La Loi sur les langues officielles (LLO) a pour objectif d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada. Par l’entremise de cette loi, des règlements et des politiques en vigueur, les institutions fédérales sont guidées par un certain nombre de principes fondamentaux qui les aident à assurer l’égalité de statut et d’usage de ces deux langues, tant dans leur fonctionnement interne, qu’avec leurs employés et à l’égard du public.
La LLO énonce le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’être servi par elles dans la langue officielle de son choix. C’est au sujet du secteur des services au public que le commissaire aux langues officielles reçoit le plus grand nombre de plaintes année après année. Le nombre de ces plaintes connaît une hausse constante depuis 2012-2013. Cela tient notamment au fait que les institutions fédérales ne sont pas bien au fait de leurs obligations en la matière. Le respect du principe de l’égalité réelle et l’offre active de services font partie des défis à relever.
Récemment, le gouvernement fédéral a apporté des changements aux critères qui guident l’offre de services à la population dans les deux langues officielles. Il a révisé son cadre réglementaire afin que les services offerts au public soient conformes à ce que dicte la LLO. D’ici les quatre prochaines années, un plus grand nombre de Canadiens et de Canadiennes auront la possibilité de recevoir, de la part des institutions fédérales, des services dans la langue officielle de leur choix.
La LLO énonce par ailleurs le droit des employés des institutions fédérales de travailler dans la langue officielle de leur choix. Ce droit s’applique dans les régions désignées bilingues seulement. Il fait lui aussi l’objet d’un nombre grandissant de plaintes auprès du commissaire aux langues officielles depuis 2012-2013. Des initiatives récentes montrent que la culture de la dualité linguistique en milieu de travail n’est pas encore pleinement implantée. Le français demeure sous-utilisé et l’accès à la formation linguistique continue de poser des défis. Des mesures sont nécessaires pour accroître les responsabilités des gestionnaires et assurer une meilleure surveillance.
La LLO énonce en outre l’engagement du gouvernement à donner aux Canadiens et aux Canadiennes d’expression française et à ceux et celles d’expression anglaise des chances égales d’emploi et d’avancement au sein des institutions fédérales. Elle prévoit aussi des exigences linguistiques dans le cadre d’un processus de dotation en personnel. Le nombre de plaintes liées à cet enjeu n’a cessé de croître depuis 2012-2013, forçant le gouvernement fédéral à prendre des mesures pour renverser la tendance.
La place des langues officielles dans la fonction publique fédérale a certes connu des avancées, mais n’est pas encore pleinement assurée. Les situations d’urgence ou de crise, comme la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID‑19), mettent en lumière les défis que doivent surmonter les institutions fédérales pour respecter leurs obligations linguistiques. La modernisation de la LLO, au sujet de laquelle le gouvernement fédéral a pris des engagements, pourrait être l’occasion de renforcer les obligations existantes et de préciser les responsabilités des joueurs clés.
La présente étude générale décrit les principes fondamentaux qui guident le respect des langues officielles dans la fonction publique fédérale, explique les responsabilités des différents joueurs clés en la matière et aborde un certain nombre d’enjeux qui ont récemment fait l’objet de débats sur le statut du français et de l’anglais au sein des ministères, organismes, agences et sociétés d’État visés par la Loi sur les langues officielles (LLO) 1.
La LLO énonce trois grands principes relativement au respect des langues officielles dans la fonction publique fédérale. Ces principes sont les suivants :
Au fil des ans, le gouvernement fédéral a mis en œuvre diverses politiques pour assurer l’application de ces principes au sein des institutions fédérales.
Le premier principe concerne le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’être servi par elles dans la langue officielle de son choix. Ce droit est inscrit à l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés 2 et dans la partie IV de la LLO. Il suppose que c’est l’État qui doit s’adapter aux besoins linguistiques de la population, et non le contraire.
Tous les bureaux des institutions fédérales ne sont pas tenus d’offrir des services dans les deux langues officielles. Le Règlement sur les langues officielles – communications avec le public et prestation des services (Règlement sur les langues officielles) 3 énonce les critères qui permettent de dresser la liste des bureaux et des points de services devant offrir des services bilingues, notamment :
Les bureaux et les points de services visés par le Règlement sur les langues officielles doivent offrir activement leurs services dans les deux langues et en informer le public au moyen d’une signalisation appropriée, d’un avis ou de toute autre documentation pertinente. Les communications avec le public doivent se faire au moyen de médias qui assureront une diffusion efficace de l’information auprès de la clientèle linguistique visée.
Tous les 10 ans, le gouvernement fédéral procède à une révision de l’application du Règlement sur les langues officielles. La révision sert à déterminer les endroits où il y a obligation de fournir des services dans les deux langues officielles conformément au critère de la demande importante. Elle se fonde sur les données sur les langues officielles tirées du recensement de la population et sur le volume des services offerts à la population. Le plus récent exercice de révision de l’application du Règlement sur les langues officielles a débuté à l’automne 2012 et devait se terminer en 2016. Cependant, à la fin de 2016, le gouvernement fédéral a imposé un moratoire aux bureaux qui devaient perdre leur statut bilingue, afin qu’ils continuent d’offrir des services au public dans les deux langues officielles 4. Il a annoncé du même souffle la révision du cadre réglementaire de la partie IV, afin que les services au public soient offerts en parfaite conformité avec la LLO 5.
En 2017 et 2018, le gouvernement fédéral a tenu des consultations avec les parlementaires, les parties intéressées et le public. En mai 2018, le commissaire aux langues officielles a publié un rapport spécial au Parlement dans lequel il énonçait ses attentes en vue de la modernisation du cadre réglementaire 6. Il a également réagi aux modifications proposées dans un communiqué publié quelques mois plus tard, de même que dans son rapport annuel publié le 29 septembre 2020 7.
Comme le prévoit l’article 85 de la LLO, le gouvernement fédéral a publié le projet de règlement dans la Gazette du Canada le 12 janvier 2019 8. Le nouveau Règlement sur les langues officielles a officiellement été enregistré le 25 juin 2019 et publié le 10 juillet 2019 9. Son entrée en vigueur se fera en quatre étapes d’ici 2023 :
Les services offerts au public par vidéoconférence seront désormais couverts par le nouveau Règlement sur les langues officielles 14. Le gouvernement fédéral devra examiner le contenu de celui-ci et son application tous les 10 ans et en faire rapport au Parlement. Selon les estimations fournies par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT), plus de 700 bureaux fédéraux seront nouvellement désignés bilingues grâce à ces modifications réglementaires 15. Celles-ci ne seront toutefois pas accompagnées de modifications à la LLO 16.
Le deuxième principe concerne le droit des employés des institutions fédérales de travailler dans la langue officielle de leur choix. Ce droit est inscrit dans la partie V de la LLO. Il s’applique aux régions désignées bilingues, notamment la région de la capitale nationale, certaines parties du Nord et de l’Est de l’Ontario, la région de Montréal, certaines parties des Cantons de l’Est, de la Gaspésie et de l’Ouest du Québec, ainsi que le Nouveau-Brunswick 17.
Représentation des groupes linguistiques
Le taux de participation des deux groupes linguistiques dans l’ensemble des organismes assujettis à la LLO est demeuré stable au fil des ans. En 2019, 73,8 % des employés étaient anglophones et 26,1 % étaient francophones. Selon les données du recensement de 2016, le français était la première langue officielle parlée de 22,8 % des Canadiens, tandis que l’anglais était la première langue officielle parlée de 75,4 % des Canadiens. La population restante ne pouvait soutenir une conversation ni en français ni en anglais.
Les institutions fédérales doivent favoriser un milieu de travail propice à l’usage des deux langues officielles dans les régions désignées bilingues. Cela suppose que la haute direction communique efficacement dans les deux langues officielles avec les employés de l’institution et qu’elle exerce un leadership pour créer un milieu de travail bilingue. L’usage du français et de l’anglais doit être encouragé au cours des réunions. Les employés de la fonction publique travaillant dans ces régions utilisent la langue de leur choix pour :
Postes et employés bilingues
Selon les données de 2019, 42,7 % des postes de la fonction publique étaient désignés bilingues, tandis que le bassin d’employés bilingues atteignait 44,0 %. Les plus fortes concentrations de postes bilingues se trouvaient dans la région de la capitale nationale (65,1 %), au Québec (67,1 %) et au Nouveau Brunswick (49,9 %). Au total, 94,8 % des titulaires de postes bilingues au sein de l’administration publique centrale répondaient aux exigences linguistiques de leur poste.
La fonction publique fédérale désigne un certain pourcentage de ses postes bilingues en tenant compte des obligations relatives au service au public et à la langue de travail. En cas d’incompatibilité entre les dispositions sur la langue de travail (partie V de la LLO) et celles sur le service au public (partie IV de la LLO), ces dernières priment . Tous les employés de la fonction publique ne doivent pas être bilingues. Le profil linguistique des postes bilingues est établi selon les fonctions et les responsabilités du poste. Les employés qui occupent un poste bilingue et qui, à la lumière des résultats obtenus à l’Évaluation de langue seconde, satisfont aux exigences de leur poste sont admissibles à la prime au bilinguisme 19.
Le troisième principe concerne l’engagement du gouvernement à donner aux Canadiens d’expression française et à ceux d’expression anglaise des chances égales d’emploi et d’avancement dans les institutions fédérales. Cet engagement est inscrit dans la partie VI de la LLO. La fonction publique doit refléter la présence des collectivités francophone et anglophone dans l’ensemble de la population. Le taux de participation des deux groupes linguistiques varie selon le mandat de l’institution, le public à servir, l’endroit où se situent les bureaux et les catégories d’emploi. Selon les principes énoncés à l’article 39 de la LLO, les institutions fédérales ne peuvent ni favoriser l’embauche de représentants d’un groupe linguistique en particulier ni porter atteinte au principe du mérite en matière de dotation du personnel.
Le SCT surveille l’application des parties IV, V et VI de la LLO. Le président du Conseil du Trésor doit faire rapport annuellement au Parlement sur les réalisations des institutions fédérales en matière de langues officielles.
Au fil des ans, le gouvernement fédéral a adopté diverses politiques et lignes directrices pour assurer l’application des trois principes énoncés dans la LLO. L’actuel ensemble de politiques en matière de langues officielles est entré en vigueur le 19 novembre 2012 à la suite d’un exercice de révision 20. Il a entraîné l’adoption de la Politique sur les langues officielles et de trois directives afin d’aider les institutions à mettre en œuvre cette dernière :
Toutes les institutions fédérales sont assujetties à la politique et à ses trois directives, à l’exception du Sénat, de la Chambre des communes, de la Bibliothèque du Parlement, du Bureau du conseiller sénatorial en éthique, du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique, du Service de protection parlementaire et du Bureau du directeur parlementaire du budget.
Contrairement aux instruments de politique qui l’ont précédée, la Politique sur les langues officielles en vigueur :
Politique sur les langues officielles
Selon la Politique sur les langues officielles, « le respect des droits linguistiques du public et des employés, de même que la prise en compte des besoins des minorités de langue officielle et des occasions de promotion des deux langues dans la société canadienne, deviennent des parties intégrantes des pratiques institutionnelles ».
Les postes désignés bilingues doivent être dotés par des candidats qui satisfont aux exigences linguistiques de ces postes. Depuis mars 2007, cette obligation s’applique également aux postes des niveaux EX-02 à EX-05. Des exceptions peuvent être faites en vertu du Décret d’exemption concernant les langues officielles dans la fonction publique 21, aux termes duquel une personne déclare par écrit qu’elle :
De plus, la formation linguistique est envisagée comme un outil de perfectionnement professionnel et de progression de carrière accessible à tous les employés de la fonction publique.
C’est le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines du SCT qui coordonne le Programme des langues officielles dans les institutions fédérales assujetties aux parties IV, V et VI de la LLO. Au cours des dernières années, un grand nombre de responsabilités à l’égard de la gestion des langues officielles (p. ex. la formation linguistique, la dotation) ont été déléguées aux administrateurs généraux des institutions fédérales.
L’évaluation de la conformité des institutions fédérales aux exigences concernant le respect des langues officielles dans la fonction publique fédérale se fait de différentes façons, notamment par le truchement :
Les parties IV, V et VI de la LLO peuvent donner lieu à des plaintes auprès du commissaire aux langues officielles. Il en est de même pour l’article 91 de la LLO, qui traite des exigences linguistiques lors d’une dotation en personnel. Toutefois, aucun recours judiciaire ne peut être formé devant la Cour fédérale en vertu de la partie VI.
Entre 2017 et 2019, des démarches ont été entreprises – du côté tant des parlementaires, du gouvernement fédéral, du Commissariat aux langues officielles que de la société civile – afin d’effectuer une mise à jour complète de la LLO.
D’avril 2017 à avril 2019, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a consulté cinq segments de la population canadienne au sujet des modifications à apporter à la LLO. Dans son rapport final déposé en juin 2019, il a recommandé des changements à certains aspects de la LLO qui touchent à la fonction publique 27. Le Comité sénatorial a recommandé :
De son côté, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a tenu des audiences publiques sur le même sujet d’octobre 2018 à mai 2019. Ces audiences se sont soldées par le dépôt d’un rapport au Parlement en juin 2019 28. Le Comité a formulé 11 recommandations qui touchent prioritairement au cadre de surveillance de la LLO, à la partie VII – Promotion du français et de l’anglais – ainsi qu’aux retombées de la LLO à titre d’élément de cohésion sociale. À l’instar du Comité sénatorial, le Comité permanent de la Chambre des communes a recommandé le transfert du dossier des langues officielles à un organisme central, sans toutefois nommer spécifiquement le Conseil du Trésor.
Pour sa part, le Commissariat aux langues officielles a mené des consultations auprès des organismes communautaires et du public en 2018, puis a dévoilé ses recommandations en mai 2019 29. Parmi ses 18 recommandations, le commissaire a proposé de modifier les aspects suivants de la LLO touchant à la fonction publique :
En parallèle à ces démarches, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) a élaboré une proposition pour un nouveau libellé de la LLO qu’elle a dévoilée en mars 2019 30. En plus de suggérer de transférer la responsabilité de mise en œuvre et de coordination de la LLO au Conseil du Trésor, de clarifier les obligations des parties IV, V et VI de la LLO et de prévoir une révision obligatoire de la LLO tous les 10 ans, la FCFA y va des propositions suivantes :
Finalement, entre mars et mai 2019, la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie a mené son propre examen entourant la modernisation de la LLO. Les conclusions de cet examen ont été dévoilées en juin 2019 31. Un certain nombre de propositions spécifiques portant sur la place des langues officielles dans la fonction publique fédérale ont été formulées à l’issue des discussions tenues dans le cadre de cet examen. Les participants ont notamment demandé au gouvernement fédéral de :
Des étapes à suivre pour la suite des choses ont été proposées dans le document de synthèse, sans toutefois que l’on y dicte une position précise au sujet de la modernisation de la LLO. Tous les partis nouvellement élus à la Chambre des communes se sont engagés à appuyer cette modernisation durant la 43e législature 32. Dans sa lettre de mandat rendue publique le 13 décembre 2019, la ministre du Développement économique et des Langues officielles, l’honorable Mélanie Joly, a reçu le mandat de moderniser la LLO 33. Elle s’est par la suite engagée à déposer un projet de loi en ce sens d’ici la fin de la 43e législature, le temps d’effectuer une analyse d’impact approfondie, d’assurer un dialogue avec les provinces et les territoires et d’évaluer les options de modernisation de nature réglementaire et administrative 34.
Exception faite des années 2009-2010 et 2010-2011, la majorité des plaintes reçues chaque année par le commissaire aux langues officielles portent sur les communications avec le public et la prestation des services 35. Bien que des progrès aient été réalisés dans ce secteur, certains problèmes continuent de survenir, notamment en ce qui concerne les communications écrites, l’offre active et les services offerts au public voyageur en français et en anglais. Cela tient à plusieurs facteurs. En effet, la LLO est parfois mal comprise. Certaines institutions fédérales manquent de volonté pour l’appliquer, tandis que d’autres ont une planification déficiente ou omettent de surveiller les répercussions de leurs actions.
Depuis 2012-2013, le nombre de plaintes liées à la langue de service a presque triplé, comme le montre la figure 1. En 2019-2020, 53,7 % des plaintes reçues par le commissaire aux langues officielles concernaient la langue de service.
Figure 1 – Services au public : nombre de plaintes recevables auprès du commissaire aux langues officielles (de 2006-2007 à 2019-2020)
Source: Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Commissariat aux langues officielles (CLO), Rapport annuel 2015-2016; et CLO, Rapport annuel 2019-2020.
Les situations d’urgence ou de crise, comme la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID‑19), mettent en lumière les défis que doivent surmonter les institutions fédérales pour respecter leurs obligations en matière de communication avec le public et de prestation des services. Cela a d’ailleurs amené le commissaire aux langues officielles à présenter des recommandations pour que les langues officielles fassent partie intégrante des décisions de ces institutions en pareille circonstance 36.
Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada en 2009 dans l’affaire DesRochers c. Canada (Industrie) met l’accent sur l’importance d’offrir des services de qualité égale dans les deux langues officielles 37. Le SCT s’est intéressé à la mise en œuvre de ce jugement et a publié une grille d’analyse pour aider les institutions fédérales à appliquer le principe d’égalité réelle à leurs programmes et services 38. Le SCT a noté que cette mise en œuvre ne se fait pas de façon uniforme dans toutes les institutions 39, notamment en raison de problèmes d’interprétation de la distinction entre le principe de l’égalité réelle (partie IV de la LLO) et le principe de la promotion du français et de l’anglais (partie VII de la LLO) 40.
Dans le contexte des débats récents sur la modernisation de la LLO, plusieurs ont avancé l’idée de codifier le principe d’égalité réelle 41. En 2019, dans l’affaire Thibodeau c. Air Canada, la Cour fédérale a confirmé que l’égalité des deux langues officielles comporte quatre volets : l’égalité de statut, l’égalité d’usage, l’égalité d’accès et l’égalité de qualité 42.
L’offre active de services en personne demeure l’un des maillons faibles de l’application de la LLO, ce qui peut s’expliquer par un manque de leadership, par des lacunes dans la communication de l’importance de cette obligation ou par les aspects humains liés au service de première ligne. C’est d’ailleurs à ce chapitre que le rendement des institutions fédérales est le plus bas 43. Le commissaire aux langues officielles a constaté que l’offre active n’est pas généralisée dans l’ensemble de celles-ci 44. En outre, le SCT a qualifié l’offre active de défi récurrent et de maillon faible de la mise en œuvre de la LLO 45.
Le commissaire aux langues officielles a publié en juillet 2016 une étude sur l’accueil bilingue dans les institutions fédérales, dans laquelle il décrit les facteurs personnels, organisationnels et sociaux qui ont une incidence sur la décision de faire ou non une offre active de services dans les deux langues officielles 46. Il a par la suite publié un guide sur l’offre active 47. Son homologue de l’Ontario avait quant à lui procédé au dépôt d’un rapport spécial sur la même question deux mois plus tôt 48. Le manque d’offre active est aussi un élément clé des plaintes déposées auprès du Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick 49. Dans le contexte des débats récents sur la modernisation de la LLO, plusieurs ont proposé de clarifier cette obligation, notamment par l’adoption d’un nouveau règlement spécifique en la matière, ce que la LLO, dans sa forme actuelle, ne permet pas de faire 50.
En septembre 2017, le greffier du Conseil privé a fait paraître un rapport sur l’état du bilinguisme dans la fonction publique fédérale et dans lequel sont formulées des recommandations pour améliorer la place qu’occupent les deux langues officielles en milieu de travail 51. D’entrée de jeu, il émet les constats suivants :
Les recommandations formulées dans le rapport sont regroupées sous cinq thèmes : leadership, politique, culture, formation et outils. Le Comité des sous-ministres adjoints sur les langues officielles a reçu le mandat d’y donner suite. Par ailleurs, un tableau de bord est utilisé pour indiquer le statut de mise en œuvre des recommandations ciblées à court terme (2017-2019), à moyen terme (2020-2021) et à long terme (à compter de 2021) 53. Au moment d’écrire ces lignes, la mise en œuvre de la plupart de ces recommandations était en cours.
Les engagements à l’égard de la langue de travail tardent à se concrétiser. Plusieurs rapports du commissaire aux langues officielles publiés durant les 15 dernières années montrent que le français demeure sous-utilisé et que l’anglais est prédominant dans la culture organisationnelle de la fonction publique fédérale. Selon ces rapports, les institutions fédérales font piètre figure pour ce qui est de la possibilité d’utiliser la langue officielle de son choix avec son superviseur ainsi que pour la rédaction.
Les plus récents Sondages auprès des fonctionnaires fédéraux confirment cette tendance 54. La tenue de réunions bilingues demeure aussi un défi 55. Par ailleurs, les employés de la fonction publique fédérale éprouvent de l’insécurité linguistique au travail 56. En situation d’urgence ou de crise, les institutions fédérales ont encore plus de mal à respecter leurs obligations en matière de langue de travail, ce qui a poussé le commissaire aux langues officielles à présenter des recommandations pour clarifier les procédures à suivre en pareille circonstance 57.
L’amélioration des capacités linguistiques des employés, le renforcement de la capacité des institutions fédérales en matière de langues officielles et l’expression d’un leadership clair et soutenu sont parmi les éléments envisagés pour assurer un traitement égalitaire des deux langues officielles en milieu de travail. En mars 2011, le commissaire aux langues officielles a établi un profil de compétences pour les gestionnaires de manière à favoriser la création d’un milieu de travail propice à l’utilisation du français et de l’anglais 58. Un ouvrage publié en 2019, qui retrace l’histoire de la mise en œuvre de la politique des langues officielles dans la fonction publique fédérale des années 1960 à nos jours, confirme que le statut de l’anglais demeure prédominant et que cela tient en grande partie au comportement des gestionnaires 59.
Entre 2012-2013 et 2019-2020, le nombre de plaintes liées à la langue de travail a plus que doublé, comme le montre la figure 2. En 2019-2020, elles représentaient 12,6 % des plaintes reçues par le commissaire aux langues officielles. Les bulletins de rendement du commissaire aux langues officielles indiquent que la moitié des institutions fédérales déploient peu d’efforts pour corriger les lacunes en matière de langue de travail.
Figure 2 – Langue de travail : nombre de plaintes recevables auprès du commissaire aux langues officielles (de 2006-2007 à 2019-2020)
Source: Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Commissariat aux langues officielles (CLO), Rapport annuel 2015-2016; et CLO, Rapport annuel 2019-2020.
La formation linguistique au sein de la fonction publique fédérale continue de poser des défis, comme l’a souligné une étude publiée par le commissaire aux langues officielles en septembre 2013 60. Parmi ces défis, on compte le manque de coordination des activités de formation à l’échelle fédérale, les risques associés à l’assurance de la qualité, le manque d’uniformité à l’égard de la reddition de compte de même que les efforts liés au maintien des acquis. Afin d’y donner suite, le commissaire a mis en ligne un outil pour renforcer le système de formation linguistique et soutenir les institutions fédérales de manière pratique 61.
Les données présentées dans les bilans annuels démontrent que l’offre de formation linguistique comme outil de progression de carrière demeure un défi dans une majorité d’institutions fédérales. L’amélioration de l’accès à la formation linguistique fait partie de leurs priorités 62. Le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux réalisé en 2019 comportait d’ailleurs une question afin de savoir si ce manque d’accès avait nui à la progression de carrière, ce à quoi 8 % des fonctionnaires fédéraux de langue française et 13 % de ceux de langue anglaise ont répondu par l’affirmative 63.
Depuis 1999, les données financières sur la formation linguistique offerte par les institutions fédérales ne sont plus compilées de façon systématique. Il est donc très difficile de tracer un portrait complet et détaillé du budget consacré à la formation linguistique à l’échelle fédérale. Selon une analyse récente effectuée par le Conseil national mixte, ce budget semble insuffisant pour répondre aux besoins et aux attentes des fonctionnaires fédéraux 64. De plus, dans son rapport, le Conseil national mixte souligne que « [d]epuis la décentralisation de la formation linguistique de l’École de la fonction publique vers les ministères, il existe un point de vue général selon lequel le calibre et la qualité de la formation linguistique ont diminué 65 ».
Le Plan d’action pour les langues officielles (2003-2008) 66 prévoyait des mesures pour rendre la fonction publique exemplaire en matière de langues officielles. Le gouvernement avait comme objectif de renforcer la capacité bilingue des fonctionnaires fédéraux et d’améliorer la qualité des services offerts dans les deux langues. Des rapports du commissaire aux langues officielles 67 et du Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes 68 ont fait état de résultats décevants à ce chapitre.
En outre, dans les trois stratégies horizontales qui ont suivi, c’est-à-dire la Feuille de route pour la dualité linguistique canadienne 2008-2013 69, la Feuille de route sur les langues officielles du Canada 2013-2018 70 et le Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023 71, la question du respect des langues officielles dans la fonction publique est passée presque inaperçue.
Dans son rapport annuel de 2009-2010, le commissaire aux langues officielles s’est dit inquiet des changements apportés à la structure de gouvernance des langues officielles dans la fonction publique, plus particulièrement en ce qui a trait à la capacité du SCT de s’acquitter de ses responsabilités et au soutien apporté aux institutions fédérales pour la gestion du dossier des langues officielles, dans un contexte où un plus grand nombre de responsabilités ont été déléguées aux administrateurs généraux 72. Selon le SCT, la nouvelle structure de gouvernance renforce sa capacité d’agir et incite les institutions fédérales à prendre des mesures pour assurer un leadership fort en matière de langues officielles; cependant, l’efficacité de ces mesures varie d’une organisation à l’autre 73.
Dans son rapport annuel 2018-2019, le commissaire aux langues officielles estime que les principes suivants doivent faire partie d’une gouvernance renouvelée en matière de langues officielles :
Enfin, dans le contexte des débats récents sur la modernisation de la LLO, la gestion défaillante des langues officielles est ressortie comme un enjeu important 75. En outre, l’absence d’objectifs clairs dans les cadres de gestion du rendement ou le manque d’activités de surveillance constituent quelques-unes des lacunes actuelles observables 76.
La gestion des langues officielles au sein des institutions fédérales pose des défis. Notamment, les gestionnaires ont de la difficulté à établir objectivement les exigences linguistiques des postes lors d’une dotation en personnel. Le commissaire aux langues officielles a qualifié ce défi de systémique, le poussant à publier un rapport sur les problèmes liés à la mise en œuvre de l’article 91 de la LLO ainsi qu’un guide à l’intention des gestionnaires sur l’identification linguistique des postes 77.
Les gestionnaires doivent s’assurer que les profils linguistiques des postes qui relèvent d’eux tiennent compte des obligations relatives au service au public et à la langue de travail. En sous-estimant le niveau de compétence linguistique requis pour doter ces postes, ils risquent de compromettre :
Depuis l’exercice 2019-2020, le SCT demande aux institutions fédérales de cerner les problèmes associés à la mise en œuvre de l’article 91 de la LLO dans leur bilan sur les langues officielles 79. De son côté, le commissaire aux langues officielles envoie au SCT un rapport trimestriel faisant état des plaintes reçues à cet égard 80. Il lui a d’ailleurs recommandé de revoir les politiques et outils en place, d’offrir une formation adéquate aux gestionnaires et de mettre en place des mécanismes de contrôle et d’évaluation appropriés 81.
Le nombre de plaintes liées aux exigences linguistiques lors d’une dotation en personnel a atteint un sommet inégalé en 2015-2016, avec un total de 156 plaintes, un chiffre qui n’a cessé de croître par la suite. Depuis 2012-2013, le nombre de plaintes liées aux exigences linguistiques des postes est 14 fois plus élevé, comme le montre la figure 3. Elles représentaient 30,8 % des plaintes reçues par le commissaire aux langues officielles en 2019-2020. Dans son rapport sur la mise en œuvre de l’article 91 de la LLO, publié en novembre 2020, le commissaire aux langues officielles a noté que les plaintes fondées concernant l’article 91 de la LLO visaient une quantité importante d’institutions fédérales, ainsi que des postes de groupes et de niveaux variés 82.
Figure 3 – Exigences linguistiques des postes : nombre de plaintes recevables auprès du commissaire aux langues officielles (de 2006-2007 à 2019-2020)
Source: Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Commissariat aux langues officielles (CLO), Rapport annuel 2015-2016; et CLO, Rapport annuel 2019-2020.
En 2013-2014, le SCT a mené à bien, en collaboration avec Patrimoine canadien, le premier cycle triennal de collecte de données auprès des institutions fédérales concernant la mise en œuvre des parties IV, V, VI et VII de la LLO. Ce processus échelonné sur trois ans s’est amorcé en 2011-2012 pour s’achever en 2013-2014, et est mené tous les trois ans depuis dans le but d’assurer une meilleure coordination entre les institutions fédérales.
Les réponses fournies à l’aide des bilans varient : les petites institutions doivent répondre à un questionnaire court, alors que les grandes institutions ou les institutions désignées doivent répondre à un questionnaire long. Une évaluation des activités du Centre d’excellence en langues officielles parue en mai 2013 a souligné que le modèle de reddition de comptes sur trois ans soulève des inquiétudes, car il ne permet pas d’obtenir une vision globale de la situation des langues officielles ni de faire des comparaisons d’une année à l’autre 83. Cela dit, le vérificateur général du Canada a étudié ce modèle au printemps 2015 et a souligné l’importance de tenir compte de la taille et du mandat des organisations qui font rapport 84.
Dans son rapport annuel déposé en 2018, le commissaire aux langues officielles a critiqué les outils qu’utilisent actuellement le SCT et Patrimoine canadien et a recommandé de les modifier pour permettre de brosser un portrait plus clair de la situation des langues officielles dans l’ensemble de la fonction publique fédérale 85. En juin 2019, le commissaire a dévoilé le Modèle de maturité des langues officielles conçu pour aider les institutions fédérales à poser un meilleur diagnostic de leur performance dans l’application de la LLO 86. Ce modèle est structuré en trois secteurs d’activité :
Les institutions fédérales utilisent de plus en plus les médias sociaux pour communiquer avec le public, favoriser la collaboration entre les fonctionnaires et atteindre les jeunes. La place accordée aux deux langues officielles dans un contexte où les nouvelles technologies et le phénomène du Web 2.0 gagnent en popularité a retenu l’attention d’un comité parlementaire qui a déposé un rapport sur la question à l’automne 2012 87.
Par ailleurs, des lignes directrices sur l’utilisation des médias sociaux ont été adoptées en 2008, en 2011 et en 2014, puis remplacées en 2016 par la Directive sur la gestion des communications, qui décrit la procédure relative à l’utilisation des médias sociaux et aux communications sur le Web 88. Le commissaire aux langues officielles a établi sa présence dans les médias sociaux en 2012 et s’est engagé à sensibiliser les institutions fédérales au respect de leurs obligations linguistiques à cet égard. Les comptes Twitter de ministres ont fait l’objet d’une enquête du commissaire en 2014-2015. Le commissaire avait alors déclaré que, pour les représentants du gouvernement qui interagissent dans les médias sociaux, les communications avec le public devraient se faire dans les deux langues officielles 89.
En somme, l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans les institutions fédérales n’est toujours pas pleinement assurée, même s’il s’agit d’une exigence inscrite dans l’objet de la LLO. Plusieurs fondent de l’espoir sur une éventuelle modernisation des cadres législatif et réglementaire existants dans le but de rendre la fonction publique fédérale plus exemplaire à l’égard du respect des deux langues officielles du Canada.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre de communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
La nouvelle méthode de calcul tient compte des données relatives à la langue maternelle et aux personnes qui parlent principalement ou régulièrement la langue officielle minoritaire à la maison. Le gouvernement fédéral laisse ainsi tomber la méthode d’estimation de la première langue officielle parlée utilisée dans l’ancien Règlement sur les langues officielles, qui ne couvrait pas l’utilisation de la langue officielle minoritaire faite par les immigrants, les étudiants en immersion et les familles bilingues.
Le critère de vitalité prévu dans le nouveau Règlement sur les langues officielles permet de tenir compte de la présence d’une école primaire ou secondaire de langue officielle minoritaire dans l’aire de service des bureaux fédéraux pour définir l’obligation de ces derniers d’offrir des communications et des services au public dans les deux langues officielles.
La liste des services clés assujettis aux règles générales est élargie pour y inclure la Banque de développement du Canada, les organismes de développement économique régional ainsi que tous les services fournis par les centres de Service Canada et par les bureaux de passeport.
[ Retour au texte ]En vertu de l’ancien Règlement sur les langues officielles, les bureaux fédéraux perdaient systématiquement leur désignation bilingue lorsque la proportion de la population de langue minoritaire diminuait. Dans sa nouvelle version, le Règlement sur les langues officielles prévoit que l’obligation d’un bureau fédéral d’offrir des services dans les deux langues officielles ne sera levée que si la population de langue minoritaire diminue en nombre absolu.
[ Retour au texte ]Depuis juin 2010, quatre projets de loi d’intérêt public du Sénat ont été déposés en vue d’apporter des modifications législatives au sujet des communications avec le public et de la prestation des services. La plus récente mouture de ces projets de loi a été déposée au Sénat le 8 décembre 2015. Voir Projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public), 1re session, 42e législature. L’étude de ce projet de loi a toutefois été suspendue, le temps de permettre au gouvernement d’apporter les modifications réglementaires promises.
Le 27 février 2015, dans un recours introduit devant la Cour fédérale, la Société franco-manitobaine a remis en question certaines dispositions du Règlement sur les langues officielles et demandé à ce qu’elles soient rendues conformes à l’al. 20(1)a) de la Charte canadienne des droits et libertés. Voir Cour fédérale, Numéro de dossier T-310-15. Cette contestation judiciaire faisait suite à une plainte déposée devant le commissaire aux langues officielles alléguant que le Règlement sur les langues officielles allait à l’encontre de certains articles de la Loi sur les langues officielles. Elle a elle aussi été suspendue, le temps de permettre au gouvernement d’apporter les modifications réglementaires promises, avant d’être abandonnée.
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