Au Canada, tous les citoyens sont assujettis aux lois ordinaires d'application générale, tant au criminel qu'au civil. Les parlementaires ne bénéficient d'aucune exemption, d'aucune immunité, ni d'aucun droit spécial se rattachant à leurs fonctions parlementaires, sauf dans le cadre de l'application du privilège parlementaire 1 étroitement défini.
L'accusation ou la déclaration de culpabilité de conduite criminelle à l'endroit d'un sénateur ou d'un député soulève immanquablement des questions au sujet des répercussions de l'accusation ou de la déclaration de culpabilité sur le droit de ce parlementaire de continuer à siéger au Sénat ou à la Chambre des communes.
De manière générale, une « accusation » de conduite criminelle à l'endroit d'un sénateur ou d'un député n'a pas de conséquences juridiques directes sur le droit de ce dernier d'exercer ses fonctions, à l'exception d'une procédure applicable aux sénateurs dans certaines situations. Dans le cas d'une « déclaration de culpabilité » relative à une infraction criminelle, les répercussions sont plus marquées sur le plan juridique tant en ce qui concerne le droit d'un parlementaire d'occuper son siège que son éligibilité future. Dans tous les cas, les deux chambres du Parlement conservent le pouvoir d'expulser un membre, et ce, peu importe s'il a été reconnu coupable d'une infraction criminelle.
La présente publication aborde les mesures qui peuvent être prises par le Sénat et la Chambre des communes au moment où des accusations de nature criminelle sont déposées à l'encontre d'un parlementaire, les répercussions d'une déclaration de culpabilité de conduite criminelle et le pouvoir d'expulsion en vertu du privilège parlementaire.
Bien que la législation ne prévoie pas de conséquences automatiques à la suite du dépôt d'accusations criminelles à l'encontre d'un sénateur ou d'un député, les deux chambres du Parlement peuvent prendre des mesures disciplinaires à titre préventif afin de protéger leur intégrité et leur dignité.
Ainsi, le Sénat et la Chambre des communes sont habilités à ordonner le congé ou la suspension de leurs membres pour une période pouvant s'étendre à la durée d'une session parlementaire 2. Il n'est pas nécessaire que des accusations de nature criminelle aient été déposées pour qu'un parlementaire soit mis en congé ou suspendu. Depuis sa création, le Sénat a ordonné deux congés et a suspendu quatre sénateurs 3. En revanche, il n'existe aucun précédent de suspension d'un membre de la Chambre des communes en raison d'accusations de conduite criminelle.
Au Sénat, il existe une procédure automatique qui s'applique lorsqu'un sénateur est accusé d'une infraction criminelle pour laquelle il peut être poursuivi par mise en accusation. En vertu du Règlement du Sénat 4, un sénateur qui se retrouve dans cette situation se voit accorder un « congé » avec solde au cours duquel il ne peut pas participer aux séances du Sénat ou à des réunions de comités. Ce congé prend fin lorsque l'une des conditions suivantes est remplie :
Cette procédure a été utilisée dans le cas du sénateur Raymond Lavigne. Ce dernier a été expulsé du caucus du Parti libéral en juin 2006 pour avoir supposément utilisé des fonds du Sénat à des fins personnelles. Saisie du dossier par le Sénat, la Gendarmerie royale du Canada a mené une enquête à l'issue de laquelle M. Lavigne a été accusé de fraude de plus de 5 000 $, d'abus de confiance et d'entrave à la justice. À la suite du dépôt des accusations, le sénateur Lavigne a été mis en congé en conformité avec la procédure prévue au Règlement du Sénat 6. Il n'a donc pas pu siéger au Sénat ni participer aux délibérations des comités durant son procès.
Le 11 mars 2011, la Cour supérieure de l'Ontario a reconnu M. Lavigne coupable de fraude de plus de 5 000 $ et d'abus de confiance 7 et ce dernier a démissionné du Sénat le 21 mars 2011. Il a été condamné à une peine de six mois d'emprisonnement et de six mois d'assignation à résidence 8.
Une telle procédure de mise en congé automatique n'existe pas à la Chambre des communes.
La Loi constitutionnelle de 1867 9, la Loi électorale du Canada (LEC) 10, ainsi que le Règlement du Sénat prévoient des règles qui s'appliquent automatiquement lorsque des sénateurs ou des députés sont déclarés coupables de certaines accusations de nature criminelle. De manière générale, il existe deux catégories de conséquences juridiques : celles qui portent sur le droit du parlementaire d'occuper son siège et celles qui portent sur son éligibilité à occuper un siège au Parlement.
Il existe quelques dispositions juridiques qui traitent expressément des conséquences d'une déclaration de culpabilité sur la capacité d'un parlementaire d'occuper son siège.
Une de ces dispositions est le paragraphe 750(1) du Code criminel 11, qui s'applique aux sénateurs et aux députés, et qui prévoit que :
Tout emploi public, notamment une fonction relevant de la Couronne, devient vacant dès que son titulaire a été déclaré coupable d'un acte criminel et condamné en conséquence à un emprisonnement de deux ans ou plus.
Les parlementaires qui tombent sous le coup de cet article perdent donc leur siège automatiquement. Le seul exemple d'une telle situation remonte à 1946 : après la déclaration de culpabilité du député Fred Rose et sa condamnation à une peine de six ans d'emprisonnement, la Chambre a déclaré son siège vacant et ordonné la tenue d'élections dans sa circonscription 12.
Il convient de souligner que l'article 750 du Code criminel s'applique seulement aux cas dans lesquels un sénateur ou un député est déclaré coupable d'un acte criminel et condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. Par conséquent, cette disposition ne s'applique pas si un parlementaire est accusé d'une infraction punissable par procédure sommaire, ou d'un acte criminel passible d'une peine d'emprisonnement maximal de moins de deux ans. Si un parlementaire est accusé d'une infraction mixte (pour laquelle la Couronne peut décider de procéder par procédure sommaire ou par acte d'accusation) et la Couronne choisit l'acte d'accusation, c'est la sentence prononcée et non la peine potentielle qui est prise en compte.
Par ailleurs, l'article 502 de la LEC prévoit d'autres situations dans lesquelles une déclaration de culpabilité entraîne automatiquement la perte du droit de siéger à la Chambre des communes. Ainsi, aux termes du paragraphe 502(3), toute personne reconnue coupable des actes illégaux énumérés au paragraphe 502(1) (par exemple, dépasser sciemment le plafond de dépenses électorales) ou des manœuvres frauduleuses énumérées au paragraphe 502(2) (par exemple, faire une fausse déclaration destinée à faire radier une personne du registre des électeurs) devient inhabile à siéger à la Chambre des communes pendant cinq ans (dans le cas d'un acte illégal) ou sept ans (dans le cas d'une manœuvre frauduleuse).
En ce qui concerne le Sénat, le Règlement du Sénat prévoit qu'un sénateur déclaré coupable d'une infraction criminelle par mise en accusation est automatiquement suspendu dès le prononcé de la sentence (par. 15‑5(1)) et il cesse de recevoir une indemnité de session (par. 15‑3(1)), sauf s'il reçoit une absolution 13. La suspension prend fin lorsque l'une des conditions suivantes est remplie :
L'article 31 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit d'autres cas dans lesquels le siège d'un sénateur devient vacant : faillite, absence durant deux sessions consécutives du Parlement, déclaration de culpabilité de trahison ou encore « de félonie, ou [de tout autre] crime infamant ». Jusqu'à maintenant, aucun siège au Sénat n'a été déclaré vacant au motif qu'un sénateur a été déclaré coupable de trahison, de félonie ou de crime infamant. Il existe donc une incertitude quant aux infractions criminelles visées par ces expressions. L'article 33 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit toutefois qu'il revient au Sénat de faire cette détermination et non aux tribunaux.
Le fait qu'un parlementaire ait perdu son siège à la suite d'une condamnation de nature criminelle ne constitue pas, à lui seul, une interdiction de solliciter un nouveau mandat. Or, quelques dispositions législatives traitent des circonstances dans lesquelles une personne est considérée comme inéligible à un siège en raison d'une condamnation criminelle.
Le paragraphe 750(2) du Code criminel 15 prévoit qu'une personne visée au paragraphe 750(1), c'est‑à‑dire titulaire d'un emploi public et qui a été déclarée coupable d'un acte criminel et condamnée en conséquence à un emprisonnement de deux ans ou plus, ne peut pas siéger au Parlement. Elle n'a pas le droit d'être élue, de siéger comme parlementaire, de voter au Sénat ou à la Chambre des communes ou d'exercer un droit de suffrage. Il convient de souligner que le paragraphe 750(2), dans la mesure où il prive une personne de son droit de voter, pourrait être contesté au motif qu'il contrevient à l'article 3 (droits démocratiques des citoyens) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) 16, comme l'ont été les dispositions de la LEC restreignant le droit de vote de certains détenus 17.
De plus, la LEC interdit à certaines personnes de se porter candidates aux élections. L'article 65 de la LEC dresse la liste de ces catégories de personnes, dont deux ont trait à des infractions de nature criminelles :
Selon cet article, il est donc interdit aux personnes incarcérées de se porter candidates aux élections à la Chambre des communes. Ainsi, une personne incarcérée pour moins de deux ans pourrait conserver son siège à la Chambre, mais ne pourrait pas se présenter de nouveau aux élections pendant qu'elle est en prison.
Dans les faits, il peut toutefois s'avérer difficile d'empêcher un ancien député de se porter candidat à des élections, et ce, même s'il a été reconnu coupable d'actes criminels. Ainsi, en 1986, l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse a adopté une loi en vertu de laquelle les personnes reconnues coupables de certains actes criminels ne pouvaient être nommées candidates ni se présenter aux élections à l'Assemblée législative pendant une période de cinq ans. La loi avait été adoptée après l'expulsion de William (« Billy Joe ») MacLean de l'Assemblée législative pour avoir plaidé coupable à quatre chefs d'accusation de remise de faux reçus pour ses dépenses en tant que député. M. MacLean a réussi à faire invalider la loi par la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse au motif qu'elle violait ses droits assurés par la Charte ainsi que les droits des électeurs, qui auraient été privés de voter pour lui 18.
Le privilège parlementaire comprend divers droits et immunités, dont l'immunité d'arrestation en matière civile, mais il ne prévoit aucune protection en cas de dépôt d'accusations au criminel. Par ailleurs, la doctrine du privilège parlementaire comporte des pouvoirs disciplinaires qui confèrent au Sénat et à la Chambre des communes le droit d'expulser un membre et ce peu importe s'il a été reconnu coupable d'une infraction criminelle 19. Pour ce faire, une résolution à cet effet doit être adoptée par la chambre concernée.
La raison d'être du pouvoir du Sénat et de la Chambre des communes d'expulser un membre a été décrite par la juge en chef Beverley McLachlin (alors juge puinée) de la Cour suprême du Canada, dans ses motifs concurrents, dans l'affaire Harvey c. Nouveau‑Brunswick 20, une affaire mettant en cause un député de l'Assemblée législative expulsé après avoir été reconnu coupable de corruption aux termes de la Loi électorale du Nouveau‑Brunswick :
Pour survivre, les démocraties doivent insister sur l'intégrité de ceux qui cherchent à remplir et qui remplissent une charge publique. Elles ne sauraient tolérer les manœuvres frauduleuses au sein de la législature. Elles ne sauraient non plus tolérer la fraude électorale. Si elles le font, deux conséquences risquent d'en résulter. Premièrement, le fonctionnement de la législature peut être affecté. Deuxièmement, la confiance du public dans la législature et le gouvernement peut être minée. Aucune démocratie ne peut se permettre que l'une ou l'autre situation se produise.
En présence d'un comportement qui mine leur intégrité fondamentale, les législatures sont tenues d'agir. Cette action peut aller de mesures disciplinaires dans le cas d'irrégularités mineures jusqu'à l'expulsion et à l'inéligibilité dans le cas de violations plus graves. L'expulsion et l'inéligibilité garantissent au public la destitution de ceux qui ont obtenu une charge frauduleusement ou en ont abusé. Le processus législatif est purifié et la législature, maintenant rétablie, peut s'acquitter de ses tâches comme elle le doit.
Or, ce pouvoir d'expulsion à des fins disciplinaires n'a été exercé que rarement, en partie en raison de son caractère extrême. Durant les années 1870, Louis Riel a été expulsé deux fois de la Chambre des communes; en 1891, Thomas McGreevy a été expulsé après avoir été reconnu coupable d'outrage à la Chambre 21.
Au Sénat, il n'est jamais arrivé qu'un sénateur soit expulsé à des fins disciplinaires, bien que cette chambre du Parlement ait déjà déclaré des sièges vacants, habituellement en raison de l'absence d'un sénateur pendant deux sessions consécutives. Des doutes ont parfois été soulevés quant au droit du Sénat d'expulser un de ses membres à des fins disciplinaires, principalement car ce motif ne figure pas à l'article 31 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui précise les circonstances dans lesquelles le Sénat peut disqualifier un sénateur et déclarer le siège vacant. Toutefois, il n'est pas spécifié de manière explicite si l'article 31 présente une liste exhaustive.
Cette question a été abordée par le Comité sénatorial permanent sur l'éthique et les conflits d'intérêts des sénateurs dans un rapport de mai 2017 22. Ce rapport portait sur les sanctions à imposer au sénateur Don Meredith à la suite des conclusions tirées par la conseillère sénatoriale à l'éthique et le Comité selon lesquelles le sénateur avait entretenu une relation inappropriée à caractère sexuel avec une adolescente. En s'appuyant sur un avis juridique, le Comité s'est dit d'avis que le Sénat possède bel et bien le pouvoir d'expulser l'un de ses membres et a recommandé « Que le sénateur Don Meredith soit expulsé du Sénat et que son siège soit déclaré vacant 23 ». Le sénateur Meredith a cependant choisi de démissionner du Sénat avant l'adoption du rapport, qui est par conséquent devenu caduc. Il a donc été rayé du Feuilleton 24.
Le pouvoir d'expulsion est généralement considéré comme un privilège discrétionnaire absolu, bien qu'il soit possible que la Charte limite quelque peu ce pouvoir. Dans l'arrêt Harvey, la Cour suprême du Canada a examiné attentivement la question du privilège parlementaire compte tenu des conséquences découlant d'une déclaration de culpabilité. Selon l'argument présenté, l'expulsion du député et son inhabilité à exercer une charge publique à l'avenir auraient porté atteinte à ses droits au sens de l'article 12 de la Charte (qui protège les individus contre un châtiment cruel et inhabituel au Canada) parce qu'elles auraient constitué un châtiment ou un traitement cruel et inhabituel. La Cour a rejeté cet argument. Alors que le juge Gérard La Forest, rédigeant pour la majorité, a dit que les conséquences ne constituaient pas un châtiment cruel et inhabituel, la juge McLachlin a déclaré que l'« inhabilité à occuper une charge qui est soulevée en l'espèce relève du privilège historique de la législature et échappe donc au contrôle judiciaire 25 ».
En résumé, de manière générale, une accusation de conduite criminelle à l'endroit d'un sénateur ou d'un député n'a pas de conséquences directes sur le plan juridique, bien que, dans le cas du Sénat, il existe une procédure de mise en congé automatique lorsque la couronne procède par mise en accusation. Si un député est déclaré coupable, il peut continuer de siéger à moins d'avoir été condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. Au Sénat, il existe une procédure de suspension automatique, pouvant mener à l'expulsion, lorsqu'un sénateur est déclaré coupable d'une infraction criminelle par mise en accusation.
Dans tous les cas, le Sénat et la Chambre conservent le pouvoir d'expulser une personne qui fait l'objet d'une accusation au criminel ou qui a été déclarée coupable, même si elle n'a pas été condamnée à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. Cependant, ce pouvoir est rarement utilisé et il est possible qu'il soit quelque peu limité par la Charte.
* La présente publication est la version révisée de la publication 2012-38-F intitulée, Les parlementaires et les accusations au criminel, produite par Erin Virgint, du Service d'information et de recherche parlementaire, et par James Robertson, anciennement de la Bibliothèque du Parlement. [ Retour au texte ]
† Les documents de la série En bref de la Bibliothèque du Parlement sont des survols de sujets d’actualité. Dans certains cas, ils donnent un aperçu de la question et renvoient le lecteur à des documents plus approfondis. Ils sont préparés par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires, ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
Tant qu'elle n'a pas subi la peine qui lui est infligée ou la peine y substituée par une autorité compétente ou qu'elle n'a pas reçu de Sa Majesté un pardon absolu, une personne visée par le paragraphe (1) [reproduit au point 3.1 du présent document] est incapable d'occuper une fonction relevant de la Couronne ou un autre emploi public, ou d'être élue, de siéger ou de voter comme membre du Parlement ou d'une législature, ou d'exercer un droit de suffrage.[ Retour au texte ]
© Bibliothèque du Parlement