qui s’est passé dans la salle des jurés et qui n’ont pas été divulgués par la suite en plein tribunal. L’article a été adopté en 1972 pour veiller à ce que la salle des jurés soit traitée comme un forum confidentiel. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans R c Pan (2001), la justification du secret des délibérations du jury comprend la promotion d’un débat franc par les jurés, l’assurance du caractère définitif des verdicts et la protection des jurés contre les représailles. Bien que l’article 649 du Code criminel n’interdise pas de discuter de ses émotions au cours des délibérations ou des procédures, ni de la preuve présentée au tribunal, il interdit la divulgation de renseignements tels que les opinions exprimées, les arguments présentés et les votes au cours des délibérations du jury.

Le Comité estime que l’article 649 du Code criminel crée un obstacle aux discussions approfondies entre les jurés et les professionnels de la santé mentale et recommande de le modifier afin de permettre à un juré de discuter des délibérations du jury avec des professionnels de la santé mentale désignés une fois le procès terminé, comme le prévoit la Juries Act de l’État de Victoria de l’Australie.

La Cour suprême du Canada et le Comité directeur sur l’efficacité de la justice et l’accès à la justice (un comité indépendant composé de sous-ministres fédéraux et provinciaux, de représentants de la magistrature et du barreau) dans leur rapport de 2009 sur la réforme du jury ont souligné l’importance d’envisager des modifications à l’article 649 afin de permettre la recherche universitaire dans le processus de délibération du jury. Plus récemment, la difficulté d’entreprendre des recherches universitaires sur les jurés a été soulignée dans de nombreux reportages médiatiques sur des questions liées à la représentativité des jurés, où les chercheurs ont dû se présenter physiquement dans les salles d’audience pour noter l’origine ethnique et d’autres caractéristiques des jurés.

Je m’engage à examiner des questions en lien avec les jurys, y compris l’article 649 du Code criminel, avec mes collègues provinciaux et territoriaux dans le cadre de mon examen continu du système de justice pénale, qui appliquerait une Approche comparative entre les sexes plus pour identifier les impacts différentiels possibles 14.

Lors des débats entourant le projet de loi S-206 au Sénat, l’honorable Pierre Hugues Boisvenu avait souligné que le projet de loi découlait de la recommandation 4 du Comité 15. À la Chambre des communes, lors des débats sur le projet de loi C-417, le député Michael Cooper avait aussi souligné que ce projet de loi découlait du rapport du Comité 16.

2 Description et analyse

L’article 1 du projet de loi modifie l’article 649 du Code de manière à prévoir au nouvel alinéa 649(2)c) que la règle du secret des délibérations des jurés ne s’applique pas à la divulgation de renseignements aux fins :

c) soit d’un traitement médical ou psychiatrique, d’une thérapie ou de services de consultation fournis après le procès par un professionnel de la santé à toute personne visée au paragraphe (1) relativement à des problèmes de santé consécutifs ou liés aux fonctions de cette personne en tant que membre d’un jury ou personne ayant fourni de l’aide ou des services à un membre d’un jury lors du  procès.

De même, il ajoute le paragraphe 649(3) qui prévoit que « pour l’application de l’alinéa (2)c), le professionnel de la santé qui fournit un traitement médical ou psychiatrique, une thérapie ou un service de consultation doit être autorisé par le droit d’une province à le faire ».


Notes

  1. Projet de loi S-206, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés), 44e législature, 1re session (L.C. 2022, ch. 12). [ Retour au texte ]
  2. Projet de loi C-417, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés), 42e législature, 1re session. [ Retour au texte ]
  3. Projet de loi S-207, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés), 43e législature, 1re session; et Projet de loi S-212, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés), 43e législature, 2e session. [ Retour au texte ]
  4. Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 649 (version en vigueur du 17 novembre 2022 au 14 décembre 2022). [ Retour au texte ]
  5. c. Pan; R. c. Sawyer, 2001 CSC42, par. 47. [ Retour au texte ]
  6. Ibid., par. 77. [ Retour au texte ]
  7. Ibid. [ Retour au texte ]
  8. Ibid., par. 81. [ Retour au texte ]
  9. Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Mieux soutenir les jurés au Canada pdf (6,58 Mo, 84 pages), vingtième rapport, mai 2018. [ Retour au texte ]
  10. Ibid., p. 31. [ Retour au texte ]
  11. Ibid., p. 32. [ Retour au texte ]
  12. Ibid. [ Retour au texte ]
  13. Ibid., p. 33. [ Retour au texte ]
  14. Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice et procureur général du Canada, Réponse du gouvernement au vingtième rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne intitulé Mieux soutenir les jurés au Canada, déposé le 22 mai 2018. [ Retour au texte ]
  15. Sénat, Débats, 1er décembre 2021 (Pierre-Hugues Boisvenu). [ Retour au texte ]
  16. Chambre des communes, Débats, 27 novembre 2018, 1855 (Michael Cooper); et Chambre des communes, Débats, 12 avril 2019, 1330 (Michael Cooper). [ Retour au texte ]


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