La traite des personnes est un problème d’urgence croissante dans le domaine de la politique migratoire mondiale, en particulier dans le sillage de la pandémie de COVID‑19, qui a exacerbé bon nombre des facteurs à l’origine de ce phénomène. Selon la définition qu’en donne l’Organisation des Nations Unies, la traite des personnes désigne « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes […] aux fins d’exploitation », au moyen de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’esclavage sexuel, le travail ou les services forcés, ou le prélèvement d’organes. Au départ, les efforts de lutte contre la traite des personnes ont ciblé les réseaux criminels internationaux, mais les gouvernements et les décideurs se rendent compte que les trafiquants sont parfois des individus qui agissent seuls et à l’intérieur des frontières d’un seul pays. De même, si l’image que l’on associe généralement aux victimes de la traite des personnes est celle de femmes et d’enfants exploités à des fins sexuelles, la société civile et les gouvernements prennent de plus en plus conscience du travail forcé et de son rôle dans les chaînes d’approvisionnement internationales.
Le Canada est un pays d’origine, de transit et de destination pour la traite des personnes. La grande majorité des cas de traite de personnes menant à une condamnation au Canada impliquent des citoyens canadiens ou des résidents permanents. Les ressortissants étrangers qui sont victimes de la traite au Canada se rendent habituellement au pays de leur plein gré pour se retrouver ensuite dans une situation d’exploitation. En ce qui concerne la traite tant internationale qu’au pays, la vulnérabilité des victimes est accentuée par le dénuement économique, le manque de perspectives ou l’isolement social. Au Canada, les groupes vulnérables comprennent les femmes et les filles autochtones, les migrants et les immigrants récents, les membres de la communauté LGBTQ2, les personnes handicapées, les enfants pris en charge et les autres jeunes à risque.
Les articles 279.01 à 279.04 du Code criminel et l’article 118 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) concernent directement la traite des personnes. De plus, une modification apportée en 2020 au paragraphe 132(1) du Tarif des douanes interdit l’importation de marchandises produites par du travail forcé. Les infractions liées à la traite qui sont commises à l’extérieur du Canada par des résidents permanents ou des citoyens peuvent faire l’objet de poursuites au Canada. Entre 2008-2009 et 2018-2019, 697 procès liés à des accusations de traite aux termes du Code criminel ont été instruits, dont 28 % ont débouché sur un verdict de culpabilité. Quatre affaires ont donné lieu à des poursuites sous le régime de la LIPR entre 2009 et 2016.
Pour découvrir les réseaux de traite et traduire les trafiquants en justice, il importe d’abord de considérer les personnes faisant l’objet de la traite comme des victimes de crimes et non comme des criminels. Des mesures de protection en matière d’immigration sont offertes aux ressortissants étrangers victimes de la traite, notamment le permis de séjour temporaire ou le permis de travail ouvert à l’intention des travailleurs vulnérables. Quant aux personnes qui font l’objet de la traite à l’intérieur du pays, soit la majorité des victimes au Canada, des services de soutien tels que le logement, le counselling et l’aide juridique sont assurés en grande partie par des organisations non gouvernementales. La qualité et l’accessibilité de ces services varient considérablement d’une province et d’une région à l’autre.
En 2019, le gouvernement fédéral du Canada adoptait la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes : 2019-2024, une approche pangouvernementale dotée d’une enveloppe budgétaire de 75 millions de dollars et pilotée par Sécurité publique Canada. Elle s’inscrit dans la continuité du Plan d’action national de lutte contre la traite des personnes, mis en œuvre de 2012 à 2016, tout en remédiant à certaines des faiblesses révélées par les évaluations de ce plan. Une conseillère spéciale sur la traite des personnes a été nommée en 2019 afin d’appuyer la mise en œuvre de la Stratégie.
Bien que l’approche générale du Canada à l’égard de la traite des personnes ait suscité les éloges d’experts et de défenseurs, des lacunes ont également été relevées dans l’intervention canadienne à ce jour. Elles comprennent le caractère ponctuel des services aux victimes, l’absence de soins spécialisés universels pour les victimes de traumatismes résultant de la traite des personnes, la méconnaissance généralisée de la traite de main-d’œuvre et l’insuffisance des ressources qui y sont consacrées, comparativement à celles destinées à la lutte contre la traite aux fins d’exploitation sexuelle.
La traite des personnes est une question de plus en plus urgente dans le domaine de la politique migratoire mondiale, en particulier dans le sillage de la pandémie de COVID‑19, qui a exacerbé bon nombre des facteurs à l’origine de ce phénomène. Le transport et l’hébergement d’une personne pour l’astreindre à un service forcé et à d’autres formes d’exploitation constituent une violation des droits de la personne reconnus à l’échelle nationale et internationale. Les estimations de l’étendue de ce phénomène mondial varient d’une organisation à l’autre, en partie en raison des différentes interprétations du terme, mais surtout parce qu’il est difficile d’obtenir des statistiques précises, étant donné la nature clandestine des crimes 1. Les statistiques les plus souvent citées sur la question sont sans doute celles du Bureau international du Travail et de la Fondation Walk Free, en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations de l’Organisation des Nations Unies (ONU); ils estiment que, à tout moment en 2016, 24,9 millions de personnes dans le monde entier étaient astreintes au travail forcé 2. Cependant, bien que le terme « travail forcé » englobe la traite des personnes, les deux concepts ne sont pas identiques, et aucune ventilation plus précise du nombre de victimes de la traite des personnes n’est disponible 3.
Le présent document examine la notion de traite des personnes en termes généraux et donne un aperçu du cadre législatif international et canadien y afférent. En guise de conclusion, il présente les lacunes potentielles relevées dans les lois et les politiques canadiennes relatives à la traite des personnes.
Le terme « traite des personnes » désigne essentiellement le recrutement, le transport et l’hébergement d’une personne pour l’astreindre à un service forcé ou l’exploiter. Selon l’image qu’on s’en fait habituellement, les victimes sont des femmes et des enfants 4 livrés sous la contrainte à l’industrie du sexe. Toutefois, des hommes, des femmes et des enfants sont aussi exploités dans le contexte d’un travail agricole, domestique ou autre. D’autres font l’objet de la traite pour le prélèvement de leurs organes. Dans certains pays, les enfants peuvent être forcés à travailler comme mendiants ou à devenir soldats.
La traite des personnes peut s’exercer de diverses façons. Elle peut être le fait de groupes criminels organisés qui exploitent de vastes réseaux transnationaux et tirent parti de leurs relations avec les milieux politique et économique des pays d’origine et des pays de destination, ou encore celui de petites organisations qui font la traite d’un petit nombre de personnes à la fois. Un individu agissant seul peut également s’adonner à la traite des personnes.
Les trafiquants trouvent leurs victimes de diverses façons. Beaucoup d’entre elles se laissent séduire par l’attrait d’un nouvel emploi ou tromper par des contrats de travail d’apparence légitime. D’autres font l’objet d’enlèvements purs et simples. Certaines personnes peuvent consentir à certaines formes de travail sans se douter des conditions d’exploitation dans lesquelles elles seront forcées de travailler. D’autres sont mises au travail au moment de leur arrivée à destination, liées à une servitude pour des dettes dont le remboursement peut prendre des années. Bon nombre de victimes de la traite sont maintenues sous le joug de la servitude par des trafiquants qui emploient différentes tactiques pour les contrôler, dont la violence, la tromperie ou le chantage 5. Une constante se dégage toutefois clairement : les victimes de la traite font l’objet de diverses formes de violence physique, sexuelle ou psychologique, ou les trois.
Bien qu’il soit difficile d’obtenir des données précises sur l’ampleur véritable de la traite, tous les organismes s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un problème répandu et que les profits qui en découlent rivalisent avec ceux du trafic de la drogue et des armes. En 2014, le Bureau international du Travail a estimé que les profits illicites de la catégorie générale du travail forcé s’élevaient à 150,2 milliards de dollars américains annuellement, un chiffre souvent cité encore aujourd’hui 6.
Dans le contexte de la traite des personnes, il importe de reconnaître l’enjeu connexe du passage de migrants clandestins, une notion que l’on confond souvent avec la traite des personnes. Le passage de clandestins – ou ce que certains pourraient appeler l’« aide à la migration » – consiste à aider une personne à franchir une frontière illégalement. La personne transportée est consentante et verse un paiement au passeur en contrepartie du service souhaité. À son arrivée, la personne peut simplement être déposée et ne plus avoir de contact avec le passeur.
En revanche, la traite des personnes fait intervenir la tromperie, la contrainte ou la servitude pour dettes dans le but d’exploiter des personnes qui pourraient être transportées d’un endroit à un autre. Les victimes ne traversent pas nécessairement de frontières.
Toutefois, la traite des personnes et le passage de clandestins se recoupent souvent. En effet, les migrants introduits clandestinement se retrouvent fréquemment dans des situations d’exploitation semblables à celles que connaissent les victimes de la traite. Cela peut être le cas de personnes qui ont une dette financière envers leur passeur pour les frais de transport et qui doivent travailler pour rembourser une somme exorbitante à leur arrivée. Cela peut aussi être le cas du travailleur migrant qui est contraint à travailler dans des conditions d’exploitation. Dans ces cas, des accusations de traite de personnes pourraient être déposées, même si le migrant introduit clandestinement était consentant au départ.
La sensibilisation au problème de la traite des personnes et de ses implications s’étant accrue, le portrait de ce qu’il représente dans divers pays s’est développé. En 2021, le Canada a été désigné comme un pays d’origine, de transit et de destination pour la traite des personnes 7.
Les victimes de la traite internationale des personnes entrent au Canada par divers moyens, légaux et illégaux. Certaines arrivent munies de documents d’offres d’emploi fausses ou véritables, souvent pour un contrat de travail à forfait ou un emploi saisonnier. Les offres d’emploi s’adressant typiquement aux femmes sont dans le secteur du divertissement, de la restauration (serveuses) ou des services domestiques (nourrices). Dans un cas, une nourrice philippine à Vancouver alléguait être retenue illégalement au pays et travailler de longues heures pour un maigre salaire 8. Les hommes arrivent souvent pour travailler dans les secteurs de l’agriculture et de la construction. Un cas bien connu concerne une famille ayant recruté d’autres migrants roms de Hongrie pour les faire travailler dans des conditions d’exploitation flagrantes dans l’industrie de la construction à Hamilton, en Ontario 9.
Bien que certaines victimes de la traite des personnes aient été enlevées purement et simplement, bon nombre entrent au pays de plein gré. Le problème survient après l’arrivée, lorsqu’elles sont soumises à des situations d’exploitation dans le commerce du sexe ou dans d’autres formes de travail 10. Les personnes qui entrent au Canada de manière irrégulière sont particulièrement vulnérables à une telle exploitation, puisqu’elles ne veulent pas toujours recourir aux autorités policières par crainte d’expulsion du pays.
Dans son rapport intitulé Trafficking in Persons Report, publié en juin 2021, le Département d’État américain révèle que les victimes étrangères de la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle qui arrivent au Canada proviennent principalement d’Asie et d’Europe de l’Est, alors que les victimes de la traite de main-d’œuvre sont généralement originaires d’Asie, d’Europe de l’Est, d’Amérique latine et des Caraïbes ainsi que d’Afrique. Les trafiquants ont souvent des liens ethniques avec leurs associés et les pays d’origine de ceux qu’ils font entrer au Canada 11.
L’idée que l’on se fait de la traite des personnes ayant évolué, la traite de Canadiens à l’intérieur même du pays est un problème auquel s’intéressent de plus en plus les autorités policières – en particulier la traite liée au commerce du sexe. Tout comme les personnes qui entrent au Canada pour fuir des conditions de pauvreté abjectes dans leur pays et se trouvent dans un milieu de travail où elles sont exploitées, des Canadiens confrontés au dénuement économique et au manque de possibilités d’éducation ou d’emploi dans leur communauté sont poussés vers des secteurs où l’exploitation est courante, en particulier le commerce du sexe. Parmi ces Canadiens figurent des femmes et des filles autochtones, des migrants et des nouveaux immigrants, des personnes de la communauté LGBTQ2, des personnes handicapées, des enfants pris en charge par le système de protection de l’enfance et d’autres jeunes à risque, ainsi que des personnes défavorisées sur le plan social ou économique 12. Certains sont attirés par une personne qui leur offre des possibilités d’emploi, d’éducation ou autres, tandis que d’autres partent de leur propre gré et sont ramassées par des individus en quête de ce type d’arrivants vulnérables. Dans d’autres scénarios, une jeune femme a un « petit ami » qui la convainc de s’adonner à la prostitution ou à la danse exotique afin de subvenir aux besoins du couple. La très grande majorité des victimes de la traite au pays sont recrutées par une personne qu’elles connaissent 13.
Les autorités policières et les organismes de services prennent de plus en plus conscience du fait que la traite de Canadiens existe dans les grands centres urbains du pays et que les femmes et les filles autochtones sont particulièrement touchées 14. En novembre 2017, plus de 95 % de toutes les condamnations pour traite de personnes au Canada impliquaient des citoyens canadiens ou des résidents permanents, dont la grande majorité avait été victime de la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle 15.
La communauté internationale a dénoncé la traite des personnes, la qualifiant de forme répugnante d’esclavage moderne et de violation des droits fondamentaux de la personne. Bien qu’un certain nombre d’instruments internationaux condamnent la traite des personnes, l’initiative la plus résolue de la communauté internationale pour lutter contre le problème a été l’adoption du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (le Protocole de l’ONU contre la traite des personnes). Ce protocole a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 2000, et le Canada l’a ratifié en mai 2002. L’un de ses principaux objectifs est de maintenir un équilibre judicieux entre l’application des lois et la protection des victimes.
L’article 3 du Protocole de l’ONU contre la traite des personnes définit ainsi la traite des personnes :
le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes 16.
Cette définition vise à inclure un large éventail de cas où des personnes sont exploitées par des groupes criminels organisés ou dans lesquels existe un élément de contrainte associé à un aspect transnational. Le Protocole de l’ONU contre la traite des personnes prévoit explicitement que le consentement d’une personne à l’exploitation est sans valeur lorsqu’il y a contrainte ou tromperie, ou lorsque le trafiquant a accordé un avantage quelconque à la personne en cause. Même si la définition ne mentionne pas expressément qu’il doit y avoir un mouvement transfrontalier, c’est nettement le point central du Protocole de l’ONU contre la traite des personnes, compte tenu du contexte de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et protocoles s’y rapportant, dans lequel il s’inscrit, et de l’accent mis sur les contrôles aux frontières.
Le Protocole de l’ONU contre la traite des personnes est essentiellement un modèle important pour les lois nationales. Il précise les actes qui devraient être sanctionnés ainsi que le niveau adéquat de sévérité des peines, et propose des mesures efficaces pour prévenir et combattre la traite des personnes. Il énonce l’obligation qu’ont les États d’adopter les mesures législatives nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale à la traite des personnes et aux actes y associés, comme le fait de tenter de commettre une telle infraction, de s’en rendre complice et de conspirer en vue de la perpétration d’une telle infraction.
Toutefois, l’attention internationale accordée au problème de la traite des personnes va au-delà de la dissuasion et de la prévention pour tenir compte de la protection des victimes. Le statut des victimes de la traite est souvent complexe. Bien que certaines personnes soient universellement reconnues comme des victimes – par exemple les enfants exploités dans le commerce du sexe –, d’autres peuvent être considérées comme des migrants illégaux ou des criminels. Dans certains cas, on juge que les femmes qui ont fait l’objet de la traite de personnes pour leur exploitation dans le commerce du sexe enfreignent simplement les lois sur l’immigration ou les lois criminelles relatives à la prostitution. À cause de cette façon de voir et des menaces que profèrent les trafiquants, beaucoup de victimes hésitent à demander la protection de la police. La condamnation de la prostitution par la société pose également problème; les femmes victimes de la traite internationale qui sont renvoyées dans leur pays d’origine peuvent être exclues de leur milieu et de leur famille.
En raison de cette complexité et compte tenu du besoin évident d’atteindre l’équilibre entre les stratégies de prévention et les dispositifs pénaux de dissuasion dans un cadre solide axé sur la protection des victimes, le Protocole de l’ONU contre la traite des personnes :
Plusieurs autres instruments internationaux abordent la question de la traite des personnes. Dans la conjoncture internationale moderne, l’un des plus anciens est la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, adoptée par les Nations Unies en 1949. Toutefois, le Canada n’a jamais signé cette convention, car elle condamnait, outre la traite des personnes, toute forme de prostitution, y compris la prostitution volontaire. Une telle position était incompatible avec le droit canadien, qui n’interdisait pas la prostitution proprement dite, mais seulement les activités y associées.
Outre la convention de 1949, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à laquelle le Canada est partie, traite de questions propres à l’exploitation des femmes. Certaines dispositions des conventions de l’Organisation internationale du travail ont trait également au travail forcé et à l’âge minimum d’admission à l’emploi 17. Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants comporte des mesures destinées à renforcer la coopération internationale en vue de combattre la traite internationale des enfants. Il exige que les États qui y sont parties confèrent un caractère d’infraction pénale à la traite d’enfants, y compris le transfert d’organes à des fins lucratives, ou à la soumission d’un enfant à un travail forcé. Le Canada a ratifié ce protocole facultatif en septembre 2005. Enfin, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains est entrée en vigueur en février 2008. Le Canada, qui a statut d’observateur au Conseil de l’Europe, n’a pas encore signifié son intention de signer la Convention.
Le Canada a adopté un certain nombre de lois pour combattre et prévenir la traite des personnes. En matière de droit pénal, les articles 279.01 à 279.04 du Code criminel portent sur la traite des personnes. Ces dispositions, entrées en vigueur en 2005, ont été révisées depuis 18. Elles énoncent essentiellement trois interdictions.
La première interdiction vise de façon globale la traite des personnes, qu’il s’agisse de recruter, de transporter, de transférer, de recevoir, de détenir, de cacher ou d’héberger une personne, ou d’exercer un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter (art. 279.01 du Code criminel ou art. 279.011 du Code criminel s’il s’agit d’un enfant). Fait à signaler, l’infraction criminelle consistant à pratiquer la traite des personnes ne suppose pas qu’une frontière internationale soit franchie – ni même qu’il y ait déplacement –; elle comporte l’interdiction de toute situation dans laquelle une personne est déplacée, cachée ou assujettie à un contrôle d’une façon ou d’une autre, et est contrainte à fournir ou à offrir de fournir du travail, des services, un organe ou des tissus 19.
À l’instar de ce que prévoit le Protocole de l’ONU contre la traite des personnes, le consentement de la victime n’est jamais un moyen de défense admissible, en raison de l’exploitation inhérente à une infraction de cette nature 20. L’article 279.04 du Code criminel définit l’exploitation comme toute situation dans laquelle une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir ou à offrir de fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait exploitation directe pour que l’infraction de traite des personnes soit commise : il peut y avoir simplement contrainte, tromperie ou abus de pouvoir pour inciter la victime à offrir ses services 21. Le ministère de la Justice du Canada précise par ailleurs qu’il « n’est pas nécessaire que l’exploitation se soit effectivement réalisée. La preuve de l’intention d’exploiter la ou les victimes est suffisante 22. » Le paragraphe 279.04(2) du Code criminel énumère les faits dont les tribunaux peuvent tenir compte pour déterminer si l’exploitation a eu lieu ou était voulue. Enfin, la définition de l’exploitation inclut aussi les situations dans lesquelles, par la tromperie, la menace ou l’usage de la force, une personne en amène une autre à se faire prélever un organe ou des tissus. Cette infraction fondamentale au chapitre de la traite des personnes est passible d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement, ou de l’emprisonnement à perpétuité en présence de circonstances aggravantes (des peines minimales obligatoires étant également prévues selon les circonstances).
La deuxième interdiction vise l’article 279.02 du Code criminel qui interdit à toute personne de bénéficier d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, de la traite de personnes, et qui prévoit à cet égard une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement (les infractions visant des enfants étant passibles d’une peine maximale de 14 ans et d’une peine minimale de 2 ans). Cette infraction vise les personnes qui ne font pas forcément de recrutement ou de transport, notamment celles qui hébergent une victime de la traite contre rémunération, ou l’« utilisateur » final d’un service sexuel ou d’une autre forme de travail forcé qui sait que la personne est victime de la traite des personnes 23. Enfin, la troisième interdiction porte sur le fait de retenir ou de détruire des documents d’identité, d’immigration ou de voyage pour faciliter la traite des personnes, et entraîne une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement – les infractions visant des enfants étant passibles d’une peine maximale de 10 ans et d’une peine minimale d’un an (art. 279.03 du Code criminel).
En 2012, le projet de loi C-310, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes), a ajouté les infractions relatives à la traite des personnes à la liste des infractions commises à l’étranger pour lesquelles les citoyens canadiens et les résidents permanents peuvent être poursuivis au Canada en application de la disposition d’extraterritorialité du Code criminel, soit le paragraphe 7(4.11) 24. En 2019, le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, a modifié l’article 279.01 afin de faciliter l’établissement de la preuve d’infractions de traite de personnes en y ajoutant que le fait d’habiter avec une personne exploitée ou de se trouver habituellement en sa compagnie constitue un élément de preuve de l’exercice d’un contrôle sur cette personne aux fins d’exploitation. Le projet de loi C 75 est également venu ajouter la traite de personnes à la liste des infractions visées par la confiscation des produits de la criminalité avec inversion de la charge de la preuve 25. Ces modifications sont entrées en vigueur lorsque le projet de loi a reçu la sanction royale le 21 juin 2019.
Les dispositions du Code criminel sur la traite des personnes font également en sorte que la traite des personnes puisse motiver la délivrance d’un mandat autorisant l’interception de communications privées et le prélèvement d’échantillons de substances biologiques pour l’analyse d’ADN. Elles permettent en outre d’inscrire la personne reconnue coupable d’une infraction au registre des délinquants sexuels et de la désigner comme délinquant dangereux ou, dans le cas d’infractions touchant des enfants, comme délinquant à contrôler.
Un certain nombre de dispositions sur la protection des témoins s’appliquent aussi aux infractions en matière de traite des personnes. Certaines élargissent le droit à un dédommagement pour les victimes ayant subi des blessures corporelles ou des dommages psychologiques, et d’autres prévoient l’application des mesures de protection des témoins aux enfants qui témoignent dans des affaires de traite des personnes. Le juge peut émettre une ordonnance de ne pas troubler l’ordre public ou interdire au public l’accès à la salle d’audience lorsqu’une personne de moins de 18 ans témoigne dans une affaire où des accusations liées à la traite des personnes pèsent sur l’inculpé. Ce type de témoignage peut aussi être entendu à huis clos, à l’extérieur de la salle d’audience, ou derrière un écran. De plus, les dispositions en matière de traite des personnes ont été ajoutées à la liste des infractions à l’égard desquelles aucun dossier relatif à un plaignant ou un témoin ne peut être communiqué à un accusé autrement que selon un processus rigoureusement défini dans le Code criminel.
Outre ces modifications, d’autres dispositions générales du Code criminel qui visent certaines formes précises d’exploitation et de violence inhérentes à la traite des personnes sont aussi utiles à la lutte contre celle-ci. Ces infractions visent notam-ment la fabrication ou l’utilisation de faux documents, les infractions liées à la prostitution, l’infliction de blessures corporelles, l’enlèvement et la séquestration, l’intimidation, la conspiration et le crime organisé.
Entre 2008-2009 et 2018-2019, 697 procès ont été instruits aux termes de ces dispositions sur la traite et d’autres dispositions générales du Code criminel; 28 % d’entre eux se sont traduits par une déclaration de culpabilité. Parmi ceux-là, 80 % des délinquants ont été condamnés à une peine d’emprisonnement et 14 % ont reçu une peine de probation 26. Selon une étude réalisée en 2015, les peines faisant suite à des condamnations pour des infractions directement liées à la traite des personnes allaient d’une période de probation de trois ans et un jour à une période de détention de cinq ans et demi (peine nette après déduction du temps passé en détention préventive) 27.
À l’instar du Code criminel, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés 28 (LIPR) vise la traite transfrontalière des personnes. L’article 118 de cette loi définit ainsi l’infraction du trafic (ou traite) de personnes : « [organiser sciemment] l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes par fraude, tromperie, enlèvement ou menace ou usage de la force ou de toute autre forme de coercition ». Le recrutement, le transport, l’accueil et l’hébergement de telles personnes constituent également des infractions. Ces infractions sont passibles d’une amende pouvant atteindre un million de dollars, d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité ou des deux. Dans la détermination de la peine, le tribunal tiendra compte de facteurs aggravants tels que les blessures infligées ou la mort d’une personne, la participation d’une organisation criminelle, le fait que l’infraction a été commise en vue d’en tirer un profit et le fait que la personne ayant fait l’objet de la traite a été soumise à un traitement dégradant ou attentatoire à la dignité humaine, notamment l’exploitation sexuelle. Selon une étude réalisée par Statistique Canada, environ le tiers des accusations de traite portées au Canada concerne des infractions aux termes de la LIPR. D’autres chercheurs ont analysé les données judiciaires et ont constaté que seulement 6,5 % des affaires de traite instruites entre 2009 et 2016 concernaient des infractions transfrontalières et que quatre de ces affaires ont fait l’objet de poursuites sous le régime de la LIPR 29. La première condamnation, prononcée en juin 2013 dans l’affaire d’une nourrice qui travaillait dans des conditions d’exploitation, a été annulée par la Cour d’appel de la Colombie Britannique en mars 2015. Lors du nouveau procès, l’accusé a plaidé coupable à des accusations moins graves 30.
L’article 117 de la LIPR énonce explicitement la distinction entre la traite des personnes et le passage de clandestins. Elle définit l’infraction d’entrée illégale comme étant l’action d’organiser l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes, ou d’inciter ou d’aider ces personnes à entrer au Canada, en sachant qu’il s’agit d’une infraction. La peine maximale d’emprisonnement dont est passible une personne accusée d’avoir fait entrer illégalement moins de 10 personnes est de 14 ans. Elle passe à la perpétuité si la personne accusée fait entrer 10 personnes ou plus. Le consentement du procureur général du Canada est nécessaire pour intenter des poursuites en vertu de l’article 117 de la LIPR, et ce, pour protéger les organisations humanitaires qui « introduisent illégalement » des demandeurs d’asile au Canada 31.
Enfin, l’article 122 de la LIPR établit les infractions supplémentaires relatives à l’utilisation de titres de voyage en vue de contrevenir à la LIPR ainsi qu’à l’achat ou à la vente de tels documents. L’article 123 de la LIPR fixe à 14 ans d’emprisonnement la peine maximale pour ces infractions.
L’argument voulant qu’une personne ait été victime de la traite des personnes a souvent été invoqué comme motif pour demander le statut de réfugié ou de personne protégée au Canada. À l’heure actuelle, la jurisprudence ne permet pas de déterminer précisément si le fait d’avoir été victime de la traite des personnes constitue en soi un motif de revendication du statut de réfugié au Canada. Les décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada se fondent plutôt sur les particularités de chaque cas pour déterminer si une revendication valable a été établie.
Enfin, compte tenu des modifications apportées à la LIPR en mars 2012 et afin de protéger les personnes à risque 32, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et celui des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada (ainsi qu’ils s’appelaient alors) ont annoncé, en juillet 2012, l’application de mesures qui, dans les faits, interdisent aux employeurs d’embaucher des travailleurs temporaires étrangers dans les secteurs liés au commerce du sexe 33.
Ces dernières années, nous avons pris davantage conscience de la place qu’occupe le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, et de nombreux gouvernements, dont le gouvernement du Canada, ont adopté des lois visant à en réduire la prévalence. La traite de main-d’œuvre se distingue du travail forcé, mais s’inscrit dans la définition de celui-ci et ces efforts contribuent par conséquent à la combattre. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, le gouvernement du Canada a modifié le paragraphe 132(1) du Tarif des douanes de manière à exclure l’importation de marchandises produites par du travail forcé 34.
De plus, en 2018, le gouvernement fédéral a annoncé la création du poste d’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises. Le mandat de l’ombudsman consiste à examiner les plaintes portant sur d’éventuelles atteintes aux droits de la personne, y compris la traite de personnes, commises par des entreprises canadiennes œuvrant à l’extérieur du Canada dans le secteur du vêtement ou les secteurs minier ou pétrolier et gazier. Son portail pour déposer une plainte est ouvert au public depuis mars 2021 35.
Si des efforts considérables ont été déployés pour combattre et prévenir la traite des personnes au Canada et à l’étranger, peu de pays ont mis en place des mesures précises pour aider les victimes de la traite elles-mêmes. La question des droits de la victime est souvent occultée par le fléau immédiat que constituent les trafiquants eux-mêmes; la protection des victimes est ainsi considérée comme une préoccupation d’ordre secondaire. Une autre raison de s’en tenir à ce point de vue, comme on l’a souligné au cours des négociations concernant le Protocole de l’ONU contre la traite des personnes, c’est que l’établissement de dispositions particulières pour les victimes de la traite des personnes ne ferait qu’encourager cette activité. Les tenants de cet argument se préoccupent surtout des contrôles aux frontières et de la nécessité de restreindre les facteurs qui portent les personnes qui se livrent à cette forme illégale de migration à estimer que le jeu en vaut la chandelle 36.
Toutefois, le fait de reconnaître les personnes faisant l’objet de la traite comme des victimes d’un crime, plutôt que comme des criminels, est une première étape importante pour mettre au jour les réseaux de traite des personnes et en traduire les responsables en justice. Redoutant les risques d’expulsion et de poursuites criminelles fondées sur leur état présumé de criminels ou de clandestins, et aussi les représailles de leurs trafiquants, les victimes de la traite des personnes choisiront souvent de continuer à subir l’exploitation plutôt que de s’en remettre à la police. De plus, elles sont généralement très vulnérables – bon nombre ont quitté leur domicile ou leur pays pour la première fois et dépendent entièrement de leur trafiquant. Parfois, ces personnes ne parlent pas la langue de la région ou du pays de destination, ne connaissent rien de leurs droits ni des services offerts aux victimes de violence, et ont une crainte exagérée de l’expulsion ou de la police, surtout si elles proviennent de pays où la police est réputée corrompue ou impliquée dans des réseaux de traite des personnes. Les victimes de la traite des personnes peuvent aussi craindre pour des membres de leur famille ou des amis à cause de menaces faites par leurs trafiquants, ou redouter de mettre en danger d’autres victimes qu’elles côtoient en faisant appel aux autorités 37.
Dans le contexte de la traite internationale des personnes, de nombreux experts reconnaissent qu’il est plus difficile de répondre aux besoins de protection de personnes sans statut légal 38. De fait, les pays qui ont choisi de faciliter la délivrance de permis de séjour temporaire (PST) ou de résidence permanente aux victimes de la traite des personnes ont constaté une disposition accrue parmi ces personnes à témoigner contre le trafiquant et parmi les organisations non gouvernementales (ONG) à les encourager à s’adresser à la police 39.
La législation internationale et les normes en vigueur n’exigent pas que la résidence permanente soit automatiquement accordée aux victimes de la traite des personnes, mais bien que de telles mesures soient envisagées. Le Protocole de l’ONU contre la traite des personnes aborde les mesures d’ordre social et le statut en matière d’immigration. À l’article 6, il exige que le système juridique ou administratif des pays fournisse aux victimes de la traite des personnes des renseignements sur les procédures judiciaires ou administratives applicables. Les États parties doivent assurer la sécurité physique de ces personnes à l’intérieur de leurs frontières et veiller à intégrer à leur système juridique des moyens pour les victimes d’obtenir réparation pour les préjudices subis. L’article 6 encourage aussi les États parties à mettre en œuvre des mesures pour offrir aux victimes la possibilité d’intenter des recours civils et de bénéficier d’avantages sociaux. L’article 7 porte sur le statut en matière d’immigration et dispose que les États parties doivent étudier la possibilité d’adopter des mesures législatives qui permettraient aux victimes de la traite des personnes de rester sur leur territoire, à titre temporaire ou permanent, lorsqu’il y a lieu.
L’approche initiale du Canada concernant la traite des personnes était centrée sur la prévention et les poursuites : les victimes de la traite des personnes étaient considérées comme des immigrants clandestins ou devaient répondre à des accusations criminelles et elles étaient souvent expulsées 40. Les modifications apportées au Code criminel en 2005 et l’entrée en vigueur de la LIPR en 2002 ont ajouté au cadre législatif des dispositions qui ciblaient expressément les trafiquants de personnes et qui abordaient, pour la première fois, les questions relatives à la protection des victimes. Par exemple, le Code criminel a accru la capacité des victimes de la traite des personnes d’obtenir réparation pour les préjudices physiques ou dommages psychologiques subis. Il permet aussi de mieux protéger les témoins. Dans les cas où l’inculpé est accusé d’une infraction relative à la traite des personnes et une personne de moins de 18 ans est appelée à témoigner, le juge jouit désormais d’un pouvoir accru pour exclure le public de la salle d’audience ou pour permettre au témoin de témoigner à l’extérieur de la salle d’audience ou derrière un écran afin qu’il ne voie pas l’accusé 41. La question des droits de la personne et de la protection des victimes prenant de plus en plus d’importance, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a annoncé, en mai 2006, une nouvelle politique permettant d’accorder des permis de séjour temporaire aux victimes de la traite. Cette politique a été mise à jour en juin 2007 42. Tout en respectant le cadre législatif en vigueur, les agents d’immigration peuvent dorénavant délivrer à une victime de la traite des personnes un PST qui est valide jusqu’à 180 jours. Les détenteurs sont exonérés des frais habituels d’examen de la demande et peuvent recevoir une aide médicale, des conseils d’ordre social, ainsi que d’autres soins de santé couverts par le Programme fédéral de santé intérimaire. Ils peuvent aussi par la même occasion faire une demande de permis de travail et sont exonérés des frais habituels d’ouverture de dossier.
L’objectif du PST est d’offrir aux victimes de la traite des personnes une période de réflexion pour peser les choix qui s’offrent à elles (p. ex. retourner chez elles ou collaborer aux enquêtes et procédures criminelles contre les trafiquants). Cette période de réflexion leur permet également de se remettre d’un traumatisme physique ou mental, d’échapper à l’influence des trafiquants, de participer à une enquête ou à une poursuite en justice, et de prendre part à toute autre mesure que l’agent estime indiquée. Les victimes de la traite des personnes ne sont pas obligées de collaborer à une enquête pour obtenir un PST.
Une victime de la traite des personnes peut également obtenir un permis pour une période plus longue ou un PST subséquent si un agent d’immigration conclut que la personne ne peut retourner et se réinstaller dans son pays d’origine ou de dernière résidence permanente pour des raisons pratiques ou de sécurité, ou pour tout autre motif pertinent. Une personne ayant fait l’objet de la traite a également la possibilité de présenter une demande de statut de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire ou une demande d’asile.
Au total, 110 victimes de la traite et leurs personnes à charge ont reçu un PST entre janvier et novembre 2020, comparativement à 228 personnes dans la même situation en 2019, 40 en 2018, 32 en 2017 et 67 en 2016 43.
Bien que les groupes de défense et les ONG qui fournissent des services aux victimes de la traite des personnes se soient réjouis de ce programme de permis de séjour temporaire, des préoccupations demeurent. Des organismes tels que le Conseil canadien pour les réfugiés ont exprimé des réserves quant à la mise en œuvre du programme, soulignant le manque d’uniformité du processus décisionnel discrétionnaire, le lourd fardeau de la preuve imposé aux demandeurs et les restrictions concernant les demandes de PST pour les étrangers désignés (un groupe pouvant comprendre les victimes de la traite introduites clandestinement au Canada par des organisations criminelles) 44.
De plus, en 2019, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a procédé à la mise en place du permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables. Ce permis peut être accordé aux ressortissants étrangers qui ont un permis de travail valide lié à un employeur donné et qui sont victimes de violence dans leur milieu de travail au Canada, ou qui risquent de l’être. Entre le 4 juin 2019 (date de la mise en place du permis) et le 13 juin 2020, IRCC a reçu plus de 1 070 demandes de permis de travail ouverts et en a approuvé plus de 490 45.
La prestation de services sociaux aux victimes de la traite des personnes au Canada est aléatoire, tout comme le soutien qui leur est offert. Les mesures de soutien et les services offerts aux victimes relèvent principalement des provinces et des territoires, qui ont leurs politiques respectives en matière de prestation de services. Il convient toutefois de noter que le Fonds d’aide aux victimes fédéral finance des projets qui offrent des services aux victimes de la traite des personnes 46. En règle générale, les victimes de la traite des personnes peuvent obtenir une place dans un refuge, des services de counselling, de l’aide devant les tribunaux et d’autres services, mais ces services sont rarement adaptés à leurs besoins particuliers ou à long terme. Parmi les lacunes constatées, notons une pénurie de logements d’urgence, à moyen terme et à long terme, et le manque de soins tenant compte des traumatismes pour les personnes qui s’extirpent d’une situation de traite 47.
C’est la situation des victimes de la traite internationale des personnes qui est la plus précaire. Les immigrants sans papiers et les détenteurs d’un visa temporaire n’ont généralement pas accès à l’aide sociale provinciale. Les régimes d’aide juridique varient également d’une administration à l’autre en ce qui concerne les diverses formalités d’immigration, bien que les victimes de la traite des personnes aient généralement accès à des services d’aide juridique aux fins de l’immigration. Les étrangers sur qui pèsent des accusations criminelles susceptibles d’entraîner leur emprisonnement ont habituellement droit à de l’aide 48.
En ce qui concerne les soins de santé, pour bénéficier du régime provincial d’assurance-santé, il faut, aux termes de la Loi canadienne sur la santé, satisfaire à certaines conditions de résidence. Cela exclut, de fait, les immigrants en situation irrégulière et les personnes qui ne sont reçues au pays qu’à titre temporaire 49. En règle générale, une victime de la traite des personnes qui est entrée clandestinement au Canada n’aurait droit à aucune couverture, à moins de détenir un PST 50.
Enfin, les programmes provinciaux d’indemnisation des victimes peuvent fournir une indemnisation financière aux victimes de la traite qui ont subi un préjudice physique ou des pertes matérielles en conséquence d’un crime. Les ressortissants étrangers peuvent eux aussi présenter une demande, mais l’indemnisation financière souvent minime qui est versée pour les blessures suffit rarement à régler les difficultés que connaissent les victimes de la traite des personnes.
En juin 2012, le gouvernement du Canada a rendu public son Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes, un plan quadriennal conçu pour regrouper ses initiatives dans ce domaine et de « présente[r] de nouvelles initiatives agressives visant à prévenir ce crime, à repérer les victimes, à protéger les personnes les plus vulnérables et à poursuivre les trafiquants 51 ». Une nouvelle entité, le Groupe de travail sur la traite de personnes, dirigé par Sécurité publique Canada, a remplacé l’ancien Groupe de travail fédéral interministériel sur la traite des personnes, qui était coprésidé par le ministère de la Sécurité publique et celui de la Justice. Le nouveau groupe de travail était chargé de superviser la mise en œuvre du Plan d’action, de coordonner les mesures fédérales de lutte contre la traite des personnes et de produire un rapport annuel sur l’état de la question.
Quand le Plan d’action a pris fin en 2016, Sécurité publique Canada a publié son Évaluation horizontale 2016-2017 du Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes (PANL-TP). Son constat : la traite de personnes est un phénomène persistant au Canada, ce qui justifie le maintien d’un plan pour coordonner les efforts des différentes instances et pour permettre au Canada de s’acquitter de ses engagements internationaux en cours en matière de lutte contre la traite de personnes. Le rapport d’évaluation soulignait en outre que les données sur la traite de personnes sont limitées en raison de l’absence d’une base de données centralisée, de la sous déclaration et de l’emploi de définitions incohérentes 52.
En ce qui a trait aux efforts de prévention du Plan d’action, le rapport saluait la sensibilisation accrue au sein des institutions fédérales. En revanche, selon les représentants des institutions de la société civile, le personnel de première ligne du gouvernement fédéral avait de la difficulté à reconnaître les victimes de la traite de personnes, et que les mauvaises relations entre les organismes d’application de la loi et les travailleuses du sexe empêchaient peut-être les victimes de la traite de dénoncer le crime 53.
Sur le plan de la protection, le rapport faisait état du financement fédéral limité pour les projets de protection, ainsi que des craintes persistantes et bien fondées d’expulsion qu’éprouvent les ressortissants étrangers sans papiers qui font l’objet de la traite. De plus, tout en reconnaissant l’importance de l’adoption du PST d’IRCC en tant que mécanisme de protection, le rapport d’évaluation indiquait que ce permis était sous-utilisé 54.
Pour ce qui est des poursuites, le rapport d’évaluation concluait que malgré les efforts déployés par différents ministères fédéraux, le Plan d’action s’est révélé en grande partie un échec du point de vue de l’amélioration de la coordination, de la collaboration et de la collecte du renseignement. En plus, la contribution du Plan à la perturbation des groupes criminels a été jugée limitée 55.
Pour terminer, le rapport a cité les observations d’ONG selon lesquelles les efforts du Plan en matière de partenariat ont échoué en grande partie et n’ont eu qu’une incidence limitée sur l’élaboration de politiques. Il a également évoqué les commentaires de partenaires fédéraux voulant que le succès du renforcement des capacités internationales soit attribuable à des initiatives autres que le Plan d’action national 56. Le rapport contient une série de recommandations, dont l’élaboration d’une approche coordonnée à l’égard de la traite de personnes, l’amélioration de la collecte de données et des mesures du rendement, l’élargissement et le renforcement des partenariats, et la mise en place d’un mécanisme pour mettre les victimes en contact avec des services 57.
En 2019, le gouvernement fédéral a annoncé la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes : 2019-2024, une stratégie pangouvernementale dotée d’un financement fédéral de 75 millions de dollars sur six ans et pilotée par Sécurité publique Canada. Comme le Plan d’action national, la Stratégie nationale met l’accent sur la prévention, la protection, les poursuites et les partenariats, piliers auxquels est venue s’ajouter l’autonomisation, pour rehausser le soutien offert aux victimes de la traite des personnes. Les activités d’autonomisation comprennent la mise sur pied d’un comité consultatif formé de victimes et de survivants de la traite des personnes, l’accroissement de l’appui financier accordé aux organismes qui s’attaquent aux causes profondes de la traite des personnes, la création de services de réintégration communautaire et l’adoption de nouvelles politiques visant à prévenir la traite des personnes dans les chaînes d’approvisionnement fédérales 58.
La Stratégie nationale se dit également axée sur les victimes et adaptée à la culture et au genre, et répond ainsi à certaines des critiques formulées au sujet du Plan d’action national. Par ailleurs, elle insiste davantage sur les répercussions disproportionnées de la traite des personnes dans les communautés autochtones au Canada et sur ses objectifs explicites en matière d’établissement de partenariats avec ces communautés et les organismes qui les desservent 59. Afin d’appuyer la mise en œuvre de la Stratégie, le gouvernement a nommé une conseillère spéciale sur la traite des personnes en septembre 2019 60.
L’approche du Canada concernant la traite des personnes est généralement bien vue dans la communauté internationale et au pays. Certaines critiques ont été exprimées, mais elles ont été apaisées dans une large mesure avec l’entrée en vigueur de la LIPR, les changements apportés au Code criminel et la modification de politiques pour faciliter l’obtention de PST. Publié en juillet 2021, le Trafficking in Persons Report du Département d’État américain, qui résume et analyse les mesures mises en œuvre par chaque pays pour lutter contre la traite des personnes, classe le Canada au rang des pays de niveau 1 (pays dont le gouvernement se conforme entièrement aux normes minimales de la Trafficking Victims Protection Act des États-Unis). Il présente, entre autres, le résumé suivant :
Le gouvernement du Canada se conforme en tout point aux normes minimales sur l’élimination de la traite des personnes. Il a continué de déployer des efforts sérieux et soutenus pendant la période visée par le rapport, compte tenu de l’incidence de la pandémie de COVID‑19 sur sa capacité de lutte contre la traite des personnes. Le Canada conserve par conséquent sa cote de niveau 1. Parmi ses efforts, il convient de souligner un financement accru pour les services aux victimes, la modification du Tarif des douanes en vue d’interdire l’importation de marchandises produites par du travail forcé, et le lancement d’une campagne de sensibilisation quinquennale éclairée par la recherche sur les connaissances et les attitudes du public en ce qui concerne la traite des personnes. Même si le gouvernement satisfait aux normes minimales, il n’a pas fourni de données exhaustives sur les enquêtes, les poursuites et les condamnations pendant la période examinée ni sur les victimes ayant bénéficié de services à l’échelle nationale. Les mesures prises par le gouvernement pour reconnaître les victimes, pour assurer la protection de toutes les victimes – en particulier les victimes du travail forcé – et pour instituer des enquêtes et des poursuites sur les crimes liés au travail forcé sont demeurées inadéquates. L’étendue, la qualité et l’exécution opportune des services relatifs à la traite des personnes ont varié à l’échelle nationale, et les fournisseurs de services ont signalé un manque de services aux victimes, y compris des refuges d’urgence et des logements à long terme 61.
Si l’approche du Canada dans son ensemble fait l’objet d’éloges, elle suscite encore certaines critiques. Celles-ci portent souvent sur les lacunes observées dans le mécanisme de protection des victimes, l’absence d’un mécanisme national de collecte de données, le manque de coordination des initiatives à l’échelle nationale et la définition de la traite des personnes 62.
L’une des lacunes souvent relevées dans le mécanisme de protection des victimes est l’absence de procédure de repérage rapide des victimes de la traite des personnes. Il est évident que, pour assurer la protection des victimes, les agents d’immigration et les autorités policières doivent pouvoir reconnaître les personnes faisant l’objet de la traite et les indices révélateurs de ce phénomène. Ce problème est au nombre des priorités énumérées dans le Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes. Des outils de dépistage ont été conçus, et des manuels de politiques et de procédures ont été publiés. De plus, le ministère de la Justice Canada, Emploi et Développement social Canada, la Gendarmerie royale du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada ont mis en place des programmes de formation afin d’aider les inspecteurs des normes du travail, les agents d’immigration et les autorités policières à reconnaître les victimes et à répondre à leurs besoins 63. Plusieurs autres organismes gouvernementaux ont lancé des initiatives de sensibili¬sation. La Stratégie nationale indique que le gouvernement procédera au « [l]ancement d’une campagne nationale de sensibilisation du public afin d’éduquer les Canadiens sur les conséquences graves de la traite des personnes et les différents types de traite des personnes » et à l’« [i]ntégration de projets pilotes pour les jeunes à risque en vue d’aborder les éléments moteurs et les risques principaux liés à la traite des personnes chez les jeunes vulnérables 64 ».
Une autre lacune a été relevée, celle-ci dans les services offerts aux victimes de la traite. Selon certaines critiques, les PST et la participation ponctuelle des ONG ne suffisent pas; il faudrait offrir systématiquement une gamme complète de services aux victimes de la traite. Plusieurs rapports décrivent les types de services dont ont besoin les victimes de la traite des personnes, notamment les services de protection (par la police, ou une protection des témoins semblable à celle qui est assurée aux victimes de violence familiale), les services d’hébergement (refuge, logement et aide à domicile, ou logement autonome), les services de santé (à court, moyen ou long terme, y compris l’accès aux services publics de soins de santé, de santé mentale et de désintoxication), les services juridiques (de l’aide à l’immigration à l’assistance en matière de procédure criminelle), les services d’interprétation, le transport, le counselling à long terme, et les services d’ordre économique (accès aux prestations d’aide sociale, emploi, accès à l’éducation et au développement des compétences, formation linguistique) 65.
Comme il a été précisé précédemment, la majorité de ces services relèvent de la compétence des provinces et ne sont donc pas uniformes dans tout le pays. Les organismes qui offrent une aide aux victimes de la traite incluent ceux qui se préoccupent surtout de la pauvreté, des besoins des immigrants et des femmes victimes de diverses formes de mauvais traitements et de violence. Les victimes de la traite sont aiguillées vers eux par des services d’aide à l’établissement, des intervenants en milieu carcéral, des organisations de femmes et des leaders autochtones. Les travailleurs étrangers temporaires, qui sont particulièrement à risque de faire l’objet de traite, reçoivent souvent l’aide d’ONG qui travaillent auprès des réfugiés et des migrants. Toutefois, le manque de financement reste un obstacle important pour ces organismes 66.
Une lacune particulière des efforts de protection du Canada que de nombreux fournisseurs de services ont mentionnée est l’absence de soins tenant compte des traumatismes et de soutiens pour les personnes ayant fait l’objet de traite. Les défenseurs font remarquer que pour beaucoup de personnes, le rétablissement affectif et psychologique est un processus de longue haleine et nécessite l’accès à toute une gamme de services, y compris des soins de santé mentale adaptés. Bien qu’il soit question de soins tenant compte des traumatismes tout au long de la nouvelle stratégie nationale, les fournisseurs de services dénoncent le fait que le gouvernement fédéral ne se soit pas encore occupé des disparités régionales en matière d’accessibilité ni de l’absence d’un financement et de ressources réservés à ces services 67.
Enfin, bien qu’on ait accordé davantage d’attention à la traite aux fins d’exploitation de la main-d’œuvre, la traite aux fins d’exploitation sexuelle demeure la priorité de nombre d’intervenants, de fournisseurs de services, d’organismes gouvernementaux et d’organismes responsables de l’application de la loi. Des fournis¬seurs de services qui interviennent auprès de toutes sortes de victimes de la traite demandent que l’on resserre le contrôle des conditions de travail des travailleurs étrangers temporaires, que l’on s’intéresse davantage aux besoins particuliers de ces victimes et que l’on approfondisse l’étude de ce phénomène grandissant 68.
L’approche globale privilégiée pour lutter contre la traite des personnes au Canada suscite elle aussi des inquiétudes. Selon certains, il est inutile d’intégrer au Code criminel une disposition précise concernant l’infraction de traite des personnes puisqu’il prévoit déjà des infractions relatives à l’exploitation et à la violence, dont l’enlèvement et la séquestration, à diverses formes de dommages corporels, à l’intimidation et au crime organisé 69.
Des préoccupations semblables portent sur la nature trop générale de la définition de la traite des personnes et la stratégie mise en œuvre pour lutter contre le problème au Canada. Certains mettent en doute l’utilité d’examiner le problème sous l’angle de la « traite des personnes ». Selon eux, il serait plus efficace de mettre l’accent sur l’exploitation, qui traduit plus justement la situation de personnes déjà marginalisées et vulnérables 70.
Selon d’autres observateurs, l’emploi du terme « traite des personnes » pour désigner l’exploitation de migrants vulnérables et de Canadiens marginalisés permet d’ignorer le facteur du choix – le fait que certaines personnes acceptent de subir l’exploitation, celle-ci pouvant être moins pénible que la situation qu’elles vivraient chez elles ou que les autres options s’offrant à elles 71. En outre, cette interprétation ne tient pas compte du fait que, dans certains cas, le degré d’exploitation peut augmenter au fil du temps, notamment selon les vulnérabilités particulières des personnes concernées.
On reproche souvent à certaines méthodes de lutte contre la traite l’amalgame fait entre la traite des personnes et le commerce du sexe. Les défenseurs soutiennent que les adultes consentants qui s’adonnent au commerce du sexe ne sont pas nécessairement exploités et ne devraient donc pas subir les contrecoups des mesures visant à freiner la traite des personnes telles que la criminalisation de la prostitution ou l’application de mesures pour réduire la demande 72.
Selon ce point de vue, de nombreuses ONG qui fournissent des services aux victimes de la traite des personnes mettent en doute l’utilité même du cadre d’interprétation de la traite des personnes, parce qu’il ne correspondrait pas à l’expérience de nombreuses personnes. Elles soulignent que l’exploitation peut prendre diverses formes et qu’elle ne correspond pas toujours aux formes de violence et de coercition les plus extrêmes que l’on associe habituellement à la traite des personnes. Ces ONG font valoir qu’il faut comprendre les expériences et les choix véritables et s’intéresser à la fois à l’exploitation selon les cas (qu’il s’agisse de mensonges à propos de l’argent promis, de conditions de travail ou de violence) et aux structures en place qui permettent, voire encouragent, l’exploitation de la main-d’œuvre, plutôt que d’insister sur la notion de « victime de la traite des personnes », trop vaste et à forte charge émotive 73.
Bien que ces arguments tendent à être trop abstraits pour pouvoir être réglés facilement par la voie législative, ils font ressortir des points de vue légitimes qui pourraient influencer la perception qu’ont du problème de la traite des personnes le gouvernement, les décideurs et les chercheurs. Ces critiques démontrent que la traite des personnes n’est pas une notion unidimensionnelle. Même si elle englobe le stéréotype de l’horrible fléau qu’il faut éliminer – évoquant une image de victimes qu’il faut secourir, terrorisées derrière des portes closes –, les participants à la traite des personnes vivent un éventail d’expériences 74.
Depuis la ratification du Protocole de l’ONU par le Canada en 2002, des progrès considérables ont été réalisés au pays pour ce qui est de lutter contre la traite des personnes, de traduire en justice les trafiquants, et de protéger les victimes de la traite au Canada et de la traite internationale. Le rapport annuel du département d’État américain sur la traite des personnes classe le Canada parmi les pays de niveau 1, et les policiers et procureurs canadiens font de plus en plus appel aux dispositions du Code criminel en la matière.
Des lacunes persistent pourtant. Bien que la LIPR soit entrée en vigueur il y a plus de 20 ans, il importe de souligner que très peu de poursuites ont été intentées sous son régime. Malgré les efforts déployés pour élaborer un cadre national permettant d’évaluer l’ampleur de la traite des personnes, la collecte de données exhaustives demeure difficile. Les services et les avantages fournis aux victimes de la traite sont aléatoires et varient selon la province. De plus, les groupes communautaires qui s’occupent des victimes de la traite sur le terrain déplorent un manque de financement. Dans le processus d’établissement d’une solution efficace pour lutter contre la traite des personnes au Canada, il s’avère important d’écouter attentivement les multiples intervenants qui travaillent auprès des personnes qui, dans tout le pays, sont exploitées pour le travail ou les services qu’elles peuvent fournir.
Conseil canadien pour les réfugiés, Permis de séjour temporaire : limites à la protection des personnes ayant subi la traite, juin 2013.
Dans le contexte du passage de clandestins, le terme « étranger désigné » est décrit à l’art. 20.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il s’applique aux
membres d’un groupe que le Ministre désigne comme “arrivée irrégulière”. Les étrangers désignés seront assujettis à un régime de détention qui diffère de celui visant les autres demandeurs d’asile et ils feront l’objet de restrictions en matière de demande d’asile qui différeront de celles imposées aux autres demandeurs.
Voir Julie Béchard et Sandra Elgersma, Résumé législatif du projet de loi C-31 : Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, la Loi sur la sûreté du transport maritime et la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, publication no 41‑1‑C31‑F, Bibliothèque du Parlement, 4 juin 2012.
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