Au sein de la population canadienne, les points de vue diffèrent sur ce qui constitue un contact physique approprié dans le contexte de l’éducation de l’enfant. Ces divergences ont donné lieu à des débats sur les comportements qui mériteraient d’être interdits en raison du préjudice qu’ils causent.
Au Canada, le crime d’agression est largement défini. Selon les circonstances, tout contact non consensuel peut être considéré comme une agression et entraîner des sanctions pénales.
L’article 43 du Code criminel offre aux parents ainsi qu’aux enseignants et enseignantes un moyen de se défendre contre les poursuites en les autorisant explicitement à utiliser une force raisonnable à l’égard d’un enfant. En 2004, la Cour suprême du Canada a interprété cette disposition afin d’en établir la portée. En conséquence de cette décision, il est interdit d’utiliser la force physique pour corriger les adolescents et les enfants de moins de deux ans, d’utiliser des objets – comme une règle ou une ceinture – pour corriger un enfant de tout âge, ou de taper la tête d’un enfant de tout âge. En outre, le personnel enseignant ne peut employer la force pour punir un enfant, mais peut employer une force raisonnable pour, par exemple, sortir un élève d’une salle de classe ou lui faire respecter des consignes.
Au cours des dernières décennies, des organisations de la société civile et le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies ont demandé au Canada d’abroger entièrement l’article 43, soutenant que la disposition est inutilement large et que des enfants en subissent des préjudices. Nombre de pays ont apporté de telles modifications législatives pour interdire toute forme de châtiment corporel.
Plusieurs projets de loi visant à abroger l’article 43 ont été présentés au Parlement. Si l’article était abrogé, d’autres arguments de défense et le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites pourraient assurer la protection des parents et des enseignants qui emploient une force physique non préjudiciable dans des circonstances raisonnables. Des débats sont en cours sur l’applicabilité et la portée de ces arguments de défense et du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.
L’article 43 du Code criminel, qui offre expressément un moyen de défense aux parents ainsi qu’aux enseignants et enseignantes s’ils utilisent une force raisonnable pour corriger un enfant, est une disposition controversée du droit criminel canadien.
Au cours des dernières décennies, on a assisté à l’essor d’un mouvement réclamant que l’on mette fin à toute forme de châtiment corporel à l’égard des enfants et des jeunes au Canada, y compris par l’abrogation de l’article 43. Des mesures législatives demandant l’abrogation de cet article ont été présentées à la Chambre des communes et au Sénat pas plus tard qu’en 2022.
D’autres soutiennent – tout en reconnaissant que les abus sont injustifiables – qu’un châtiment corporel mineur est acceptable dans certaines circonstances et que personne ne devrait faire l’objet de poursuites criminelles pour avoir infligé des mesures disciplinaires dans un but éducatif.
Le présent document examine le fond de l’article 43 et l’interprétation qu’en a fait la Cour suprême du Canada, en 2004, alors qu’une majorité de ses juges ont maintenu la validité constitutionnelle de cette disposition. On y analyse ensuite les propositions antérieures visant l’abrogation de cet article et les conséquences d’une telle mesure sur le plan juridique, compte tenu de la définition que donne le Code criminel du Canada de la notion de « voies de fait » et de la possibilité d’invoquer des moyens de défense reconnus en common law. Enfin, le document donne un aperçu de l’opinion de la population canadienne au sujet de l’abrogation de l’article 43, des travaux de recherche sur les répercussions des châtiments corporels et des points de vue sur la question ailleurs dans le monde.
L’article 43 du Code criminel dispose que :
Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances 1.
Ce moyen de défense fondé sur la « correction légitime » ou le « châtiment raisonnable » est apparu dans la première version du Code criminel, en 1892. La teneur de la disposition a très peu changé depuis, à l’exception de la mention des patrons et des apprentis, qui a été supprimée 2.
Le 30 janvier 2004, la Cour suprême du Canada a rendu publique sa décision dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général) 3. Elle devait déterminer si l’article 43 était inconstitutionnel.
Six des neuf juges ont conclu que le texte de loi ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) parce qu’il ne porte atteinte ni au droit des enfants à la sécurité (art. 7) et à l’égalité (art. 15) ni à leur droit d’être protégés contre des traitements ou peines cruels et inusités (art. 12).
Les trois autres juges ont émis chacun une opinion dissidente fondée sur des motifs distincts.
Dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, la majorité des juges de la Cour suprême ont confirmé la constitutionnalité de l’article 43 au motif que la protection qu’il procure ne s’applique qu’aux parents, aux enseignants et aux personnes qui remplissent toutes les obligations des parents. Qui plus est, les juges ont fait remarquer que l’article n’exclut pas la possibilité d’une sanction criminelle si la force est utilisée pour d’autres raisons que l’éducation ou la correction, et qu’il limite le type et le degré de force pouvant être employés.
Les juges ont déclaré que l’expression « pour corriger », à l’article 43, signifie qu’il faut que l’emploi de la force soit réfléchi et modéré, qu’il réponde au comportement réel de l’enfant et qu’il vise à contrôler le comportement, à maîtriser l’enfant ou encore à exprimer une désapprobation symbolique. Ils ont ajouté que l’enfant doit être en mesure de comprendre la correction et d’en tirer profit, ce qui veut dire que l’article 43 ne justifie pas l’emploi de la force à l’égard d’enfants de moins de deux ans ou d’enfants ayant certaines incapacités.
Les juges ont également précisé que l’expression « raisonnable dans les circonstances », à l’article 43, signifie que la force doit être passagère et négligeable, et qu’elle ne doit pas avoir d’effet préjudiciable ni dégradant sur l’enfant. Selon eux, l’idée est de corriger l’enfant en tenant compte des circonstances plutôt que de la gravité de son comportement répréhensible. Selon la décision, l’expression laisse entendre également que la force ne doit pas être utilisée contre des adolescents, car cela risquerait de déclencher un comportement agressif ou antisocial. Elle ne doit pas non plus être appliquée au moyen d’objets comme une règle ou une ceinture et ne doit pas toucher la tête.
Enfin, la majorité des juges ont conclu que bien que l’imposition de châtiments corporels ne soit pas raisonnable dans le contexte scolaire, les enseignants peuvent employer la force pour expulser un enfant de la classe ou faire respecter les directives.
Dans son opinion dissidente, le juge Ian Binnie a conclu que l’article 43 viole le droit des enfants à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte. Il a fait remarquer toutefois que cette atteinte est justifiée par l’article premier comme étant raisonnable dans une société libre et démocratique, quoiqu’uniquement dans le cas des parents et des personnes qui les remplacent. Le juge Binnie a conclu également que comme la justification repose sur le respect du milieu familial, dans lequel la force est limitée et est employée à des fins de correction dans l’exercice d’importantes responsabilités parentales, il n’y a pas lieu d’élargir aux enseignants la protection prévue aux termes de l’article 43.
La juge Louise Arbour, également dissidente, considérait l’article 43 flou d’un point de vue constitutionnel et, par conséquent, elle a estimé qu’il portait atteinte à la sécurité des enfants et qu’il n’était pas conforme aux principes de justice fondamentale, selon ce qui est prévu à l’article 7 de la Charte. Invoquant l’absence de consensus judiciaire sur ce qui constitue une force « raisonnable dans les circonstances », la juge a conclu que l’article 43 ne pouvait donner d’indications claires ni aux parents, ni aux enseignants, ni aux responsables de l’application de la loi.
La juge Marie Deschamps, qui a exprimé la troisième opinion dissidente, a dit que l’article 43 contrevient à l’article 15 de la Charte parce qu’il « encourage l’opinion selon laquelle les enfants ne méritent pas la même protection ni le même respect de leur intégrité physique que les adultes, opinion qui est fondée sur l’idée désuète que les enfants sont des personnes de statut inférieur 4 ». La juge Deschamps a déclaré que bien que l’exercice d’une latitude raisonnable dans l’éducation des enfants soit un objectif valide, une disposition qui justifie l’emploi d’une force qui n’est pas très légère porte atteinte d’une façon injustifiable aux droits des enfants. Pour ces motifs, la juge Deschamps aurait invalidé l’article 43 autant pour les parents que pour les enseignants.
En 1984, la Commission de réforme du droit du Canada a recommandé l’abrogation de l’article 43 comme moyen de défense dans le cas du personnel enseignant 5. La majorité des membres de la Commission ont préconisé le maintien de l’article 43 dans le cas des parents, principalement pour éviter que le droit criminel ne s’immisce indûment dans la vie des familles à la moindre gifle, tape ou fessée 6.
Vingt ans plus tard, dans un rapport sur les droits des enfants au Canada, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne préconisait l’abrogation de l’article 43 et soulignait la nécessité de lancer une campagne d’éducation destinée au public sur les effets négatifs des châtiments corporels. Le Comité recommandait également que des recherches soient entreprises sur des méthodes disciplinaires différentes et demandait que le ministère de la Justice détermine si les moyens de défense existants de la common law devaient être expressément accessibles aux personnes accusées d’agression contre un enfant 7.
Plus récemment, en 2015, le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé à mettre en œuvre 8 les 94 appels à l’action, dont un concerne l’abrogation de l’article 43, lancés par la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) 9. Cet appel à l’action reposait sur des preuves documentaires montrant le recours généralisé aux châtiments corporels et aux mauvais traitements par le personnel des pensionnats autochtones. La CVR soulignait :
Cette incapacité à instaurer une discipline adéquate et à contrôler la façon dont elle est appliquée, envoie un message tacite, à savoir qu’il n’y a pas vraiment de limites à ce qu’on peut faire subir aux enfants autochtones dans les pensionnats. Très vite on en est venus aux abus physiques et sexuels à l’endroit des élèves, et au fil du temps le système ne s’est jamais vraiment amélioré 10.
Ces appels à une réforme ont été accompagnés, ces dernières décennies, de nombreuses tentatives législatives visant à interdire les châtiments corporels. Ces tentatives ont principalement pris la forme de projets de loi d’initiative parlementaire présentés à la Chambre des communes ou de projets de loi d’intérêt public présentés au Sénat, les plus récents l’ayant été en 2022 11.
Si l’article 43 était abrogé, les dispositions du Code criminel portant sur les voies de fait s’appliqueraient aux personnes qui emploient la force contre un enfant sans son consentement. Il ne serait ainsi plus possible, pour les parents, les enseignants et les tuteurs, d’invoquer un moyen de défense prévu par la loi, notamment celui fondé sur le « châtiment raisonnable ». Comme l’article 265 du Code criminel interdit l’emploi de la force sans consentement et que l’article 279 interdit de séquestrer quelqu’un sans autorisation légitime, certains ont dit craindre que l’abolition du moyen de défense qu’offre l’article 43 ait pour effet de criminaliser la conduite des parents pour des gestes qui ne sont pas généralement considérés comme un châtiment corporel, par exemple ceux consistant à immobiliser un enfant récalcitrant dans un siège d’auto, à le prendre pour le mettre au lit quand il refuse de se coucher ou à le maîtriser physiquement pour le protéger d’une situation dangereuse 12.
De tels faits et gestes pourraient se défendre en invoquant les principes de la common law, dont il est question à la section 5.2 du présent document. En outre, les responsables de l’application de la loi peuvent, en pratique, exercer leur pouvoir discrétionnaire et ne pas intenter de poursuite. Par exemple, bien que les lignes directrices particulières varient selon la province, les procureurs de la Couronne doivent déterminer s’il est dans l’intérêt public de porter des accusations, en tenant compte de facteurs comme la gravité de l’incident 13. On pourrait comparer l’emploi de la force à diverses formes de contacts non consentis entre adultes qui constituent des voies de fait aux yeux de la loi mais à l’égard desquels on applique d’autres moyens, comme l’éducation du public et l’instauration de politiques en milieu de travail. On pourrait aussi, à l’étape de la détermination de la peine, définir différents degrés de culpabilité, selon la gravité de l’infraction.
Une façon d’éviter que la conduite des parents puisse être, à partir d’un certain point, criminalisée si l’article 43 était abrogé serait de prévoir une disposition, dans l loi, confirmant qu’il est permis d’employer une force raisonnable à des fins de protection. Cette force pourrait être utilisée, par exemple, pour éviter une menace ou un danger immédiats, empêcher un enfant de commettre une infraction ou « réaliser les tâches quotidiennes normales faisant partie des soins et du rôle des parents 14 ».
Comme indiqué précédemment, si la défense de châtiment raisonnable prévue à l’article 43 était supprimée, il resterait les moyens de défense reconnus par la common law 15. Le moyen de défense fondé sur la nécessité, reconnu en common law, exclut la responsabilité criminelle dans les situations d’urgence impliquant une conduite involontaire pour se protéger ou protéger autrui. Comme ce moyen de défense repose sur le caractère véritablement involontaire d’une action, il est interprété de façon restrictive 16. Trois éléments doivent être réunis :
Bien que ce moyen de défense puisse être invoqué par un père ou une mère qui a empêché son enfant de sortir dans la rue en courant, il ne pourrait pas l’être par un père ou une mère qui, avant ou après réflexion, frappe un enfant qui se conduit mal.
Le moyen de défense fondé sur le principe de minimus 17 est un autre moyen de défense de common law qui protège contre une sanction dans le cas d’une violation anodine de la loi ou d’une simple violation de forme. Le principe de minimus peut être invoqué si l’on peut considérer que l’infraction est sans gravité et que la personne contrevenante ne mérite pas de sanction pénale. Il est plus efficace que le moyen de défense fondé sur la nécessité quand il s’agit de protéger les parents et les tuteurs contre des condamnations au criminel qui résulteraient d’une forme légère de châtiment corporel. Cependant, il pourrait être moins accessible aux enseignants, puisque la société accepte de moins en moins les châtiments corporels à l’école. Par ailleurs, le débat entre juristes se poursuit sur l’opportunité et la façon d’appliquer le principe de minimus dans le contexte de l’infraction d’agression 18.
Enfin, la défense de consentement présumé donne à penser que les parents et les gardiens n’assument aucune responsabilité criminelle à l’égard des tâches parentales habituellement accomplies pour le bien-être de l’enfant, comme faire faire le rot au nourrisson, changer sa couche ou le transporter 19. Cependant, la portée complète de ce moyen de défense est mal définie parce qu’il est rare que des accusations soient portées contre des parents dans des situations où la défense de consentement présumé 20 serait applicable. Si l’article 43 est abrogé, il est possible que les limites de ce moyen de défense se précisent dans la jurisprudence.
Conformément à leurs pouvoirs législatifs en matière d’éducation et de protection de l’enfance, certaines provinces et certains territoires interdisent déjà explicitement les châtiments corporels dans les écoles, les garderies et les familles d’accueil 21. En 1994, le Québec a retiré toute mention du « droit de correction » de son Code civil 22. Cependant, au Canada, les lois sur la question manquent de cohérence. Si le Parlement abrogeait l’article 43 en se prévalant du pouvoir qu’il exerce en droit criminel, les châtiments corporels contre les enfants deviendraient illégaux dans l’ensemble des provinces et des territoires du Canada. Les lois provinciales ou territoriales non conformes devraient céder le pas à la loi fédérale qui prédomine. L’abrogation de l’article 43 favoriserait ainsi la cohérence du cadre juridique canadien.
La question de savoir si les parents devraient être autorisés à appliquer des châtiments corporels à leurs enfants divise au Canada. Une enquête nationale réalisée en 2003 23 a révélé qu’une forte majorité de répondants (69 %) étaient favorables à la suppression de l’article 43 du Code criminel pour les enseignants. Cependant, ils étaient moins nombreux (51 %) à appuyer le retrait de ce droit aux parents. Il est ressorti de la même enquête que les répondants seraient plus favorables à la suppression de l’article 43 si des lignes directrices étaient établies pour empêcher des poursuites en cas de légères gifles, tapes ou fessées (60 %), si des études montraient que les punitions corporelles sont inefficaces, voire préjudiciables (61 %), ou si des études montraient que l’abrogation de l’article 43 aurait pour effet de diminuer les abus (71 %).
Partant d’un échantillon plus petit de la population, un sondage mené auprès de jeunes adultes sans enfant en 2012 a révélé que 46 % d’entre eux étaient favorables à l’abrogation de l’article 43 si des lignes directrices permettaient d’empêcher de poursuivre les parents qui donnent de légères gifles, tapes ou fessées, tandis que 26 % des répondants étaient contre l’abrogation de cet article, et 17 % manifestaient des « attitudes favorables » à l’égard de la fessée 24.
De même, un sondage réalisé en 2016 par l’Institut Angus Reid au sujet des valeurs morales a révélé que 57 % des Canadiens considèrent que le fait de frapper un enfant est toujours ou généralement moralement inacceptable, tandis que 32 % trouvent que c’est toujours ou généralement moralement acceptable 25.
Néanmoins, selon une enquête de 2018 réalisée en ligne par Research Co. auprès de 1 000 adultes, 74 % des Canadiens croient que les parents devraient être autorisés à corriger physiquement leurs enfants et 43 % croient que les enseignants devraient y être autorisés 26.
Au Canada, plus de 650 organisations soutiennent que les châtiments corporels infligés aux enfants et aux adolescents ne sont d’aucune utilité éducative et demandent que la protection qui est accordée aux Canadiens adultes en matière d’agression soit étendue aux enfants et aux adolescents 27. Inversement, d’autres groupes appuient la protection que l’article 43 offre aux parents et soutiennent que ces derniers doivent être libres de choisir la manière de corriger leurs enfants, à condition de procéder de façon juste et raisonnable, mais jamais excessive 28.
De plus en plus d’études indiquent que les châtiments corporels ont un effet préjudiciable sur les enfants 29. Selon ces études, ils peuvent entraîner des blessures corporelles, de mauvais traitements, une détérioration de la santé mentale, un affaiblissement du lien parent-enfant, un comportement agressif et antisocial plus fréquent chez les enfants ainsi qu’un risque accru de comportement violent et criminel à l’âge adulte. Cependant, ces résultats sont contestés par d’autres chercheurs. Les deux principaux arguments invoqués sont, premièrement, que les études sur les effets négatifs des châtiments corporels ne marquent pas suffisamment bien la distinction entre le châtiment corporel et la violence physique et, deuxièmement, que les recherches n’arrivent pas à déterminer si les effets négatifs associés aux châtiments corporels ont vraiment pour cause les châtiments corporels 30.
Selon les données autodéclarées sur les expériences vécues par les Canadiens pendant l’enfance 31, environ 54 % des femmes et 56 % des hommes se sont fait donner une fessée ou une tape sur la main par un parent ou un gardien pendant l’enfance. De plus, environ 22 % des femmes et 25 % des hommes ont subi des mauvais traitements physiques pendant l’enfance, ce qui comprend, par exemple, se faire donner des coups de pied, se faire pousser, se faire étrangler ou brûler, ou se faire frapper au visage, à la tête ou aux oreilles par un adulte. La plupart des Canadiens ayant vécu de la violence physique ont déclaré que les actes les plus graves avaient été commis par un parent ou un beau-parent (73 % des femmes et 66 % des hommes) et, dans une plus faible proportion, par un enseignant, un professeur ou un tuteur (3,5 % des femmes et 9,2 % des hommes) 32.
Enfin, certains groupes sont plus susceptibles d’avoir subi des mauvais traitements pendant l’enfance, y compris les personnes 2SLGBTQI+, les membres des Premières Nations et les Métis ainsi que les personnes ayant une incapacité 33.
En 1991, le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies. L’article 19 de cette convention veille à la protection des enfants contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales 34. Réagissant aux rapports du Canada relativement aux mesures qu’il a prises pour se conformer à la Convention, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a recommandé à plusieurs reprises l’interdiction des châtiments corporels à l’égard des enfants et l’abrogation de l’article 43 35. Le Canada a récemment répondu qu’il « cherche la meilleure façon de répondre à l’appel à l’action no 6 de la CVR visant l’abrogation de l’article 43 du Code criminel 36 ».
Parallèlement, des conventions internationales reconnaissent l’intégrité du noyau familial et précisent que la responsabilité d’élever les enfants et d’assurer leur développement incombe au premier chef aux parents 37. En outre, dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada ont tenu compte de la Convention relative aux droits de l’enfant et ont conclu qu’elle n’exige pas explicitement que les États parties interdisent le recours aux châtiments corporels pour corriger les enfants 38.
Alors que 196 pays avaient ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, en janvier 2023, ils étaient moins nombreux – 65 – à avoir interdit complètement les châtiments corporels à la maison et à l’école. D’autres pays, ou des gouvernements à l’intérieur de ces pays, ont adopté des lois qui proscrivent l’emploi de certains types de force ou de la force dans certains contextes. En effet, le nombre d’États ayant instauré de telles interdictions a fortement augmenté au cours des deux dernières décennies 39.
Quoi qu’il en soit, certains des pays qui ont interdit les châtiments corporels l’ont fait par des dispositions prévues en droit familial et civil, réservant les accusations de « voies de fait » pour des conduites plus graves 40. Comme c’est expliqué à la section 5.1 du présent document, étant donné que dans le Code criminel du Canada la notion de voies de fait repose sur la nature non consensuelle du contact, le risque d’étendre la portée des dispositions pénales pourrait être plus grand si on élimine les moyens de défense prévus à l’article 43, même s’il est possible de régler cette question en donnant d’autres assurances dans la loi.
En général, qu’on soit d’un camp ou de l’autre, dans ce débat, on s’entend pour dire qu’il faut protéger les enfants contre les blessures et les sévices. Le désaccord porte sur les effets de châtiments corporels mineurs et sur la pertinence de recourir au droit criminel pour mettre en application un point de vue particulier à l’égard de ce qui est approprié en matière d’éducation des enfants.
Certains croient que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre et les moyens de défense reconnus par la common law continueront d’empêcher que des gens soient accusés ou reconnus coupables d’avoir donné de simples gifles, tapes ou fessées, ou bien d’avoir immobilisé un enfant de force pour le protéger. D’autres craignent que les parents n’aient à faire face à l’intervention de voisins ou de passants, à des enquêtes policières, voire à l’emprisonnement, pour avoir imposé un châtiment mineur à leur enfant ou pour avoir momentanément fait une erreur de jugement somme toute anodine.
Les lois visant le bien-être et la protection des enfants ont une certaine efficacité en matière de prévention et de détection des abus. En outre, plusieurs campagnes publiques de sensibilisation incitent les parents à ne pas recourir aux châtiments corporels, même mineurs, pour corriger leurs enfants 41. Compte tenu de cette évolution, les partisans de l’abrogation de l’article 43 soutiennent que cette disposition envoie un message ambivalent et laisse entendre qu’il peut être acceptable de frapper un enfant. Cependant, les opposants à la suppression de l’article 43 du Code criminel craignent que l’abrogation de cette disposition n’envoie le message contraire, à savoir que le moindre contact physique ou le simple fait d’immobiliser un enfant ne donne lieu à des poursuites criminelles et à des condamnations.
Comme c’est le cas pour de nombreuses questions sociales, on ne semble guère s’entendre, au Canada, sur l’acceptabilité de l’article 43, une situation qui se reflète également dans les divergences de vues sur cette question exprimées par la Cour suprême du Canada et le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies.
D’autres projets de loi semblables avaient déjà été présentés. Voir Projet de loi C‑305, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), 35e législature, 2e session; Projet de loi S‑14, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Santé (sécurité de l’enfant), 35e législature, 2e session; Projet de loi C‑368, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Santé (sécurité de l’enfant), 36e législature, 1re session; Projet de loi C‑329, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), 37e législature, 1re session; Projet de loi S‑21, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), 38e législature, 1re session; Projet de loi S‑207, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), 39e législature, 1re session; Projet de loi S‑209, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), 39e législature, 2e session; Projet de loi S‑209, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), 40e législature, 2e session; Projet de loi S‑204, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), 40e législature, 3e session; Projet de loi S‑214, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), 41e législature, 1re session; Projet de loi S‑206, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants contre la violence éducative ordinaire), 41e législature, 2e session; et Projet de loi S‑206, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants contre la violence éducative ordinaire), 42e législature, 1re session.
[ Retour au texte ][ Retour au texte ]19(1) Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
En réponse aux rapports les plus récents du Canada, le Comité a déclaré qu’il notait avec une profonde préoccupation que les châtiments corporels sont tolérés par la loi dans l’État partie en vertu de l’article 43 du Code criminel :
[ Retour au texte ]45. Le Comité prie instamment l’État partie d’abroger l’article 43 du Code criminel de manière à supprimer l’autorisation existante de l’emploi de la « force de manière raisonnable » pour corriger les enfants et d’interdire expressément toutes les formes de violence, même légères, contre les enfants de tous les groupes d’âge dans la famille, les écoles et les autres institutions où les enfants peuvent être placés. En outre, il lui recommande :
a) De renforcer et développer les mesures de sensibilisation aux autres formes de discipline destinées aux parents, au public, aux enfants et aux professionnels et de promouvoir le respect des droits de l’enfant, avec la participation des enfants, tout en sensibilisant les intéressés aux conséquences préjudiciables des châtiments corporels;
b) D’assurer la formation de tous les professionnels travaillant avec des enfants, notamment les juges, les policiers, les personnels de santé, les travailleurs sociaux et le personnel des services de protection de l’enfance ainsi que les professionnels de l’éducation afin qu’ils puissent reconnaître, prendre en charge et signaler rapidement tous les cas de violence contre les enfants.
En outre, aux termes du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, « [u]ne protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille, qui est l’élément naturel et fondamental de la société, en particulier pour sa formation et aussi longtemps qu’elle a la responsabilité de l’entretien et de l’éducation d’enfants à charge ». Voir Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, par. 10(1).
De plus, la Convention relative aux droits de l’enfant dispose : « La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. » Voir Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, par. 18(1).
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