À tous les poètes, lecteurs et citoyens,
Au cours de mon mandat en tant que 7e poète officiel du Parlement, je présenterai sur cette tribune un poème du mois, qui mettra en relief la diversité de la poésie qui se compose au Canada de nos jours. Je chercherai à faire découvrir les voix, écoles et esthétiques marginalisées ou négligées. J'espère que les poèmes et les poètes choisis sauront vous fasciner, vous inspirer et vous servir de modèles. Je souhaite qu'ils vous incitent à aller en lire d'autres ou même à tenter d'adopter un style analogue. Je vous remercie sincèrement de passer du temps sur ce site.
Salutations,
George Elliott Clarke, OC, ONS, Ph.D.
Septième poète officiel du Parlement
Par: Serge Haïti Moïse
Tiré de Moïku : Tome II
© Serge H. Moise
En tant que 7e poète officiel du Parlement (2016 2017), mon choix final, pour la sélection du « poème du mois », se porte sur une œuvre de Serge Haïti Moise, un poète québécois d’origine haïtienne qui versifie dans son français maternel. M. Moise est l’inventeur d’un quatrain qu’il appelle « moïku » – essentiellement un haïku un peu plus long et au rythme plus vigoureux – qui évoque la puissance du rythme que l’on retrouve dans le rap, le calypso, le blues et d’autres styles musicaux inspirés des sons africains, pour appréhender succinctement les vérités politiques et impolitiques. J’admire la vivacité d’esprit que met en valeur cette forme poétique, ainsi que la verve narquoise de M. Moise. Je vous invite donc, cher lecteur, à découvrir l’ensemble de son œuvre. Et puisque certains s’inquiètent du nombre croissant de demandeurs d’asile haïtiens, je pense qu’il est bon de rappeler aux Canadiens combien les Haïtiens ont enrichi notre littérature – comme Dany Laferrière, qui a reçu le Prix Médicis et a été admis au sein de l’Académie française. Et ces vers écrits en français sont pour moi une occasion de souhaiter la bienvenue au 8e poète parlementaire – « mon semblable » (comme dirait Baudelaire), qui sera francophone et prendra ma place le 1er janvier 2018. Merci.
Moïku
Je m’appelle Serge Haïti Moise
Et je ne suis pas un rat : d’église
Je rêve d’Haïti ma terre promise
Qui finira par résoudre ses crises
***
Le bwana inventa les cieux
Afin de réinventer ses dieux
Et dominer les malheureux
Incapables d’ouvrir les yeux
***
Méfie-toi de tous ces rats
Qui sont dans la diaspora
Heureux d’avoir un visa
Et qui font des coups bas
***
Nos intellos à la con
Parlent de révolution
Assis dans leur salon
À écrire des pétitions
***
Nous faisons du blablabla
Et tout en baissant les bras
Nous vivons le branle-bas
Qui annoncerait le combat
***
Le jour où les intello-nègres
À l’instar des pisse-vinaigre
Tourneront le dos à la pègre
Ils pourront se dire intègres
***
Dites-moi si ces crimes odieux
Sont des sacrifices à nos dieux
Ces millions de malheureux
Exterminés sous nos yeux
***
Tu lis l’anglais et l’espagnol
Et pas un mot de ton créole
Tu es donc un beau : guignol
Très fier d’être en métropole
***
Des mots encore des mots
Qui nous rendent plus sots
Nous causent tant de maux
Et au profit de ces féodaux
***
Ils ignorent tout de l’amour
Et ils en rêvent tous les jours
Quand ils le croisent l’amour
Ils prennent le premier détour
***
Et si on écoutait les poètes
Il n’y aurait pas de tempête
Mais le son des trompettes
Qui invitent à faire la fête
***
Le poète qui ne parle que d’amour
Et qui se redit hélas tous les jours
Assis tranquillement dans : sa cour
Rêve qu’on vienne lui faire la cour
Serge H. Moïse
Petit-fils et neveu d'avocats, fils de notaire, avocat lui-même, Me Serge H. Moïse est ce qu'il est convenu d'appeler dans le jargon des juristes, un enfant de la basoche. Amant des belles lettres depuis sa tendre jeunesse. Au cours de ses études classiques, il eut à participer à un concours organisé par les lycées de la république en matière de dissertation et il eut le grand bonheur d'avoir été élu lauréat dudit concours. Et depuis Me Serge H. Moïse caresse deux passions : les sciences juridiques et les belles lettres, en particulier la poésie. Auteur d'au moins deux cent cinquante textes poétiques et d'une centaine d'articles d'intérêt général publiés dans les colonnes de journaux de différents pays de la francophonie, il a eu innover en matière de poésie brève en inventant le moïku dont deux recueils sont déjà édité et un troisième en gestation. Il a également publié les Aphorismes de Me Moïse.
Par: Adebe DeRango-Adem
Version originale anglaise Terra Incognita
Tiré de Terra Incognita, Inanna Publications, 2010
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D
La poésie d’Adebe DeRango-Adem s’inscrit dans le vaste et incommensurable paysage de ses identités imbriquées : Canadienne, Éthiopienne, Italienne. Avec passion, avec un avant-gardisme brillant et avec une audace implacable et magnifique, elle explore la trinité de ses origines — évoquant Tekahionwake, Dante et Haïlé Sélassié — pour représenter les calamités du colonialisme, de l’impérialisme, de l’esclavage et de la guerre. Elle témoigne — brosse le tableau — des luttes pour la Justice, pour des sociétés justes au Canada, en Éthiopie, en Italie et partout dans le monde. Ses œuvres sont magnifiquement politiques, immensément touchantes du fait qu’elle met sa féroce intelligence (riche des littératures panafricaines, canadiennes et européennes) au service d’un questionnement inébranlable, absolu, de toutes les ontologies et de toutes les épistémologies. Pour nous amener à voir la Vérité. mers/peaux inexplorées histoires/péchés
Terra incognita
inconnus
régions non cartographiées
corps non documentés
ne nous cherchez pas dans les textes anciens
ni dans les annexes, nous sommes unknown lands,
nous avons toujours été un peuple
en fin de série
nos fragments humains inconnus,
jetés dans la mare incognitum,
nous nous dirigeons vers le fin fond
du cosmos, vers des mondes réservés
à l’autre, nous dressons à nouveau des cartes
même si nous ne voulons pas être entièrement explorés
nous voulons seulement qu’on se souvienne de nous
au lieu d’être forcés à entrer dans le royaume de la gnose
anonyme, ce royaume du savoir
qui enseigne seulement la reconnaissance
de la différence
de la terra pericolosa,
de l’obscurité, ce mal de mer transatlantique
lorsque nos fantômes ont quitté Rome,
ou l’égorgement pythagoréen qui précède
notre hantement et notre vie –
le passage intermédiaire où je suis née
où à une époque lointaine les cartes
comme la peau ne signifiaient rien, où les espèces en voie de disparition
c’était nous tous, où le mystère
n’était pas dégradable, où l’Esprit
n’était jamais fin.
Adebe DeRango-Adem
Adebe DeRango-Adem est une écrivaine dont les œuvres ont paru dans plusieurs publications, comme The Claremont Review, CV2, le Toronto Star, Room Magazine, Cosmonauts Avenue et Jacket2 (à venir). Elle a étudié à la Jack Kerouac School of Disembodied Poetics (Université Naropa), où elle a pu profiter du mentorat de poètes comme Anne Waldman et Amiri Baraka. Dans son premier recueil de poèmes, Ex Nihilo (Frontenac House, 2010), elle songe à la manière dont l’art peut lutter contre l’annihilation de certaines identités qui peinent à survivre dans l’impossibilité du monde post-racial. L’année de sa publication, Ex Nihilo a été retenu parmi les finalistes du prix Dylan Thomas, le plus important prix pour les écrivains de moins de 30 ans au monde. Adebe DeRango-Adem a également dirigé, avec Andrea Thompson, l’ouvrage Other Tongues: Mixed-Race Women Speak Out (Inanna Publications, 2010), une anthologie d’œuvres d’art et de textes qui explorent la manière dont les femmes d’origines mixtes en Amérique du Nord définissent leur identité au XXIe siècle. Son plus récent recueil de poésie, Terra Incognita (Inanna Publications, 2015), explore avec créativité les différents discours raciaux et interraciaux qui traversent tant les grandes lignes de l’histoire que le quotidien des personnes d’origines mixtes. Des poèmes de ce recueil ont été retenus pour le prix de poésie Cosmonauts Avenue de 2016, décerné par la poète primée Claudia Rankine. Terra Incognita a également été retenu parmi les finalistes du prix Pat Lowther. Adebe DeRango-Adem a été qualifiée en 2016 d’« écrivaine à surveiller » par le Poète officiel du Parlement du Canada, George Elliott Clarke, au nom de la CBC.
Par: John Lee
Version originale anglaise On Kindness
© par John Lee
John B. Lee représente si parfaitement le civil et le populaire qu’il a été nommé poète officiel (à vie) du comté de Norfolk et poète officiel (à vie) de Brantford, deux municipalités de l’Ontario. Le fait qu’il possède deux degrés d’immortalité gouvernementale (pour ainsi dire) représente bien le respect public accordé à sa vision de la citoyenneté locale et de l’expérience globale. Auteur de plus de 80 ouvrages et récipiendaire de plus de 100 prix, Lee est un poète méditatif et profondément philosophique, capable de faire appel aux sentiments et de parler avec le cœur sans une once de sentimentalité. Son poème « On Kindness » est le parfait exemple de sa capacité à examiner sa propre vie et ses relations, et à puiser dans ses émotions personnelles les éléments universels qui nous lient tous, parfois avec une pointe d’ironie et/ou d’ambiguïté.
Bonté
Écris le mot amour sur
une blanche feuille
de papier à lettre,
puis
écris le mot haine
sur une autre
laisse les planer
à même hauteur
exactement au même moment
gardant en tête
l’allégorie de la tonne
de plumes
et même malgré le lourd poids des mots en chute
Tu constates leur ressemblance
tandis qu’ils
transpercent les couches invisibles du temps
et alors tu songes
au grammage et à
la densité de l’encre
sachant comment la pointe
de l’aile mouillée frôle la déferlante
ou comment l’ombre
étend dans la noirceur chatoyante
de sa propre réflexion
un doux dégradé grisâtre sous une lumière
d’une différente source
Ou serait-ce
le lumineux vert
du voile aquatique avalant un galet,
englouti par l’écho des rythmes d’encyclies
Songe
au cœur de l’homme
Comme il fait frémir le poignet et disparaît,
un pincement soyeux
Disons que ton père
arrive dans l’histoire
toi, petit garçon
à sa table
Après avoir coupé et laissé
le gras
transpirant dans l’assiette
à la fin du repas
reposant là
un rebus blanc
un vestige graisseux de ton appétit
il te dit
« tu ne sors pas de table
avant d’avoir fini
ton assiette »
et tu déposes ta fourchette
croises les bras
concentré sur
les filandres,
les nervures et
la marbrure des lambeaux de viande,
mais son éclat se fige
elle refroidit, salit le plat
tu demandes pourquoi il insiste
Non, tu n’obéiras pas
quitte à rester
Qu’en as-tu à faire
de l’amour, de la haine
À son tour
ton grand-père arrive dans l’histoire
un autre jour
Il pose sa main sur ton poignet
rattrape son souffle
alors que vous grimpez ensemble
une butte dure pour ses jambes
et tu veux que ton père sache
tes pas ralentis
tout en douceur
sa main légère comme le vent dans les cheveux
son souffle laborieux
la lourdeur de son cœur usé, un galet palpitant dans sa poitrine
tel que le battement attristant d’un sombre linceul
Les mots caressent
Et les mots heurtent
Dans sa chute l’amour élève
dans son ascension la haine s’effondre
les deux ensemble rappellent
les ébats des goélands
Et tu es toujours à table
et à jamais tu restes
à mi-pente de la butte
avec la main d’un fantôme
à porter
comme un immense arbre porte l’ombre
John Lee
En 2005, John B. Lee a été choisi pour être le poète lauréat de Brantford à perpétuité. La même année, il a eu l’honneur d’être nommé membre à vie honoraire de la Canadian Poetry Association et de l’Ontario Poetry Society. En 2007, il a été fait membre du cercle du chancelier du President’s Club de l’Université McMaster et il a été le premier lauréat du prix Souwesto pour sa contribution à la littérature de sa région natale, le sud ouest de l’Ontario. En 2011, il a été nommé poète lauréat du comté de Norfolk (de 2011 à 2014) et, en 2015, poète lauréat honoraire à vie de ce même comté. Il a publié nettement plus que soixante-dix livres jusqu’ici et il est le réviseur de sept anthologies, y compris deux succès de librairie : That Sign of Perfection: From Bandy Legs to Beer Legs, un recueil de poèmes et d’histoires sur le hockey; et Smaller Than God: words of Spiritual Longing. Ses œuvres ont paru dans plus de 500 publications du monde entier, et elles ont été traduites en français, en espagnol, en coréen et en chinois.
Poème de Bruce Meyer
Version originale anglaise Sunrise on the St. Lawrence
Tiré de Testing the Element, Exile Editions, 2014
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D
Poète ami de Bruce Meyer, Richard Green a un style des plus ressemblants et un art si consommé que le lecteur désireux d'être ébloui raterait facilement le vif éclat des bijoux défilant sous ses yeux. Dans la poésie de Meyer, s'entremêlent de façon subtile et intrinsèque érudition, esthétique et émotion. Cet auteur intellectuel a publié plus d'une soixantaine d'ouvrages de nature variée (nouvelles, journalisme littéraire, biographies, photographie et poésie), sans compter que cet homme plein d'esprit est un aimable érudit et un classiciste – un humaniste humanitaire. Le premier poète officiel de Barrie est aussi le poète de toutes les saisons – et des régions – de notre pays ainsi qu'expert de la littérature canadienne. Contenant par ailleurs une référence à votre humble serviteur (rougissement), le poème choisi revêt un grand intérêt en tant que réflexion d'un Canadien anglophone sur le Québec — passage obligé pour tout poète non québécois qui se considère « canadien ».
Lever du soleil sur le Saint-Laurent
C'est de nouveau le printemps au pays de ma vie.
Le soleil vient de se lever sur la ville de Québec
dans une contrée qui boit les jours nouveaux comme s'il allait en venir plus
pour guérir l'amnésie.
George Elliott Clarke parle d'avoir trouvé l'amour
au sein de cette ville fortifiée aux murs de pierre
mais tout cela, rideaux tirés sur le temps,
est trop facilement perdu.
Quand Northrop Frye revint en bateau au Canada
il sentit des mâchoires de promontoires se refermer comme des livres,
l'avalant comme un Jonas, tout le long
jusqu'au port de Sorel.
Je veux lancer un appel de candidats ouvert à des chroniqueurs,
pas des poètes, et demander qu'on trouve un sens
à ce que nous disons : pas le prophète du temple mais
le scribe patient.
On perd aisément patience au nom de la culture,
la patience d'entendre un chant d'oiseau dans la machinerie
de la canalisation d'un hôtel, une symphonie dans le concasseur à gravier,
et la patience de parler judicieusement
afin que l'amour au nom de la poésie et la poésie
pour tout l'amour dans les levers du soleil ne s'effacent pas de la mémoire
comme la lumière miraculeuse est disparue à l'est il y a quelques heures
et est devenue poésie.
Bienvenue dans une nation de silence. Nous le parlons magnifiquement.
Le silence de nos cœurs est le vrai secret que nous gardons,
avalé comme des pierres par les prophètes pour les empêcher de monter
à la lumière.
Bruce Meyer
Bruce Meyer a écrit plus de 60 ouvrages de diverses natures : poésie, nouvelles, œuvres non romanesques, journalisme littéraire, biographies, photographie et pédagogie. Ses derniers livres de poésie comprennent The Seasons (Porcupine's Quill, 2014), gagnant d'une médaille du Independent Publisher Book Award aux États-Unis ainsi que finaliste du prix Indie Fab dans la catégorie du meilleur livre de poésie paru en Amérique du Nord et du prix Cogswell de poésie; The Arrow of Time (Ronsdale Press, 2016), finaliste du prix Raymond Souster, ainsi que 1967: Centennial Year (Black Moss Press, 2017). Ses poèmes lui ont valu le prix Gwendolyn MacEwen pour le meilleur poème au Canada (2015 et 2016), et il était en lice pour le Montreal International Poetry Prize. Premier poète officiel de la ville de Barrie, M. Meyer enseigne maintenant la création littéraire au Georgian College et la composition de poèmes au Victoria College à l'Université de Toronto. Il habite à Barrie, en Ontario.
Poème de Anna Yin
Version originale anglaise My Father’s Temple
Tiré de Seven Nights with the Chinese Zodiac, Black Moss Press, 2015
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D
La première poète officielle de Mississauga (Ontario), Anna Yin, est non seulement une fervente traductrice de poèmes anglo-canadiens en chinois, mais elle compose aussi de merveilleux poèmes en anglais, même s'il s'agit de sa langue seconde. Ses poèmes en vers libres s'inspirent du haïku, quoique bon nombre de ses vers excèdent les 17 mores en 3 segments du haïku traditionnel. Toutefois, ce qu'elle apporte à ses poèmes plus longs, c'est la même attention aux mots imagés et aux mystères qui résonnent dans ce qui peut sembler superficiel ou évident à première vue qu'elle présente dans ses haïkus. La poésie chinoise remonte à plus de trois millénaires, et il est inspirant de voir des poètes comme Anna Yin et Rita Wong conjuguer cette formidable tradition à l'anglais canadien, suivait pour ainsi dire les traces de l'excellence poétique du 5e poète officiel du Parlement, à savoir Fred Wah.
Le temple de mon père
Quand mon père reconstruisit sa maison,
sur chaque escalier il grava
son nom et celui de ma mère.
Mon père n'est ni superstitieux ni riche,
et comme nous sommes tous adultes et loin du domicile,
sa construction étroite et haute de quatre étages
s'élevait en même temps que nos critiques de ce gaspillage.
Roulant les yeux, mon père brisa son silence :
« Choisissez votre propre étage et restez plus longtemps. »
Il nous lança un clin d'œil :
« Au moins il n'y aurait pas d'acheteur. »
La sagesse de mon père fut déjouée par la planification urbaine.
Des fonctionnaires arrivèrent avec des bulldozers et le sommèrent de quitter.
Mon père grimpa sur le toit et refusa de bouger.
Armé de son appareil photo, mon père prit son dernier cliché
au milieu du quartier démoli.
J'ai reçu une copie de la photo dans le journal local.
Mon père paraissait si petit sur le tas de ruines.
C'était intitulé « Le dernier temple. »
Anna Yin
Anna Yin a été la première poète officielle de Mississauga. Elle a publié quatre recueils de poésie, dont « Seven Nights with the Chinese Zodiac » en 2015, et « Nightlights » en 2017 (Black Moss Press). Anna a remporté de nombreux prix et distinctions, dont la bourse commémorative Ted Plantos Memorial Award de 2005, deux prix MARTY, et la bourse 2016/2017 de la Poetry Conference de l'Université West Chester. Ses poèmes ont notamment été publiés dans Arc Poetry, le New York Times, le China Daily, le World Journal, la revue Literary Review of Canada, et diffusés sur les ondes CBC Radio. Elle a reçu deux subventions du Conseil des arts de l'Ontario pour ses projets de poésie. Elle donne un atelier intitulé « Poetry Alive » dans les écoles, les collèges et les bibliothèques. On peut consulter son site Web à : annapoetry.com [EN ANGLAIS SEULEMENT].
Poème de Richard Greene
Version originale anglaise At The College
Tiré de Boxing the Compass, Véhicule Press, 2009
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D
L'œuvre de Richard Greene, « Rick », s'inscrit dans la tradition classique anglaise de Terre Neuve et Labrador, une province où, au cours du dernier millénaire, se sont établis des Vikings, des Basques et des Anglais, pour ne parler que de la présence européenne. Greene a sa place aux côtés d'E.J. Pratt, le premier grand poète terre-neuvien de langue anglaise, et est aussi tout à fait en phase avec les grands maîtres européens, notamment Dante Alighieri, qu’il a sans doute appris à connaître à l'école, autrefois dirigée par l'Église dans sa province, et, ultérieurement, durant ses études à l'Université d’Oxford. Tant sur le plan de la cadence et du contenu, de la forme et de la substance, ce lauréat du prix littéraire du gouverneur général en poésie de langue anglaise de 2010 fait montre d'un talent remarquable, bien que l'élégance et l'aisance de son style laissent croire qu'il écrit sans effort. Son œuvre est de celles qu'il faut relire plus d'une fois, non seulement pour la saisir dans toute sa finesse, mais aussi, et surtout, s'en imprégner en profondeur.
Au collège
Serpentant, le sentier se déroule innocent
d'un bâtiment à l'autre dans l'ombre incertaine
où mes étudiants donnent aux ratons passants
des beignes et des muffins dans l'espoir de dompter
les seules bêtes sauvages du campus de banlieue,
bien que rien n'empêche les cerfs de redouter
les moteurs, mots et pas, tous les bruits des humains,
ni n'ôte au renard son indolence rusée,
pour lui apprendre à ne pas tuer les sans-moyen.
Parmi ces étudiants sentimentaux, ardents,
je suis au bord d'un monde qui n'est pas le mien,
à glaner du sens de détails peu importants
dans ce que nous faisons, à montrer les maux passés
à des jeunes qui vivent un tout premier malheur,
à parler de solitudes aux nouveaux délaissés,
à expliquer aux réfugiés l'exil d'écrire
et aux futurs banquiers la notion de valeur
intrinsèque de leur Audi, de quoi faire rire.
Pourtant ils vivent l'espoir d'engagements pris
en fonction d'un après qui récompensera
pour des dons de la nature restés incompris
ou pour des efforts que je note B ou moins; ils connaissent l'amour que chantent les poètes et, en classe, leur cœur est parfois un témoin,
malgré mon ton monotone qui les endort;
ils remarqueront une image ou un beau vers
qui leur reviendra plus tard en mémoire encore.
Richard Greene
Né à Terre-Neuve en 1961, Richard Greene est l'auteur de quatre livres de poésie. Son recueil Boxing the Compass (Éditions Signal) lui a valu le Prix littéraire du gouverneur général en 2010. Son plus récent ouvrage Dante's House (Éditions Signal), sorti en 2013, a été qualifié de « chef d'œuvre » par George Elliott Clarke et de « révélation » par le critique américain Edward Short. Son poème You Must Remember This a gagné en 2015 le Prix national des magazines canadiens (Or). Son livre Graham Greene: A Life in Letters (2007) a fait l’objet de nombreux éloges dans la presse internationale, tout comme sa biographie de la poétesse anglaise Edith Sitwell (2011). À l'heure actuelle, il écrit la biographie autorisée du romancier Graham Greene. Professeur de littérature anglaise, il a été directeur des études de second cycle en écriture créative de 2012 à 2017 à l'Université de Toronto.
Poème de Janet Rogers
Version originale anglaise Something for the Tongue
Tiré de Red Erotic, publié aux éditions Ojistah, 2010
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D
Janet Rogers est l'une des voix de femmes autochtones les plus puissantes à se faire entendre aujourd'hui parce qu’elle ne craint pas d'utiliser toutes les ressources de l’anglais – les mots d'origine latine, anglo saxonne, autochtone ou française, les « gros mots », le « mauvais anglais », les mots polysyllabiques et monosyllabiques et les onomatopées – dans ses chansons et sa quête du vrai. Elle revendique également – pour les peuples autochtones – l'extase d’Éros. Ancienne poète lauréate de Victoria (Colombie-Britannique), elle décrit sa poésie dans les mots suivants :
« Ma poésie est en quelque sorte un remède; elle vient à la fois des tripes – pour sa couleur et son émotion – et de la tête – pour son côté aiguisé et astucieux – et réunit de force les deux dimensions pour les amener à produire une nouvelle voix qui fait penser à la note fantôme qu’on entend lorsque plusieurs instruments jouent en harmonie. Je décrirais le résultat comme une sonnette de porte au son plaisant et accrocheur, à la fois musical et invitant. Et c'est en allant voir qui sonne qu'on établit le contact poétique. »
Je ne saurais pas mieux dire.
Quelque chose pour la langue
J’aime
Le chocolat
J’aime le
Chocolat
Chocolat, chocolat
Qui déplace les montagnes
Questionne l’amour
Sermonne l’amour
Chocolat, chocolat, chocolat, chocolat
En brisures
Chocolat
Cru
Chocolat
Cherché touché fondant
Chocolat
Au lait
Chocolat
Noir
Chocolat
En morceaux en miettes j’aime
Le chocolat
Da-Gwa-Nya
Da-Gwa-Nya
Embrasse-moi embrasse-moi embrasse-moi
Chocolat
Chaud
Chocolat
Acheté
Chocolat
Lapins poules canards
En chocolat
Joues poitrines pé–is
En chocolat
Rivières de
Chocolat
Fleuves de
Chocolat
Tout en
Chocolat, chocolat, chocolat
Chocolat de minuit
Chocolat
Secret
En petites pépites au bout des doigts
Chocolat
Chocolat-ohgweho
Chocolat-hodenosho
J’aime le chocolat
J’aime le chocolat
J’aime le
Chocolat chocolat chocolat
Chocolat soleil
Chocolat lune
Chocolat tatoué
Chocolat ventru
Lécher du chocolat
Sucer du chocolat
Qu’on me donne du
Chocolat chocolat chocolat
Des monceaux de chocolat
Des tas et des tas de chocolat
Chocolat chocolat chocolat chocolat
Chocolat de liberté
Chocolat
Blanc éclatant de droits
Chocolat
Aux cerises aux baies aux noix
Chanter chocolat
Parler chocolat
Scander scander scander
Chocolat
Mouler le chocolat
Masquer le chocolat
Chocolat ancien du passé
Chocolat coco
Chocolat caca
Chocolat
Willy-cacao-Wonka
Chocolat épicé
Chocolat homo
Chocolat
Lait écrémé
Et épais
Chocolat recyclé
Chocolat bicyclette
Chocolat
Écolo
Chocolat rocher
Chocolat dur
Chocolat
Grosse qu–e
Chocolat suisse chocolat espagnol
Chocolat transfrontalier la nuit
Chocolat exotique
Chocolat riche
Chocolat
Vieux friqué
Maman chocolat
Chocolat
Baisse-toi
Chocolat chocolat chocolat
À faire circuler
J’aime le chocolat
J’aime le chocolat
Je mange du
Chocolat
Chocolat
Chocolat
J’aime le
Chocolat
Je mange du
Chocolat
J’aime le
Chocolat
Chocolat
Chocolat
Janet Rogers
Janet Rogers est une écrivaine mohawk/tuscarora du territoire des Six Nations qui vit sur les terres ancestrales des Songhees et des Esquimalts sur l'île de Vancouver. Totem Poles and Railroads est son cinquième recueil de poésie. Janet a rédigé cette &orlig;uvre pendant qu'elle était auteure en résidence à l'Université du Nord de la Colombie-Britannique en 2015-2016 et artiste invitée en résidence NIGIG à l'EADO en 2016.
La voix, le son et la texture audio sont des aspects importants des enregistrements de poésie de Janet. On peut entendre Janet à la radio où elle anime l'émission Native Waves Radio sur les ondes de CFUV FM et présente le documentaire radio en six parties NDNs on the Airwaves, qu'elle a aussi produit.
Dans ses prestations et son art médiatique, qu'elle livre un texte avec fougue ou qu'elle laisse la poésie parler d'elle-même, son ton de voix apaisant vient contrebalancer ses messages percutants, ce qui donne lieu à une expérience de poésie multidimensionnelle qui reflète le vaste potentiel de l'artiste.
Poème de Derek Beaulieu
D’abord publié sous forme de dépliant (Calgary : APT. 9 Press, 2017); Untitled (Kern) est publié dans Ascender/Descender (Île d’Achill, Irlande : Redfoxpress, 2016).
© Derek Beaulieu : Tous droits réservés.
L’ancien poète officiel de Calgary, Derek Beaulieu, réalise une expérience avec le collage poétique et les poèmes concrets. Il indique que son poème, «un dictionnaire prêt à l’emploi», s’inspire de «Roland Barthes (dont l’essai “La mort de l’auteur” a été publié il y a 50 ans) et de Marcel Duchamp, qui ont postulé que le «prêt à l’emploi» pouvait être de l’art. Ce poème réunit, à partir de Wikipédia et d’Internet, les causes des décès de 50 auteurs et artistes importants, un par année, de 1967 à 2017» et transforme ce catalogue en une «liturgie de la perte». M. Beaulieu précise aussi que la partie conception, «Untitled (Kern)», est «un poème concret – où la beauté et le jeu résident dans les lettres proprement dites; où l’équilibre, l’écho, le rythme visuel et la délicatesse des polices, la forme des lettres et les plus petites particules de langage – les lettres elles-mêmes – peuvent être poétiques». Il ne reste qu’une chose à ajouter : Bonne lecture.
un dictionnaire ready-made.
Seul. De défaillance cardiaque. D’une hémorragie interne et de dommages au foie. Après s’être noyé dans les eaux usées de la Seine. Après avoir lâché prise sur l’ardoise du toit, deux semaines après la fête nationale. D’un dérangement intestinal et d’un gonflement abdominal. En se tranchant l’artère cubitale après des ventes lamentables et un manque de lecteurs. D’un cancer. D’une crise cardiaque. Quatre ans après sa femme. De congestion bronchique. D’un ulcère perforé. Chez lui. Après s’être fait écraser par la camionnette d’une buanderie. À cause d’une défaillance cardiaque. D’un cancer des poumons. À cause d’une défaillance cardiaque. À Tel Aviv. Suite à une hémorragie cérébrale. D’un cancer du foie. D’une arythmie cardiaque postopératoire. Suite à des complications postopératoires. De la maladie de Parkinson. Du SIDA. Suite à un AVC. Suite à un AVC. D’un cancer des poumons. D’un lymphome non hodgkinien. Après une crise cardiaque. D’un cancer de la prostate. D’un cancer du sein. Après une crise cardiaque. De vieillesse. De leucémie lymphoïde chronique. De complications suivant une chirurgie du foie. À la maison. D’insuffisance hépatique. D’un cancer du pancréas. D’une pneumonie. Seul dans un jardin. Suite à des complications dues à un cancer. D’une défaillance cardiaque. D’un cancer de la prostate. Après un séjour d’une semaine à l’hôpital. D’une pneumonie. Après une longue maladie. Suite à un AVC. D’un cancer. De causes naturelles. D’un cancer du pancréas. De causes naturelles, seul.
Traduction : Robert Paquin, Ph. D.
Derek Beaulieu
Derek Beaulieu est l’auteur de 18 recueils de poésie, de prose et de critique. Son plus récent ouvrage, a, A Novel, sera publié en juillet 2017 chez Jean Boîte Éditions, à Paris. Il est disponible en ligne au www.derekbeaulieu.wordpress.com. Derek Beaulieu a été le poète officiel de Calgary de 2014 à 2016.
Poème de Bänoo Zan
Version originale anglaise This poem is selfish –
Paru dans : ELQ/Exile: Songs of Exile (Guernica Editions, 2016)
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D
La poète irano-canadienne Bänoo Zan intègre puissamment les traditions mystiques du plus célèbre poète de son pays d’origine, Rumi, mais elle est résolument postmoderne, féministe, mondaine (mais pas nécessairement matérialiste), philosophe, mais terre-à-terre, et naturellement portée à interagir avec quiconque lit ses mots. Disciple de Sylvia Plath, son style est plus simple, quoique son ton soit tout aussi direct. La poète canadienne qui lui ressemble le plus est peut-être Gwendolyn MacEwen, qui partage le classicisme et le mysticisme de Zan, sans être aussi politisée qu’elle. Zan est l’organisatrice et l’animatrice de Shab-e She'r (soirée de poésie), « la plus diversifiée des tribunes de poésie et de discussion à Toronto ». Son premier recueil de poésie s’intitule Songs of Exile (Guernica, 2016).
Ce poème est égoïste –
Il parle de moi
plus qu’il ne parle de toi
et nous voilà
Mais au moins
il parle de moi –
il me donne de la voix
veut me connaître
Je ne me fie pas à lui, quand même :
Les poèmes sont les pires
dénonciateurs –
les pires amants –
Qui sait ce qu’il dira
dans mon dos?
Je ne me fie pas à moi non plus
Et si
je suis un poème
dans mes poings?
Et si je ne sais pas
ce que je veux que ce poème
fasse?
Et si ce poème
n’est pas égoïste
après tout
mais ne sait pas
comment terminer?
Terminer un poème
ce n’est pas terminer la vie d’un poème
quand même, je suis en train de le tuer –
en le rendant à propos de moi
alors que tout ce qu’il veut
c’est être
à propos de toi
Les poètes sont des bombes humaines :
Les poètes sont des poèmes
J’accuse ce poème
de trahison –
pourtant la peine capitale
ne fait plus
la manchette
Ce poème est égoïste,
quand même –
Il commence et se termine
où il veut
raconte sa propre histoire
non la nôtre
parle de la poésie
plus qu’il ne parle
de l’un de nous
Il se sert de nous comme otage
de ses rêves
sans rêves
sachant que les cauchemars
sont immortels
Bänoo Zan
Bänoo Zan est poète, traductrice, enseignante, éditrice et conservatrice de poésie. Elle a d’ailleurs publié plus de 120 poèmes et articles liés à la poésie et trois livres. Son ouvrage Song of Phoenix: Life and Works of Sylvia Plath est réimprimé en Iran en 2010. Songs of Exile, son premier recueil de poésie, est publié au Canada en 2016 aux Éditions Guernica. En 2017, ce dernier est finaliste pour la bourse commémorative Gerald Lampert remise par la Ligue des poètes canadiens. Letters to My Father, son deuxième recueil de poésie, est publié au Canada en 2017 par Piquant Press. Elle est la fondatrice de Shab-e She’r, la soirée de poésie et à micro ouvert la plus diversifiée de Toronto. Il s’agit d’un endroit qui permet de rapprocher les poètes de différents groupes d’âge, ethnies, nationalités, religions, sexe ou orientations sexuelles, atteints de diverses invalidités et ayant une vision, une voix et un style de poésie particuliers.
Poème de Micheline Maylor
Version originale anglaise Detroit Zoo bathroom 1977
Tiré de Little Wildheart, publié aux éditions University of Alberta Press, Edmonton, 2017
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D
Micheline Maylor, poète officielle de Calgary et chargée de cours à l’Université Mount Royal, est une Métisse non inscrite dont la quête identitaire l’a rendue extrêmement sensible aux paradoxes et aux contradictions entre les apparences et les origines, au fait d’appartenir à une « minorité visible » invisible ou d’être une Métisse non reconnue. Dans Detroit Zoo Bathroom 1977, Mme Maylor évoque un indicent dont elle a été témoin durant son enfance : à l’occasion d’une visite, chez un peuple défini ouvertement par la différence raciale, on a fait ressortir son double héritage, incarné par sa grand-mère et elle-même, en employant un horrible qualificatif qu’elle a repris dans le titre de son poème et qui marque aussi pour elle le point de départ de la remise en question qui l’a menée à la « poésie », comme l’a si bien dit le poète irlandais William Butler Yeats.
Toilettes du zoo de Détroit 1977
« Hé toi, la Négresse, où t’as trouvé cette enfant-là? »
Pâle, l’air anémique, tenant par la main une déesse,
j’ai appris le mot raciste dans la poigne de ma grand-mère.
Hâlée comme une reine des Hurons, sang-mêlé, multilingue,
Dame du Lac St-Clair, elle bronzait sombre comme des injures.
Et moi, assez décolorée pour me fondre dans la neige des Prairies, blanche comme un lièvre en hiver,
qui n’avais pas encore pris ma peau dorée d’été. Photopériodisme
non encore complété. Mettons que c’est dû à trop d’anglo-accouplement
avec des blonds. Mettons que c’est dû à ce que vous voulez,
mettons aux nuits passées durant mon adolescence
à demander à mes yeux bruns et mes cheveux noirs : pourquoi?
Une seule Barbie de Mattel de ma couleur, avec le nom dérisoire de Skipper.
Skip her.i Où sont mes cheveux blonds, mon éclaircissant sun-in, mes yeux bleu glacier?
Sur les formulaires du gouvernement, je coche la case : race blanche. Il n’y a pas de case
pour les colonisées, pour les sang-mêlé à 1/16e. Juste mon ADN à structure hélicoïdale,
mon aptitude à brunir au soleil et mes propres enfants aux yeux verts
de coureur des bois, qui ont encore des images de rivière accrochées à l’iris.
Nous sommes issus d’une ancienne saison.
Tout le monde est sûr de la place et de la race. Sang et sperme
mêlés dans la poussière et le col de l’utérus, bombé et ensorcelé par le curieux sourire de rat musqué,
vérité sombre aux poils emmêlés, lissés par une pagaie de rivière.
Que cette grande dent morde à présent dans le pays des émeutes raciales,
Noir et Peau-rouge, le chemin de fer clandestin
et le village indien.
Que le nom de Pontiac se transforme et prenne la route,
le juste mille où jugement et frontière se brouillent,
surtout pour des questions
de mélange de sang, d’os et de relations.
iOublie-la, elle. [Note du traducteur]
Micheline Maylor
Micheline Maylor est la poète officielle de la ville de Calgary. Son recueil Little Wildheart a été en lice pour le prix Robert Kroetsch de poésie expérimentale et publié par University of Alberta Press (2017). Elle enseigne à l’Université Mount Royal. Elle a aussi été écrivaine en résidence à la bibliothèque publique de Calgary à l’automne 2016. Mme Maylor occupe les fonctions de directrice de la poésie aux éditions Frontenac House Press. Auparavant présidente et cofondatrice de la Freefall Literary Society, elle demeure rédactrice-conseil.
Poème de Wayde Compton
Version originale anglaise : Declaration of a Halfrican Nation
Tiré du livre Performance Bond, publié aux éditions Arsenal Pulp Press, Vancouver, 2004
© Traduction : Robert Paquin, Ph. D
Animateur à ses heures, Wayde Compton est un poète afro-canadien et professeur d'anglais à l'Université Simon Fraser. Il est reconnu pour ses recherches sur l'histoire et la littérature des Noirs en Colombie Britannique. Le poème « Declaration of the Halfrican Nation » exprime toutefois son opinion sur ce que signifie être mulâtre au Canada, une nation où l'héritage métis est à la fois honoré et refoulé. Dans le cadre du Mois du patrimoine africain du 150e anniversaire de la confédération, le poème nous rappelle que la négritude canadienne correspond à une identité polychromatique et à une expérience vécue.
Déclaration de la nation mi-africaine
noisette, c'est tellement définitif. la fenêtre est
à demi ouverte ou à demi fermée? est-ce qu'une rose
noire est naturelle? est-elle indigène à ce
littoral? mon professeur de grammaire disait que le point-
virgule sépare sans isoler; comme un indécis. la noix de co-
co se mange de l'intérieur, la douceur
et la légèreté viennent du lait et de la chair, pas
de l'écorce, si semblable à un crâne. une
amie dit qu'elle est blanche à part
cette peau brune qu'elle a et par-
fois elle l'oublie jusqu'à ce qu'un miroir fracasse
cette conclusion jetant des regards noirs de cô-
té, se méfiant des processions d'appartenance, de la possession. les miroirs marchent
sur deux jambes aussi parfois quand ils vous disent bonjour parce que
vous êtes brun
au passage. que signifie britannia
pour moi? qui suis à trois continents
des décors que mes mères adoraient,
un bosquet brumeux, une rose anglaise,
que signifie britannia pour moi?
y'avait pas de nègres dans les émissions de télé que nous
produisions dans les théâtres de terrain de jeux; à présent
il y en a tellement à l'écran qu'un blanc de mes connaissances
croyait que la population des usa était à demi
noire! mis à part la règle d'une seule goutte de sang et sauf
exception, je dirais que cela signifie
le triomphe inexorable du rêve de mlk. nous repré-
sentons douze pour cent, dans les faits, au sud
de la frontière; au canada, je ne pourrais vraiment pas
me risquer à évaluer combien nous sommes à écraser
la neige en souliers de koya
tressé. les hippies noirs; les rockers punks noirs;
les goths noirs avec des masques blancs se multiplient
littéralement comme des bactéries mangeuses de chair, sur la côte ouest. le racisme
est une maladie, me dicte le ministère dans une annonce
que je lis de mon siège dans le bus, et moi je peux vous annoncer
que c'est seulement la dernière phase en gestion raciale. le canada qui
s'empresse de recruter davantage de blancs bruns; des entre-
preneurs seulement, plus d'esclaves ni de constructeurs de chemins de fer,
de chinois pressés ni de négros trempés. les salaires
de l'empire restent à verser. k. il me suffit
de l'écrire à moitié et déjà la neige à peine installée frémit. un colon,
une balle, chantaient les sud-africains, chantent les palestiniens; le refrain
retentit. est-ce que parler
de balles fait trop américain? la plus belle
façon dont on ait jamais parlé de moi comme d'un sang-mêlé, c'est une jamaïcaine
qui m'a dit : je remarque que tu as été touché. il
m'a semblé qu'elle voulait dire par la main de dieu
(ou le dieu des mains), et non enduit de goudron. m'a fait
sentir comme un orphelin loin, bien loin
de chez lui. sentir comme si l'histoire me saisissait
à la gorge. parfois j'ai l'impression que le fantôme de frantz fanon
relaxe avec un coca au rhum tout en
se marrant de tout cela, en y mêlant des larmes, son travail
étant fait, alors qu'il se détend avec les esprits. ô, vous
mes semblables, mes sœurs et frères mêlés, passons
à l'offensive pour notre état. on pourrait sûrement
monter quelque chose à partir des tracts, des manifestes, des auto-
biographies, des programmes en dix points, des constitutions et des revendications
historiques. j'en connais un bon nombre qui ont ex-
primé un intérêt à figurer comme mort à sur écoute pour la simple victoire
d'être un nom propre sur lequel tout le monde est d'accord
Wayde Compton
Wayde Compton est l’auteur de deux recueils de poésie, 49th Parallel Psalm (finaliste pour le prix de poésie Dorothy Livesay) et Performance Bond. Il a aussi dirigé l’anthologie Bluesprint : Black British Columbian Literature and Orature. Son ouvrage documentaire, After Canaan : Essays on Race, Writing, and Region a été finaliste du prix littéraire décerné par la Ville de Vancouver, tandis que son premier roman, The Outer Harbour, l’a remporté. M. Compton est le directeur du studio d’écriture et du Programme d’écriture Southbank du département d’éducation permanente de l’Université Simon Fraser. Il habite à Vancouver.
Poème de El Jones
Version originale anglaise It's Not
Tiré de : Live from the Afrikan Resistance!, publié chez Roseway-Fernwood, Black point, 2014
© Traduction : Robert Paquin, Ph. D
Poète officielle de la ville d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, de 2013 à 2015, El Jones est incontestablement une étoile de la poésie parlée ou théâtrale qu’elle manie avec esprit et doigté pour dire la vérité aux autorités et représenter les Canadiens marginalisés dans leur combat pour l’égalité. El Jones est aussi doctorante en anglais à l’Université Dalhousie, et, dans « Shakespeare », elle allie sa formation universitaire et son activisme social pour nous amener à nous demander : « Et si Billy Shakespeare avait été noir et avait dû lutter pour survivre dans un quartier défavorisé et violent? » Le fait que El Jones nous pose cette question en rimes souples et originales nous rappelle, encore une fois, que cette technique demeure un élément viable, voire essentiel, de la poésie, qu’elle soit déclamée ou lue en silence.
Shakespeare
Si Shakespeare et Marlowe étaient comme Tupac et Biggie.
C’est l’histoire d’un 'ti nèg'
Qui s’appelait Shakespeare
Né dans un 'ti village
Au milieu de nulle part
Personne aurait pensé
Qu’un langage aussi pur
Sortirait du ghetto
Et d’une cour pleine d’ordures
Mais y’a personne qui sait
Qui les Dieux favorisent
La couleur des poètes
Est toujours une surprise
Le don des Dieux est donc
Étrange et capricieux
Et les mots de Shakespeare
Eh! Qu’ils étaient précieux!
Sans rien, sans dictionnaire,
Ses rythmes résonnaient
Il était visionnaire
Et pensait en sonnets
Ses amis au micro
C’était juste de la frime
Le pentamètre iambique
Chez lui sortait en rimes
Certains comprenant rien
Se trouvaient offensés
Se bouchant les oreilles
À ses vers cadencés
Pour eux la poésie
Dans les bibliothèques
C’était des vieux péteux
Assis sur leur gros steak
Ils pensaient que ses rimes
Étaient des accidents
À cause de ses dreadlocks
Et de son drôle d’accent
Mais ceux qui l’écoutaient
Et lui ouvraient leur cœur
Savaient que tous ces mots
Venaient du Créateur
Il partit donc en ville
Avec plume et papier
Et dans son sac à dos
Bien sûr un encrier
Rendu dans la grande ville
Il s’est trouvé une job
Dans un trou mal famé
Qui s’appelait Le Globe
Pourtant le don des Dieux
Est quelquefois suspect
Et parfois tourne mal
Quand un frère est pas prêt
Une bande de criminels
Faisaient des mauvais plans
Pour profiter de lui
Et voler son talent
Des maquereaux des dealers
Des escrocs des agents
L’attendaient au théâtre
Pour voler son argent
Comme il était brillant
Par son talent son art
Eux se donnaient le droit
De réclamer leur part
On parlait juste en ville
D’un frère nommé Marlowe
Aux dents de diamants
Et une coiffure afro
Deux poètes pour une ville?
Une erreur capitale
C’est sûr qu’un d’eux allait
Finir à l’hôpital
Pour certains un poète
Ne devrait pas vieillir
Et son succès devrait
Sur ces gens rejaillir
Pourtant les dons des Dieux
Sont parfois malveillants
Ils punissent un poète
Qu’ils jugent contrariant
C’était sacrément dur.
C’était jamais facile.
Ceux qui réussissaient
Devaient être dociles
Et qui aurait pensé
Qu’un langage aussi clair
Proviendrait d’un tel monde
Plein d’autant de colère?
Le cœur humain pourtant
Souffrant et démoli
Prenait soudain un sens
Dans ses vers bien polis
Il comprenait le monde
Et disait ce qu’on voit
Tous ceux qui l’écoutaient
Se transformaient en rois
Ben, il est mort fauché
On a volé son son
Un de mes chums m’a dit
Qu’il l’a vu en prison
Les Dieux de poésie
Sont parfois soupçonneux
Mais à ceux qu’ils préfèrent
Ils vont tout pardonner
Certains se souviendront
Qu’il avait tout un style
Oui, il fallait l’entendre
Je crois qu’on l’appelait Bill
Arrivé de nulle part
Il est mort sans trompette
Les vers comme des planètes
Lui tournait dans la tête.
El Jones
El Jones est poète, professeure et activiste. Elle a été la cinquième poète officielle de la ville d’Halifax de 2013 à 2015. El a remporté à deux reprises le championnat national de slam. Elle est l’hôte de Black Power Hour, une émission de radio diffusée sur les ondes de CKDU 88,1 qui fait connaître le travail créatif des prisonniers. Elle préconise l’abolition des prisons et défend les prisonniers dans sa vie et son écriture. Elle rédige Saturday Morning File pour l’Halifax Examiner, une chronique brillamment cinglante sur l’actualité locale d’Halifax. Son livre, Live from the Afrikan Resistance!, a été publié par Roseway Publishing en 2014. Elle enseigne la sociologie/criminologie, l’anglais, les études féminines et la création littéraire à différentes universités d’Halifax.
Poème de Paul Zemokhol
Version originale anglaise It's Not
Tiré du recueil A River at Night, publié aux éditions Quattro Books, Toronto, 2009.
© Traduction par Paul Zemokhol
La poésie anglo-canadienne, cloîtrée dans sa tour d'ivoire, a écarté des poèmes qui sont simples et des poètes qui visent la simplicité. Le poète égypto-canadien Paul Zemokhol est étonnamment accessible, plus près d'Alden Nowlan que d'Al Purdy à cause de son franc parler et de sa passion pour la sincérité dans le ton et les sentiments. Le poème « It's not » est un bon exemple de son style : simplement poignant, c'est un texte sans artifice qui honore le partage des souvenirs qui sont, après tout, le fondement de l'identité et le bourgeonnement de la généalogie.
Ce ne sont pas
les trois salons
ou la mezzanine
entre le premier et deuxième étage
ou le jardin entre ta maison
et celle de tes grands-parents
que tu traversais
pour souper avec eux.
Ce n’est pas comment ton grand-père
sortait sa montre de poche
et remarquait, « c’est l’heure »,
et que tu retraversais le jardin
pour rentrer chez toi.
Ce n’est pas comment ta grand-mère
a déménagé après sa mort
parce qu'elle était trop seule
dans cette grande maison
et qu'elle voulait être
plus près de ses enfants.
Ce n’est aucune de ces choses.
C’est comment tu racontes
ce récit.
Comme un cygne,
tête haute,
toute blanche
et sainte.
Paul Zemokhol
Paul Zemokhol est l'auteur des œuvres Apocrypha et No Hope, No Help, No Tea. Ce poème a été écrit en l'honneur de sa mère, feu Simone Marie Zemokhol (née Ghalioungui), née en 1934 au Caire, en Égypte et décédée en 2016 à Montréal. Ses histoires, ainsi que sa généalogie et son parcours, ont influencé le livre et l'auteur.
Poème de Giovanna Riccio
Version originale anglaise Between the Covers
Tiré du recueil Strong Bread, publié aux éditions Quattro Books, Toronto, 2011, pages 79-80
© Traduction par Robert Paquin, Ph.D.
« Between the Covers » est une œuvre pleine d’esprit qui use d’une magnifique ironie pour tracer un parallèle entre publier de la poésie et faire la cour à un amant indépendant ou distant. La métaphore filée devient une mini allégorie, une parodie audacieuse et aguichante de l’angoisse du poète qui cherche à séduire – ou intéresser – le lecteur. Il s’agit d’un poème métaphysique qui s’inscrit ultimement dans la tradition des poètes anglo-canadiens comme F.R. Scott et A.J.M. Smith. Mme Riccio est toutefois une Italo-Canadienne bilingue (anglais et italien), et sa poétique s’inspire de ses origines calabraises riches en ballades et en proverbes aux mots justes.
Je ne suis pas certaine de mon coup en écrivant ceci,
j’aurais peut-être dû téléphoner plutôt. La poésie
est un art oral après tout. Ce que je veux dire, c’est
que je suis obsédée, je me demande si
tu tiens vraiment à nous. Mes vers
sont en quête d’une relation
sérieuse depuis des années et je ne suis toujours
pas persuadée de ton niveau d’intérêt.
Bien sûr, à l’occasion, tu contemples attentivement
ces déclarations d’ouverture inspirées
qui m’angoissent et, de temps à autre, tu t’accroches
à chacun de mes mots parce que tu t’enthousiasmes pour les longues enjambées d’un vers
ou pour une strophe décolletée qui laisse voir
ma césure.
Parfois ma voix semble trop à sens unique.
Comme si je récitais un monologue sans
trop d’écho. J’ai beau ajuster ma poésie
et la raccourcir au haïku ou la rallonger
à des dimensions épiques et me demander
si mon propos devrait être direct ou allusif,
c’est toujours la lecture rapide avec toi.
Est-ce que je consacre trop de temps à établir
l’ambiance ou à créer des allusions suggestives?
Parce que je prends soin de ne pas
exagérer – il n’y a rien de pire
que de sombrer dans le sophisme sentimental.
Je ne veux pas m’acharner, mais
il y a aussi la question de l’attention portée
aux détails – ces coupes en dentelle qui créent la transparence
du sens, ces rimes internes si ingénieuses
qu’il leur faut par nature une lente lecture.
Finalement, il y a la forme dans laquelle je me maintiens
au sein de tous ces vers libres.
Et si nous restions
sous la couverture un peu plus longtemps?
Giovanna Riccio
Giovanna Riccio est une poétesse de Toronto dont l’œuvre a été publiée dans des quotidiens, des revues générales et spécialisées ainsi que dans des anthologies. Elle est l’auteure du livre de colportage Vittorio (Lyricalmyrical Press, 2010) et de Strong Bread (Quattro Books, 2011). Ses poèmes ont été traduits en roumain, en slovène et en italien. Elle a été coorganisatrice des lectures de poésie du groupe The Not So Nice Italian Girls et fait actuellement partie de l’équipe qui présente la soirée de poésie mensuelle, Sheb e Sh’er.
Poème de Cyril Dabydeen
Version originale anglaise Declaration
© Traduction par Robert Paquin, Ph.D.
Cyril Dabydeen, ancien poète officiel de la Ville d’Ottawa et adepte des cultures indo caribéenne et afro-caribéenne, semble ici répondre à la question si souvent posée aux nouveaux arrivants, aux Canadiens qui ont « un accent » ou aux Canadiens « de couleur », c'est-à-dire « Où êtes-vous né? ». Or, la « Déclaration » de Dabydeen n'est pas comme un rapport que l'on remplit aux douanes pour faire état des biens achetés à l'étranger. En lieu et place, le poète originaire de Guyane revendique sa double appartenance citoyenne à l'imaginaire national de la nature sauvage du Canada et à la sphère mondiale — mais quand même personnelle — évoquée par l'énoncé créatif d'un dialecte.
Cette déclaration de possibilité,
à la façon des métaphores,
mesure la reforestation comme des bois de cerf.
De tels verbes,
cette sueur de camp forestier,
tailler dans le bois massif
Ou se lever à cinq heures du matin
et se préparer à prendre
le pic-bois à l’improviste.
Tout le bruit sans la fureur –
je suis loin d’être en repos
près de Trapper Lake
Croyez-le ou non –
puisque je suis étiqueté
comme poète des prairies par Revenu Canada.
Je suis encore plus fier de mon héritage,
et ceux qui sont venus m’entendre,
les spécialistes de l’Université Lakehead –
Qui ont apaisé la colère
en moi depuis le début,
me trouvent maintenant assagi
Comme le dédain de Suknaski
avec accompagnement à l’harmonica,
comme il est moins ukrainien.
Je succombe pendant un moment –
ce style étant tout
ce qu’il me reste
Impatient comme je suis de lire la suite;
le meilleur de mon dialecte –
même en faisant semblant.
Cyril Dabydeen
Parmi ces derniers livres, citons God's Spider – poésie (PeepalTree Press, Royaume Uni), My Multi Ethnic Friends and Other Stories (éditions Guernica, Toronto) et Beyond Sangre Grande: Caribbean Writing Today (TSAR, Toronto). Il a également publié Jogging in Havana (1992), Black Jesus and Other Stories (1996), Berbice Crossing (1997), My Brahmin Days (2000), North of the Equator (2001), Play a Song Somebody: New and Selected Short Stories (2003), Imaginary Origins: New and Selected Poems (2005), ainsi que les romans Dark Swirl (1989, réimp. 2007), The Wizard Swami (1989, réimp. 2007) et Drums of My Flesh (2007) – gagnant du prix Guyana et mis en nomination pour le prix IMPAC de Dublin. Les œuvres de M. Dabydeen ont paru dans plus d'une soixantaine de revues littéraires et d'anthologies. Il a été le poète officiel d’Ottawa (1984-1987). Pendant de nombreuses années, il a également travaillé sur les questions de justice sociale au sein du gouvernement fédéral et d'administrations municipales. Il enseigne la création littéraire à l'Université d’Ottawa. Il est originaire du Guyana, en Amérique du Sud.
Poème de Diana Manole
Version originale anglaise Deflowering. English
Tiré du recueil B & W, publié aux éditions Tracus Arte, Bucarest, 2015, pages 79-82 de l’édition bilingue (roumain/anglais). Traduit du roumain vers l’anglais par Adam J. Sorkin et Diana Manole
© Traduction française par Robert Paquin, Ph. D.
Par la poésie, Dr Diana Manole explore la civilisation canadienne sous l’angle de la politisation des identités — immigrante d’Europe de l’Est, femme, « Blanche » et intellectuelle – et de l’interprétation de l’image qu’elle se fait d’elle même par les autres Canadiens. Elle s’intéresse en particulier au préjugé invisible et méconnu qu’entretiennent certains Canadiens de naissance à l’endroit des nouveaux arrivants : l’« accentisme », l’un des derniers bastions de discrimination éhontée. Le poème de Mme Manole nous demande d’en prendre acte tout en rappelant que, quoiqu’elles soient également des langues d’amour et de partage, les langues officielles du Canada ont souvent servi, et peut être encore aujourd’hui, des intérêts parfois impérialistes ou mondialistes.
1. S’accoupler. Entre cultures
Je dépucelle maladroitement la langue française
mot à mot
avec mon accent rudimentaire,
mon incapacité chronique de me rappeler la position
bonne de l’adjectif ou de l’adverbe
et la mystérieuse distinction entre
« un » et « le ».
Rancunier, mon français me trahit
quand je demande des cigarettes chez le dépanneur
et que le jeune commis à la peau couleur de chocolat chaud
et au visage d’un ange qui se serait trompé de race à la naissance
me fait un clin d’œil parce que
je prononce « Bonjour! » d’une drôle de façon et
porte un sac à dos –
me rappelant que les cours de français, langue seconde sont plus
efficaces
que l’apitoiement
et que les différences culturelles ne sont plus mon problème numéro un.
Mon ordinateur me réprimande : « Vérifiez l’orthographe en écrivant! »
Même quand j’essaie simplement d’envoyer un texto à ma propriétaire,
qui me demande – non, qui me commande – de quitter :
« Dès mercredi, me dit-elle lundi, je ne veux plus vous voir! »
J’ai sali sa maison de parfums paysans
(comment deviner que l’odeur du chou farci au porc peut être
intolérable?)
et du bavardage tapageur de mon enthousiasme anormal
(pour presque tout, tout le temps, merde!).
Entre la propriétaire et moi –
plusieurs générations de bons citoyens canadiens proclament fièrement
son droit de m’évincer (sans préavis)
malgré le temps froid et les droits des locataires.
Mais me voilà partie,
mes quelques casseroles et mon étagère IKEA sur le dos
comme une tortue surchargée qui se traîne les pieds d’une auberge de
jeunesse à l’autre,
sans une langue qu’elle pourrait appeler son chez soi.
(Je voudrais être « des leurs », mais « pour l’heure »,
« leur » avoir fait obstacle.)
Toujours en train de taper jusqu’à ce que cette harangue adressée
à la propriétaire se transforme
en poème
(le plus grand blasphème de tous)
que j’écris avec une voix empruntée à des livres
mis à la retraite par la bibliothèque municipale
et achetés sur Amazon pour presque rien
plus frais de livraison –
les auteurs déchirés entre l’exil des rayons d’une bibliothèque
et la chance d’une renaissance.
Le langage devient pénible et mon abruti d’écran d’ordinateur
fait irréfutablement preuve de l’embrassade accidentelle
entre une résidente permanente suspecte immigrée d’Europe orientale
et un stratagème séculaire d’esclavage – le français
fier conquérant du globe une fois encore,
miracle postcolonial d’une incessante chirurgie
de remplacement de l’innocence.
Dieu merci pour les livres d’histoires impérialistes
et la médecine moderne scientifique
qui font s’évaporer la culpabilité blanche
et renouvellent la virginité avec du plastique.
2. Quelque chose d’emprunté, quelque chose de noir
Toujours en train de taper, puis de pleurer
(si fort que je crains que mes voisins
n’appellent le 911
pour me préserver de la « violence familiale »)
jusqu’à ce que je te rencontre, toi –
moins et pourtant plus étranger que moi,
un peu noir, mais pas assez pâle –
à la fois un viol et un esclavage.
Notre discours –
s’observant, se flairant, se courtisant, se craignant,
incertains,
comme un jeune tigre et une jeune tigresse qui tournent innocemment
l’un autour de l’autre
durant leur première saison de rut,
jusqu’à ce que mes syllabes copulent avec les tiennes
franchissant le mur du son entre
deux langues et deux personnes ayant peu en commun –
une rencontre improbable au carrefour des millénaires
et d’empires déchus.
Nos pensées et notre accent contaminent le français
comme une maladie infantile courante
facile à ignorer sauf pour un léger inconfort
néanmoins difficile à ignorer.
(mais comment un mot peut-il oublier son propre accent?)
Nos mots s’entrelacent comme une étreinte mouillée,
nous condamnant ainsi à être perdus à jamais
entre les pyramides d’Égypte et du Mexique,
le temple de Diane (mais attention, l’authentique!),
le théâtre de Dionysos,
la Grande Muraille,
et une poignée de huttes délabrées en périphérie du Sahara,
constamment en train de réinventer le passé,
stéréotypés dans le présent,
à dépuceler et revirginiser la langue française,
incarcérés dans son noyau chauffé à blanc,
le médium et le baptême pour une rédemption
à laquelle nous ne sommes pas prêts –
encore et toujours.
Diana Manole
Écrivaine d’origine roumaine, Diana Manole a publié neuf recueils de poésie et de théâtre et est lauréate de 14 prix littéraires. Depuis son immigration au Canada, sa poésie (traduite du roumain en collaboration avec Adam J. Sorkin ou rédigée en anglais) a été publiée par des revues littéraires au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud. Ses poèmes ont également été traduits et publiés en français, en allemand, en polonais, en espagnol et en albanais, alors que ses traductions de poèmes canadiens sont parues dans d’importantes revues roumaines.
Poème de Len Gasparini
Version originale anglaise Field Trip
Tiré du recueil Collected Poems, publié aux Éditions Guernica, 2015.
© Traduction française par Robert Paquin, Ph. D.
Lorsqu’il est question de culture canadienne, aucun cliché n’est plus tenace, dans l’une ou l’autre des langues officielles, que celui voulant que le Canada soit une contrée sauvage aux paysages à perte de vue. Même la souveraine « côtoie » en effigie le castor, l’orignal, le huard, l’ours blanc… Le Groupe des sept n’a pas échappé à la tendance, pas plus que Tom Thomson, Emily Carr ou des artistes autochtones tels que Norval Morrisseau. Tous ont contribué à alimenter le mythe d’un Canada aux océans majestueux, couronné de forêts luxuriantes, de montagnes, de prairies et de glaciers, le tout serti des innombrables joyaux de la faune et de la flore. Le poète Len Gasparini, par contre, revisite les thèmes des grands espaces et du Grand Nord en puisant dans une imagerie et un vocabulaire inusités ou à saveur scientifique. M. Gasparini me fait figure de beatnik du terroir que Field Trip nous révèle mi sarrau blanc, mi blouson de cuir.
Excursion
Péninsule Bruce
Verdoiement péninsulaire aux falaises de calcaire –
index multimillénaire pointé vers la rencontre des eaux,
érodé au point de n’être plus qu’un vestige d’île –
c’est l’ongle glaciaire d’un escarpement
qui a raclé le dos du vent
depuis les chutes du Niagara jusqu’à l’île Manitoulin.
Au large de Tobermory, les vagues en rouleaux argentés
giflent les récifs fossiles du chenal
et les bancs de sable font gargouiller les épaves.
Le temps se mesure en minéraux
aussi précis qu’un chronomètre.
Les siècles s’enlisent dans les sédiments.
Les poissons scintillent entre les os des navires incrustés de moules,
qui ont sombré jadis :
la barque Arabia qui fit naufrage près de l’île Écho en 1884;
la goélette Golden West qui fit naufrage à l’île Snake en 1884;
la goélette Lady Dufferin qui fit naufrage près de Cabot Head en 1886…
Une écrevisse détale à toutes jambes à travers une flaque dans les rochers.
Quels silences bleus, quelles vertes solitudes!
Les balbuzards pêcheurs planent au-dessus des dunes de sable et des marécages de cèdres de la péninsule.
Les promontoires de la côte orientale
surplombent pensifs la baie Georgienne.
Les mouettes nichent sur de petites îles piquées de pins
qui se détachent sur le ciel du crépuscule.
Le soir jette l’ancre dans l’anse d’une île.
Sous cette patte d’oie hérissée de fougères ambulantes et de sabots de la vierge,
une dynastie de glaciers s’est avancée puis a reculé,
façonnant ainsi les Grands Lacs.
Sous les falaises couronnées de cèdres blancs,
des grottes baillent comme de gigantesques palourdes sculptées dans le calcaire.
Au-delà de la baie de Beachy Cove,
trois jeunes couleuvres luisantes se faufilent
sur un cap herbeux et verdoyant.
Les curieuses colonnes de l’île Flowerpot
étaient autrefois des cariatides qui supportaient la lune
sur leur tête.
À mi-hauteur de la péninsule
couverte de bouleaux jaunes
et d’épinettes noires,
le paysage est accroché au lac.
C’est le périmètre de granite
du bouclier canadien, qui s’étend
sur une nature sauvage si vaste et grandiose
que son plus petit rocher forme un horizon
dont les racines s’enfoncent jusqu’au noyau de la planète.
Len Gasparini
Len Gasparini est l’auteur de seize livres et opuscules de poésie, dont Collected Poems (2015), de cinq recueils de nouvelles, de deux livres pour enfants et d’une pièce en un acte. En 1990, il a reçu le prix littéraire F.G. Bressani dans la catégorie poésie. M. Gasparini demeure à Windsor, en Ontario.
Poème d’Ayesha Chatterjee
Version originale anglaise The Last Generation
Tiré du recueil The Clarity of Distance, publié aux éditions Bayeux Arts, 2011
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D.
Ayesha Chatterjee observe non seulement les bouleversements immédiats et ironiques de siècles de colonialisme suivis d’un « brusque » accès à l’indépendance, mais également la disparition de symboles impérialistes et les efforts pour les remplacer par des emblèmes nationalistes criards ou tapageurs. Partie d’un pays décolonisé pour immigrer dans un pays qui l’est tout autant (le nôtre, sans doute), elle exprime les tourments des nouveaux citoyens qui veulent être acceptés tels qu’ils sont – et où ils sont – plutôt que devoir toujours prouver, en un sens, leur identité canadienne. Son poème est d’essence politique, certes, mais d’une politique exprimée dans l’image et non dans la simple déclaration.
La dernière génération
Nous serons la dernière génération à parler
avec une voix étrangère à tous sauf à nous-mêmes.
Tandis qu’une nation impose subrepticement son nom,
nous observons en sécurité, par les fenêtres et dans les journaux,
goûtant le fruit amer des véritables expropriés.
Nous nous sentons chez nous dans la poussière sèche des écoles de missionnaires
où l’on nous a appris la culpabilité dans du papier menthe et du désinfectant,
où l’on a changé l’histoire pour nous changer, nous, en nous tournant
et nous retournant jusqu’à ce que nous croyions
que nous étions meilleurs que notre identité passée à la chaux vive et brûlée au sang.
Nous tombions comme des mouches sous le soleil indépendant,
par des failles de médailles brillantes encore
dans l’univers d’où nous avions déjà basculé, maintes et maintes fois.
Mais les bancs de pierre rouge sont en train de s’effriter maintenant
et les longues pales des ventilateurs du plafond remuent d’autres histoires.
Nous nous sentons chez nous dans les grinçantes rues fantomatiques
cartographiées sous la pluie d’hier et à moitié abandonnées
même par nous. Dans les vastes esplanades et les hippodromes écumants,
dans les salles de cinéma au nom en dentelles – Élite,
Globe, Sa Majesté, Nouvel Empire – dans le double langage
des clubs et des murs de temples, dans le clinquant et dans le bhang,
dans toutes ces choses, nous nous reconnaissons. Nous avons notre cordon ombilical
avec nous, roulé dans notre poche pour plus de confort.
Pourtant à toutes les portes ouvertes, on nous demandera d’où
nous sommes. Nous serons les derniers.
Ayesha Chatterjee
Originaire de Kolkata, en Inde, Ayesha Chatterjee a habité en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne. Elle vit aujourd’hui à Toronto. Ses poèmes ont paru dans plusieurs magazines imprimés et en ligne, dont nthposition, Autumn Sky Poetry, The Guardian en ligne et Magma Poetry. Son premier recueil de poésie, The Clarity of Distance, a été publié en 2011 par Bayeux Arts, de Calgary. Elle est l’actuelle présidente de la League of Canadian Poets..
Poème de Jeff Derksen
Version originale anglaise But what of the City Itself?
Tiré du recueil The Vestiges, publié aux éditions Talon Books, Vancouver, 2013, page 69
© Traduction par Robert Paquin, Ph. D.
La poésie de Jeff Derksen, telle que représentée dans The Vestiges, n'est pas sans rappeler l'expérimentation d'Ezra Pound, de par laquelle la poésie est utilisée afin de nous remémorer les faits trop souvent cachés de l'Histoire; les ramenant ainsi à notre attention, examen, critique ou répudiation. Je considère cette œuvre comme étant l'un des livres de poésie anglo-canadienne des plus importants ressortis de cette décennie.
MAIS LA VILLE, ELLE?
Pour Neil Smith
À Buenos Aires en 1985, il n’était plus possible d’acheter
quelque chose le soir pour le prix qu’on l’avait payé le matin.
Mais que s’est-il passé au juste à Paris en 1848?
Visiter Las Vegas au milieu des années 1960, c’était comme visiter Rome
à la fin des années 1940.
Au milieu des années 1990, de grandes portions de Toronto avaient
l’air d’attendre d’être mises en valeur, réutilisées et recyclées par
le récent boom immobilier.
Avant la crise économique du milieu des années 1970, New York était
peut-être la plus égalitariste de toutes les villes américaines.
En juin 1956, pour la première fois en Pologne, la ville de Poznan fut
le théâtre d’une grève générale accompagnée de manifestations dans les rues.
Je n’avais pas prévu revenir à Vienne, mais il s’était passé
bien des choses entre l’été 1933 et
l’automne 1934.
Le samedi 14 septembre, un petit groupe de défenseurs du
droit au logement et de squatteurs des alentours de Vancouver
convertit l’édifice Woodwards en logement gratuit.
[…]
Jeff Derksen
Jeff Derksen est membre fondateur du Kootenay School of Writing, une école de littérature de Vancouver dirigée par des auteurs. Il a été rédacteur en chef du magazine Writing. Ses poèmes et ses essais critiques sur l'art, l'urbanisme et la littérature ont été publiés en Europe et en Amérique du Nord. Ancien chargé de recherche au Center for Place, Culture and Politics à l'Université de la ville de New York, il travaille aujourd'hui au département d'anglais de l'Université Simon Fraser. Il collabore à des projets d'art visuel et de recherche (centrés sur les thèmes urbains) au sein du collectif de recherche Urban Subjects. Down Time a valu à M. Derksen le prix de poésie Dorothy Livesay, qui lui a été remis en 1991 lors du gala des BC Book Prizes. Un poème tiré de Dwell — « Host Nation, Host Society » — a été mis en lice pour figurer dans The Gertrude Stein Anthology of Innovative North American Poetry: 1993.
Poème de Soraya Peerbaye
Version originale anglaise Enough
Tiré du recueil Tell: poems for a girlhood, publié aux éditions Pedlar Press, 2015
© Traduction par Robert Paquin
Le poème Enough de Soraya Peerbaye nous rappelle que la poésie est toujours publique, qu’elle est toujours « politique » sans nécessairement être partisane. Dans ce poème vif et saisissant, l'auteure médite sur un meurtre et sur la violence implicite du vocabulaire nécessaire pour faire la distinction entre culpabilité et responsabilité. Les mots sont pénibles et bouleversants, mais vont droit au but, celui de nous aider à reconnaître « l'objectivité » empreinte de subjectivité du vocabulaire juridique et clinique qui dissèque l'Injustice et contre-interroge la Victime et l'Accusé.
La grâce c'est la fille qui se tient les jointures, le juron lâché,
l'uppercut
dans les dents
les taches d'herbe, des traînées vertes sur le jeans d'un garçon, celui qui
donnait des coups de pied à la tête
jusqu'à temps que son meilleur ami le tire en arrière et le pousse
au bas de la côte
La grâce c'est la hiérarchie des jeunes filles qui fait que certaines règnent, qui fait que
l'une d’elles dit : Elle en a eu assez
La grâce c'est le souffle qui revient, accompagné de spasmes de douleur,
comme une seine qui se resserre sur le torse
Faible lueur en l'air, étoiles ou rivets, elle ne peut en être sûre. Filets de
lune en bas, dans la boue
Murmure de voitures qui passent au-dessus. La grâce c'est les genoux, les mains et
les genoux, les genoux et le coteau
Elle dit : « Aidez-moi. Je vous aime. » L'une des filles pleurait dans les bras de son petit ami
La grâce c'est assez, une cruauté assez insouciante pour qu'on puisse y mettre un terme juste
comme ça
Soraya Peerbaye
Candidate pour le prix Gerald Lampert pour son premier recueil de poèmes Poems for the Advisory Committee on Antarctic Names, Soraya Peerbaye a aussi vu ses poèmes publiés dans Red Silk: An Anthology of South Asian Women Poets (Mansfield Press, 2004), sous la direction de Priscila Uppal et de Rishma Dunlop, ainsi que dans l'anthologie d'œuvres de colportage Translating Horses (Baseline Press, 2015). Elle détient une maîtrise en beaux-arts en écriture créative de l'Université de Guelph. Mme Peerbaye vit à Toronto avec son mari et leur fille.
Par : Bertrand Nayet
parc de l’archevêque
des corbeaux sur le gazon
gobent des lombrics
bruits de ventilation
du bout du grand hall
des échos de voix
vagues sur le sable
elles bercent un enfant
qu’a ramené la mer
brume sur La Salle
d’une rive à l’autre
grillons et rainettes
à l’entrée de l’ancien monastère
l’accueil des moustiques
ruines d’une église
la jeune maman allaite
son bébé à l’ombre
torride mi-aout
au seuil de la chapelle
une vieille serpille
un banc au couchant
une maman deux grands-mères
bébé sur les genoux
vent dans les peupliers
l’ombre d’une herbe sur le
genoux du bouddha
saules sous le vent
sur la berge de La Salle
des chants népalais
sentier d’herbes sèches
j’étais un enfant-cheval
allant grand galop
après toutes ces années
je le suis toujours
Bertrand Nayet publie nouvelles, récits, poèmes et contes. Il écrit du théâtre, crée des mises en scène, joue pour des troupes du Manitoba, dessine, peint et illustre. Père fondateur et secrétaire perpétuel du Collectif post-néo-rieliste, fondateur et animateur du Kukaï Rouge il est écrivain en résidence à la Maison Gabrielle-Roy, à Saint-Boniface. Ses dernières publications : Contes de fils et d’eaux, Sur une même écorce, Les lieux de l’amour/L’amour des lieux, Voix.
Par : Sébastien Bérubé
J’ai accepté de n’être qu’un monstre
De vous laisser construire des histoires
Et les associer à mon nom
À ma figure
J’ai écouté vos paroles
Afin de bien les comprendre
Pour leur donner vie le plus honnêtement possible
Je suis devenu ce que vous vouliez craindre
Cet être ignoble
À qui il fait bon de lancer des cailloux
Je suis devenu cette bête
Afin que vous puissiez éviter les miroirs
Pour vous laisser embrasser vos égos
J’ai enlacé vos murmures
Les mots à double canon
Et vos regards inquisiteurs
Pour vous permettre de dormir
Afin qu’il y ait toujours pire en ma direction
J’ai accepté de n’être que votre ombre
D’être la laideur qui vous rend jolie
De parader mollement entre vos luxures
Pour que vos doigts puissent briller
J’ai couru vers vos démons
Pour vous faire croire en vos dieux
Je suis devenu le contraire
De ce qu’on m’avait promis
Afin que vous vous sentiez bien
De me donner assez pour un café
Sébastien Bérubé est originaire du nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Diplômé de l’Université de Moncton campus d’Edmundston et artiste multidisciplinaire, il a publié un roman en 2012 (L’œil de papier), enregistré un album en 2013 (L’encre des saisons) et fait paraitre un premier recueil, Sous la boucane du moulin, en 2015 chez les éditions Perce-Neige.
Par : I.B. (Bunny) Iskov
En plein après-midi
En plein janvier
En plein ciel
Des étourneaux
Semblent tomber
Des nuages gris
Tels des orchidées noires
Ces étourneaux
Aux ailes déployées
Planent joyeusement
Un peu partout
Dansent un ballet
De bagues et de coeurs
Et à la croisée
De Finch et Yonge
Ils amusent les conducteurs
I.B. (Bunny) Iskov est la fondatrice de l’Ontario Poetry Society. Ses œuvres ont été publiées dans plusieurs revues et anthologies littéraires. Elle a à son actif trois collections complètes et de nombreux chapbooks. En 2009, Bunny a reçu le tout premier prix R.A.V.E. (Recognizing Arts Vaughan Excellence) dans la catégorie Enseignement/mentorat en arts littéraires, en reconnaissance de son apport exceptionnel au paysage artistique de la municipalité de Vaughan.
Par : Glen Sorestad
À l’aube de mars vous vous éveillez,
Un thermomètre frissonnant se plaint
Qu’hors de vos murs isolés, le monde
Tiré de la nuit par le soleil matinal,
Est silencieux et figé à – 34oC
Vous êtes prêt à répéter votre air familier
Quand cet hiver finira-t-il?
Même si votre rationalité avoue
Que le soleil est beaucoup plus haut et plus chaud,
Si fort que la neige commence à fondre
Bien avant que la température passe le zéro
Votre faim de printemps gronde en vous
Comme une blessure d’amour à sens unique
Deux jours après le mercure dépasse zéro
Et la neige déploie à nouveau son mystère
Fond sous vos yeux en soupirant
Se creusant d’elle-même comme des joues d’affamés
Les cent chansons de l’eau dans les gouttières
Vibrent et lancent dans l’air urgent
Des messages émus dans les ondes endormies
Traduit par Andrée Lacroix
M. Glen Sorestad est un poète bien connu de Saskatoon, dont les œuvres ont été publiées dans plus de 20 livres de poésie, plus de 60 anthologies et traités ainsi que dans des revues littéraires d’Amérique du Nord et de nombreux pays d’Europe. Sa poésie a été traduite en sept langues.
M. Sorestad est membre de l’Ordre du Canada.
Par : Randy Lundy
C’est ainsi que tout commence,
non par un mot,
mais par un souffle.
Par une chose que nos corps font
d’eux-mêmes, sans
qu’intervienne notre volonté
Par une chose que font nos corps
pour nous sauver
de la conscience et de la mort.
Mais elle survit—la mort—dans ce paisible
instant entre l’inspiration
et l’expiration, en cet instant
où nos coeurs séparés battent séparément, en cette milliseconde
où notre esprit laisse vivre notre corps.
Mais c’est bien sûr notre corps qui laisse vivre notre esprit
pour un instant, et toujours elle guette,
la mort comme un oiseau agrippe
un autre oiseau
en plein vol.
Par : Pierrette Requier
moi j’ai décidé tard un soir de fin de septembre de me glisser doucement dans la vie ben oui moi je m’en venais any minute et pis épuisée Mom s’endormait entre chaque douleur trop morte de fatigue pour accoucher pour encore pousser avait ramassé tout le grand champ de patates pour l’hiver pis empoché pis rentré dans la cave déja trois p’tits et depuis que pépère est parti c’est pus pareil lui il l’aidait c’est vrai qu’il faisait très beau cette fin de septembre je sais déja qu’elle est belle ma mère par les battements de son coeur parce que son corps me berce même qu’elle s’arrête de temps en temps baigne son beau visage au soleil sourit ce grand ciel bleu des prairies l’épate toujours quand même Mom se méfie on vit dans le Nord dans le gumbo country et quand y’arrive un de ses cloud bursts les chemins deviennent impassables pis là elle se sent stuck surtout quand elle soupçonne qu’encore une fois Dad s’est arrêté au bar qu’elle ne peut pas savoir quand il reviendra du village avec les commissions et qu’est-ce qu’elle ferait si un de ses petits tombait avec une grosse fièvre si elle manquait de formule pour le bébé Mom s’affaire fait semblant de ne pas avoir peur moi je sais qu’elle a peur elle jette des petits regards furtifs vers le châssis qui donne sur la route son inquiétude pétille dans l’air crépite autour de la pièce comme de l’électricité statique
Par : Marie-Belle Ouellet
Il y aura très peu d’espace malgré le froid. Je me tiendrai à la source.
Il y aura le pas des hommes. Très peu de plages pour les recommencements.
Très peu de coquillages et d’enfance.
Il y aura cette femme que la page borde de son écume.
Il y aura quelques étoiles. Sur nos lèvres, des arbres qui se fracasseront.
Il y aura beaucoup de mots, ta chute s’abreuvera de nos mémoires.
Et l’empreinte des glaces embrasera l’aube vide de nos vies.
Il y aura très peu de nous. Le silence sera une maison couverte de songes.
Il y aura peu de visages et de livres, trop peu de corps pour aimer.
Il y aura les falaises et les restes.
Il y aura ce rien. Ce poème sur ma langue que je commencerai.
Il y aura la pierre que je porterai à ma bouche.
Dans les bras d’une mer agitée, nous serons seuls.
Debout, près de l’écorce et du vent, comme l’encre sur la neige,
les jambes entremêlées d’algues, nous naîtrons dans le silence.
Née en Gaspésie, en 1978, Marie-belle Ouellet s’engage très jeune dans la lecture et l’écriture poétique. En 2004, elle reçoit le Prix Arcade pour sa suite poétique Nature morte. Elle occupe en 2011, la première residence d’artiste à la Maison Félix-Leclerc de Vaudreuil où son recueil, Je promets d’être là, a été en partie compose. Depuis 2006, elle a publié plusieurs recueils de poésie aux Éditions David. Son dernier recueil, Le son friable de l’étreinte, vient tout juste de voir le jour.
Par : Annick Proteau
Les nouvelles sont les mêmes
Seule la nature explose
Le parc désert
Immobile
Pas un oiseau
La routine s’éloigne
Gestes répétés
Mouvements rapides
Le temps file
S’arrêter un peu
Pour entendre les arbres
Les bruits discrets
Assommés par la ville
Je vois au loin une autre cité
Que je ne connais pas
Qui est-elle?
Horizon ou lendemain
Les mains vertes
Tempèrent le temps
Les moulins recherchent l’abandon
Soufflés par les blés
Sur un mur vitré
Les semences se perdent dans l’air lourd
Fin cruel
Jadis, j’aurais crié
Maintenant le silence des oiseaux m’étreint
Je suis dans mon ventre
Blotti dans un creux
À l’abri de la pluie
Je regarde le vent
Les nuages flottent
Tout est si paisible
Mais où vont-ils?
Chercher le temps
Annick Proteau est née à Québec le 24 avril 1970. Elle passe son enfance et son adolescence à Saint-Gabriel-de-Valcartier puis s’établit à Québec à 18 ans. Elle élève ses deux filles et occupe différents métiers. Présentement, elle travaille comme auxiliaire aux soins de santé et services sociaux du CSSS de la Vieille Capitale depuis 11 ans. De par la nature de son travail, elle se déplace constamment dans la ville. Lorsqu’elle a un moment de répit, elle compose des poèmes depuis son poste d’observation : sa voiture.
Par : Michel Létourneau
Le soleil risque
une approche sur la courbe des fruits
le matin examine où il trempe les pieds
les stores laissent
passer le monde par petites doses
les désirs
(qui ont gardé leur aplomb)
réverbèrent au creux des bols
le ciel dans sa contention
brûle un à un les oiseaux
qui l'entraînent
comme un drap par les coins
les séditions tapissent les murs
la mémoire ordonne son fatras d'images
un jour comme les autres
où nous consignons
les heures vidées de toute résilience
la rue nous replie dans son casseau
nous cherchons avidement
des miettes miraculées
au creux de nos paumes
petite sauvegarde de l'espèce
finirons-nous jamais par nous rejoindre
à l'aveugle dans l'immensité?
Michel étourneau est né à Québec en 1959. Il habite la région du Bas-Saint-Laurent depuis une dizaine d'années. Il a publié jusqu'à maintenant sept recueils de poésie dans diverses maisons d'édition. Il explore les thèmes tels que l'enfance, les épreuves humaines et la quête de sens.
Par : D.S. Stymeist
Aux derniers jours du printemps,
Ma traversée matinale du Highlevel
Est devenue déroutante,
Car des carcasses d’oiseaux
Jonchent les abords de la route
De pauvres petites dépouilles
De plumes et d’osselets
Qui ont abouti dans les égouts pluviaux.
Les restes de leur chair résineuse
Évoquent ceux des hommes des catacombes d’Evora.
Soudain un mauvais augure se dessine,
Lourd d’une menace, d’une malédiction :
Quatre ailes battant ensemble comme une seule,
Liées dans l’horreur d’un affreux viol.
Cette vue n’est certes pas destinée à mes yeux,
Car ses serres ont profondément pénétré
Dans le doux cadavre d’un pigeon aux yeux fixes.
Il virevolte, tournoyant et vrillant dans l’air
Le long des hauts murs de la ville
Où bat le pouls des pignons et des engrenages.
Le cri du faucon pèlerin devient si perçant
Qu’il fige des enfants qui jouaient,
Car son cri monocorde est plus aigu
Que la plongée en piqué d’un bombardier Stuka
Vers les ghettos de Varsovie déchirés par la guerre.
Ce faucon remonte à la verticale
Jusqu’au sommet d’une haute tour en béton
D’un vertigineux condominium urbain.
Il s’éloigne des abysses de l’oubli,
Survivant à notre toxique alchimie.
Traduction par Andrée Lacroix
Note au poème : Faucons pèlerins
À Edmonton, le pont High Level enjambe la rivière Saskatchewan Nord. La passerelle du pont s'élève à 50 mètres (164 pieds).
À l’heure actuelle, il y a 8 couples nicheurs de faucons pèlerins dans la ville d’Edmonton. En 1970, on en comptait qu’une seule paire dans toute la province.
D.S. Stymeist enseigne la poésie et la littérature autochtone à l’Université Carleton, à Ottawa. Il a publié des poèmes dans Prairie Fire, Steel Chisel, Ottawater, In/Words et ByWords. Ses essais et critiques ont été publiés dans des revues comme Studies in English Literature, EIRC, R & R, Cahiers Élisabéthains, RQ, Mosaic et Genre. Il est directeur de la publication de la micromaison d’édition Textualis qu’il a fondée. Il a grandi dans la réserve de la Nation crie d’O-Pipon-na-Piwin (South Indian Lake, Manitoba) et il travaille actuellement à la révision de Dead Reckoning, un recueil de poèmes qui explore les points de rencontre entre langue, culture et Histoire.
Par : Dominique Lauzon
Passée l’amertume le vin des promesses s’arrondit
l’ironie des nécessaires apaisements coule
à voix basse sa plainte parmi les nœuds d’hier
fugitif demain se dérobe à toutes les envies
état d’égarement dans l’incohérente succession
des tableaux de guerres qui n’en finissent plus d’abstraire
Toute une liste d’imaginaires soudés par la brûlure
d’interminables chuchotements
aucune impulsion
nul besoin de savoir
des corps à peine ébauchés
au bord parfaitement inaccessible du vivant
L’autonomie de pensée ne suffit guère à déjouer
les plans les plus engagés pour brouiller la chair
au nom d’évidences déjà formulées
par l’érosion du souffle absolument
Plausible refondation du temps
au moyen de trahisons brèves
imparfait héritage d’une hésitation répétée
la pensée dépouillée de ses cadres les plus stricts
des clichés les plus obstinés
La déconvenue du choix reste une impasse à explorer
Voici l’enfant de l’intenable erreur du cœur
transparente sa nuque laminée de méprise
blanche sa destinée coupée du reste
entre l’air et l’ombre
Ainsi il lui a fallu naître au seuil et sans voix
mais il aura en partage de nouveaux équilibres
ponctués d’expressions aux accents de survie
Dominique Lauzon est né à Montréal en 1951. Depuis les années 1970, il participe activement à la diffusion de la poésie en tant que rédacteur, réviseur, correcteur d’épreuves et libraire. Il participe aussi régulièrement à des lectures publiques. Il est membre de la revue de poésie Exit. Il est l’auteur de neuf recueils dont deux ont été traduits en espagnol. Parmi les plus récents aux Écrits des Forges : Un livre une fois, paru en 2006, et, en 2013, Lettre du cœur et autres paysages.
Par : Martin Thibault
je t’entends venir de loin l’air est plein
et je les ai ouvertes les oreilles mes pensées
sautent comme les écureuils
se courent après dans la cour
c’est bleuté dans tes yeux déjà
ou verdâtre brunâtre noir brillant
et sur le balcon
j’ai tassé chaises et table je vis
sous un couloir aérien
peut-être le hasard et mon désir
feront bien les choses te feront
sauter d’un avion
accrochée comme un sourire au visage
à un maudit beau parachute
Écrivain et animateur d’ateliers d’écriture, Martin Thibault a publié des recueils (poèmes, nouvelles), des romans et un essai sur la poésie (avec le philosophe Pierre Bertrand) aux éditions Le Noroît, Liber et Trois-Pistoles. Le recueil Les yeux sur moi a remporté le Prix Jovette-Bernier et a été lu en entier à la radio de Radio-Canada, de même que la pièce de théâtre Il poussera des ailes aux perchaudes, qui a aussi été montée au théâtre La Chapelle. Il est actuellement le poète de la cité de Montréal.
Par : Vivian Vavassis
Si nous avions su que ce voyage serait notre dernier
Nous l’aurions préparé de la même façon
En montant l’escalier de la place d’Espagne à Rome
Nous avons eu la macabre curiosité
D’aller voir comment l’univers
S’appuie sur les joues et les lèvres
Du poète à son dernier souffle
Certaines choses devraient être cachées
Aux étrangers – même aux admirateurs
Quand mon âme aura commencé à remuer
Ses branches de pin alourdies
C’est ta voix qui l’aura émue
Ton pouce et ton index qui auront doucement placé
Des pièces de monnaie sur mes paupières enflées.
Traduction d’Andrée Lacroix
Originaire de Montréal, Vivian Vavassis vit actuellement à Ottawa et considère ces deux villes comme son foyer. Ses poèmes et ses essais ont été publiés dans plusieurs éditions des revues Arc, ottawater, PFYC, Montage, A Crystal Through Which Love Passes : Glosas for P.K. Page et Études en littérature canadienne, parmi plusieurs autres textes. Il y a longtemps, elle a co-fondé et produit un petit e-zine intitulé incunabula.
Par : Nicole Gagné
mais savent-ils seulement
l’appel insistant des voix sans bouche
savent-ils
le retrait si lent
des eaux du rêve
et puis l’âme et son acharnement
à repousser ton absence intarissable
savent-ils seulement
que je suis occupée
à retenir les dernières images
avant qu’un vent impatient
les soulèvent et les laissent choir
dans les barbelés de la mémoire
c’est à peine le matin de ta dernière chemise
c’est à peine l’aurore du premier jour sans toi
lorsque la peine sera consumée
je retournerai
en ces lieux
où nous allions ensemble
cueillir le souffle juste
et un peu de blé pour la faim
mais petit à petit
j’aurai repris goût
à la sève des arbres
et au lever du jour
sur la table d’écriture
la peine me paraîtra plus lointaine
et l’oeil comme une lampe
ajoutera ce qu’il faut de chaleur
le plaisir même
sera de saison
car j’aurai tout bu
de l’autre monde
Nicole Gagné est née à Montréal et y réside toujours. De 2002 à 2006, elle obtient plusieurs prix littéraires dont la mention du jury du prix Piché de Poésie (2002). Ses poèmes sont publiés aux Écrits des Forges dans la collection Poèmes du Lendemain. En 2006, elle fait paraître aux Éditions du Vermillon un recueil de poésie intitulé : Sunday Nights Blues et autres brumes. Elle a également publié des poèmes dans différentes revues ainsi que des haïkus dans des revues et des anthologies. Elle est membre de l’UNEQ.
Par : Lyne Richard
Devant la maison aux briques usées
tu étrangles les noirceurs venues de l’enfance
ce que tu cherches tient plutôt de la lumière
d’une odeur de pain frais pendue à la mémoire
tu es venue jusqu’ici pour traquer le vacarme
jusque sous les planches d’une galerie pourrie
près tout près
une enfant aux yeux fermés
cachait ses rêves sous un pyjama
entre la dent perdue et une plume d’oiseau
près tout près
tu ouvres la bouche pour broyer les ténèbres
cet acharnement que tu avais
à polir la désolation comme un bijou ancien
des images de l’enfance glissent entre tes doigts
tu veux retenir ta rue
couloir étroit encombré de doutes
au bout de la rue maman c’est la fin du monde?
les carrés de ciel cousus aux toits
par des lambeaux de tôle
le bruit du vent dans les hangars
le consentement du matin
à ramasser des morceaux de lumière
le goût de juillet dans le ventre des fraises
les cordes à linge remplie des mémoires du corps
tu peux brûler le reste
en appeler encore une fois
à la plus simple beauté du monde
Lyne Richard et consacre la majeure partie de son temps à la création d’oeuvres littéraires et visuelles. Elle a publié neuf recueils de poèmes, deux romans Le bruit des oranges et Ne dites pas à ma mère que je suis vivant chez Québec Amérique, deux recueils de nouvelles Il est venu avec des anémones et Hurler sans trop faire de bruit chez QA et un roman pour ados, La nuit Woolf, toujours chez QA.
Par : Joanne Morency
Festin parfait
je n’attends rien des couleurs
et pourtant
je n’attends rien
patience sous le bras
tel un pain immortel
Ce fauve tranquille
à la table des futurs
demi-monde en préparation
même les nuages
leur visage sur la baie
espace comble
Rien qui manque
le thé resté chaud
telle une pleine lune durable
et le temps à boire
indolore
tout le sable d’hier
laissé dans les souliers
il n’y a pas de début ni fin
mon dos-océan
Elle reste là
la mer
son ressac
le blanc
le bleu
on ne sait pas quelle éternité choisir
Je longe le printemps
ses rivages
leur vertige sans raison
jamais le même soleil
juste un dessin de ciel
sous un tas de feuilles mortes
Cadeau
brouillard
beaucoup d’espace entre les sons
ton absence
une simple clarté
sans paysage
Joanne Morency Joanne Morency vit en Gaspésie. Paraissait en février 2014 son cinquième livre, Ce bruit de disparition (Triptyque). Miettes de moi (Triptyque 2009) lui avait valu à Paris le prix du Premier recueil de la Fondation L.-A. Finances ainsi que le prix Jovette-Bernier–Ville de Rimouski. Anciennement psychologue, l’auteure s’intéresse aussi à la poésie en tant que vecteur de découverte et de mieux-être et elle donne des ateliers d’écriture en ce sens.
Par : Pierre Chatillon
Je vis au cœur d’un pays perdu
dont pourtant je ne suis jamais parti
j’y suis né j’y mourrai
un pays qui n’est plus
mais qui partout me suit
je voudrais en sortir
que je ne le pourrais pas
on voudrait m’en chasser
qu’on ne le pourrait pas
il est parfois si petit
que malgré son fleuve et ses lacs sauvages
il n’est pas plus gros qu’une larme
et parfois si immense
qu’il s’étend sans fin
j’en ai pris possession à ma naissance
fier découvreur sortant du ventre de ma mère
comme d’une caravelle
venue de bien plus loin que La Rochelle
un pays pareil à celui
qu’en mon enfance j’ai bâti
au bord du lac St-Pierre
parmi les quenouilles et les roseaux
où j’enfonçais mes racines
dans le sol des légendes
pour que l’arbre de ma vie
y puise la sève de la poésie
un pays d’étés où mon ami le feu
descendait du zénith pour nager avec moi
un pays d’automnes où mes forêts intérieures
chantaient en flammes de toutes les couleurs
un pays boréal aux yeux de givre
soleils de verglas brûlant sur la neige
un pays où de gros flocons d’oies blanches
fondaient dans l’air pur du printemps
dans mon pays on est si fous de beauté
que les fleurs des prés se changent en hirondelles
et s’envolent sur des plumes de parfum bleu
si fous de musique
que les glaçons au bord des toits
sonnent comme un clavier de verre
sous les petits maillets du froid
si fous de magie
qu’on voit les arbres de janvier
se changer en harfangs géants
sous leur duvet de frimas
si fous d’amour
qu’on caresse la peau des jours
et que chaque rivière est une femme nue
qui sourit sur un lit de lumière
personne ne meurt dans mon pays
à chaque fête de famille
quelques-uns de mes ancêtres les plus lointains
même ceux de 1663
venus de St-François du Havre de Grâce
s’amènent avec leurs instruments
et se mettent à danser
s’il arrive qu’un jour
je perde mon pays perdu
je deviendrai pareil au sans-abri hagard
qui par les nuits d’hiver
au fond d’un cul-de-sac
parmi les détritus et les poubelles
n’a plus pour seule maison
qu’une sale boîte de carton
Pierre Chatillon est écrivain et compositeur de musique classique. Il a fait paraître une quarantaine de livres dont La mort rousse, L’homme aurore, L’enfance est une île, Le château de sable. Il a enregistré quatre disques : Air pour Claire, Les oiseaux, Le soleil, La victoire. Par ailleurs, il a créé, en 1998, le parc littéraire L’arbre de mots situé à Nicolet.
Avis de non-responsabilité
En tant que responsable du poète officiel du Parlement, la Bibliothèque du Parlement s’efforce d’atteindre un équilibre entre sa mission, ses valeurs organisationnelles et l’expression artistique des poètes officiels. Ceux-ci ont le pouvoir discrétionnaire de déterminer comment exercer des activités particulières liées à leur rôle, tel que défini dans la Loi sur le Parlement du Canada, tout en s’efforçant de remplir leurs fonctions de manière à ne pas compromettre la confiance du public envers le Parlement du Canada.
Ainsi, les œuvres ou ressources externes énumérées dans cette section ont été uniquement créées ou sélectionnées par le poète officiel, et ce dernier en est le seul responsable. L’affichage de ces œuvres ou l’inclusion de ressources externes ne constitue pas une approbation de quelque nature que ce soit de la part de la Bibliothèque du Parlement. Cette section est soumise aux mêmes conditions générales d’utilisation du contenu numérique de la Bibliothèque du Parlement que celles décrites dans la page Avis importants.