Le 5 février 1991, Barbara McDougall, ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, et Monique Gagnon-Tremblay, ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration du Québec, signent l'Accord Canada-Québec relatif à l'immigration et à l'admission temporaire des aubains1 (ci-après l'« Accord Canada-Québec » ou l'« Accord »), qui est entré en vigueur le 1er avril 1991. Cet accord, conclu après l'échec de l'Accord du lac Meech, qui proposait des modifications à la Constitution, réalise dans une large mesure ce qui se serait produit au chapitre de l'immigration si l'Accord du lac Meech avait été ratifié2 . L'Accord Canada-Québec, qui n'est pas la première entente de ce genre, est précédé d'une série d'ententes du même type qui ont été conclues entre le Canada et le Québec depuis 1971. La première, l'Entente Lang-Cloutier (1971), a été suivie de l'Entente Andras-Bienvenue (1975), puis de l'Entente Cullen-Couture (1979), remplacée par l'Accord Canada Québec qui fait l'objet du présent document.
L'article 95 de la Loi constitutionnelle de 18673 donne au gouvernement fédéral et aux provinces des pouvoirs législatifs concurrents sur l'immigration. Le pouvoir des provinces est limité à l'adoption de lois qui ne doivent être « incompatible[s] avec aucune des lois du parlement du Canada ».
Le principal texte législatif fédéral régissant l'immigration est la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés4, qui autorise le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté à passer des accords avec les provinces. Toutes les provinces ont ainsi signé un ou plusieurs accords avec le ministre, mais l'Accord Canada-Québec est de loin le plus ambitieux5 .
Les premiers articles de l'Accord définissent son contenu et ses objectifs. L'article 1 précise les quatre domaines traités par l'Accord :
L'article 2 établit un nouvel objectif important pour le Québec : préserver le poids démographique du Québec au sein du Canada et assurer une intégration des immi-grants dans cette province, qui soit respectueuse de son caractère distinct. Pour atteindre cet objectif, il a fallu charger officiellement le Québec de recommander le nombre d'immigrants qu'il souhaite accueillir, faire en sorte que le nombre d'immigrants soit proportionnel à la population de la province, et confier à cette dernière la responsabilité de tous les services d'intégration, plus particulièrement celui d'offrir aux résidents permanents les moyens d'apprendre la langue française.
Le Canada demeure responsable des normes et objectifs nationaux relatifs à l'immigration, de l'admission de tous les immigrants, ainsi que de l'admission et du contrôle des visiteurs. L'admission des immigrants peut vouloir dire l'application des critères relatifs à la criminalité, à la sécurité et à la santé, en plus du traitement administratif des demandes et de l'admission physique aux points d'entrée du Canada. Le Québec est responsable de la sélection, de l'accueil et de l'intégration des immigrants à destination du Québec, et le Canada s'engage à ne pas admettre au Québec les immigrants indépendants, ni les réfugiés qui ne répondent pas aux critères de sélection du Québec, sauf en ce qui concerne l'arbitrage des revendica-tions du statut de réfugié présentées par des personnes se trouvant déjà au Canada.
Dans l'Accord Canada-Québec, le Canada s'engage, comme dans le cas de l'Accord du lac Meech, à permettre au Québec de recevoir un pourcentage du total des immigrants reçus au Canada égal au pourcentage de sa population par rapport à la population totale du Canada, avec le droit de dépasser ce chiffre de 5 % pour des raisons démographiques. Le mot « garantie », terme gênant que renfermait l'Accord du lac Meech, n'a pas été repris. Les deux parties s'engagent plutôt à poursuivre des politiques qui leur permettent d'atteindre cet objectif. Bien que l'Accord n'en fasse pas mention, de telles politiques pourraient, pour le Canada, inclure la mise en place à l'étranger – notamment dans les pays francophones – de suffisamment de ressources pour traiter les demandes d'immigration, ainsi que l'établissement d'objectifs de traitement plus élevés pour de tels bureaux.
Le Canada continue d'établir chaque année les niveaux d'immigration en tenant compte de l'avis du Québec relativement au nombre d'immigrants que ce dernier désire recevoir. Pour la première fois, un calendrier officiel de consultation est établi. Conformément à ce calendrier, le Canada doit informer le Québec, avant le 30 avril de chaque année, des options à l'étude relativement aux futurs niveaux d'immigration, en les répartissant entre les diverses catégories d'immigrants6 . Le Québec, quant à lui, fera connaître au Canada, avant le 30 juin de chaque année, le nombre d'immigrants qu'il compte accueillir au cours de l'année ou des années à venir, en les distribuant également en catégories7 . À la suite de ce processus, en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté doit déposer un rapport annuel aux deux Chambres du Parlement avant le 1er novembre si le Parlement est en session, ou dans les 30 jours suivant la reprise des travaux de l'une ou l'autre des deux chambres. Ce rapport devra contenir le détail des niveaux d'immigration pour l'année à venir8.
Selon une disposition ajoutée à l'Accord, le Québec s'engage à accueillir une part du nombre total de réfugiés reçus au Canada qui soit au moins égale au pourcentage d'immigrants qu'il s'est engagé à accueillir.
Les immigrants appartenant à la catégorie de la famille ne sont pas « sélectionnés » comme le sont les autres immigrants, mais si cela s'avère souhaitable, des critères de sélection pourraient être mis en place, auquel cas l'Accord Canada-Québec prévoit que le Canada établirait seul ces critères, tandis que le Québec serait responsable de leur application aux immigrants de cette catégorie à destination de la province. À l'article 18 de l'annexe A, le Canada s'engage à faciliter, si le Québec le désire, les entrevues des candidats de la catégorie de la famille, et le Québec s'engage à faire en sorte que le traitement des demandes de ces candidats se fasse dans les « délais usuels ».
La loi fédérale exige que les candidats appartenant à la catégorie de la famille soient parrainés par un résident permanent ou par un citoyen canadien. Lorsque ces candi¬dats sont à destination du Québec, cette province assure le suivi des engagements de parrainage et fixe les normes financières applicables aux répondants.
Le Canada est seul responsable du traitement des demandes d'asile présentées par des personnes se trouvant déjà au Canada. En ce qui concerne les réfugiés et les personnes en situation semblable sélectionnés à l'étranger, le Canada détermine qui est un réfugié et quelles sont les personnes en situation semblable, tandis que le Québec choisit ceux qui, à son avis, sont le plus à même de s'établir au Québec. L'Accord inclut un droit de veto explicite du Québec sur l'admission des réfugiés : « le Canada n'admet pas un réfugié […] à destination du Québec qui ne répond pas aux critères de sélection du Québec ».
Comme nous l'avons souligné plus haut, le Québec s'engage également à accepter un nombre approprié de réfugiés et de personnes en situation semblable sélec-tionnés à l'étranger.
Le consentement du Québec est requis avant l'admission des trois types suivants de visiteurs : les étudiants étrangers9 , les travailleurs temporaires étrangers, et les visiteurs étrangers venant recevoir des soins médicaux. Il importe de souligner que le gouvernement fédéral suit le même principe pour toutes les provinces : avant d'admettre des étrangers qui veulent étudier ou recevoir des soins médicaux dans une province donnée, il obtient d'abord le consentement de cette dernière.
Le Canada s'engage, en vertu de l'Accord Canada-Québec, à se retirer des services d'accueil et d'intégration linguistique et culturelle offerts aux résidents permanents du Québec et du programme d'information et de placement à l'intention des immigrants. Le Canada accorde une juste compensation au Québec pour de tels services dans la mesure où ils correspondent à ceux que le Canada offre ailleurs au pays et où le Québec permet à tous les résidents permanents de la province d'y avoir accès, qu'ils aient été sélectionnés ou non par le Québec. Cette dernière exigence reflète le fait, souligné dans l'un des considérants de l'Accord, que la Charte canadienne des droits et libertés garantit la liberté de circulation et d'établissement à tous les résidents permanents du Canada. Tout résident permanent en provenance d'une autre province peut donc s'établir au Québec et avoir droit aux mêmes services que les immigrants sélectionnés par le Québec.
Le Canada a seul la responsabilité des services relatifs à la citoyenneté et son droit d'offrir aux citoyens canadiens des services reliés au multiculturalisme et de promouvoir le multiculturalisme n'est nullement restreint.
L'article 1 de l'annexe B dresse la liste complète des services d'établissement et d'intégration linguistique dont s'est retiré le Canada. Le tableau 1 précise les compensations financières à verser au Québec pendant les premières années de mise en œuvre de l'Accord, comme le prévoit l'annexe B :
Exercicea | Montant (en millions de dollars)b |
---|---|
1991-1992 | 75 |
1992-1993 | 82 |
1993-1994 | 85 |
1994-1995 | 90 |
Total | 332 |
Notes:
a. En 1990-1991, les dépenses directes de programmes du gouvernement fédéral au Québec pour les services énumérés à l'annexe B se sont élevées à près de 46,3 millions de dollars. Le montant fixé pour 1991-1992 représente donc une augmentation de 61,9 %.
b. Ces chiffres représentent une augmentation moyenne annuelle de 6,3 % et ne sont pas liés aux niveaux d'immigration réels.
Source : Gouvernement du Canada et Gouvernement du Québec, « Annexe B », Accord Canada-Québec relatif à l'immigration et à l'admission temporaire des aubains, 1991.
Depuis 1995-1996, les compensations sont calculées en multipliant le montant de base de 90 millions de dollars par le facteur d'indexation.
Si, au cours d'une année donnée, le Québec accueille une proportion des immi-grants inférieure à son poids démographique par rapport au Canada, l'année suivante le facteur d'indexation tient compte de l'augmentation des dépenses de programmes fédérales totales (c.-à-d. hors service de la dette); toute augmentation du nombre d'immigrants non francophones au Québec intervient également dans le calcul du facteur d'indexation10 , sans doute parce que la formation linguistique est l'élément le plus onéreux de l'intégration.
Si, par contre, au cours d'une année donnée la part des immigrants canadiens au Québec est égale ou supérieure au poids démographique du Québec au Canada, le facteur d'indexation se fonde sur l'augmentation des dépenses de programmes fédérales totales (c.-à-d. hors service de la dette), ainsi que sur les changements en ce qui a trait à l'immigration canadienne au Québec par rapport à l'année précédente.
La somme versée au Québec pour l'installation et la formation linguistique ne peut pas diminuer selon les formules établies dans l'Accord (mais elle pourrait être réduite d'un commun accord). Par conséquent, si la somme disponible pour l'installation devait diminuer (ou augmenter moins que les dépenses fédérales), le Québec continuerait de se voir garantir le montant de base de 90 millions, majoré par le facteur d'indexation. Le tableau 2 ci dessous montre les subventions versées au Québec en vertu de l'Accord durant les exercices 2012-2013 à 2016-2017 :
Exercice | Subvention versée en vertu de l'Accord Canada-Québec (en millions de dollars) |
---|---|
2012-2013 | 284,5 |
2013-2014 | 320,0 |
2014-2015 | 340,5 |
2015-2016 | 345,0 |
2016-2017 | 378,2 |
Source : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Comptes publics du Canada.
Deux comités ont été institués pour la mise en œuvre de l'Accord : le Comité mixte et le Comité d'application. Le Comité mixte se réunit au moins une fois l'an et doit notamment approuver les directives conjointes, assurer l'échange de renseigne-ments, promouvoir des projets conjoints de recherche sur le flux migratoire et discu¬ter des normes de parrainage établies par le Québec. En outre, il a la responsabilité de contrôler les délais de traitement des demandes des immigrants à destination du Québec, de fournir un avis sur les modifications que le Canada souhaite apporter à la définition des catégories d'immigrants ainsi qu'aux critères de non admissibilité et d'étudier, chaque année, les services d'accueil et d'intégration offerts tant par le Canada que par le Québec. L'Accord prévoit qu'un « représentant du ministère des Affaires extérieures et du Commerce extérieur » siège à titre permanent au Comité. Toutefois Affaires mondiales Canada a cessé d'avoir un rôle au Comité quand Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada est devenu responsable des demandes à l'étranger.
Le Comité d'application se réunit au moins deux fois l'an. Il a pour mandat de coor-donner l'application de l'Accord et d'en élaborer les modalités opérationnelles. Le gouvernement fédéral et le Québec font appel au Comité d'application pour discuter des modifications qu'ils souhaitent apporter à leurs politiques et à leurs lois, et pour mettre à jour les règlements et directives applicables au programme d'immigration.
Fait intéressant, l'Accord prévoit un mécanisme de modification, mais non de résiliation, contrairement à l'Entente Couture-Cullen, qui prévoyait une disposition de résiliation11 – type de disposition caractéristique des accords de ce genre. En revanche, l'article 33 de l'Accord prévoit tout simplement ce qui suit : « Le présent Accord peut être rouvert à la demande d'une des parties, avec un préavis d'au moins six mois. À défaut d'accord sur sa modification, il continue de s'appliquer ». On peut supposer que cette disposition a été rédigée de cette façon parce qu'à l'origine, l'Accord devait faire partie de la Constitution après l'adoption de l'Accord du lac Meech. Sous cette forme, aucune des deux parties n'aurait pu résilier l'Accord sur simple préavis. Reste à savoir ce qui se produirait si, à un moment donné, l'une des deux parties se montrait insatisfaite de l'Accord et si les deux parties ne parvenaient pas à arriver à une entente.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
La présente entente est conclue pour une durée de trois (3) ans à compter de la date de sa signature. Cependant, chacune des parties aura la faculté d'y mettre fin en communiquant un avis écrit à l'autre partie au moins trois (3) mois avant la fin de cette période de trois (3) ans pour laquelle elle est conclue. Elle sera renouvelable par tacite reconduction à partir de son terme mais l'une ou l'autre des parties pourra y mettre fin, moyennant un avis écrit de six (6) mois à l'autre partie.[ Retour au texte ]
© Bibliothèque du Parlement