Résumé législatif du projet de loi S-223 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains)

Résumé Législatif
Résumé législatif du projet de loi S-223 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains)
Lara Coleman, Division des Affaires juridiques, sociales et autochtones
Jean-Philippe Duguay, Division des Affaires juridiques, sociales et autochtones
Alexandra Smith, Division des Affaires juridiques, sociales et autochtones
Publication no 44-1-S223-F
PDF 660, (9 Pages) PDF
2023-06-29

À propos de cette publication

 

Dans ce résumé législatif de la Bibliothèque du Parlement, tout changement d'importance depuis la publication précédente est signalé en caractères gras.


1 Contexte

Le projet de loi S-223, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains), a été présenté au Sénat par la sénatrice Salma Ataullahjan le 24 novembre 2021 et a reçu la sanction royale le 15 décembre 2022 1. Il modifie le Code criminel (le Code) pour ériger en infraction le trafic d’organes humains, y compris ce qu’il est convenu d’appeler le « tourisme de transplantation ». Il modifie également la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) afin d’interdire de territoire les résidents permanents ou les étrangers qui, de l’avis du ministre compétent, se sont livrés à une activité liée au trafic d’organes humains.

1.1 Contexte du trafic d’organes au Canada et à l’étranger

Par trafic d’organes, on entend généralement la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes, ce qui est interdit par le droit international dans le cadre de l’interdiction générale visant la traite des personnes, qui comprend l’exploitation aux fins de prélèvement d’organes 2. Des organisations gouvernementales et non gouvernementales, y compris des associations médicales, interprètent cette interdiction comme incluant les transplantations où le donneur d’organe tire un profit de la transaction 3.

Selon des estimations prudentes, l’industrie du trafic d’organes génère des revenus annuels de l’ordre de 840 millions à 1,7 milliard de dollars américains découlant d’environ 12 000 transplantations illégales 4. Un facteur contribue à ce commerce : la demande mondiale d’organes dépasse largement l’offre. Au Canada, par exemple, en 2019, 4 352 personnes attendaient une transplantation d’organe; au cours de cette même année, 3 084 organes ont été transplantés et 249 personnes sont décédées alors qu’elles attendaient une transplantation 5.

Le Canada est un pays d’origine pour les personnes souhaitant acheter des organes, plutôt qu’un pays de destination 6. Pour l’heure, le Canada ne dispose d’aucune loi qui interdise à la population canadienne de se rendre à l’étranger pour recevoir une greffe. Cette pratique connue sous le nom de « tourisme de transplantation » est condamnée sans appel par la communauté internationale et les professionnels de la santé, à la fois pour des raisons éthiques et de santé 7.

1.2 Traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes et Code criminel

Le Code 8 interdit la traite des personnes. Les articles 279.01 et 279.011 (pour les personnes de moins de 18 ans) du Code érigent en infraction le fait de recruter, de transporter ou d’héberger une personne ou le fait d’exercer un contrôle sur elle en vue de l’exploiter. Une personne ne peut consentir à faire l’objet de la traite.

L’article 279.04 du Code décrit ainsi l’exploitation :

(1) […] une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir – ou à offrir de fournir – son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît.

Facteurs

(2) Pour déterminer si un accusé exploite une autre personne au titre du paragraphe (1), le tribunal peut notamment prendre en compte les faits suivants :

  1. l’accusé a utilisé ou menacé d’utiliser la force ou toute autre forme de contrainte;
  2. il a recouru à la tromperie;
  3. il a abusé de son pouvoir ou de la confiance d’une personne.

Le paragraphe 279.04(3) du Code précise que l’exploitation comprend aussi le fait d’amener une personne, par la tromperie ou l’usage de toute autre forme de contrainte, à se faire prélever un organe ou des tissus.

La traite des personnes est une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans, la peine d’emprisonnement minimale étant de quatre ans (cinq ans si la victime a moins de 18 ans). Si l’auteur de l’infraction se livre sur la personne à des voies de fait graves ou à une agression sexuelle grave, l’enlève ou cause sa mort lors de la perpétration de l’infraction, il est passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale obligatoire étant de cinq ans (six ans si la victime a moins de 18 ans) d’emprisonnement. (art. 279.01 et 279.011 du Code) Constitue aussi une infraction le fait de bénéficier d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, que l’on sait provenir de la traite des personnes. La peine d’emprisonnement maximale dans ce cas est alors de 10 ans si la victime est adulte. Si la victime a moins de 18 ans, la peine d’emprisonnement maximale est de 14 ans et la peine minimale obligatoire d’emprisonnement, de deux ans (art. 279.02 du Code).

Le Code érige aussi en infraction le fait de retenir ou de détruire des documents en vue de se livrer à la traite des personnes (art. 279.03 du Code).

Aux termes du paragraphe 7(4.11) du Code, tout citoyen canadien ou résident permanent qui commet à l’extérieur du Canada une infraction prévue aux articles 279.01 à 279.03 est réputé l’avoir commis au Canada. Ce paragraphe garantit l’application extraterritoriale de l’infraction liée à la traite de personnes.

Il est à noter que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime distingue les termes « trafic d’organes » et « traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes ». Dans sa trousse d’outils d’évaluation concernant la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes, il explique ce qui suit :

Il existe une confusion fréquente, dans le débat public, mais aussi dans les milieux judiciaires et scientifiques, entre le trafic d’organes et la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes. Dans le cas du trafic d’organes, l’objet du crime est l’organe, tandis que dans le cas de la traite des personnes, ce sont les personnes qui font l’objet du crime. Le trafic d’organes peut être tributaire de la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes, mais il survient aussi fréquemment sans lien avec la traite de personnes. Cette confusion nuit à l’efficacité des mesures de lutte contre ces deux crimes comme à celle des mesures de protection et d’assistance pour les victimes 9.

1.3 Autres lois portant sur la traite des personnes aux fins de prélèvement d’organes

Au cours des dix dernières années, on a tenté plus d’une fois de modifier le Code, sous forme de projets de loi d’intérêt public du Sénat et de projets de loi émanant de députés déposés à la Chambre des communes, pour y ajouter des dispositions traitant explicitement du trafic d’organes et d’autres parties du corps humain 10. Le plus récent d’entre eux était le projet de loi S-204, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains), aussi présenté par la sénatrice Ataullahjan et déposé au Sénat le 30 septembre 2020 11.

Le projet de loi S-204 a été adopté par le Sénat le 6 mai 2021. Il est ensuite passé à la Chambre des communes, où il est mort au Feuilleton à la dissolution de la 43e législature, après avoir franchi l’étape de la première lecture.

2 Description et analyse

Le projet de loi S-223 contient trois articles. Les deux premiers articles ajoutent de nouvelles infractions au Code, tandis que le troisième modifie la LIPR.

2.1 Nouvelles infractions relatives au trafic d’organes humains (art. 2)

L’article 2 du projet de loi ajoute l’article 240.1 au Code. Le nouveau paragraphe 240.1(1) érige en infraction le fait :

  • de recevoir une transplantation d’organe ou d’obtenir un organe à des fins de greffe sur un tiers en sachant que le prélèvement est fait sans le consentement éclairé de la personne sur qui l’organe a été prélevé ou de la personne autorisée à y consentir pour elle, ou sans se soucier de savoir si ce consentement a été donné;
  • de se livrer ou de participer au prélèvement d’un organe sur une autre personne, ou de faciliter pareil prélèvement, en sachant que le prélèvement est fait sans le consentement éclairé de la personne sur qui l’organe a été prélevé ou de la personne autorisée à y consentir pour elle, ou sans se soucier de savoir si ce consentement a été donné;
  • de faire quelque chose, relativement au prélèvement d’un organe sur une autre personne, au nom de la personne qui prélève l’organe – ou sous sa direction ou en collaboration avec celle-ci – en sachant que le prélèvement est fait sans le consentement éclairé de la personne sur qui l’organe est prélevé ou de la personne autorisée à y consentir pour elle, ou sans se soucier de savoir si le consentement a été donné.

Dans chaque cas, pour commettre une infraction, l’accusé doit savoir que la personne sur qui l’organe a été prélevé n’a pas donné son consentement, doit avoir volontairement fermé les yeux à ce sujet ou ne doit pas s’en être soucié.

Le nouveau paragraphe 240.1(2) érige en infraction le fait d’obtenir un organe, de participer à son obtention ou de la faciliter, sachant que l’organe a été obtenu pour une contrepartie ou ne se souciant pas de le savoir.

Enfin, le nouveau paragraphe 240.1(3) précise que les infractions prévues aux nouveaux paragraphes 240.1(1) et 240.1(2) du Code sont des actes criminels punissables d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

2.2 Compétence extraterritoriale (art. 1)

Le paragraphe 1(1) du projet de loi ajoute au Code le paragraphe 7(4.2), qui prévoit que les Canadiens ou les résidents permanents qui commettent, à l’étranger, une infraction aux termes du nouvel article 240.1 sont réputés l’avoir commis au Canada. Autrement dit, le Canada a compétence extraterritoriale sur cette infraction.

Le paragraphe 6(2) du Code énonce que, sous réserve du Code ou de toute autre loi fédérale, nul ne doit être déclaré coupable d’une infraction commise à l’étranger ou en être absous. C’est pourquoi on ajoute souvent des dispositions prévoyant la compétence extraterritoriale dans les lois canadiennes portant sur les crimes internationaux et transnationaux, dont les infractions relatives à la traite des personnes.

Le paragraphe 1(2) du projet de loi modifie aussi le paragraphe 7(4.3) du Code afin d’exiger le consentement du procureur général ou du solliciteur général d’une province pour engager des procédures relatives à une infraction relevant du nouveau paragraphe 7(4.2) 12. Ce consentement n’est pas requis pour les procédures extraterritoriales visant d’autres infractions relatives à la traite des personnes dans le Code.

2.3 Modification de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (art. 3)

Le paragraphe 35(1) de la LIPR énumère les motifs pour lesquels les résidents permanents ou les étrangers sont interdits de territoire au Canada pour atteinte aux droits humains ou internationaux 13. L’article 3 du projet de loi modifie le paragraphe 35(1) de la LIPR en ajoutant un nouveau motif d’interdiction de territoire : avoir eu un comportement qui, de l’avis du ministre pertinent, constituerait une infraction à l’article 240.1 du Code criminel.


Notes

  1. Projet de loi S-223, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains), 44e législature, 1re session (L.C. 2022, ch. 18). [ Retour au texte ]
  2. Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme) est l’instrument de protection des droits des personnes qui prévoit la définition juridique internationale de la traite des personnes. Il a été adopté par l’entremise de la résolution A/RES/55/25 de l’Assemblée générale, le 15 novembre 2000, a été ratifié par le Canada en mai 2002 et est entré en vigueur le 25 décembre 2003. Voir Organisation des Nations Unies, Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants pdf (51 Ko, 12 pages), 15 novembre 2000, al. 3a). [ Retour au texte ]
  3. Voir, par exemple, Société internationale de transplantation et Société internationale de néphrologie, The Declaration of Istanbul on Organ Trafficking and Transplant Tourism pdf (79 Ko, 10 pages), mai 2008 [en anglais]. Cette déclaration a été mise à jour en 2018 « en réponse aux développements cliniques, réglementaires et sociaux dans le domaine ». Voir Société internationale de transplantation et Société internationale de néphrologie, La Déclaration d’Istanbul sur le trafic d’organes et le tourisme de transplantation (édition 2018) pdf (116 Ko, 4 pages). [ Retour au texte ]
  4. Channing May, Global Financial Integrity, Transnational Crime and the Developing World pdf (5,76 Mo, 166 pages), mars 2017, p. 29. [ Retour au texte ]
  5. Institut canadien d’information sur la santé, « Statistiques annuelles sur les transplantations d’organes au Canada : Dialyse, transplantation et don d’organes, 2010 à 2019 » pdf (496 Ko, 6 pages), Analyse éclair, décembre 2020, p. 2. [ Retour au texte ]
  6. Yosuke Shimazono, « Public health reviews: The state of the international organ trade: a provisional picture based on integration of available information » pdf (182 Ko, 8 pages), Bulletin de l’Organisation mondiale de la Santé, vol. 85, no 12, décembre 2007, p. 955 à 962 [en anglais – une traduction du résumé figure à la fin de l’article]. Parmi les autres principaux pays d’origine des patients qui se rendent à l’étranger pour acheter des organes aux fins d’une greffe (pays importateurs d’organes), on compte l’Arabie saoudite, l’Australie, les États-Unis, Israël, le Japon et Oman. Voir aussi Lindsey McKay, « Generating Ambivalence: Media Representations of Canadian Transplant Tourism », Studies in Social Justice, vol. 10, no 2, 2016, p. 323. [ Retour au texte ]
  7. Gendarmerie royale du Canada, « Les faits : Commerce illicite d’organes », Gazette, vol. 76, no 3, 3 octobre 2014. [ Retour au texte ]
  8. Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. [ Retour au texte ]
  9. Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Assessment Toolkit: Trafficking in Persons for the Purpose of Organ Removal pdf (1,74 Mo, 149 pages), 2015, p. 17 [traduction]. [ Retour au texte ]
  10. Voir Projet de loi C-561, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic et transplantation d’organes et d’autres parties du corps humain), 41e législature, 2e session; Projet de loi C-381, Loi modifiant le Code criminel (trafic et transplantation d’organes et d’autres parties du corps humain), 40e législature, 3e session; Projet de loi C-381, Loi modifiant le Code criminel (trafic et transplantation d’organes et d’autres parties du corps humain), 40e législature, 2e session; et Projet de loi C-500, Loi modifiant le Code criminel (trafic et transplantation d’organes et d’autres parties du corps humain), 39e législature, 2e session. [ Retour au texte ]
  11. Projet de loi S-204, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains), 43e législature, 2e session. [ Retour au texte ]
  12. Le terme « procureur général » est défini dans le Code criminel. Au Yukon, dans les Territoires du Nord‑Ouest et au Nunavut, le consentement est accordé par le procureur général du Canada ou son substitut légitime. Voir Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 2, al. a) et b) de la définition de « procureur général ». [ Retour au texte ]
  13. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, par. 35(1). [ Retour au texte ]


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