Dans le contexte parlementaire canadien, le français et l'anglais jouissent d'une égalité de statut et d'usage. En effet, plusieurs dispositions constitutionnelles et législatives encadrent l'usage de ces deux langues officielles au Parlement. Appelées à évoluer au fil de l'histoire, ces dispositions concernent aujourd'hui tant le domaine législatif que la procédure parlementaire. Elles témoignent de l'importance des droits linguistiques accordés aux parlementaires ainsi que de la population qu'ils desservent.
C'est avec la Loi constitutionnelle de 1867 que sont apparues les premières garanties et obligations en matière de respect des langues officielles pour les institutions parlementaires. Des pratiques favorisant le bilinguisme législatif sont apparues avec le temps et les institutions parlementaires s'y sont adaptées, par exemple, en instaurant un système d'interprétation simultanée et en adhérant au principe de corédaction des lois fédérales. Par ailleurs, le gouvernement fédéral a officialisé certaines pratiques en adoptant sa toute première Loi sur les langues officielles en 1969.
Reconnaissant que le bilinguisme constitue un aspect important de la démocratie parlementaire au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 a officialisé les droits linguistiques relatifs aux travaux du Parlement et aux documents parlementaires. Les tribunaux canadiens ont par la suite précisé la portée de ces droits et ont forcé le Parlement à continuer d'adapter ses pratiques. En 1988, les obligations linguistiques s'appliquant aux débats, aux travaux, au processus législatif et aux divers documents parlementaires ont été précisées dans une nouvelle version de la Loi sur les langues officielles (LLO).
La procédure parlementaire a fait l'objet d'un certain nombre de changements afin d'encadrer l'usage tant des langues officielles que des autres langues. C'est ainsi que, ces dernières années, le Sénat et la Chambre des communes ont pris des mesures pour encadrer l'usage des langues autochtones.
En outre, les ressources accordées à la traduction et à l'interprétation simultanée en contexte parlementaire ont connu une hausse afin de répondre aux besoins importants des parlementaires en la matière.
Par ailleurs, le bilinguisme s'est imposé au nombre des conditions préalables à la nomination aux postes de hauts fonctionnaires du Parlement.
Récemment, des enjeux liés à l'utilisation des langues officielles découlant des nouvelles technologies sont apparus. Ils ont obligé le Parlement canadien à adapter ses pratiques une fois de plus. À cet effet, la tenue de séances hybrides et virtuelles au Sénat et à la Chambre des communes, ainsi que dans leurs comités respectifs, dans le contexte de la pandémie de COVID‑19 a apporté son lot de défis à l'égard du respect des obligations linguistiques qui incombent au Parlement.
En faisant la promotion de pratiques exemplaires en matière de langues officielles, le Parlement incarne le modèle d'une institution accessible aux Canadiens et Canadiennes d'expression française et anglaise. Ce modèle pourrait de nouveau être appelé à évoluer dans le contexte de la modernisation de la LLO, dont les débats amorcés au cours de la 42e législature ont abouti au dépôt d'une nouvelle législation durant la 44e législature.
Au Canada, plusieurs dispositions constitutionnelles et législatives portent sur l'emploi des langues officielles dans le domaine législatif, reconnaissant ainsi aux deux communautés de langue officielle le droit de participer équitablement au processus parlementaire. Ces dispositions sont le fruit de l'histoire collective des Canadiens et des Canadiennes, et leur présence dans la Constitution canadienne confirme la nature fondamentale de ces droits.
Le présent document donne un aperçu de divers aspects de la question des langues officielles dans le contexte du Parlement canadien en examinant :
Au cours des négociations ayant mené à la Confédération de 1867, l'une des options proposées a été le bilinguisme « facultatif » dans les activités du futur Parlement du Canada. Les députés canadiens‑français de l'époque se sont vigoureusement opposés à cette option et leurs protestations ont abouti à l'adoption d'une résolution prévoyant l'usage « obligatoire » du français et de l'anglais dans certains domaines précis de l'activité parlementaire 1. Cette résolution est devenue l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 2, article qui se lit comme suit :
Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès‑verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par‑devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l'autorité de la présente loi, et par‑devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l'une ou de l'autre de ces langues.
Les lois du Parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
L'article 133 a pour objet d'accorder « un accès égal pour les francophones et les anglophones à la loi dans leur langue » et de garantir « une participation égale dans les débats et travaux parlementaires » 3. L'interprétation de cette disposition doit en tenir compte. Sans accorder de statut officiel au français et à l'anglais, l'article 133 confirme tout de même le caractère bilingue du Parlement canadien, ce que le sénateur Gérald A. Beaudoin a qualifié d'« embryon de bilinguisme officiel 4 ». L'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 a été interprété à diverses reprises par la Cour suprême du Canada, ce qui permet d'en comprendre la portée. Les sections qui suivent examinent chacune des composantes de cet article.
L'article 133 garantit explicitement à tous les parlementaires le droit de s'exprimer en français ou en anglais dans les débats. Les parlementaires n'étant pas tous bilingues, un système d'interprétation simultanée a été instauré à la Chambre des communes en 1959 par suite d'une motion du premier ministre John Diefenbaker 5, permettant ainsi à tous de pouvoir s'exprimer dans la langue officielle de leur choix et d'être compris par l'ensemble des membres de la Chambre. Avant l'introduction de ce système d'interprétation simultanée, un parlementaire qui s'exprimait en français était généralement incompris de la majorité anglophone, ce qui avait pour effet de vider la Chambre des communes d'une bonne partie de ses membres 6. Au Sénat, l'interprétation simultanée a été introduite en 1961 7.
Lors de l'instauration du système d'interprétation, un petit groupe de sept interprètes assumait la responsabilité d'interpréter tous les débats 8. Depuis, le secteur Services au Parlement et interprétation du Bureau de la traduction a pris de l'expansion : il compte actuellement une soixantaine d'interprètes permanents en plus des interprètes pigistes 9.
En vertu d'une décision de la Cour suprême du Canada rendue en 1986 (MacDonald c. Ville de Montréal), il existe toujours un flou à savoir si le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats parlementaires comprend également le droit constitutionnel à l'interprétation simultanée 10. Dans une opinion incidente, le juge Jean Beetz concluait que le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats parlementaires ne comprenait pas le droit à l'interprétation simultanée. Il est toutefois utile de noter que l'arrêt MacDonald s'inscrit dans un courant jurisprudentiel qui prônait l'interprétation restrictive des droits linguistiques, courant écarté par l'arrêt R. c. Beaulac 11, pris en 1999, dans lequel la Cour suprême du Canada redéfinit les règles d'interprétation en matière de droits linguistiques. L'article 133 et les droits linguistiques en général doivent dorénavant bénéficier d'une interprétation large et libérale fondée sur leur objet.
De plus, d'après les propos tenus par le premier ministre Diefenbaker au moment de l'adoption de la motion portant sur le système d'interprétation simultanée, l'instauration de ce système était manifestement vue comme la reconnaissance d'un droit constitutionnel :
Je crois également que la motion à l'étude représente la reconnaissance tardive du fait que, sous notre constitution, ce droit fondamental a été assuré et sera respecté comme partie intégrante de notre liberté constitutionnelle et qu'il sera jugé immuable et inchangé. C'est là, je crois, l'essence même du maintien de l'unité de notre pays. En somme, la Confédération est le fruit de l'association des Canadiens d'origine française et d'origine britannique. Pour cette raison, nous devrions tout faire et tout mettre en œuvre pour assurer le maintien de ces droits constitutionnels fondamentaux, ainsi que l'égalité de ces droits linguistiques 12.
Compte tenu de l'importance d'assurer le respect du droit de chacun d'employer la langue officielle de son choix et d'être compris dans un délai opportun, cette pratique, qu'elle bénéficie ou non d'une protection constitutionnelle, est maintenant indispensable au bon fonctionnement du Parlement.
L'article 133 prévoit que les « archives, procès‑verbaux et journaux » doivent être produits dans les deux langues officielles. Cette obligation de bilinguisme suppose l'usage simultané du français et de l'anglais dans la publication de ces documents parlementaires : « ce n'est pas l'une ou l'autre langue au choix, mais les deux à la fois qui doivent être employées dans les archives et les procès‑verbaux 13 ». Ainsi, il ne suffit pas de produire certains passages en français et d'autres en anglais ou de les résumer dans l'autre langue officielle. Les documents doivent être disponibles intégralement et simultanément dans les deux langues officielles.
Quels documents sont visés par cette obligation? En premier lieu, les « archives » des Chambres comprennent les lois et les projets de loi 14. En second lieu, les « journaux » désignent les Procès‑verbaux et les Journaux à proprement parler, c'est‑à‑dire le compte rendu analytique des votes et délibérations des Chambres. Jusqu'en 1976, les Journaux étaient imprimés en deux versions distinctes, soit française et anglaise. Depuis le début de la 2e session de la 30e législature, ils sont publiés en version bilingue disposée sur deux colonnes 15.
L'article 133 prévoit expressément que les lois du Canada doivent être imprimées et publiées en français et en anglais – c'est ce qu'on appelle le bilinguisme législatif 16.
Le texte de l'article 133 n'est pas explicite sur l'obligation de bilinguisme qui s'applique durant le processus législatif. Il faut donc se tourner vers l'interprétation qu'en ont faite les tribunaux pour en déterminer la portée. Dans l'arrêt de 1978 Blaikie c. (P.G.) Québec, le juge en chef Jules Deschênes de la Cour supérieure du Québec, dont les conclusions ont été confirmées par la Cour suprême du Canada en 1985 17, conclut que l'obligation d'imprimer et de publier les lois en français et en anglais comprend inévitablement l'obligation d'utiliser simultanément le français et l'anglais dans tout le processus législatif :
Si le raisonnement peut sembler naïf, il n'en demeure pas moins inattaquable : comment peut‑on imprimer et publier dans les deux langues une loi qui n'a pas été adoptée et qui n'existe officiellement que dans une des langues 18?
Ainsi, pour que les versions française et anglaise des lois fassent toutes deux autorité, elles doivent être adoptées et sanctionnées dans les deux langues. Le simple fait de les imprimer et de les publier dans les deux langues ne suffit donc pas pour respecter l'esprit et la lettre de l'article 133 19. Depuis 1978, les lois fédérales sont rédigées par deux légistes, l'un francophone, l'autre anglophone, qui travaillent conjointement avec l'aide de jurilinguistes chargés d'assurer la concordance des deux versions 20.
L'article 133 vise les lois à proprement parler, mais comprend également la législation déléguée. En effet, dans l'arrêt Procureur général du Québec c. Blaikie et autres de 1981, la Cour suprême du Canada a conclu que l'obligation de bilinguisme s'applique aux actes réglementaires adoptés par le gouvernement, par un ministre ou par un groupe de ministres. Les règlements adoptés par l'exécutif deviennent assimilables à des mesures gouvernementales et sont ainsi assujettis à l'obligation de bilinguisme prévue à l'article 133 21.
En ce qui concerne les décrets, la Cour suprême du Canada a précisé, dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba de 1992, que l'obligation de bilinguisme visait également les décrets de « nature législative 22 ». Pour déterminer si un décret est de nature législative, la Cour indique qu'il faut tenir compte de la forme, du contenu et de l'effet du texte. Ces critères ne sont pas cumulatifs 23. Pour la forme, il faut examiner le lien entre le texte de loi et le corps législatif. Pour ce qui est du contenu, il faut évaluer si le texte impose une règle de conduite. Enfin, concernant l'effet du texte, il faut déterminer si celui‑ci a force de loi et s'il s'applique à un nombre indéterminé de personnes.
La Cour suprême du Canada s'est également penchée sur la question de l'application de la règle de bilinguisme dans le cas des textes de loi incorporés par renvoi. Elle a établi le critère dont il faut tenir compte dans le contexte de l'article 23 de la Loi sur le Manitoba :
Certains documents sont simplement mentionnés dans des textes législatifs; il n'est pas nécessaire de les consulter pour comprendre le texte lui‑même. D'autres sont « incorporés par renvoi » en ce sens qu'ils font partie intégrante du texte primaire comme s'ils y étaient reproduits. C'est ce dernier type d'incorporation qui peut être qualifié d'« incorporation véritable » et qui est susceptible d'entraîner des obligations en matière de traduction aux termes de l'art. 23 24 [souligné par l'auteure].
Ainsi, les textes qui font partie intégrante de la loi ou du règlement doivent être disponibles dans les deux langues officielles. En 2017 et 2018, le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation a réitéré que les documents incorporés par renvoi dans les règlements fédéraux doivent être offerts dans les deux langues officielles pour être considérés comme accessibles en vertu de la Loi sur les textes réglementaires 25. Dans la pratique, des exceptions existent. Une politique du gouvernement fédéral entrée en vigueur en septembre 2018 stipule que les ministères fédéraux peuvent, durant l'élaboration d'un règlement, incorporer des documents unilingues par renvoi « lorsqu'il existe un motif légitime de le faire 26».
En ce qui a trait aux dispositions qui visent le Parlement, la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) 27, adoptée en 1982, reprend essentiellement les mêmes droits et obligations que l'article 133, mais en apportant quelques ajouts et clarifications.
Tout d'abord, le premier paragraphe de l'article 16 de la Charte constitutionnalise le statut du français et de l'anglais en tant que langues officielles du Canada. Le statut de langue officielle avait été accordé au français et à l'anglais dans la Loi sur les langues officielles de 1969 28, mais ce principe n'avait pas encore reçu de protection constitutionnelle.
Pour les fins de la présente étude, il convient également de faire mention des articles 17 et 18 de la Charte, qui portent respectivement sur la langue des débats et des travaux du Parlement et sur la langue des lois et autres documents parlementaires. Plus précisément, l'article 17 prévoit que « [c]hacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement ». Cette disposition vient essentiellement confirmer un état de fait en réaffirmant le droit d'utiliser la langue officielle de son choix dans les débats des Chambres du Parlement, droit que garantissait déjà l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.
L'article 17 de la Charte apporte tout de même un nouvel élément, en ce qu'il étend ce droit aux autres travaux parlementaires tels que les travaux des comités du Sénat et de la Chambre des communes. Ainsi, le droit d'utiliser la langue officielle de son choix tant devant le Sénat et la Chambre des communes que devant les comités parlementaires est dorénavant un droit constitutionnel.
L'article 18 de la Charte prévoit pour sa part que « [l]es lois, les archives, les comptes rendus et les procès‑verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur ». Ces droits et obligations, déjà prévus à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, laissent ainsi entendre que les lois sont adoptées dans les deux langues officielles. Ce principe, qui n'était pas énoncé de façon explicite à l'article 133, est dorénavant reconnu dans la Constitution canadienne 29. Les tribunaux s'appliquent à interpréter les lois bilingues suivant la règle d'égale autorité, qui sous‑entend la nécessité de lire ensemble les deux versions linguistiques et de les considérer comme ayant également force de loi, aucune n'ayant prépondérance sur l'autre 30.
La règle d'égale autorité s'applique tout autant aux lois bilingues qu'aux textes constitutionnels. Des dispositions en ce sens ont été insérées dans la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1982 31 afin :
L'adoption d'une version française officielle des textes constitutionnels annexés à la Loi constitutionnelle de 1982 tarde toujours 33. En 1990, le Comité de rédaction constitutionnelle française a déposé un projet pour mettre en œuvre les dispositions de l'article 55 34. Toutefois, ni le Parlement ni les assemblées législatives des provinces et des territoires ne l'ont entériné. Cet enjeu a été soulevé à quelques reprises ces dernières années, notamment dans le cadre des célébrations entourant le 150e anniversaire de la Confédération canadienne, en 2017 35, des débats portant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, en 2019 36, et d'un recours judiciaire déposé devant la Cour supérieure du Québec, en 2019 37.
Les garanties constitutionnelles constituent une protection minimale en matière de langues officielles, laquelle est complétée par des lois tant fédérales que provinciales 38. Ainsi, le Parlement a adopté, en 1969, la première Loi sur les langues officielles par suite des recommandations de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Cette loi a conféré pour la première fois le statut de langue officielle au français et à l'anglais pour tout ce qui relève du Parlement et du gouvernement du Canada.
Après l'adoption de la Charte, une nouvelle Loi sur les langues officielles 39 (LLO) a été adoptée en 1988 pour tenir compte des nouvelles garanties constitutionnelles prévues en matière de droits linguistiques.
Les deux premières parties de la LLO sont particulièrement pertinentes pour la présente étude. La partie I porte sur la langue des débats et travaux parlementaires. La partie II, quant à elle, porte sur la langue des actes législatifs et autres documents de nature parlementaire. Incidemment, il faut aussi noter que les dispositions concernant les institutions du Parlement ne se trouvent pas uniquement dans les deux premières parties de la LLO. En effet, le Sénat, la Chambre des communes, la Bibliothèque du Parlement, le Bureau du conseiller sénatorial en éthique, le Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique, le Service de protection parlementaire et le Bureau du directeur parlementaire du budget font partie des « institutions » énumérées à l'article 3 de la LLO et sont, par conséquent, assujetties à d'autres parties de cette loi qui portent notamment sur la langue de travail et la langue des services offerts au public.
La LLO s'est vu accorder le statut de loi quasi constitutionnelle par les tribunaux. En effet, dans l'arrêt de 2002 Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), la Cour suprême du Canada confirme que la LLO n'est pas une loi ordinaire :
L'importance de ces objectifs de même que les valeurs constitutionnelles incarnées par la Loi sur les langues officielles confèrent à celle‑ci un statut privilégié dans l'ordre juridique canadien. Son statut quasi‑constitutionnel est reconnu par les tribunaux canadiens […] Les racines constitutionnelles de cette loi de même que son rôle primordial en matière de bilinguisme justifient une telle interprétation 40.
En 2014, dans l'arrêt Thibodeau c. Air Canada, la Cour suprême du Canada a réaffirmé le statut quasi constitutionnel de la LLO en indiquant que celle‑ci fait partie de cette catégorie privilégiée de lois « qui expriment "certains objectifs fondamentaux de notre société" et qui doivent être interprétées "de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous‑tendent" 41 ».
La LLO contient des dispositions qui tirent leur source de différentes dispositions constitutionnelles, mais qui, en matière de débats parlementaires et d'actes législatifs, vont souvent au‑delà des garanties constitutionnelles examinées plus tôt.
La partie I de la LLO comprend un seul article sur la langue des débats et des travaux parlementaires. Le premier paragraphe de cet article confirme que le français et l'anglais sont les langues officielles du Parlement et que toute personne a le droit de s'exprimer dans l'une ou l'autre de ces langues dans les débats et travaux du Parlement. Pour l'essentiel, le premier paragraphe reprend les droits garantis par l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l'article 17 de la Charte. Quant au second paragraphe, il va au‑delà des dispositions constitutionnelles existantes en garantissant le droit à l'interprétation simultanée des débats et travaux du Parlement.
Les figures suivantes illustrent la proportion d'utilisation du français et de l'anglais par les députés à la Chambre des communes (figure 1) et en comité (figure 2) au cours des 10 dernières années. En 2021, le français a été utilisé dans une proportion de 26,5 % à la Chambre des communes et de 20 % en comité. C'est entre 2017 et 2019 que la proportion des interventions en français a été la plus faible.
Note : Les données sont compilées par année et ne tiennent pas compte de l'utilisation d'autres langues que le français ou l'anglais. Les données pour les mois de novembre et décembre 2021 n'étaient pas disponibles au moment de rédiger la présente étude.
Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données fournies par la Direction des publications parlementaires de la Chambre des communes, consultée le 24 novembre 2021.
Note : Les données sont compilées par année et elles ne tiennent pas compte de l'usage d'autres langues que le français ou l'anglais. Les données pour les mois de novembre et décembre 2021 n'étaient pas disponibles au moment de rédiger la présente étude.
Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données fournies par la Direction des publications parlementaires de la Chambre des communes, consultée le 24 novembre 2021.
Bien que la connaissance des deux langues officielles ne soit pas un critère pour s'acquitter d'une fonction de parlementaire, les deux Chambres ont pris des mesures pour favoriser le bilinguisme individuel des parlementaires. En outre, le processus de nomination au Sénat, mis en place en 2016, prévoit que la maîtrise des deux langues officielles est considérée « comme un atout 42 » pour occuper un poste de sénateur ou de sénatrice. À la Chambre des communes, des cours de langue seconde sont offerts aux parlementaires, à leurs conjoints et conjointes, ainsi qu'au personnel de l'Administration de la Chambre 43. Au fil du temps, on observe que la formation linguistique suscite un intérêt grandissant, notamment de la part des ministres, des secrétaires parlementaires et des membres des cabinets fantômes 44.
Au moment de faire leur entrée au Parlement, les parlementaires indiquent leur langue officielle de préférence. Ainsi, au début de la 44e législature, environ 66 % des députés ont indiqué que l'anglais était leur langue officielle de préférence, environ 16 % des députés ont indiqué que le français était leur langue officielle de préférence, et 18 % ont indiqué ne pas avoir de préférence. Au Sénat, 68 % des sénateurs et sénatrices en poste ont indiqué avoir une préférence pour l'anglais, 29 % ont indiqué une préférence pour le français et 2 % ont mentionné n'avoir aucune préférence 45.
La diffusion des débats et travaux parlementaires constitue un service au sens de la partie IV – Communications avec le public et prestation des services – de la LLO 46. Depuis 1977, le grand public peut suivre les débats de la Chambre des communes à la radio et à la télévision. De 1979 à 1991, la diffusion des débats était assurée par la Société Radio‑Canada (SRC) par l'entremise de deux chaînes parlementaires, l'une française et l'autre anglaise 47. Le public pouvait ainsi suivre les débats dans la langue officielle de son choix.
En 1991, ces chaînes parlementaires ont disparu en raison de restrictions budgétaires à la SRC. C'est à partir de ce moment que la Chaîne d'affaires publiques par câble (CPAC) a commencé à assurer la diffusion des débats et travaux parlementaires. La Chambre transmet les signaux audio en français, en anglais et en son original à CPAC qui les redistribue à son tour aux entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR).
L'entente conclue entre la Chambre des communes et CPAC prévoyait que cette dernière devait distribuer l'ensemble des signaux aux EDR. Toutefois, les câblodistributeurs, qui n'étaient aucunement liés par cette entente avec la Chambre pouvaient choisir de ne diffuser qu'un seul des trois signaux audio. Ainsi, dans certaines régions du pays, les débats parlementaires ont été diffusés dans une seule langue officielle ou dans la langue du parquet, autrement dit dans la langue de l'intervenant, sans interprétation dans l'autre langue.
Cette situation a donné lieu à une plainte en vertu de la LLO auprès du Commissariat aux langues officielles puis à un recours devant la Cour fédérale du Canada. Dans l'arrêt Quigley c. Canada (Chambre des communes), rendu en 2002, la Cour a conclu que la Chambre des communes « doit, si elle utilise un intermédiaire (individu ou organisme) pour fournir des services qu'elle est tenue d'offrir dans les deux langues officielles, veiller à ce que cet intermédiaire se conforme à cette obligation 48 ». La Chambre doit donc s'assurer que CPAC et, ultimement, les EDR, diffusent les débats dans les deux langues officielles.
Depuis, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes oblige les EDR à diffuser les signaux dans les deux langues officielles pour faire en sorte que les débats et travaux parlementaires soient accessibles au public dans la langue officielle de son choix 49. Les obligations en matière de télédiffusion s'étendent aux délibérations des comités du Sénat et de la Chambre des communes, lorsque le signal est fourni à CPAC 50. Selon les régions du pays, le signal est disponible soit sur un canal distinct, soit par l'entremise de la technologie SAP (seconde piste sonore) 51.
En 2004, à la suite des travaux du Comité spécial sur la modernisation et l'amélioration de la procédure à la Chambre des communes, le service ParlVU 52 a été mis à la disposition du public sur le site Web parlementaire, permettant l'accès en ligne aux délibérations de la Chambre et des comités en français, en anglais ou dans la langue du parquet 53. Le service est aussi disponible pour les délibérations du Sénat et de ses comités 54.
En 2016, dans le cadre des travaux du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, un rapport a été présenté pour demander :
Depuis mars 2019, les travaux du Sénat sont télédiffusés par CPAC 56. Le Règlement du Sénat n'a toutefois pas été mis à jour pour refléter ce changement.
Dans le budget de 2017, le gouvernement fédéral a pris des engagements à l'égard des langues officielles dans le contexte parlementaire :
Les Canadiens ont le droit de communiquer avec le Parlement, et d'être servis par ce dernier, dans la langue officielle de leur choix. Ainsi, tous les citoyens sont en mesure de participer pleinement au processus parlementaire. Pour améliorer les services de traduction parlementaire, le budget de 2017 propose d'investir 7,5 millions de dollars par année en permanence, à compter de 2017‑2018. Cet investissement permettra de veiller à ce que les parlementaires, ainsi que tous les Canadiens, continuent d'être servis dans la langue officielle de leur choix 57.
D'ailleurs, à l'hiver 2017, plusieurs engagements ont été pris par la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement de l'époque pour améliorer la capacité du Bureau de la traduction à servir le Parlement et les institutions fédérales en général 58. Notons, parmi les mesures prises, la création d'un poste de dirigeant principal de la qualité.
En mars 2018, le Groupe de travail consultatif sur les services de traduction parlementaire du Comité permanent de la Régie interne, des budgets de l'administration a déposé un rapport au Sénat dans lequel il formulait des recommandations pour améliorer les services de traduction et d'interprétation au Sénat 59. La réponse du gouvernement déposée sept mois plus tard a fait état des mesures prises par le Bureau de la traduction pour améliorer la qualité des services offerts au Sénat 60.
Les Ressources parlementaires historiques canadiennes de la Bibliothèque du Parlement mettent à la disposition du public, dans un portail en ligne, les journaux et débats historiques dans les deux langues officielles du Sénat et de la Chambre des communes, de même que ceux de leurs comités respectifs 61.
En 1871 et en 1880 respectivement, le Sénat et la Chambre des communes ont adopté les comptes rendus officiels de leurs débats, les publiant en volumes reliés et indexés. Ces débats, ayant été numérisés, se trouvent dans ledit portail. Les débats reconstitués, c'est‑à‑dire ceux qui ont eu lieu avant l'adoption des comptes rendus officiels, sont également disponibles dans le portail, bien qu'il s'agisse de versions non officielles. Quoique certains débats aient été publiés initialement dans une seule langue officielle, le portail en offre la version traduite.
La partie II de la LLO porte sur les actes législatifs et autres documents de nature parlementaire. Cette partie contient, entre autres, des dispositions concernant la tenue, l'impression et la publication des archives, comptes rendus et procès‑verbaux du Parlement (art. 5), ainsi qu'une disposition sur l'adoption, l'impression et la publication des lois du Parlement (art. 6).
Ces dispositions reproduisent les obligations constitutionnelles dont il est fait mention précédemment, mais la LLO précise explicitement que le processus d'adoption des lois est visé par la LLO et doit ainsi se faire dans les deux langues officielles.
La LLO traite également de la question de la législation déléguée et vise tous les actes publiés dans la Gazette du Canada, ainsi que les actes de nature publique et générale (par. 7(1)). La LLO va donc au‑delà des critères établis par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Blaikie de 1981 et dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba de 1992, en exigeant que tous les textes publiés dans la Gazette du Canada le soient dans les deux langues officielles. Le paragraphe 7(2) vise les actes du pouvoir exécutif. Ceux‑ci doivent également être publiés dans les deux langues officielles, s'ils sont de nature publique et générale.
L'article 13 reprend un principe constitutionnel et, par le fait même, un principe important d'interprétation législative : les versions française et anglaise des actes législatifs visés par la partie II ont également force de loi et ont la même valeur.
Les institutions parlementaires sont également assujetties aux autres dispositions de la LLO, mais ont développé des politiques et directives distinctes du reste de la fonction publique fédérale en matière de langues officielles. L'offre de communications et de services aux membres du public dans la langue officielle du choix de ces derniers fait partie des obligations qu'elles s'engagent à respecter et ces institutions peuvent faire l'objet de sanctions de la part des tribunaux en cas de non‑respect. Dans une décision rendue à l'automne 2019, la Cour fédérale a statué que le Sénat avait contrevenu à ses obligations linguistiques en matière d'affichage, et a réitéré le rôle symbolique important des institutions parlementaires en ce qui concerne le respect des deux langues officielles du Canada :
Faut‑il le rappeler, la [C]hambre des communes et le Sénat sont non seulement soumis à la LLO, mais incarnent des valeurs constitutionnelles et quasi‑constitutionnelles reconnues dans la Charte et dans la LLO, dont bien entendu le bilinguisme institutionnel […] Les reliques du passé, qui traduisent dans un contexte institutionnalisé la prépondérance d'usage d'une langue officielle au détriment de l'autre, n'ont pas leur place dans les édifices du Parlement et du gouvernement du Canada. C'est le cas des fontaines d'eau unilingues au Sénat, qui sont devenues – au fil du temps et des années qui passent – des objets ostentatoires désuets et incompatibles avec le principe constitutionnel de protection des minorités 62.
Le Sénat a décidé de ne pas en appeler de cette décision.
De nombreux rapports et mémoires réclamant une modernisation de la LLO ont été publiés en 2019, soit l'année marquant le 50e anniversaire de l'adoption de la toute première loi. Bien que des demandes aient été faites pour modifier les parties I et II de la LLO, celles‑ci n'ont occupé qu'une place minime dans l'ensemble du débat. Au nombre des propositions, mentionnons les suivantes :
Dans sa lettre de mandat rendue publique le 13 décembre 2019, la ministre du Développement économique et des Langues officielles de l'époque, l'honorable Mélanie Joly, s'est vu confier le mandat de moderniser la LLO 64. Dans sa lettre de mandat supplémentaire du 15 janvier 2021, on lui demandait de déposer un projet de loi en ce sens en tenant compte de la réalité particulière du français 65.
Ainsi, le 15 juin 2021, elle a déposé le projet de loi C‑32 66. Mort au Feuilleton à la dissolution du Parlement en août de la même année, ce projet de loi ne prévoyait pas de changement substantiel aux obligations linguistiques applicables en contexte parlementaire. Cela dit, il proposait de reconnaître, dans le préambule de la LLO, la diversité des régimes linguistiques des provinces et des territoires, en particulier les dispositions constitutionnelles applicables au Québec, au Manitoba et au Nouveau‑Brunswick en matière de bilinguisme législatif 67.
Dans le discours du Trône du 23 novembre 2021, le gouvernement fédéral s'est engagé à déposer de nouveau un projet de loi pour modifier la LLO 68. L'actuelle ministre des Langues officielles, l'honorable Ginette Petitpas Taylor, a reçu le mandat de déposer un tel projet de loi au début de 2022 69. C'est ce qu'elle a fait en déposant le projet de loi C‑13 le 1er mars 2022 70. Tout comme le projet de loi C‑32, le projet de loi C‑13 ne prévoit pas de modification additionnelle aux dispositions sur les langues officielles au Parlement.
La dualité linguistique canadienne figure non seulement dans la Constitution et la législation, mais également dans les procédures et usages du Sénat et de la Chambre des communes. Par exemple, le premier Président bilingue de la Chambre des communes, Joseph‑Godéric Blanchet 71, avait pris l'habitude d'alterner entre les versions française et anglaise de la prière récitée au début de chaque séance 72.
Le paragraphe 7(2) du Règlement de la Chambre des communes dispose que le député élu à titre de vice‑président de la Chambre doit « connaître à fond la langue officielle qui n'est pas celle du Président 73 ». Par exemple, à l'époque où Jeanne Sauvé, Fransaskoise d'origine, était Présidente de la Chambre des communes au début des années 1980, le vice‑président était Lloyd Francis, un anglophone de la région d'Ottawa. Cette règle n'est toutefois plus respectée depuis le début de la 37e législature, en janvier 2001. Dans la mesure du possible, on cherche plutôt des candidats bilingues pour occuper ces fonctions 74.
Deux autres dispositions du Règlement de la Chambre des communes contiennent des exigences linguistiques de nature procédurale : le paragraphe 32(4) exige que les documents soient distribués ou déposés à la Chambre dans les deux langues officielles, tandis que l'article 65 touche à la lecture en français et en anglais des motions présentées par écrit et appuyées.
La dualité linguistique se manifeste également dans le contexte des comités parlementaires. En effet, au début de chaque session parlementaire, plusieurs comités adoptent des motions prévoyant que les documents fournis par un témoin ne seront distribués que lorsqu'ils seront disponibles dans les deux langues officielles 75. Au début de la 44e législature, les comités de la Chambre des communes ont adopté une motion prévoyant que les documents qui ne proviennent pas d'un ministère fédéral et qui n'ont pas été traduits par le Bureau de la traduction doivent être soumis à une révision linguistique de la part de ce dernier avant d'être distribués aux membres 76.
Ce type de motion illustre le conflit potentiel entre le droit des parlementaires de recevoir des documents dans la langue officielle de leur choix et le droit des témoins d'employer le français ou l'anglais dans leurs rapports avec le Parlement. De fait, par suite d'une plainte déposée auprès du Commissariat aux langues officielles, en 2004, un recours a été entamé devant la Cour fédérale pour contester le refus, par un comité parlementaire, de distribuer des documents de référence dans une seule langue. Selon le demandeur, M. Howard P. Knopf, cette pratique était contraire à son droit d'employer la langue officielle de son choix devant un comité parlementaire, droit garanti par le paragraphe 4(1) de la LLO.
En première instance, en 2006, la Cour fédérale a conclu que cette pratique ne portait pas atteinte au droit en question. En effet, la Cour était d'avis que le droit prévu au paragraphe 4(1) de la LLO permet à tout individu de s'exprimer dans la langue officielle de son choix dans les débats et travaux du Parlement, mais qu'il ne comprend toutefois pas le droit d'imposer la diffusion et la distribution de documents aux membres d'un comité parlementaire. La décision de distribuer des documents relève plutôt du pouvoir absolu des comités parlementaires de régir leur procédure interne et est protégée par le privilège parlementaire. Ainsi, la Cour a pu conclure que les droits linguistiques du demandeur n'avaient pas été brimés 77. En 2007, la Cour d'appel fédérale a appuyé les conclusions de la juge de première instance, puis en 2008 la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d'autorisation d'appel de M. Knopf, mettant ainsi fin à ce recours 78.
Dans la pratique, comme ce fut le cas pendant la 42e législature, il peut arriver qu'un comité parlementaire déroge à sa propre règle même après avoir adopté une motion pour prévoir la distribution dans les deux langues officielles des documents qui lui sont soumis 79.
Les langues autres que le français et l'anglais peuvent être utilisées dans les débats de la Chambre des communes, mais avec modération et de préférence avec un avis au préalable 80. Ainsi, des députés se sont déjà exprimés en inuktitut, en mohawk, en japonais, en grec, en latin, en gaélique, en pendjabi ou en faisant l'usage du langage des signes.
En novembre 2018, la Chambre des communes a adopté un rapport que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre avait déposé cinq mois plus tôt sur l'utilisation des langues autochtones dans les délibérations de la Chambre et des comités 81. En fournissant un préavis raisonnable, il est maintenant possible pour les députés d'obtenir des services d'interprétation simultanée vers le français et l'anglais lorsqu'ils ou elles s'expriment dans une langue autochtone. La transcription du discours dans la langue autochtone choisie apparaît dans les débats de la Chambre ou dans les transcriptions des comités, avec la version française ou anglaise. Robert‑Falcon Ouellette est devenu, en janvier 2019, le premier député à prononcer un discours en langue crie pour lequel une interprétation simultanée a été fournie à ses collègues francophones et anglophones 82. En novembre 2021, Lori Idlout est pour sa part devenue la première députée à prêter serment en inuktitut 83.
Des permissions semblables pour l'usage d'autres langues ont été accordées au Sénat, à condition qu'une traduction française et anglaise soit fournie au préalable 84. En avril 2006, le sénateur Eymard Corbin a déposé la motion suivante visant à reconnaître le droit d'utiliser des langues autochtones dans les travaux du Sénat :
Que le Sénat reconnaisse le droit inaliénable des premiers habitants du territoire aujourd'hui appelé Canada, d'utiliser et de communiquer à toutes fins utiles dans leur langue ancestrale;
Que, pour faciliter l'expression de ce droit, le Sénat prenne les mesures administratives et mette en place les moyens techniques qui s'imposent pour permettre, dans l'immédiat, l'utilisation de leur langue ancestrale au Sénat par les sénateurs qui le désirent 85.
Cette motion a été débattue au Sénat à maintes reprises, puis a été renvoyée au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, afin que la question soit étudiée plus à fond. Le Comité a entendu divers témoins, puis s'est rendu en mission d'étude au Nunavut afin d'observer les mécanismes mis en place par la législature du territoire pour assurer la traduction simultanée de ses débats. Le Comité a publié un rapport en avril 2008 dans lequel il a formulé des recommandations en vue :
Le rapport du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement a été adopté, avec dissidence, le 14 mai 2008. Quelques débats en inuktitut ont eu lieu au Sénat entre 2010 et 2014 87, auxquels s'est ajouté un petit nombre de discours prononcés dans cette langue en 2017 et 2019. Contrairement à ce qu'avait recommandé le Comité sénatorial, l'usage de cette langue n'a pas fait l'objet d'un examen depuis 2008.
Cela dit, en mars 2017, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a publié la traduction en inuktitut d'un rapport sur le logement dans l'Inuit Nunangat, ainsi que du résumé et des recommandations connexes 88. Depuis, il n'est pas rare que des témoins s'expriment dans une langue autochtone dans le cadre des travaux de ce comité 89. En juin 2019, le Comité sénatorial spécial sur l'Arctique a fait traduire l'entièreté de son quatrième rapport en inuktitut et a publié des extraits en trois autres langues autochtones 90.
Finalement, le discours du Trône du 23 novembre 2021 a marqué une première dans l'histoire parlementaire canadienne puisque la gouverneure générale du Canada, Son Excellence la très honorable Mary May Simon, l'a prononcé en trois langues : français, anglais et inuktitut.
L'avènement de nouvelles technologies et de nouveaux moyens de communication, tels que les médias sociaux, soulève des questions quant à l'utilisation des langues officielles au Parlement. En effet, les parlementaires recourent aux médias sociaux de plus en plus fréquemment à titre individuel, notamment afin de communiquer avec la population et de promouvoir leur travail. Certains parlementaires utilisent une seule langue officielle, alors que d'autres utilisent les deux. En tant qu'institutions, le Sénat et la Chambre des communes maintiennent quant à eux des comptes bilingues sur différentes plateformes comme Twitter, Facebook, Instagram ou YouTube.
En 2014‑2015, le Commissariat aux langues officielles a mené une enquête au sujet de l'utilisation des langues officielles sur Twitter par des ministres. Le commissaire avait alors déclaré que, pour les représentants du gouvernement qui interagissent dans les médias sociaux, les communications avec le public devraient se faire dans les deux langues officielles 91. En juin 2021, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a recommandé d'assujettir à la LLO modernisée l'usage de ces deux langues dans les médias sociaux 92. Le projet de loi C‑13, qui en était à l'étape de la première lecture à la Chambre des communes au moment de rédiger la présente publication, ne traite pas de cette question.
Entre 2015 et 2019, divers comités du Sénat et de la Chambre des communes ont lancé des consultations électroniques dans le cadre de leurs travaux. Pour le moment, aucune règle de procédure stricte n'encadre l'usage d'un tel outil par les comités, notamment à l'égard des obligations linguistiques qui en découlent. Même si, à ce jour, les questionnaires ont été mis à la disposition du public dans les deux langues officielles en ligne, des questions se posent au sujet des obligations liées à la traduction des données recueillies et à leur publication dans les deux langues officielles.
Dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, plusieurs institutions parlementaires à travers le monde ont été appelées à modifier leurs pratiques et procédures pour prévoir des rencontres en mode virtuel ou hydride. Au Canada, cela comprend le Sénat et la Chambre des communes ainsi que leurs comités respectifs. Les obligations linguistiques prévues dans la Constitution et dans la LLO continuent de s'appliquer malgré les changements aux pratiques habituelles.
L'expérience encore récente du recours à ces nouvelles technologies dans le contexte des séances hybrides ou virtuelles révèle différents défis liés au respect des langues officielles. En effet, la plateforme utilisée doit permettre l'utilisation de l'interprétation simultanée à distance ainsi que la diffusion des débats en français, en anglais ou dans la langue du parquet. Par ailleurs, les parlementaires sont tenus de choisir une langue qu'ils s'engagent à maintenir tout au long de leur intervention. En temps normal, il n'est pas rare de voir un parlementaire utiliser une langue officielle puis passer à l'autre selon le contexte, l'auditoire, le témoin à interroger ou la facilité à exprimer une idée.
Du côté des interprètes, une bande audio ou vidéo de piètre qualité causée par un équipement inadéquat ou une mauvaise connexion Internet augmente les difficultés associées au travail d'interprétation simultanée à distance, tandis que l'accès, pour les parlementaires, à des services de qualité égale dans les deux langues officielles s'en trouve compromis 93. Le stress, la charge cognitive et les risques de blessures augmentent pour les interprètes, alors que le bassin d'interprètes disponibles diminue 94. En effet, l'accès à du personnel compétent capable d'offrir des services de traduction et d'interprétation de qualité est limité par d'autres contraintes découlant de la pandémie de COVID‑19, comme les obligations familiales des employés dont les enfants ne fréquentent pas l'école 95.
Soucieux des défis à relever quant à la tenue de réunions virtuelles pour permettre aux députés d'exercer leurs fonctions parlementaires dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes a mené une étude qui s'est soldée par le dépôt d'un rapport le 15 mai 2020 96. Après s'être notamment penché sur des enjeux de nature linguistique, le Comité a recommandé :
Ce comité s'est à nouveau penché sur l'interprétation simultanée et les défis découlant de la tenue de séances virtuelles ou hybrides au Parlement dans un rapport déposé en juillet 2020. Il a notamment proposé d'adopter des normes pour éviter que les interprètes ne subissent des blessures et de la fatigue, et de faire rapport sur les accidents liés à ce nouveau contexte de travail 97.
Malgré les ajustements apportés aux pratiques d'interprétation, des problèmes ont perduré, ce qui a amené le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes à étudier de plus près les défis que doivent relever les interprètes dans le contexte de la pandémie de COVID‑19. Dans un rapport publié en mai 2021, ce comité a proposé des améliorations aux procédures et à l'équipement utilisé afin d'assurer, en tout temps, un service d'interprétation simultanée de qualité dans les deux langues officielles, dans un environnement de travail sécuritaire pour les interprètes 98. En février 2022, le syndicat qui représente ces derniers a porté plainte contre le Bureau de la traduction en leur nom 99.
En mai 2012, la députée Alexandrine Latendresse a déposé le projet de loi d'initiative parlementaire C‑419, qui a mené à l'adoption de la Loi sur les compétences linguistiques (LCL), qui a reçu la sanction royale en juin 2013 100. La LCL impose comme condition préalable à la nomination de personnes à des postes importants qui relèvent du Parlement – à savoir ceux des hauts fonctionnaires du Parlement (aussi appelés « agents du Parlement ») – la capacité de parler et de comprendre clairement les deux langues officielles. Selon l'article 2 de la LCL, cette condition préalable à la nomination est obligatoire pour les postes suivants :
Le projet de loi a été débattu au Parlement à la suite de la nomination de Michael Ferguson – unilingue anglophone au moment de sa nomination – à titre de vérificateur général du Canada. En effet, selon Mme Latendresse, le titulaire d'un poste de haut fonctionnaire du Parlement doit pouvoir « communiquer dans les deux langues pour pouvoir exercer correctement ses fonctions 102 ». Le commissaire aux langues officielles du Canada de l'époque, M. Graham Fraser, lui‑même un haut fonctionnaire du Parlement lors du dépôt du projet de loi, a fait part de son appui devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles :
Ce qui est important concernant les agents du Parlement, c'est qu'ils ont des obligations directes avec les parlementaires. Il est donc très important que les parlementaires puissent être compris dans la langue de leur choix 103.
Cette idée du respect des droits linguistiques des parlementaires a fait son chemin ailleurs au Canada. Dans son rapport annuel 2014‑2015, l'ancienne commissaire aux langues officielles du Nouveau‑Brunswick, Mme Katherine d'Entremont, a affirmé que l'Assemblée législative de sa province devrait « suivre l'exemple du Parlement canadien qui a adopté en juin 2013 la Loi concernant les compétences linguistiques 104 ». En effet, dans son rapport, elle a recommandé que l'Assemblée législative du Nouveau‑Brunswick adopte une loi établissant, comme condition préalable à la nomination à un poste d'agent de l'Assemblée législative, la capacité de parler et de comprendre les deux langues officielles 105.
En 2016, le gouvernement fédéral a mis en œuvre une nouvelle approche à l'égard de l'ensemble des nominations par le gouverneur en conseil, et non seulement celle des hauts fonctionnaires du Parlement. Les processus de sélection, que le gouvernement décrit comme « ouverts, transparents et fondés sur le mérite », se veulent représentatifs de la diversité canadienne sur le plan linguistique et exigent des candidats qu'ils fournissent de l'information sur leur degré de maîtrise de leur seconde langue officielle 106.
En 2019 et 2021, des demandes ont été faites pour élargir la portée de la LCL dans le contexte de la modernisation de la LLO, d'une part, et de l'impact de la pandémie de COVID‑19 sur la capacité du gouvernement fédéral de fournir des services dans les deux langues officielles, d'autre part 107. Le 24 novembre 2021, un projet de loi d'intérêt public a été déposé au Sénat pour ajouter le poste de gouverneur général à la liste des postes énumérés à l'article 2 de la LCL 108. Le 1er décembre 2021, un projet de loi similaire a été déposé au Sénat, cette fois pour ajouter le poste de lieutenant‑gouverneur du Nouveau‑Brunswick à cette même liste 109.
Les dispositions constitutionnelles et législatives qui portent sur l'emploi des deux langues officielles au Parlement visent une panoplie d'activités parlementaires telles que les débats, les travaux, le processus législatif et divers documents parlementaires. Ces dispositions font du Parlement une institution accessible à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes d'expression française et anglaise.
Ces dernières années, le Sénat et la Chambre des communes ont également ouvert la porte à la reconnaissance d'autres langues, en prenant des mesures pour encadrer l'usage des langues autochtones. En faisant la promotion de pratiques exemplaires en matière linguistique, le Parlement incarne le modèle d'une institution accessible à l'ensemble de la société canadienne.
Le nombre d'interprètes au service du Parlement a connu une hausse à la suite de l'injection, annoncée dans le budget de 2017, d'un montant additionnel de 7,5 millions de dollars par année pour « veiller à ce que les parlementaires, ainsi que tous les Canadiens, continuent d'être servis dans la langue officielle de leur choix ». Voir Ministère des Finances Canada, Bâtir une classe moyenne forte (3,0 Mo, 324 pages), budget de 2017, p. 221.
[ Retour au texte ]Dans le budget de 2021, le gouvernement fédéral a pris d'autres engagements pour soutenir les services de traduction et d'interprétation, soit des investissements additionnels de 18 millions de dollars sur deux ans destinés au Bureau de la traduction afin de répondre aux demandes croissantes dans l'ensemble de l'appareil gouvernemental. Il est cependant impossible de savoir si une portion de ce montant sera réservée aux services offerts au Parlement. Voir Gouvernement du Canada, « Chapitre 10 : Gouvernement responsable », Une relance axée sur les emplois, la croissance et la résilience, budget de 2021.
[ Retour au texte ]Cette pratique a été instaurée au cours de la 2e session de la 43e législature par certains comités seulement. Voir, par exemple, LANG, Procès‑verbal, 11 mars 2021.
[ Retour au texte ]Le Bureau de la traduction peut répondre à la demande dans une cinquantaine de langues ou dialectes autochtones selon les contrats actuellement en place. Les langues autochtones les plus demandées auprès du Bureau de la traduction sont le cri des plaines, le mohawk, l'ojibway, le désuline, le nunavik et l'inuktitut. Les services au Parlement sont assurés par des interprètes pigistes, selon la demande.
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